Aventureux Hollandais

La naissance tumultueuse des Pays-Bas (1579-1795)

Sur l'embouchure de l'Escaut et du Rhin, au débouché de l'Europe centrale et face aux îles britanniques, les Dix-Sept Provinces des Pays-Bas ont relevé avec éclat le défi d'une nature hostile. Elles ont puisé les ressorts d'un fabuleux destin dans le commerce et l'industrie, en particulier le tissage. Par le jeu des alliances matrimoniales, elles sont passées à la fin du Moyen-Âge sous la tutelle des ducs de Bourgogne puis sous celle des Habsbourg avant d'être léguées à la couronne d'Espagne suite à l'abdication de l'empereur Charles-Quint. Elles deviennent alors les Pays-Bas espagnols

Les sept provinces du nord se constituent en fédération par l'Union d'Utrecht du 23 janvier 1579. Elles se révoltent contre leur nouveau souverain pour des raisons religieuses, leurs habitants ayant rejeté massivement le catholicisme et adopté la doctrine réformée de Calvin. On appelle « Guerre de Quatre-Vingts ans » la longue période (1568-1648) qui les a menées à l'indépendance sous le nom de Provinces-Unies des Pays-Bas, les dix provinces du sud étant demeurées sous tutelle espagnole.

Elles ont pu ainsi devenir le premier des États modernes, avec une économie capitaliste, la première Bourse des valeurs et un empire colonial très rentable, avec également un régime républicain oligarchique d'un caractère inédit, avec enfin des artistes qui ont bouleversé notre perception de la vie.

Vers la scission des Pays-Bas espagnols

En 1477, la région fait partie des États bourguignons de Charles le Téméraire.  Après la mort de celui-ci, une partie des territoires est récupérée par la France tandis que le reste tombe sous la domination des Habsbourg d’Autriche qui ont pris les commandes du Saint Empire. Ceux-ci entreprennent alors d’étendre leurs possessions vers le nord. En particulier, Charles Quint devient duc de Bourgogne en 1506 avant de devenir roi d’Espagne puis empereur germanique. À compter de cet instant, la région prend le nom de Pays-Bas espagnols.

Ceux-ci incluent le Luxembourg, le Hainaut, l’Artois, la Flandre, le Brabant, la Zélande, la Hollande, l’Utrecht, la Gueldre, l’Overyssel, la Frise et le Groningue. La principauté de Liège n’en fait pas partie et tend à isoler le Luxembourg du reste du territoire. L’ensemble correspond plus ou moins au Bénélux actuel.

Les premières crispations apparaissent à partir des années 1520 lors de l’expansion du protestantisme dont la proportion augmente globalement du sud au nord. Cela déplaît aux souverains espagnols, farouches défenseurs de l’unité chrétienne. Le roi Philippe II, qui a succédé à Charles Quint, se montre particulièrement intransigeant. Par ailleurs, cette région traditionnellement opulente voit une partie de ses richesses fuir vers l’Espagne du fait des taxes et des impôts.

En 1566, les protestantes sont rapidement matés. Mais le duc d’Albe nommé gouverneur des Pays-Bas ranime l’insurrection en faisant décapiter plus d’un millier de rebelles. Le prince protestant Guillaume d’Orange part alors lever une armée en Saxe et il déclare la guerre aux Espagnols le 5 juin 1568 : c’est le début de la « Guerre de Quatre-vingts ans ».

Dans un premier temps, les forces de Guillaume d’Orange sont repoussées, mais l’insurrection protestante rejaillit en 1572 avec encore plus de vigueur et Guillaume d’Orange est nommé gouverneur par les insurgés de Hollande et de Zélande.

En 1576, la mise à sac de la ville d’Anvers par les troupes espagnoles radicalise l’opinion et marque un pas de plus vers la volonté d’indépendance. Le nouveau gouverneur Juan d’Autriche qui a succédé au duc d’Albe est contraint de se réfugier à Luxembourg. De là, les Espagnols entament une reconquête victorieuse du sud des Pays-Bas.

Le 6 janvier 1579, les villes du sud à majorité catholique forment l’Union d’Arras qui réaffirment leur attachement à l’Espagne. En réaction, le 23 janvier 1579, les provinces du nord forment l’Union d’Utrecht sous l’impulsion de Guillaume d’Orange. Deux ans plus tard, la République est instituée, ce qui marque les débuts de l’indépendance des Provinces-Unies.

Le difficile apprentissage de l'indépendance

Dès la proclamation de leur indépendance, les farouches rebelles, au demeurant de respectables bourgeois calvinistes, improvisent un régime d'assemblée sur la base des états généraux qui réunissent les délégués des Sept Provinces. Mais deux magistrats principaux se disputent la conduite du pays. D'une part le stathouder général, issu de la famille de Nassau, qui a principalement une fonction militaire et pousse à la centralisation du pouvoir ; d'autre part le Grand Pensionnaire des États de Hollande, qui représente la puissante oligarchie marchande et veille à l'autonomie des provinces et des villes.

Johann Oldenbarnevelt (atelier de Michiel Jansz. van Mierevelt, Rijksmuseum, Amsterdam)Maurice de Nassau a 17 ans quand il devient stathouder général après l'assassinat de son père Guillaume le Taciturne, le 10 juillet 1584. Il va poursuivre avec ténacité la guerre contre les Espagnols.

Les années suivantes sont marquées par une reconquête partielle des Espagnols qui parviennent jusqu’à Anvers en 1585. Cette période entraîne un afflux massif de protestants vers le nord, exacerbant la frontière religieuse entre les Provinces-Unies et les Pays-Bas espagnols. La prise d’Anvers provoque l’entrée en guerre de l’Angleterre contre l’Espagne, qui voit son commerce sur l’Atlantique remis en cause.

En 1595, c’est au tour de la France d’Henri IV d’attaquer l’Espagne en soutien aux protestants. Finalement, la situation aux Pays-Bas se stabilise et l’indépendance des Provinces-Unies est consolidée même si elle ne sera reconnue par l’Espagne qu’en 1648 avec les traités de Westphalie. Le pays devient une république fédérale garantissant une forte autonomie des provinces et dirigée par une assemblée connue sous le nom d’États Généraux. À la tête des provinces se trouvent ordinairement des stathouders.

Les marchands hollandais triomphent sur les mers

Débarrassés de la tutelle espagnole, les marchands néerlandais peuvent reprendre leur négoce à beaucoup plus grande échelle.

Dès 1602, ils se regroupent sous la Compagnie des Indes orientales, la VOC, afin de commercer jusqu’en Indes et en Chine. Elle va multiplier les comptoirs sur toutes les mers du monde...

Dans les îles à épices, les marchands néerlandais doivent lutter contre le monopole du Portugal qui est alors aux mains du roi d’Espagne : ils s’emparent d’abord du fort d’Ambon aux Moluques, puis fondent Batavia en 1619, la future Jakarta qui devient le pôle central de la compagnie.

En parallèle, les Provinces-Unies encouragent de premières colonies le long du fleuve Hudson et créent la compagnie des Indes Occidentales en 1621. Cela les amène à fonder la Nouvelle-Amsterdam en 1625, la future New York, et à l’essor de la Nouvelle-Néerlande. Plusieurs colonies sont également fondées dans les Caraïbes dans les années 1630, aux origines des Antilles néerlandaises qui subsistent encore aujourd’hui, et plus au sud dans les Guyanes. Les tentatives d’implantation au Brésil sont plus éphémères. Les Néerlandais fondent par ailleurs quelques comptoirs sur la côte africaine.

C'est aussi à cette époque qu'une île des Mascareignes, dans l'océan Indien, reçoit le nom de Maurice, en l'honneur du stathouder

Une trêve brève mais profitable

Le 25 avril 1607, une flotte commandée par Jacob van Heemskerk surprend la flotte espagnole dans la rade de Gibraltar et l'anéantit en quatre heures. Cette victoire est le premier engagement conjoint des sept provinces dans la guerre. Elle conduit à une « trêve de Douze Ans », le 9 avril 1609.

Cette période de paix va porter sur le devant de la scène le Grand Pensionnaire Johann Van Oldenbarnevelt et le juriste républicain Hugo Grotius, inventeur du droit international.

Mais les dissensions religieuses offrent bientôt au stathouder l'occasion de se rappeler au bon souvenir de ses concitoyens. Alors que la trêve arrive à son terme, il prend le parti de la faction intégriste opposée au Grand Pensionnaire et fait exécuter celui-ci malgré son grand âge, 72 ans. Grotius arrive quant à lui à s'enfuir.

Cependant que la guerre reprend avec les Espagnols, Maurice de Nassau s'éteint le 23 avril 1625 et se voit remplacer par son frère Frédéric-Henri de Nassau. Celui-ci remporte succès après succès mais ne peut lever le blocus de Breda, une cité stratégique au sud du pays, dans le Brabant, assiégée par le général Spinola. Son défenseur Justin de Nassau se rend avec les honneurs le 5 juin 1625... Dix ans plus tard, Vélasquez va tirer de cet événement l'un des chefs-d'oeuvre de l'art occidental : La reddition de Breda ou Les lances (musée du Prado).

La reddition de Breda ou Les lances, 5 juin 1625 (Diego Velasquez, 1634, musée du Prado, Madrid)

Les Hollandais à la pointe de la modernité

Frédéric-Henri de Nassau tient à La Haye une cour princière et n'hésite pas à marier son fils Guillaume à une fille du roi d'Angleterre Charles Ier, visant sans le dire à l'instauration d'une monarchie au profit de sa famille. Quand il meurt le 14 mars 1647, son fils lui succède naturellement comme stathouder général sous le nom de Guillaume II.

Frédéric-Henri d'Orange-Nassau (29 janvier 1584, Delft - 14 mars 1647, La Haye)Il a 20 ans et ne rêve que de prolonger la guerre contre l'Espagne en s'alliant à la France de Louis XIV et Mazarin. Il ne peut empêcher cependant que se conclut enfin la paix au congrès de Westphalie. En octobre 1648, par le traité de Münster, l'ensemble des chancelleries européennes reconnaissent l'indépendance des Provinces-Unies. C'est la fin de la « Guerre de Quatre-Vingts ans » !  

Qu'à cela ne tienne, après l'exécution de son beau-père Charles Ier, le stathouder projette rien moins que de rétablir le fils de celui-ci sur le trône d'Angleterre. Mais il meurt brusquement le 6 novembre 1650 sans pouvoir mener son projet à bien. Son fils et héritier naît une semaine après. Il est destiné à lui succéder sous le nom de Guillaume III mais devra pour cela patienter plus de vingt ans, avant de connaître un destin des plus chanceux en accédant au trône d'Angleterre.

En attendant, le Portugal s'étant libéré de l’Espagne en 1640, les Néerlandais en profitent dès l’année suivante pour s’emparer de Malacca. Ils contrôlent ainsi un nouveau verrou dans le commerce avec la Chine. Puis dans les années 1650, ils s’implantent massivement au Sri Lanka aux dépens des Portugais. C’est en 1652 que les Néerlandais fondent la colonie du Cap en Afrique du Sud pour servir d’étape dans le négoce vers l’Océan Indien.

L’empire commercial néerlandais atteint alors son apogée, et les Provinces-Unies traversent un siècle d’or dans tous les domaines. Le taux d’urbanisation y est le plus élevé du monde, ce qui favorise l’apparition d’une large classe moyenne éduquée.

La liberté de penser y attire par ailleurs des savants étrangers tels que Descartes qui côtoie Spinoza et Locke en philosophie, ou Christian Huygens en sciences. La prospérité générale fait aussi l'affaire des artistes tels Van Dyck, Rembrandt, Vermeer et bien d’autres.

Cependant, les Hollandais doivent affronter la concurrence montante de l'Angleterre sur les mers. Ils entrent en guerre contre elle après que Cromwell a promulgué l'Acte de Navigation de 1651 qui interdit les ports anglais aux navires étrangers. Les états généraux abolissent par ailleurs le stathoudérat général et s'en remettent au Grand Pensionnaire pour le gouvernement du pays. C'est en l'occurrence Jan (ou Johan) de Witt, un jeune homme élu à ce poste à 28 ans, en 1653, qui va porter le pays à son apogée pendant les presque vingt ans de son gouvernement.

Au fil de plusieurs guerres anglo-néerlandaises (1652-1667), les Britanniques tentent à plusieurs reprises de briser l’hégémonie maritime des Provinces-Unies avec des succès mitigés. En 1667, les Néerlandais perdent la Nouvelle-Néerlande mais récupèrent en contrepartie le Suriname. Puis la guerre de Hollande lancée par Louis XIV en 1672 porte un coup sévère à la prospérité du pays. Celui-ci parvient à résister avec l’aide de l’Espagne et du Saint Empire, mais son économie est durablement affectée.

La croissance des empires coloniaux français et surtout britannique fait diminuer les rentrées d’argent de l’empire néerlandais qui cherche alors à passer du système de comptoirs à une véritable emprise territoriale. En Afrique du Sud d’abord, où la population d’Afrikaners devient peu à peu majoritaire sur toute la partie occidentale. En Indonésie d’autre part : la VOC profite de guerres de succession locales pour imposer sa souveraineté sur toute l’île de Java en 1755, et elle assure sa domination sur les autres îles par le biais de princes locaux.

En 1780, à l’occasion d’une nouvelle guerre maritime contre la Grande-Bretagne, le stathouder Guillaume V d’Orange-Nassau en profite pour concentrer davantage de pouvoir entre ses mains, ce qui provoque des révoltes républicaines dans le pays qui s’inspirent de la philosophie des Lumières.  C’est le début de ce qu’on appellera la Révolution batave.

Vue d'Amsterdam au XVIIe siècle (Musée Condé, Chantilly)

Tourments de l'Histoire

Occupées par les Français pendant les guerres de la Révolution et de l'Empire, les Provinces-Unies ont alors pris le nom de République batave (d'après le nom antique de la région) puis de Royaume de Hollande, du nom de la province principale. Après la chute de Napoléon, en 1814, ce royaume a été réuni aux Pays-Bas du sud, qui, à la fin du XVIIIe siècle, étaient passés des Habsbourg de Madrid à ceux de Vienne avant d'être annexés par la France. L'ensemble a reçu le nom de Royaume-Uni des Pays-Bas. En 1830, enfin, le sud a conquis son indépendance sous l'appellation de Belgique (un nom qui remonte aux Romains) et l'on est ainsi arrivé à la configuration actuelle...

Vincent Boqueho et André Larané

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• 20 août 1672 : mort tragique de Jan de Witt
Publié ou mis à jour le : 2024-04-10 17:27:46

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