Honoré de Balzac (1799 - 1850)

L'ogre de la littérature

Félix Tournachon, dit Nadar, Caricature d'Honoré de Balzac, Paris, BnFVous souhaitez avoir un aperçu de la société française sous le roi Louis-Philippe Ier ? Vous aimeriez pousser les portes des grands hôtels particuliers de Paris et découvrir comment y vivait la fourmilière de l'époque ?...

Escrocs ou grands seigneurs, filles perdues ou comtesses, ils ont tous élu domicile dans les pages de La Comédie humaine, l'œuvre romanesque d'Honoré de Balzac.

À travers le parcours de ce stakhanoviste de l'écriture, on découvre la bourgeoisie des années 1820-1840, repliée sur son épargne et son confort. 

Il est temps de suivre le conseil de Gérard de Nerval : « Parlons de Balzac, cela fait du bien » !

Isabelle Grégor
Gustave Doré, Balzac l'entomologiste, 1855, Paris, BnF
Balzac critique de sa société : l'ingratitude des filles Goriot

Mourant dans la misère, Goriot demande que l'on prévienne ses filles bien-aimées...
« Monsieur, dit [le valet], je suis d'abord allé chez madame la comtesse, à laquelle il m'a été impossible de parler, elle était dans de grandes affaires avec son mari. Comme j'insistais, monsieur de Restaud est venu lui-même, et m'a dit comme ça: "Monsieur Goriot se meurt, eh bien ! c'est ce qu'il a de mieux à faire. J'ai besoin de madame de Restaud pour terminer des affaires importantes, elle ira quand tout sera fini." Il avait l'air en colère, ce monsieur-là. J'allais sortir, lorsque madame est entrée dans l'antichambre par une porte que je ne voyais pas, et m'a dit : "Christophe, dis à mon père que je suis en discussion avec mon mari, je ne puis pas le quitter ; il s'agit de la vie ou de la mort de mes enfants, mais aussitôt que tout sera fini, j'irai." Quant à madame la baronne, autre histoire ! je ne l'ai point vue, et je n'ai pas pu lui parler. "Ah ! me dit la femme de chambre, madame est rentrée du bal à cinq heures un quart, elle dort, si je l'éveille avant midi, elle me grondera. Je lui dirai que son père va plus mal quand elle me sonnera. Pour une mauvaise nouvelle, il est toujours temps de la lui dire." J'ai eu beau prier ! Ah oui ! J'ai demandé à parler à monsieur le baron, il était sorti.
Honoré Daumier, illustration pour Le Père Goriot, 1843 : Le Père Goriot- Aucune de ses filles ne viendrait ! s'écria Rastignac. Je vais écrire à toutes deux.
- Aucune, répondit le vieillard en se dressant sur son séant. Elles ont des affaires, elles dorment, elles ne viendront pas. Je le savais. Il faut mourir pour savoir ce que c'est que des enfants. Ah ! mon ami, ne vous mariez pas, n'ayez pas d'enfants ! Vous leur donnez la vie, ils vous donnent la mort. Vous les faites entrer dans le monde, ils vous en chassent. Non, elles ne viendront pas ! je sais cela depuis dix ans. Je me le disais quelquefois, mais je n'osais pas y croire ».
Une larme roula dans chacun de ses yeux, sur la bordure rouge, sans en tomber.
(Honoré de Balzac, Le Père Goriot 1835).

L'envol de l'« Éléphant »

Le 1er prairial an VII (ou plus commodément le 20 mai 1799) naît chez Bernard-François Balzac, à Tours, le petit Honoré.

Son père, issu d'une famille paysanne, est alors directeur des Vivres de la garnison de la ville. Personnage volontaire, il va vite réussir à ajouter une particule à son nom et des revenus conséquents à son foyer.

Achille Devéria, Portrait de Balzac jeune, s. d., Paris, bibliothèque de l'InstitutSa jeune femme, bien décidée à en profiter, confie pendant quatre ans son premier-né à une nourrice avant de l'envoyer en pension chez les Oratoriens de Vendôme. Ce sont de bien tristes années pour le garçon qui soigne sa solitude en se consolant par la lecture.

Arrivée à Paris après le départ de Napoléon Ier, la famille pousse Honoré dans des études de notariat. « Petit clerc » chez un avocat, il y gagne un baccalauréat en droit et le surnom de l'« Éléphant », augurant une silhouette qu'il sera facile de caricaturer.

Mais comment résister à l'appel de la bohème ?

Le voici, à 20 ans, grelottant de froid sous les toits de Paris. Sa carrière peut commencer.

Portrait du « petit homme » à 29 ans

Benjamin Roubaud, Honoré de Balzac, charge à grosse tête, dessin paru dans Le Charivari, 1838, Paris, BnF« C'était un petit homme avec une grosse taille, qu'un vêtement mal fait rendait encore plus grossière […] ; ses mains étaient magnifiques, il avait un bien vilain chapeau, mais aussitôt qu'il se découvrit tout le reste s'effaça. Je ne regardais plus que sa tête […] ; vous ne pouvez pas comprendre ce front et ces yeux-là, vous qui ne les avez pas vus : un grand front où il y a comme un reflet de lampe et des yeux bruns remplis d'or, qui exprimaient tout avec autant de netteté que la parole. Il avait un gros nez carré, une bouche énorme qui riait toujours malgré ses vilaines dents ; il portait la moustache épaisse et ses cheveux très longs rejetés en arrière ; à cette époque, surtout quand il nous arriva, il était plutôt maigre et nous parut affamé... Il dévorait, le pauvre garçon... Enfin, que vous dirai-je ? Il y avait dans tout son ensemble, dans ses gestes, dans sa manière de parler, de se tenir, tant de confiance, tant de bonté, tant de naïveté, tant de franchise, qu'il était impossible de le connaître sans l'aimer. Et puis, ce qu'il y avait encore de plus extraordinaire chez lui, c'était sa perpétuelle bonne humeur, tellement exubérante qu'elle devenait contagieuse » (témoignage de la baronne de Pommereul, dans Robert du Pontavice de Heussey, Balzac en Bretagne, 1885).

Signé Lord R'Hoone

Et c'est parti ! La première étape est un Cromwell (1820) de 2000 alexandrins, accueilli quelque peu froidement. L'académicien François Andrieux, après lecture, conseilla même à l'aspirant dramaturge de changer définitivement de voie professionnelle...

J.-A.-G. Seguin, Portrait de Balzac jeune, s. d., musée des Beaux-Arts de Tours. Agrandissement : Louis Boulanger, portrait de Honoré de Balzac, musée des Beaux-Arts de Tours.Mais Balzac a déjà un autre projet : puisqu'il faut gagner de l'argent, autant profiter du succès incroyable de ces histoires exaltantes que Walter Scott et ses semblables servent aux lecteurs des cabinets de lecture. Vendus trois francs six sous, les romans triomphent !

Il se lance dans l'aventure sous le pseudonyme de Lord R'Hoone, écrivant à la suite de son Héritière de Birague (1821) pas moins de 16 volumes en un an, pour le plus grand bonheur de son marchand de plumes qui doit lui en vendre une soixantaine pour suivre le rythme.

Côté cœur, le jeune homme maladroit s'engage dans une relation de dix ans avec Mme de Berny, mère de neuf enfants, qui le pousse à plus d'ambition. Ce sera l'édition. Les livres ne se vendent pas ? Il rachète l'imprimerie ! Celle-ci périclite ? Il développe une fonderie de caractères ! Finalement, face à l'accumulation de dettes, il est temps de se faire un peu oublier...

À l'assaut de Paris : Rastignac... ou Balzac ?

Honoré Daumier, illustration pour Le Père Goriot, 1843 : Vautrin« Eh ! bien, monsieur de Rastignac, traitez ce monde comme il mérite de l’être. Vous voulez parvenir, je vous aiderai. Vous sonderez combien est profonde la corruption féminine, vous toiserez la largeur de la misérable vanité des hommes. Quoique j’aie bien lu dans ce livre du monde, il y avait des pages qui cependant m’étaient inconnues. Maintenant je sais tout. Plus froidement vous calculerez, plus avant vous irez. Frappez sans pitié vous serez craint. N’acceptez les hommes et les femmes que comme des chevaux de poste que vous laisserez crever à chaque relais, vous arriverez ainsi au faîte de vos désirs. Voyez-vous, vous ne serez rien ici si vous n’avez pas une femme qui s’intéresse à vous. Il vous la faut jeune, riche, élégante. Mais si vous avez un sentiment vrai, cachez-le comme un trésor, ne le laissez jamais soupçonner, vous seriez perdu. Vous ne seriez plus le bourreau, vous deviendriez la victime. [...] À Paris, le succès est tout, c’est la clé du pouvoir. Si les femmes vous trouvent de l’esprit, du talent, les hommes le croiront, si vous ne les détrompez pas. Vous pourrez alors tout vouloir, vous aurez le pied partout. Vous saurez alors ce qu’est le monde, une réunion de dupes et de fripons. Ne soyez ni parmi les uns ni parmi les autres » (Honoré de Balzac, Le Père Goriot, 1835).

Paul Chardin, Souvenir de Balzac à Ville d'Avray (Balzac et ses amis habillés en paysans), 1840, Paris, bibliothèque de l'Institut

« Saluez-moi, car je suis en train de devenir un génie ! »

À 30 ans bientôt, il rebondit en imaginant un roman sur les Chouans, sur le modèle du Dernier des Mohicans de Fenimore Cooper.

Les portes du beau monde s'ouvrent enfin à lui, et il court en profiter ! Habit bleu à boutons d'or, jabot de dentelle et canne sertie de turquoises le transforment en dandy, mais un dandy qui ne cherche pas à cacher ses ongles sales et à soigner ses cheveux trop pommadés, qui lui gouttent sur les épaules... Heureusement, son talent et sa conversation séduisent, notamment l'illustre Mme de Castries qui se plaît à lire les manuscrits qui s'accumulent.

La Peau de chagrin (1831), Eugénie Grandet (1833), La Duchesse de Langeais (1834)... Chaque année apporte quatre ou cinq romans et son lot de chefs-d’œuvre.

En 1833, il prend le temps d'insérer dans une revue destinée à la Russie un petit mot pour une admiratrice polonaise qui lui envoie des lettres signées « L'Étrangère ». Ainsi commence son histoire avec Mme Hanska qu'il rencontrera quelques mois plus tard, dans l'attente du décès du maladif mari.

1836 est une année faste avec la signature d'un gros contrat pour ses Études de mœurs au XIXe siècle, le triomphe du Père Goriot et un statut inédit de père suite à une relation avec Maria du Fresnay. Les conquêtes féminines se suivent, les pages se noircissent sans répit. Mais les revers se font aussi nombreux, entre les problèmes financiers sans fin et les échecs continuels à l'élection à l'Académie française.

Photographie d'après le daguerréotype de Louis-Auguste Bisson, Portrait d'Honoré de Balzac, 1842, Paris, maison de Balzac

« Faire concurrence à l'état civil »

En 1842, il projette de réunir ses romans passés et futurs sous l'appellation La Comédie humaine. Au total près de 90 ouvrages. Le projet est ambitieux : il s'agit rien de moins de réaliser une « histoire naturelle de la société » en observant ses contemporains.

Affiche pour Petites misères de la vie conjugale, 1845, Paris« Vous ne vous figurez pas ce que c’est que la Comédie humaine ; c’est plus vaste, littérairement parlant, que la cathédrale de Bourges architecturalement » (Lettre à Zulma Carraud, janvier 1845).

En effet ! En 91 ouvrages, Balzac a donné vie à des milliers de personnages, offrant à chacun une histoire et une personnalité. Comme pour ne pas s'en séparer, il n'hésite pas d'ailleurs à faire intervenir 500 d'entre eux dans différentes histoires, créant le principe des « personnages reparaissants » dont le voyou Vautrin est un des plus célèbres.

Peintre de la vie et de la société, Balzac veut montrer le monde tel qu'il est, à Paris comme en province, chez les aristocrates comme chez les petites gens. Chaque roman apparaît comme une scène de cette colossale comédie dans laquelle joue l'Homme et dont il dresse « l'inventaire des vices et des vertus ».

Non content de donner ses lettres de noblesse au roman, jusqu'alors considéré comme un genre un peu douteux, il devient aussi un des pères du mouvement réaliste chargé de rendre compte, plus que de copier, de la réalité sous toutes ses facettes.

Pour cela, il accumule ces longues descriptions qui l'ont fait détester par des générations de lycéens, peu sensibles à l'idée que pour comprendre une personne, il faut d'abord connaître son environnement. Vingt ans plus tard, Émile Zola reprendra le flambeau en lançant l'aventure des Rougon-Macquart, seconde « cathédrale » de la littérature française.

Description balzacienne : l'antiquaire de La Peau de chagrin

Adrien Moreau (1843-1906) ? Honoré de Balzac, La peau de chagrin (1897)« Figurez-vous un petit vieillard sec et maigre, vêtu d’une robe eu velours noir, serrée autour de ses reins par un gros cordon de soie. Sur sa tête, une calotte en velours également noir laissait passer, de chaque côté de la figure, les longues mèches de ses cheveux blancs et s’appliquait sur le crâne de manière à rigidement encadrer le front. La robe ensevelissait le corps comme dans un vaste linceul, et ne permettait de voir d’autre forme humaine qu’un visage étroit et pâle. Sans le bras décharné, qui ressemblait à un bâton sur lequel on aurait posé une étoffe et que le vieillard tenait en l’air pour faire porter sur le jeune homme toute la clarté de la lampe, ce visage aurait paru suspendu dans les airs [...].
Un peintre aurait, avec deux expressions différentes et en deux coups de pinceau, fait de cette figure une belle image du Père Éternel ou le masque ricaneur du Méphistophélès, car il se trouvait tout ensemble une suprême puissance dans le front et de sinistres railleries sur la bouche. En broyant toutes les peines humaines sous un pouvoir immense, cet homme devait avoir tué les joies terrestres. Le moribond
[Raphaël, jeune homme suicidaire] frémit en pressentant que ce vieux génie habitait une sphère étrangère au monde où il vivait seul, sans jouissances, parce qu’il n’avait plus d’illusion, sans douleur, parce qu’il ne connaissait plus de plaisirs. Le vieillard se tenait debout, immobile, inébranlable comme une étoile au milieu d’un nuage de lumière, ses yeux verts, pleins de je ne sais quelle malice calme, semblaient éclairer le monde moral comme sa lampe illuminait ce cabinet mystérieux ». (Honoré de Balzac, La Peau de chagrin, 1831).

Bertall, Coupe d'une maison parisienne le 1er janvier 1845, 1845, Paris, BnF

« Une vie de forçat »

Balzac le reconnaissait lui-même : son quotidien était celui d'un forçat.

Dans sa maison de Passy, aujourd'hui transformée en musée, sa journée commençait à minuit, lorsque les créanciers ne se risquaient plus à venir frapper à sa porte. « Hier, j’ai travaillé 19 heures, et aujourd’hui, il en faut travailler 20 ou 22. C’est la copie qui me mène, il en faut 16 ou 20 feuillets par jour, et je les fais et les corrige. Le Constitutionnel a épuisé mon avance, et il faut lui en faire, je n’ai pas quitté ma table » (vendredi 30 octobre 1846).

La cafetière de Balzac, maison de Balzac, 47 rue raynouard 75016 ParisAprès avoir enfilé une robe de chambre qui lui donne l'aspect d'un moine, il s'installe à sa table de travail où il « jette [s]a vie comme l'alchimiste son or dans le creuset ».

Puis, c'est le moment de se lancer : « Balzac écrit, écrit et écrit sans arrêt, sans trêve. Une fois enflammée, son imagination continue de flamber et de s'embraser comme dans un incendie de forêt où le brasier gagne de plus en plus vite de tronc en tronc, toujours plus chaud, toujours plus ardent. La plume dans sa fine main féminine court si rapide sur le papier que le mot peut à peine suivre sa pensée. […] il ne cessera que quand la main sera paralysée ou quand ce qu'il écrit s'effacera devant son regard aveuglé de fatigue. [...] Si la bête paresseuse ne veut plus avancer, faisons-lui tâter du fouet ! Balzac se lève [...] et s'en va à la table allumer sa cafetière. Car le café, c'est cette huile noire qui seule remet en route cette fantastique machine-outil. »

C'est ainsi que « Balzac, comme un Sisyphe de la littérature, roule jour après jour le roc de son travail » ( Stefan Zweig).

Le travail de correction : la plume comme un sabre

« Et maintenant à la besogne ! Un rapide coup d'œil […] et la main passe déjà là-dessus une plume furieuse. Balzac est mécontent. Mauvais : tout ce qu'il a écrit hier et avant-hier et mauvais, le sens est obscur, les phrases embrouillées, le style défectueux, la composition gauche ! Il faut que tout soit refait, mieux, plus net, plus clair ; il est saisi d'une sorte de fureur – on s'en aperçoit à la plume qui crache, aux fentes et aux traits qui sabrent toute la feuille. C'est comme une charge de cavalerie qui se précipite de toute sa masse sur la troupe serrée, formée en carré. Ici la plume donne un coup de sabre qui déchire une phrase et la rejette à droite, à gauche ; il pique un mot, des paragraphes entiers sont arrachés comme par la griffe d'un lion et d'autres se glissent à la place. Il fait tant de corrections que les signes familiers aux typos ne suffisent bientôt plus. Il lui faut en imaginer d'autres. […]
Balzac a repris jusqu'à quinze à seize fois les épreuves de certains de ses romans, et on [n']a une idée de sa productivité […] que si on la mesure en songeant qu'en vingt ans il n'a pas seulement écrit une fois ses 74 romans, ses nouvelles et ses essais, mais que les œuvres définitives représentent 7 à 10 fois cet effort déjà gigantesque en lui-même »
(Stefan Zweig, Balzac, Le Roman de sa vie).

Honoré de Balzac, Manuscrit de La Femme supérieure, 1838, Paris, BnF

Le Grand Bilboquet devient Empereur

En marge de La Comédie humaine, Balzac se lance en 1842 dans une autre aventure, puisque la mort de M. Hanski rend enfin possible le rêve d'une vie avec la comtesse. Pendant 18 mois, celle-ci hésite à quitter sa Russie pour s'engager avec un écrivain farfelu et toujours à court d'argent. Enfin, en 1843, Balzac débarque à Saint-Pétersbourg pour en repartir seul quelque temps plus tard, n'en rapportant qu'une inflammation cérébrale.

Ferdinand Georg Waldmüller, Portrait de madame Eva Hanska, 1835, Châteauroux, musée BertrandIl finit par rejoindre Mme Hanska à Dresde mais celle-ci ne parvient pas à rendre raisonnable son Grand Bilboquet : Balzac vient de se lancer dans l'achat de babioles hors de prix, à l'authenticité douteuse. La ruine est proche !

Mme Hanska étant tombée enceinte, il faut se remettre au travail et fournir à grands coups de tasses de café 20 feuillets journaliers. Le corps, épuisé à la tâche, ne peut plus donner assez d'énergie pour achever les manuscrits qu'on ne cesse de commander au romancier pour épurer ses dettes. La fausse couche de la comtesse, les allers-retours à Kiev finissent de le briser.

Ce n'est pas le mariage tant attendu, en mars 1850, qui le sauvera. Il meurt le 18 août suivant, veillé par son ami Victor Hugo qui le décrit avec ces mots : « Je le voyais de profil et il ressemblait ainsi à l'Empereur ». Celui que l'on a surnommé le Napoléon des Lettres laisse derrière lui près de 2.200 personnages orphelins.

Grandville, Balzac et les personnages de la Comédie humaine, Paris, maison de Balzac
Il me faudrait Bianchon !

Pendant son agonie, Balzac appelle à son chevet le docteur Bianchon, qui n'existe que dans ses romans...

Eugène Giraud, Balzac sur son lit de mort, 18 août 1850, musée des Beaux-Arts et d'Archéologie de Besançon« Dans la matinée du 18, [le docteur] Nacquart revint. Il resta plus d’une heure au chevet de son ami. Balzac étouffait… Pourtant, entre ses étouffements, il put demander à Nacquart : « Dites-moi la vérité. Où en suis-je ?… » Nacquart hésita… Enfin, il répondit : « Vous avez l’âme forte… Je vais vous dire la vérité… Vous êtes perdu !… » Balzac eut une légère crispation de la face ; ses doigts égratignèrent la toile du drap… Il fit simplement : « Ah !… » Puis, un peu après : « Quand dois-je mourir ?… » Les yeux pleins de larmes, le médecin répliqua : « Vous ne passerez peut-être pas la nuit. » Et ils se turent… En dépit de ses souffrances, Balzac semblait réfléchir profondément… Tout à coup, il regarda Nacquart, le regarda longtemps, avec une sorte de sourire résigné, où il y avait pourtant comme un reproche. Et il dit, dans l’intervalle de ses halètements :« Ah ! oui !… je sais… il me faudrait Bianchon… Il me faudrait Bianchon… Bianchon me sauverait, lui ! » Son orgueil de créateur ne faiblissait pas devant la mort. Toute sa foi dans son œuvre, il l’affirmait encore dans ces derniers mots, qu’il prononça avec une conviction sublime : « Il me faudrait Bianchon !… » (Octave Mirbeau, La Mort de Balzac, 1907).

Sources

Le musée Balsac, 47, rue Reynouart, Paris 16Honoré de Balzac est sans doute l'un des romanciers qui a donné lieu au plus grand nombre d'adaptations cinématographiques. Plusieurs lieux conservent son souvenir.

En premier lieu la maison du 16e arrondissement de Paris, dans le quartier de Passy, où il vécut de 1840 à 1847. Il l'avait choisie parce qu'elle était propice à la fuite avec ses deux sorties, 47 rue Raynouard et 24 rue Berton. Lui-même y résidait sous un pseudonyme pour fuir ses créanciers. La maison est aujourd'hui un intéressant musée géré par la Ville de Paris.

Le château de Saché (musée Balzac), Indre et LoireOn peut retrouver le romancier dans le très romantique château de Saché, au coeur de la Touraine, où un musée lui est aussi consacré. De 1825 à 1848, Balzac rendait en effet de fréquentes visites au propriétaire du château, Jean Margonne. La vue bucolique de sa petite chambre lui inspira le cadre de son roman Le Lys dans la vallée

Dans une littérature très abondante consacrée au romancier, nous avons retenu Gérard Gengembre, Balzac. Le Napoléon des lettres, éd. Gallimard (« Découvertes »), 1992, ainsi que Balzac. Le forçat des lettres, éd. Perrin, 2013. Mais aussi Stefan Zweig, Balzac, Le Roman de sa vie, éd. Albin Michel, 1950.

Le menhir de Rodin

Auguste Rodin, Balzac, étude de nu, grand modèle, 1892, Brooklin MuseumRarement portrait sculpté aura mieux représenté son sujet ; pourtant lorsqu'elle fut présentée au Salon de la Nationale, en 1898, la statue qu'Auguste Rodin consacre à Balzac a été l'objet de toutes les moqueries. Comment ? C'est avec ce « bonhomme de neige », ce « menhir », ce « bloc de sel » qui semble avoir subi une averse, que la Société des gens de lettres est censée rendre hommage à l'écrivain ? « Jamais on n'a eu l’idée d’extraire ainsi la cervelle d’un homme et de la lui appliquer sur la figure ! » (Henri Rochefort).

Vexé, Rodin rend l'argent et reprend l'œuvre à laquelle il vient de consacrer quatre ans de sa vie, et qui marque une étape décisive dans l'évolution de sa sculpture. Il a passé des mois à se documenter sur les traits de son modèle, pour finalement préférer en faire le symbole de « la création elle-même, qui se servait de la forme de Balzac pour se manifester ; c’était la création dans son arrogance, son orgueil, sa griserie, son ivresse » (Rainer Maria Rilke).

Le bronze ne sera coulé qu'en 1939 pour être installé sur le boulevard Raspail, d'où Balzac continue à observer le théâtre du monde.

Edward Steichen, Towards The Light at Midnight - Balzac (sculpture de Rodin), 1908, Paris, musée Rodin
Publié ou mis à jour le : 2023-05-01 18:10:30
Vallverdu,Constant (27-03-2015 08:59:11)

Merci pour ce résumé de ce géant de la littérature.J'ai lu ,il y a quelques années,la magnifique biographie que lui a consacré Stéphan Zweig. Cela me donne envie de la relire à nouveau .

JCM (26-03-2015 10:12:47)

"Vous saurez alors ce qu'est le monde, une réunion de dupes et de fripons!" Quelle actualité!
Bon article qui m'a donné l'envie de relire Balzac.

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