XIe - XVIIIe siècles

Violence aveugle, violence maîtrisée

Violence, insécurité, peur... Ces mots rappellent une réalité vieille comme le monde et dont il est peu probable qu'elle disparaisse un jour.

Il n'empêche que, depuis le meurtre biblique d'Abel par son frère Caïn, la violence a beaucoup évolué en nature et en intensité.

André Larané

Violence aveugle

Pour nous en tenir à l'Occident, le IIe millénaire a débuté sous une extrême violence : violence ordinaire des populations paysannes, livrées à elles-mêmes, violence calculée des seigneurs avides et acrimonieux.

Cette violence se tempère au XIIe siècle, quand les souverains, tel Louis VI le Gros, mettent à la raison les seigneurs-bandits et que l'Église discipline les guerriers en les transformant en chevaliers, « défenseurs de la veuve et de l'orphelin ».

Au XIIIe siècle, sous le « beau Moyen Âge », la violence au quotidien demeure élevée, au même niveau que celui observé aujourd'hui dans les pays les plus violents d'Amérique latine, avec un taux d'homicide annuel supérieur à 50 pour 100 000 habitants.

- Le duel d'honneur :

Cette situation va plus ou moins perdurer jusqu'au XIXe siècle, avec l'apparition, entre temps, à la Renaissance, d'un phénomène inédit : le duel. Il conduit des gentilshommes à se battre jusqu'à la mort pour l'« honneur » (on trouve généralement une femme à l'origine de la querelle !).

Dans la première décennie du XVIIe siècle, en France, sous le règne d'Henri IV, on attribue aux duels environ 30 000 décès. Les souverains finissent par s'émouvoir de cette hécatombe qui les prive de tant de braves officiers !

Frappé d'interdiction légale, le duel disparaît progressivement au XVIIIe siècle. Les pays où il demeure en vogue jusqu'à la Première Guerre mondiale sont l'Allemagne, la Russie, l'Italie et l'Espagne. « Sinistre quatuor, note Jean-Claude Chesnais. Tous ces pays allaient connaître, au siècle suivant, les dictatures les plus tragiques de leur histoire ». À ces pays s'ajoute également l'Autriche-Hongrie.

La mesure de la violence

Comment mesurer la violence ? Quand on parle d'agressions, de viols ou de vols, les définitions varient selon les locuteurs et les sociétés, rendant illusoire toute comparaison.
Le recensement de ces faits dépend souvent de leur perception sociale. Ainsi les viols et les violences conjugales étaient-ils largement sous-évalués jusqu'à une date récente dans les sociétés latino-américaines, au contraire des sociétés scandinaves ou anglo-saxonnes, parce qu'ils s'inscrivaient « dans la nature des choses »...
En définitive, le seul indicateur à peu près objectif pour mesurer et comparer l'intensité de la violence entre deux époques ou deux lieux est le taux annuel d'homicides.
En ce début du XXIe siècle, ce taux tourne autour de 50 homicides par an pour 100 000 habitants dans les régions les plus violentes du monde (parmi celles qui disposent de statistiques) : Venezuela, Colombie, Afrique du Sud... Il est de 0,7 à 1,5 homicides par an pour 100 000 habitants dans les pays les plus sûrs : Japon, Scandinavie, Europe occidentale...

Violence maîtrisée

Jusqu'au XVIIe siècle et au-delà, le maintien de l'ordre était confié à des milices municipales. Avec l'émergence des États nationaux, ceux-ci ne tardent pas à s'en saisir. Au XVIIIe siècle, à l'époque des Lumières, se mettent en place les principes inspirés par le grand juriste Cesare Beccaria, principes sur lesquels repose la justice moderne. À l'instigation de Beccaria, la Toscane et l'Autriche des Habsbourg-Lorraine abolissent ainsi la peine de mort (l'abolition ne sera que provisoire).

- La France et sa police :

En France, en 1667, le roi Louis XIV confie à Gabriel Nicolas de La Reynie (42 ans) la charge nouvelle de lieutenant de police de Paris. La Reynie va dès lors traquer sans relâche les pensionnaires de la « Cour des Miracles » et Paris va peu à peu se policer.

En 1788, au Siècle des Lumières, le roi Louis XVI abolit la torture, sous l'influence de son garde des Sceaux Malesherbes, en arguant fort justement qu'elle ne « conduit jamais sûrement à la connaissance de la vérité, prolonge ordinairement sans fruit le supplice des condamnés et peut plus souvent égarer nos juges que les éclairer ».

La Révolution poursuit dans la même voie, au moins à ses débuts avant que la guerre civile et les menaces d'invasion ne conduisent les Conventionnels à instaurer une justice d'exception. Rappelons que c'est par l'attaque d'une prison, la Bastille, que débute d'ailleurs la Révolution ! Sous l'Assemblée Législative, en 1791, les procès s'ouvrent au public et à la presse, les juges et les jurés sont élus et les prévenus gagnent le droit d'être gratuitement défendus.

Un premier Code pénal est publié par la Législative entre le 25 septembre et le 6 octobre 1791. S'inspirant des principes de Beccaria et de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, il rappelle la non-rétroactivité des lois et bien sûr l'abolition de la torture. Son article 2 énonce : « La peine de mort consistera dans la simple privation de la vie, sans qu'il puisse jamais être exercé aucune torture envers les condamnés ».

Au XIXe siècle, le gouvernement étend l'autorité de la police à l'ensemble du royaume sans craindre de recourir à d'anciens truands pour arrêter les autres. Vidocq (1775-1857), escroc et forçat devenu indicateur et chef de la brigade de sûreté, illustre ce procédé qui contribue à ternir l'image de la police auprès de la population.

Reste que, de la chute du Premier Empire (1815) à celle du Second (1870), la violence criminelle diminue sensiblement en intensité. Elle se cantonne surtout dans les milieux ruraux et pauvres et émeut l'opinion à la faveur de quelques grandes affaires qui mettent en cause des grands noms de la noblesse : Bourbon-Condé, Choiseul-Praslin.

Les romanciers, de Balzac à Flaubert, traitent le crime sous l'angle passionnel ou humain. Lorsqu'ils abordent l'angle social, comme Eugène Sue (Les mystères de Paris, 1842) ou Victor Hugo (Les Misérables, 1862), c'est pour attirer la compassion des bourgeois sur le sort fait aux classes ouvrières.

- L'Angleterre et son Code sanglant :

Outre-Manche, au XVIIIe siècle, on observe avec quelque effroi la police française, peu regardante sur les principes...

L'Angleterre entre dans la révolution industrielle. Des masses de paysans, chassés par la misère et les grands propriétaires, affluent dans les grandes villes, en quête de travail. Ils découvrent l'étalement de richesses de la nouvelle bourgeoisie. Il s'ensuit, faut-il s'en étonner ? une recrudescence des atteintes aux biens.

Les dirigeants édictent alors des lois excessivement sévères, punissant de la pendaison les crimes de sang mais aussi les vols et de simples larcins. Du fait de ce « Code sanglant », on compte au début du XIXe siècle en Angleterre jusqu'à trois fois plus de pendaisons que d'homicides !

Cette sévérité s'avère payante. Quand la reine Victoria monte sur le trône, en 1837, la violence a si bien été éradiquée que le gouvernement peut sans crainte radoucir les lois. De l'ère victorienne à nos jours, le Royaume-Uni apparaît comme un havre de paix civile à peine troublée par quelques spectaculaires affaires et l'imagination débordante de ses romanciers.

Comme la France et l'Angleterre, l'ensemble de l'Europe de l'Ouest voit la violence criminelle s'atténuer au milieu du XIXe siècle, avec des taux d'homicide volontaire qui se rapprochent des taux actuels.

- Les États-Unis et la « loi du Colt » :

Toute autre est l'évolution des jeunes États-Unis d'Amérique. La colonisation des étendues sauvages du Far West se fait en marge de la loi et sur le dos des premiers occupants, les Amérindiens. Par la force des choses, l'ordre public est confié aux collectivités locales et à des shérifs élus par leurs concitoyens. Il s'ensuit une évolution à rebours de l'Europe.

Les conséquences s'en font encore sentir avec un taux d'homicide volontaire nettement plus élevé, de l'ordre de 5 ou 6 par an pour 100 000 habitants. « La France dispose d'une des polices (et gendarmeries) les plus denses, les mieux réparties et les plus efficaces qui existe au monde, et ce fait est séculaire. Si, dès le début du XIXe siècle, le niveau comparé de violence [...] y est incomparablement bas, c'est que, derrière l'histoire de la violence, se profile l'histoire de l'État. Inversement, les États-Unis, dont l'histoire est dominée par la violence, se caractérisent par un refus permanent de la puissance publique », observe Jean-Claude Chesnais (Histoire de la violence, 1981).

La violence change de nature à la fin du XIXe siècle (la « Belle Époque »). C'est le moment où naissent les grands médias de l'ère industrielle.

Bibliographie

Je signale quelques bonnes études sur le sujet. En premier lieu, l'indémodable Histoire de la violence, par le démographe Jean-Claude Chesnais (Robert Laffont, collection de poche Pluriel, 1981). On regrette que cet essai très dense sur la violence dans les deux derniers siècles n'ait pas encore été mis à jour.

À noter également Crimes et délits par l'historienne Anne-Claude Ambroise-Rendu (Nouveau Monde, 2006), une histoire de la violence très bien documentée, de la Belle Époque à nos jours.

On peut feuilleter aussi avec beaucoup d'intérêt l'album illustré : Dans les secrets de la police (L'Iconoclaste, 2008) et le catalogue de l'exposition Crime & châtiment (sous la direction de Jean Clair).


Publié ou mis à jour le : 2022-05-09 17:45:23

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