Rome (193 à 395)

Une Antiquité tardive de triste apparence

Mosaïque d'Orphée, Musée gallo-romain de Saint-Romain-en-Gal - Vienne  (copyright : Musée gallo-romain de Lyon-Vienne, photo : Paul VEYSSEYRE )Après l'assassinat de l'empereur Commode en 192, épisode dont s'inspire le film Gladiator, les symptômes de crise se multiplient dans l'empire romain.

Les campagnes se dépeuplent du fait d'une dénatalité déjà ancienne. L'industrie s'étiole par manque de débouchés. L'État tente de réagir par des réglementations tatillonnes et une pression fiscale qui n'arrangent rien.

Aux frontières, les Barbares se font menaçants : Maures en Afrique du nord, Germains sur le Rhin et le Danube, Parthes en Orient.

À Rome même, les légions et la garde prétorienne (la garde privée de l'empereur) font et défont les empereurs, à commencer par Pertinax, l'éphémère successeur de Commode.

Mais gardons-nous de trop noircir le tableau ! « Jusqu'à une date récente, on considérait que l'économie de l'Empire avait fortement décliné au cours des IIIe et IVe siècles, note l'historien Bryan Ward-Perkins (note). Cependant, le travail archéologique effectué après la Deuxième Guerre mondiale a mis en cause cette analyse. Dans la majeure partie de l'Orient méditerranéen et dans certaines parties de l'Occident, des fouilles et des prospections ont permis de conclure à l'existence d'une économie florissante de l'Empire tardif, accompagnée d'une prospérité rurale et urbaine réelle, fort étendue ».

Cette prospérité allait de pair avec une très grande diffusion de l'écrit et, faut-il le préciser ? permettait encore d'entretenir une armée professionnelle de 600 000 soldats.

L'empire métissé

Septime Sévère, en 197, devient le premier empereur sans racines italiennes. Avec lui, l'empire romain change de nature.

Les historiens ont longtemps appelé Bas-Empire la période ouverte par Septime Sévère, par opposition à la grande période des douze premiers César et des Antonins. Mais depuis les années 1970, à l'initiative d'Henri-Irénée Marrou, ils préfèrent généralement employer l'expression moins dépréciative d'« Antiquité tardive » pour qualifier les III et IVe siècles romains.

Le règne de Septime Sévère conserve une partie de la grandeur antérieure. L'empereur met fin à l'anarchie qui a suivi la mort de Commode. Il s'appuie sans vergogne sur l'armée qui l'a porté au pouvoir. « Enrichissez les soldats et moquez-vous du reste », aurait-il eu coutume de dire.

Pour tenter de remédier à la crise économique qui affecte l'empire depuis plusieurs décennies, Septime Sévère mène comme ses prédécesseurs une politique dirigiste. Les paysans sont de plus en plus strictement attachés à la terre qu'ils travaillent. Les fils doivent, dans de nombreuses professions, reprendre le métier de leur père. Par cette obligation, les autorités civiles tentent de remédier aux effets de la dénatalité.

L'empereur doit par ailleurs combattre en permanence les ennemis des frontières : il reprend la Mésopotamie aux Parthes puis repousse les Calédoniens dans l'actuelle Écosse.

L'empire en déshérence

À Septime Sévère succèdent d'abord ses fils Géta et Caracalla puis ses cousins, ceux-là originaires de Syrie (comme la veuve de Septime Sévère, l'influente Julia Maesa ou Domna). Tous vont finir assassinés.

Caracalla tue son frère Geta dès la première année de son règne. Mais il est lui-même assassiné à 31 ans, en 217, par le préfet des gardes Macrin, au cours d'une campagne contre les Parthes !

La ville de Rome doit à Caracalla, grand bâtisseur mégalomaniaque, les plus grands thermes que l'on connaisse. Mais l'empereur est surtout connu par un édit promulgué en 212, qui accorde d'emblée la citoyenneté romaine à tous les hommes libres de l'empire.

Jusque-là, le droit de cité se transmettait essentiellement par filiation (ou adoption). Elle pouvait aussi s'obtenir après vingt ans de service dans la légion ou s'acheter (c'est de cette façon que le père de saint Paul est devenu citoyen romain).

L'état du papyrus par lequel nous est connu l'édit ne permet pas de connaître les raisons exactes pour lesquelles Caracalla a promulgué l'édit. L'historien antique Dion Cassius suggère qu'il aurait voulu augmenter de la sorte les recettes fiscales, les citoyens étant assujettis à un impôt sur les successions, mais rien ne vient corroborrer cette hypothèse.

Toujours est-il qu'avec l'édit de Caracalla, aussi connu sous le nom de Constitution antonine (Constitutio Antoniniana en latin), la citoyenneté est désormais octroyée sans conditions. Elle perd sa valeur symbolique pour les provinciaux qui avaient précédemment à coeur de l'obtenir par leurs mérites et leur travail. C'est un motif de fidélité à l'empire qui s'efface.

La fin des Sévères

Après le court règne de Macrin, Élagabal (ou Héliogabale), un cousin de Caracalla, est hissé au pouvoir par les légionnaires. C'est un prêtre syrien de 14 ans, à peine romanisé.

À sa mort, le 11 mars 222, après un règne déplorable, l'empire revient à un autre cousin, Sévère Alexandre  (13 ans). Celui-là se montre, au contraire des précédents, plein de vertu et animé de bonne volonté. Il restaure l'autorité du sénat au grand dam des chefs de la garde prétorienne. Obligé de soutenir ses troupes, qui font face sur le Rhin à une offensive des Germains, il tente d'acheter la paix. Des légionnaires indignés pénètrent dans sa tente et le tuent ainsi que sa mère Julia Mammaea.

L'assassinat de Sévère Alexandre (ou Alexandre-Sévère), dernier empereur de la dynastie des Sévères, en 235, est le repère choisi par les historiens pour marquer la fin du principat ou empire tel qu'Auguste l'avait inauguré. Il marque le début d'une « grande crise » dynastique d'un tiers de siècle, marquée par la nomination d'empereurs selon le bon vouloir des armées.

De l'anarchie à la restauration illyrienne

En Orient, les Perses sassanides succèdent aux Parthes comme ennemis de Rome et en 260, fait sans précédent, leur roi Sapor 1er bat l'empereur Valérien près d'Édesse et le capture ainsi que, dit-on, 70 000 de ses hommes. Les Romains, y compris l'empereur, seront réduits en esclavage dans des conditions atroces.

Sur le Rhin et le Danube, les Barbares se font plus que jamais menaçants. Gallien, qui a pris la direction de l'empire après la capture et la mort de son père Valérien, se démène pour faire face aux menaces. Il en vient à payer un tribut aux Goths des régions danubiennes !

Trente de ses généraux, connus comme les « Trente Tyrans », se soulèvent et s'attribuent la pourpre impériale de sorte que Gallien n'a plus guère d'autorité que sur l'Italie. En Gaule et dans tout l'Occident romain, l'autorité est assurée par le général Postumus, autoproclamé empereur. Le « tyran » est assassiné à Mayence par ses troupes auxquelles il a refusé le droit de piller la ville.

Il faut attendre la mort de Gallien en 268 et l'avènement d'un général illyrien sous le nom de Claude II pour que les institutions romaines retrouvent un semblant de santé. Avec lui débute une longue lignée d'empereurs énergiques, militaires de modeste extraction, tous originaires d'Illyrie  (la Serbie actuelle) et des régions danubiennes. 

Le nouvel empereur reçoit le surnom de Goticus (Claude le Gotique) du fait de ses victoires sur les Goths. Il repousse les Barbares et entame une réforme de l'administration quand il meurt de la peste après deux ans de règne.

C'est un compagnon d'armes de 58 ans qui lui succède en 270 sous le nom d'Aurélien. Énergique, il redresse rapidement l'empire, ce qui lui vaudra le surnom de « restitutor » (restaurateur).  Il centralise autant que faire se peut l'administration. En 271, Rome est ceinturée de remparts et toutes les villes de l'empire l'imitent l'une après l'autre (c'est seulement 1300 ans plus tard que l'on en viendra à abattre les remparts !).

En 273, Aurélien triomphe de la reine de Palmyre, Zénobie, qui menaçait l'Égypte et le Proche-Orient romain. La reine vaincue est emmenée à Rome et généreusement dotée par l'empereur. L'année suivante, Aurélien défait l'usurpateur gallo-romain Tetricus et rétablit l'autorité de Rome sur l'Occident. Mais il se résigne à évacuer en 275 les champs Décumates, la région d'entre le Rhin et le Danube, pour raccourcir ses lignes de défense. La Dacie (la Roumanie actuelle) est abandonnée aux Goths.

La défense des régions frontalières n'en demeure pas moins hasardeuse. Ces régions soumises à l'autorité militaire sont en effet désertées par leurs habitants qui ne supportent pas plus les impôts que la conscription et les exactions de la soldatesque, d'où qu'elle vienne.

Les empereurs illyriens répondent à ce défi de manière originale, en établissant sur place des prisonniers germains, à charge pour eux de défendre le territoire contre les autres Germains ! Faute de mieux, ils sont souvent amenés à prendre femme sur place, parmi les esclaves gallo-romaines. Ces colons d'un nouveau genre sont qualifiés de lètes, d'après un mot germanique qui désigne des paysans astreints à payer un tribut, dans un statut intermédiaire entre ceux d'esclave et d'homme libre.

Cette colonisation va contribuer à la germanisation des régions rhénanes. Elle va aussi se révéler relativement efficace pendant le cours du IVe siècle en empêchant de fait les incursions guerrières des Germains d'outre-Rhin.

Mithra sacrifie un taureau au Soleil invaincu (villa romaine de Milon, 1er siècle après JC)

Vers un empire de type oriental

Aurélien, le premier, intervient dans le domaine religieux. Il fait du culte solaire la religion d'État. Ce culte du Sol invictus (le Soleil invaincu) rassemble sous une même identité des divinités traditionnelles (Apollon) et des divinités orientales (Mithra). Il amorce une évolution du polythéisme païen vers le monothéisme façon hébraïque ou chrétienne. 

L'empereur se présente lui-même comme l'émanation du dieu sur terre et revendique à ce titre d'être adoré tel une divinité. Ainsi l'empire évolue-t-il vers un pouvoir personnel, autocratique et sacré, dans une démarche empruntée aux Perses et très éloignée de l'ancienne Rome.

Bien que dieu, Aurélien n'en est pas moins assassiné près de Byzance, en 275, lors d'une campagne contre les Perses. Ses successeurs n'ont guère plus de chance, jusqu'à l'avènement de Dioclétien, proclamé empereur par ses soldats à Chacédoine, en 284.

Dernier des empereurs illyriens, Dioclétien comprend que le gouvernement de l'empire dépasse désormais les forces d'un seul homme. Impossible d'être partout à la fois ! Il instaure la « tétrarchie », autrement dit un gouvernement à quatre, chaque co-empereur surveillant une partie des frontières.

Dans le souci de renforcer la cohésion de l'empire, il organise aussi de grandes persécutions contre les chrétiens, une minorité religieuse qui dérange.

Les disciples de Jésus-Christ, crucifié à Jérusalem près de trois siècles plus tôt, se sont multipliés dans l'empire et au-delà, jusqu'en Inde. Ils cultivent la foi en un Dieu unique et l'espérance en la vie éternelle. Ils prêchent aussi la charité et l'égalité de tous les hommes et de toutes les femmes devant Dieu. Ils tiennent à se distinguer des juifs, nombreux dans tout l'empire. 

L'administration romaine leur reproche de ne pas accepter de rendre un culte à l'empereur et les désigne volontiers comme boucs émissaires en cas de difficultés.

Malgré les persécutions ou à cause d'elles, le christianisme rallie à lui une fraction de plus en plus grande du peuple et des élites romaines. À la fin du IIIe siècle, ils constituent près de 10% de la population de l'empire (50 millions d'habitants en tout) et sont surtout présents en Asie mineure et en Afrique du Nord.

Du principat au dominat

L'anarchie du IIIe siècle conduit le pouvoir à devenir plus personnel et moins collectif. L'empereur n'apparaît plus comme le princeps, autrement dit le « Premier d'entre tous [les sénateurs] », mais comme un homme au-dessus du commun. Il est de plus en plus divinisé de son vivant à la façon orientale et sur les monnaies, il est représenté vers 285 avec la formule Dominus Noster (« Notre maître »).

Ainsi le dominat succède-t-il au principat augustéen...

L'empire chrétien

L'oeuvre de Dioclétien ne survit pas à son abdication. L'empire romain est réunifié sous l'égide de Constantin. Celui-ci déplace la capitale sur le détroit du Bosphore, à proximité des frontières les plus menacées, pour être mieux en mesure de les défendre (330). La « deuxième Rome » a été plus tard connue sous le nom de l'empereur : Constantinople (en grec : Constantinopolis, la ville de Constantin).

Pièce en argent frappée en 315 : Constantin et le chrisme chrétien (Munich, musée des monnaies)

Par l'édit de Milan (313), Constantin décrète la liberté de tous les cultes et accorde droit de cité au christianisme. Il se fait lui-même baptiser sur son lit de mort.

Il partage l'empire entre ses trois fils et au fil des décennies, l'Orient et l'Occident romains vont voir leur destin lentement diverger.

Les empereurs qui succèdent à Constantin sont chrétiens, à l'exception de Julien l'Apostat qui, pendant les deux brèves années de son règne (361-363), tente de rénover les anciens cultes.

Dans les décennies suivantes, la « pax romana » n'est plus qu'un souvenir. Quelque part dans les steppes d'Asie centrale, des conditions climatiques difficiles ont poussé les rudes nomades de ces régions qui vers l'Extrême-Orient et la Chine, qui vers l'Occident et l'Europe.

En 376, les Wisigoths, poussés par les Huns, franchissent le Danube et proposent à l'empereur Valens un traité (foedus en latin) qui leur donne le droit de s'installer dans l'empire comme « fédérés » (en quelque sorte alliés).

L'empereur ne peut faire autrement que d'accéder à leur demande d'« asile politique ». Il leur offre la Mésie (la Serbie actuelle) avec des terres leur permettant de se nourrir et la promesse d'un ravitaillement complémentaire. Lui-même étant arien, les encourage à se convertir à cette forme de christianisme. Mauvaise idée : cela va rendre plus difficile le ralliement des Barbares à l'empire, majoritairement catholique.

De toute façon, les Barbares s'étant soulevés pour protester contre les exactions des fonctionnaires romains, Valens est tué en les affrontant à Andrinople, aux portes de Constantinople, le 9 août 378. Son successeur Théodose 1er conclut un traité avec les Goths en 382 et les fixe aux sud du Danube.

L'Orient romain et Constantinople, qui s'appuient de fortes défenses naturelles, notamment les détroits du Bosphore et des Dardanelles, et bénéficient des ressources des riches provinces orientales, sont dès lors protégées des invasions germaniques, à la grande différence de l'Occident, envahi dès 406 par des bandes qui traversent le Rhin.

Le 8 novembre 392, un décret de l'empereur Théodose 1er interdit les cultes autres que le christianisme. La répression affecte, dès lors, les fidèles des religions païennes et l'on assiste dans les mois qui suivent, par exemple à Alexandrie, à des massacres par des foules chrétiennes déchaînées. Les cultes païens survivront néanmoins en certains lieux jusqu'au VIIe siècle.

À sa mort, le 17 janvier 395, l'empereur, qui vient à peine de reconstituer à son profit l'unité de l'empire, la rompt une nouvelle fois en léguant à son fils Honorius (11 ans) l'Occident et à Arcadius (18 ans) l'Orient. Cette scission fait suite à plusieurs autres du même genre au cours du IVe siècle. C'est un non-événement aux yeux des contemporains. Il en autrement pour nous car nous savons qu'elle sera définitive. Elle se lit encore dans la frontière qui sépare la Croatie (occidentale et catholique) de la Serbie et de la Bosnie (orientale et orthodoxe).

Vincent Boqueho

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Publié ou mis à jour le : 2024-03-27 14:27:47
Yolaine (22-04-2015 17:47:11)

Article remarquable de clarté et de concision, un tour de force pour permettre de se repérer dans une période particulièrement complexe.Grand merci.

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