Qin Shi Huangdi (260 av. J.-C. - 210 av. J.-C.)

Le Premier Empereur chinois

Le 29 mars 1974, des paysans creusent un puits non loin du mont Li, dans la province du Shanxi. Cette colline célèbre est consacrée à la mémoire d'un antique empereur dont le souvenir se noie dans la légende. Tout à coup, les paysans découvrent une cavité et, à l'intérieur... les débris d'un guerrier en terre cuite ! Il appartient à l'armée qui garde pour l'éternité la dépouille dudit empereur.

C'est la plus fabuleuse découverte archéologique depuis la tombe de Touthankamon. Tout un pan de l'histoire et de la culture chinoises s'illumine depuis cette date sous les yeux ébahis des historiens.

Fabienne Manière

Le fondateur de la Chine

De son vrai nom Zhen Ying, le premier empereur chinois est resté dans l'Histoire sous le nom de Qin Shi Huangdi, qui signifie mot à mot « Premier Auguste souverain Qin » en mandarin, la langue dominante de la Chine du nord. Son oeuvre « égale en importance et dépasse singulièrement en durée celles d'Alexandre et de César », écrit très justement l'historien René Grousset (Histoire de la Chine).

Une première dynastie impériale, les Zhou, apparaît en Chine du nord, dans la province du Chen-si, vers l'an 1000 av. J.-C. Mais sa rapide déliquescence entraîne les féodaux et les roitelets locaux à prendre le pouvoir. Il s'ensuit des guerres impitoyables. La Chine entre alors dans l'époque dite des « Royaumes combattants ».

C'est à cette époque que Zhen Ying vient au monde. Il monte sur le trône du royaume Qin à l'âge de 13 ans, en 247 av. J.-C. 

De Qin à la Chine

Le pays de Qin (prononcer Tchin) est protégé par sa situation entre des montagnes, dans la haute vallée de la Wei, au-dessus de la riche plaine céréalière du Ho-nan, en amont du Fleuve Jaune (Huang He). Il est considéré comme la « Prusse » de la Chine. Doté d'une armée redoutable que d'aucuns évaluent à plusieurs centaines de milliers de combattants, il a une vocation naturelle à la suprématie.
Du nom de ce royaume (Tsin, dans l'ancienne graphie chinoise) dériverait le nom même de la Chine... à moins que celui-ci ne vienne de sseu, qui désigne en chinois la soie, le principal produit d'exportation du pays sous l'Antiquité (les Romains eux-mêmes appelaient la Chine : Serica, « le pays de la soie »).

Zhao Xiang Wang, le grand-père de Zhen Ying, a régné de 306 à 250 av. J.-C.  sur le pays de Qin. C'est lui qui entame la soumission des royaumes voisins et l'unification de la Chine. Il abat la dynastie des Zhou en 256 av. J.-C.  Il anéantit l'armée de Zhao en 260 av. J.-C.  à la bataille de Chang Ping. Enfin, il annexe le pays de Qi  en 264 av. J.-C. 

L'armée en terre du Premier Empereur Shi HuangdiIl appartiendra à Zhen Ying de parachever la soumission des royaumes combattants de la Chine du nord.

Dans un premier temps, le jeune Zhen laisse les rênes du pouvoir à sa mère et à un vieux conseiller, Lü Buwei, cependant que lui-même se prépare assidûment à ses devoirs de monarque. À l'âge de 21 ans, enfin, il décide d'assumer personnellement le gouvernement (comme Louis XIV après la mort de Mazarin). Il se débarrasse de Lü Buwei et n'accepte plus que les conseils d'un ancien protégé de celui-ci, Li Si.

Il entreprend derechef la conquête des autres royaumes de la Chine du nord. L'un après l'autre, les États de Han, Wei, Chu et Yan tombent sous sa domination en une dizaine d'années, de 230 à 221 av. J.-C.

L'épopée guerrière des Qin est au coeur des annales historiques de Si Ma Tsien, le grand historien de la Chine antique, mort vers 80 av. J.-C. Contemporain de la dynastie Han, qui a succédé aux Qin, il se montre très sévère à l'égard de ceux-ci et de Shi Huangdi en particulier, auquel il reproche son hostilité avérée aux lettrés confucéens adeptes de la tradition et nostalgiques du « bon vieux temps » féodal. Son portrait du Premier Empereur en tyran paranoïaque mérite sans doute d'être nuancé.

La fin des Royaumes combattants

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La Chine des Royaumes Combattants
Cette carte montre comment les rois Qin, établis à l'ouest, ont peu à peu réduit à merci leurs rivaux.
Qin Shi Huangdi a parachevé l'unification de la Chine.

Un bâtisseur infatigable

En 221 av. J.-C., une fois tous ses rivaux abattus, Zhen Ying peut enfin se proclamer empereur ou plus précisément, Auguste souverain (Huang Di) ! Pour prévenir de nouvelles scissions, il fait table rase du passé et unifie l'administration. « Son césarisme autoritaire en finit avec une féodalité qui semblait inhérente à la société chinoise » (René Grousset, Histoire de la Chine).

- Il remplace les anciennes subdivisions, y compris les antiques royaumes, par 36 gouvernements provinciaux sous l'autorité d'un gouverneur civil, d'un gouverneur militaire et d'un intendant. Ainsi rompt-il brutalement avec l'ancien système féodal qui voulait que le souverain s'appuie sur des vassaux héréditaires... et indociles.

- Il unifie la monnaie, les systèmes de mesure, l'écartement des essieux et surtout l'écriture. En Chine, où l'on parle encore aujourd'hui de multiples langues, les idéogrammes restent le principal facteur d'unité et d'identité nationale : mandarins du nord et cantonais peuvent se comprendre à travers l'écrit à défaut de l'oral (note).

En 213 av. J.-C., sur une suggestion de Li Si, le souverain détruit tous les livres anciens de littérature et de philosophie, lui-même se réservant le droit d'en conserver un exemplaire dans sa bibliothèque (celle-ci sera incendiée par des émeutiers après sa mort). Il prend toutefois bien soin d'épargner les livres de science, de médecine et de technique car il est conscient de leur utilité pratique.

Qin Shihuangdi fait brûler les livres des lettrés confucéens

L'empereur signe un édit portant que « ceux qui se serviront de l'Antiquité pour dénigrer les temps modernes seront mis à mort avec leur parenté ». Il veut de la sorte prévenir toute contestation des lettrés disciples de Confucius, Lao Tseu et Mencius, qui cultivent la nostalgie du régime féodal antérieur. En guise de précaution supplémentaire, 460 de ceux-ci sont enterrés vivants l'année suivante.

Despote éclairé, Zheng se fait bâtir une nouvelle capitale sur les bords de la rivière Wei : Xianyang, où il réunit la noblesse dans de nombreux palais afin de la tenir sous surveillance. Il lance par ailleurs de gigantesques travaux de génie civil et multiplie les canaux d'irrigation pour prévenir sécheresses et famines, avec le concours d'un brillant ingénieur, Cheng Kuo. Beaucoup de ces canaux sont encore en service dans la Chine moderne.

La Grande Muraille de Chine, sur une portion montagneuse, proche de PékinContre la menace permanente d'invasions mongoles, il réunit en une ligne continue les fortifications éparses des confins septentrionaux de la Chine.

C'est ainsi qu'au prix d'efforts immenses, sous la conduite du général Meng Tian, la Chine se dote de la « Grande Muraille », le plus long monument créé de main d'homme (plus de 5000 km de long), dont quelques portions pittoresques et proches de Pékin sont encore entretenues avec soin.

En 214 av. J.-C., l'empereur envoie une armée au sud du fleuve Yang Tseu Kiang, où vivent des populations sans rapport avec la culture chinoise. Les militaires occupent Canton et l'empereur ordonne des échanges massifs de populations afin d'entamer la sinisation du sud.

L'empire, jusque-là limité au bassin du fleuve Huang He, voué à la culture du blé, va étendre son emprise dans les régions méridionales au climat tropical, aux collines boisées et aux vallées rizicoles.

À la recherche de l'immortalité

L'empereur consolide le nouvel État en développant une forme de culte autour de sa personne. 

Portrait de l'empereur Qin Shi Huangdi, Portraits des empereurs chinois, Royaume-Uni, British Library. Agrandissement : Qin Shi Huangdi portant la coiffe impériale mianliu qu'il aurait inventée.Le meilleur reste à venir avec la construction de son futur tombeau, dans la haute vallée du Fleuve Jaune, à mille kilomètres environ à l'intérieur des terres.

Redoutable et haï, Zheng Ying a été pendant son règne l'objet de plusieurs attentats qui ont pu ébranler son équilibre mental, l'amenant à changer de palais en permanence dans sa capitale de Xianyang.

En 227 av. J.-C., un érudit, Jing Ke, réussit ainsi à l'approcher avec un poignard empoisonné et c'est de justesse que l'empereur échappe à la mort. Il est aussi agressé en 219 av. J.-C. par un musicien aveugle.

Préoccupé par la quête de l'immortalité, Zheng Ying consulte mages et médecins. Il envoie même une puissante expédition navale à la recherche d'un légendaire pays de l'immortalité (le Japon ?). On n'aura jamais de nouvelles des milliers de personnes engagées dans l'expédition.

Enfin, l'empereur engage la construction de son tombeau, une oeuvre plus colossale encore que la Grande muraille. Plusieurs centaines de milliers d'ouvriers et de condamnés sont affectés à sa construction.

L'empereur dessinant les contours de la Grande Muraille.Il est prévu, selon l'usage antique, que les proches du défunt empereur soient inhumés avec lui pour l'accompagner et le servir dans le monde de l'au-delà. Comme cela ne lui suffit pas, Zheng Ying veut aussi se faire accompagner par les meilleurs de ses généraux et de ses soldats, ou du moins par leur représentation en terre cuite. C'est ainsi qu'au moins 8.000 soldats plus grands que nature, sans compter les chars et les chevaux, sont enfouis dans des salles adjacentes au tombeau, rangés en ordre de bataille... Tous sont tournés vers l'Est, autrement dit vers les anciens royaumes soumis par Zheng Ying.

Las, à peine l'empereur Qin Shi Huangdi sera-t-il mort que des insurgés envahiront son tombeau et briseront toutes les statues pour se venger du despote !

Un tombeau d'une richesse incommensurable

Le mont Li, sous lequel se cache le tombeau du Premier Empereur (Shanxi)Depuis 1974, à mesure que les archéologues excavent les débris de l'armée de terre cuite et les rassemblent, ils découvrent des personnages saisissants de vérité, tous différents et remarquablement expressifs, depuis le fantassin bêtasse jusqu'au général rude et brutal.
Notons que le coeur du tombeau, situé sous un tumulus (le mont Li), reste à découvrir. Les archéologues y soupçonnent des merveilles incomparables mais ne veulent pas les mettre à jour avant de maîtriser les techniques qui éviteront qu'elles ne soient dégradées à la lumière (effacement des couleurs...).

L'armée de terre cuite du Premier Empereur

Rupture et continuité

Conscient de la grandeur de son oeuvre, Zheng fit ériger dans tout l'empire des stèles à sa gloire dont beaucoup subsistent aujourd'hui encore : « Il a réuni pour la première fois le monde », dit celle du T'ai-chan.

Mais en dépit de ses efforts, l'empereur n'échappe pas au sort commun. Il meurt de maladie en 210 av. J.-C., lors d'une expédition. Sa dépouille est ramenée en secret à la capitale, au pas lent des animaux de trait. Pour dissimuler l'odeur de décomposition du cadavre, une charrette de poissons accompagne la litière impériale !

Pendant neuf mois, les conseillers, craignant à juste titre pour leur vie, cachent tant bien que mal sa mort. Les funérailles, grandioses comme il se doit, se soldent par le sacrifice de toutes les concubines qui n'ont pas eu d'enfant de l'empereur défunt. C'est un retour momentané aux sacrifices humains qui avaient été abandonnés sous les Zhou.

Exécution de Li Si, conseiller de Qin  Shi HuangdiLi Si publie un faux testament qui déshérite le fils aîné de Shi Huangdi au profit du cadet, Huhai (21 ans). Celui-ci devient le deuxième Auguste souverain (Ershi Huangdi). Brutal et velléitaire, le nouvel empereur échoue à se maintenir au pouvoir d'autant que les soulèvements se multiplient dans le pays contre le gouvernement et les institutions du despote défunt.

Li Si lui-même, le bras droit du Premier Empereur, tombe en disgrâce. Son corps est coupé en deux sur la place du marché de Xianyang, deux ans après la mort de son maître.

L'année suivante, le 12 octobre 207 av. J.-C., Ershi Huangdi, isolé dans son palais, croit voir des rebelles l'assaillir. Il se suicide ou se fait tuer, on ne sait. Ainsi finit prématurément la dynastie Qin. L'eunuque Zhao Gao, premier ministre du Deuxième Empereur, octroie une simple couronne royale à un sien neveu, le prince Zi Ying. Ce nouveau règne ne durera que 43 jours !...

On peut alors craindre que la Chine ne retombe dans ses divisions d'autrefois... Mais contre toute attente, un fils de paysan du nom de Liu Bang va relever l'oeuvre du Premier Empereur et la pérenniser.


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Histoire de la Chine
Publié ou mis à jour le : 2024-03-26 13:34:57

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