Staline (1878 - 1953)

Le « petit père des peuples »

Le maréchal Joseph Djougachvili, alias Staline, en juin 1941 (Gori, 18 décembre 1878 - Moscou, 5 mars 1953). Agrandissement : Portrait de Staline par Valentin Volkov, 1951.Staline a été plus qu'aucun autre homme d'État de l'époque moderne l'objet de passions extrêmes. Dans le monde entier, des millions d'hommes l'ont adoré ou vilipendé, souvent à en mourir.

Le successeur de Lénine à la tête de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) s'honorait du titre de Vojd, mot russe qui signifie « Guide », équivalent de l'allemand Führer, de l'italien Duce ou de l'espagnol Caudillo. Mais la propagande communiste le surnommait aussi le « petit père des peuples ».

Aujourd'hui encore, son évocation suscite la polémique et le qualificatif de « stalinien » est brandi tantôt comme une insulte, tantôt (mais de plus en plus rarement) comme un motif de fierté.

André Larané

La gloire du Grand Staline (peinture de Kugatsch, 1950)

Un révolutionnaire hors du commun

Joseph Djougatchvili, futur Staline, est né à Gori, une petite ville au coeur de la Géorgie, le 6 décembre 1878 selon le calendrier julien. Son père est un savetier misérable et illettré, à peine libéré du servage, remarié sur le tard à une jeune cousine. Alcoolique et violent, il bat fréquemment sa femme et ses enfants, y compris le petit Joseph. Il meurt en 1890 au cours d'une rixe entre ivrognes (sa femme vivra quant à elle jusqu'en 1936).

Joseph entre au séminaire de Tbilissi (ou Tiflis) car c'est le seul moyen d'ascension sociale qui lui soit accessible. Il s'y initie en secret aux idées révolutionnaires et au marxisme. Son indiscipline lui vaut d'être chassé de l'établissement sans diplôme en 1899.

Militant dans le nouveau parti bolchevique, il renie son identité comme tous les révolutionnaires professionnels et adopte le pseudonyme de Koba (un héros de la littérature russe). Il est exilé en Sibérie pour avoir incité des ouvriers à la grève.

De retour à Gori, il épouse le 22 juin 1904 une jeune paysanne de 15 ans et reprend sans attendre ses activités militantes dans la clandestinité (sa première épouse mourra en 1906). Le 25 décembre 1905, sa première rencontre avec Lénine quelque part en Finlande, à l'occasion d'un congrès panrusse, fait de lui un professionnel de la révolution.

En mai 1907, Koba assiste au congrès du parti social-démocrate russe à Londres. Cela se passe peu avant que les bolcheviques groupés autour de Lénine ne rompent avec les autres sociaux-démocrates, les mencheviks groupés autour de Martov.

Pour les besoins de la cause, Lénine, peu après, confie à Joseph Djougatchvili le soin de mener des opérations de grand banditisme dans la région du Caucase (les bolcheviques utilisent pour désigner ces hold-up le délicat euphémisme d'« expropriations »). L'objectif est de remplir les caisses du parti bolchevique.

C'est ainsi que le 13 juin 1907, des hommes déguisés en faux policiers attaquent un fourgon de fonds à Tiflis, tuant de nombreux cosaques et policiers. Quelques mois plus tard, le leader menchevik ne se prive pas de dénoncer ces hold-up et lance des accusations publiques contre le futur Staline.

En 1912, ce dernier accède au Comité central du parti, aux côtés de Lénine. L'année suivante, il adopte le surnom de Staline (« Homme d'acier » en russe). Il est arrêté et exilé en Sibérie jusqu'à la Révolution de Février, en 1917.

Libéré, il prend la direction de la Pravda, le journal du parti bolchevique. Après la Révolution d'Octobre, qui consacre le pouvoir sans partage des bolcheviques, il devient commissaire du peuple (ou ministre) aux nationalités. C'est à 39 ans le début d'une deuxième vie.

Vers la Grande Terreur

Pendant la guerre civile, en août 1918, Staline épure sans pitié la ville de Tsaritsyne, qui portera plus tard son nom : Stalingrad ! En Géorgie, il réprime aussi sans faiblesse les menées autonomistes.

Il se remarie en 1918 avec, cette fois, une jeune fille de 17 ans. Celle-ci, prénommée Nadejda, se suicidera en 1932 après lui avoir donné deux enfants, Svetlana et Vassili.

Homme de terrain n'ayant aucun goût pour la théorie, Staline devient en 1922 le secrétaire général du Comité central. En apparence, il ne s'agit que d'une fonction administrative. À l'usage, elle va se révéler d'une importance décisive par le pouvoir qu'elle donne à son titulaire de nommer et de déplacer les cadres du parti.

Pendant la maladie de Lénine, Staline consolide sa position et se prépare à éliminer ses rivaux. Il cache les documents dans lesquels Lénine fait état de ses doutes à l'égard de son adjoint : « Le camarade Staline, en devenant secrétaire général, a concentré dans ses mains un pouvoir immense, et je ne suis pas convaincu qu'il puisse toujours en user avec suffisamment de prudence », écrit le chef à l'agonie en décembre 1922.

Après la mort de Lénine, il se place habilement entre la gauche du parti, menée par Trotski, qui veut poursuivre l'industrialisation du pays à marches forcées et préparer la révolution mondiale, et la droite, menée par Boukharine, qui souhaite lâcher du lest pour rallier la paysannerie et les artisans au régime. Ceux-là souhaitent poursuivre la NEP (Nouvelle Politique économique) lancée par Lénine.

Staline, réaliste, prend le contre-pied du doctrinaire Trotski et prône « le socialisme dans un seul pays ». Allié dans un premier temps à Boukharine, il oblige Trotski à quitter ses fonctions de commissaire du peuple à la guerre. Les autres chefs de la gauche, Zinoviev et Kamenev, sont à leur tour chassés lors du congrès du parti communiste de décembre 1927.

À peine la gauche est-elle éliminée que Staline enfourche ses thèses. Fin politique, il comprend en effet que la libéralisation économique, si elle perdure, risque de ruiner l'autorité du parti unique, le Parti communiste. « Staline avait compris la nature totalitaire du régime qui, déjà sous Lénine, reposait sur le principe du parti unique, de l'idéologie communiste obligatoire et de l'autorité incontestée du chef » (note).

Dans le droit fil de Lénine, il lance en 1928 un premier plan quinquennal. Il décide de collectiviser l'agriculture et, le 6 janvier 1930, met officiellement fin à la NEP. Il s'ensuivra une grande famine et environ six millions de morts. Bouhkharine et ses partisans, obligés de s'expliquer devant les représentants du parti réunis en congrès, sont contraints de s'effacer.

À mesure qu'il renforce son autorité sur le parti et le pays, Staline se sent obligé de traquer de plus en plus loin l'opposition virtuelle. C'est ainsi qu'il organise de grands procès publics pour dénoncer ses opposants supposés.

Le 1er décembre 1934, Kirov, secrétaire général du parti pour la région de Léningrad (ex-Saint-Pétersbourg), est assassiné, peut-être à l'instigation de Staline ! Qu'à cela ne tienne, ce dernier prend prétexte de l'assassinat pour dénoncer les menées trotskistes. Il fait arrêter Zinoviev, Kamenev et beaucoup d'autres qui sont jugés puis exécutés en avril 1936 au cours des grands procès de Moscou.

En janvier 1937 a lieu le procès des « seize » puis en juin de la même année, le procès du prestigieux maréchal Toukhatchevski et de nombreux généraux. En mars 1938, le procès des « vingt et un » a raison de Boukharine et Rykov.

Les procès gagnent en ampleur jusqu'en 1938. Ils se soldent par la liquidation de presque tout l'état-major de l'Armée rouge, cela à la veille du deuxième conflit mondial !

Les accusés de ces différents procès n'hésitent pas à revendiquer des fautes imaginaires qui leur valent immédiatement la mort par balle. Ils agissent en partie sous l'effet de tortures et de menaces dirigées contre leurs proches, en partie parce qu'ils ont la conviction de participer au sauvetage du pouvoir communiste !

Si les dirigeants ont droit à des procès à grand spectacle avant de mourir, les citoyens ordinaires doivent se contenter de condamnations en catimini. Ils sont plusieurs millions à subir ce sort et peu reviendront des camps de concentration.

Staline ne se prive pas par ailleurs de faire déporter des populations entières d'un endroit à l'autre du pays dans l'espoir d'en finir avec les particularismes nationaux. Ces déportations vont prendre un tour systématique pendant la Seconde Guerre mondiale.

Affiche de propagande soviétique (Marx, Engels, Lénine, Staline)

Le choc des titans

Le régime soviétique se flatte malgré la Grande Terreur d'industrialiser le pays et de répandre l'éducation dans toutes les couches de la société, au point de susciter l'admiration de nombreux Occidentaux. En politique étrangère, peu désireux de faire les frais de l'expansionnisme allemand, le dictateur se laisse entraîner dans un pacte de non-agression avec Hitler.

Hitler ayant unilatéralement rompu le pacte en envahissant l'URSS le 22 juin 1941, Staline, qui ne s'y attendait pas, sombre dans une dépression pendant deux semaines. Enfin, il appelle les Soviétiques à résister à l'envahisseur et réveille le nationalisme grand-russe. Le 7 novembre 1941, lors du défilé militaire destiné à célébrer la Révolution bolchévique, il fait l’impasse sur celle-ci et exhorte les Soviétiques à repousser l’envahisseur « en s’inspirant du glorieux exemple de nos ancêtres Alexandre Nevski, Dimitri Donskoi, Minine et Pojarski, Souvorov et Koutozov ».

Le sacrifice au combat de plus de 26 millions de Soviétiques dont 16 millions de civils, et la victoire de Stalingrad vaudront au dictateur le respect des dirigeants occidentaux en dépit de ses crimes innombrables.

Chasse aux Juifs

Après la capitulation allemande, le vieux dictateur soviétique place sous sa coupe les territoires d'Europe centrale libérés de l'oppression nazie. Dans le dessein de s'assurer un allié au Moyen-Orient, domaine réservé des Anglo-Saxons, il apporte aussi son soutien à la création de l'État d'Israël !

Sans crainte du paradoxe, le vainqueur de Hitler donne enfin libre cours à un antisémitisme viscéral qu'il canalisait précédemment dans la haine de son principal rival, le juif Trotski.

La campagne antijuive débute en janvier 1949 par une campagne de presse contre les intellectuels d'origine juive. Plusieurs centaines sont limogés, voire arrêtés. Le 12 août 1952, 24 écrivains juifs de langue yiddish sont ainsi exécutés pour « complot contre le peuple soviétique ».

Couverture du quotidien communiste L'Humanité sur la mort de StalineEnfin, le 13 janvier 1953 éclate à Moscou l'affaire des « médecins empoisonneurs ». Un article de la Pravda accuse ces médecins - tous juifs - de préparer des assassinats médicaux à l'instigation d'une organisation sioniste. Plusieurs médecins sont prestement inculpés et déportés. Parmi eux le médecin personnel de Staline !

Selon sa tactique habituelle, le dictateur prévoit de faire condamner les médecins après leur avoir arraché de faux aveux, de les faire pendre sur la Place Rouge, de susciter des pogroms dans le pays, enfin, à l'appel « spontané » de personnalités juives du monde de la culture, de protéger les juifs soviétiques en leur offrant un « asile » dans les régions orientales du pays !

L'appel est déjà prêt, ainsi que l'explique l'historien Léon Poliakov note, mais la mort surprend le « petit père des peuples » et l'empêche de mener à bien son dernier exploit...


Publié ou mis à jour le : 2022-07-17 17:18:40

Voir les 5 commentaires sur cet article

Henri 75012 (17-11-2021 12:28:24)

L'auteur a de l'indulgence pour un des pires assassins de l'humanité. Il manque des noms et des mots-clé : Goulag, Holodomor, 25 millions de Zeks, 5 à 10 millions de morts dans les camps, la rég... Lire la suite

ygreque (01-11-2015 12:01:17)

À propos de la guerre de Russie: "ces immenses steppes lunaires où s'étreignent à mort les deux géants sanguinaires, en un combat sans fin dont le choc des armes, la clameur des batailles retent... Lire la suite

Paul Klépinine (01-11-2015 10:02:00)

Koba, le premier pseudonyme de Staline, est en fait un personnage du folklore géorgien. Le type même du bandit généreux à la façon de Robin des bois.

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