Donatien de Sade (1740 - 1814)

Le « dernier libertin »

Libertin perdu en son siècle, le marquis Donatien de Sade (1740-1814) fait figure d'extraterrestre. Aristocrate riche et égocentrique, évidemment athée, sujet à des accès de colère et de violence, il lui arrivait de maltraiter prostituées et domestiques à une époque où la montée des idéaux démocratiques rendait ces comportements de moins en moins acceptables.

Cela lui valut d'être incarcéré vingt-sept années au total, notamment à Vincennes, où son chemin croisa celui de Mirabeau, un autre libertin, et à la Bastille. Il mit à profit son oisiveté forcée pour écrire des romans érotiques qui, redécouverts après sa mort, firent de lui l'archétype du pervers sexuel au point que l'on forgea dès 1834 un néologisme pour désigner la cruauté associée au sexe : le sadisme

Il faut que jeunesse se passe

Le futur écrivain est né le 2 juin 1740 à l'hôtel parisien de la famille de Condé, à Paris, où sa mère était dame de compagnie. Il appartient à une famille de la vieille noblesse provençale, apparentée d'ailleurs aux Mirabeau.

Donatien Alphonse François de Sade (2 juin 1740 - 2 décembre 1814), esquisse par Carles van Loo vers 1760.Élevé au château familial de Saumane, près d'Avignon, il a une première approche du libertinage auprès de son père et de son oncle, un abbé lettré qui vit en galante compagnie avec une mère et sa fille.

Le 17 mai 1763, après une vie dissipée en garnison, il est marié à une riche héritière, Renée-Pélagie, fille d'un magistrat, le président de Montreuil. Malgré les frasques de Donatien, ou à cause d'elles, le couple s'entend plutôt bien et donne le jour à trois enfants. Leur ménage est une alternance de déclarations passionnées et d'insultes.

Les ennuis commencent la même année, le 29 octobre 1763, avec l'incarcération du jeune homme à Vincennes sur ordre du roi Louis XV, suite à l'accusation de comportements violents et blasphématoires dans un bordel. Il est toutefois libéré dès le 13 novembre sur intervention de son père ! Il se fait oublier pendant quelques mois en Normandie, chez sa belle-famille, au château d'Échauffour, puis reprend sa vie dissipée. Beau garçon séduisant en diable, il multiplie les liaisons avec les actrices et les dames de la bonne société.

Illustration colorisée pour Justine (édition de 1800)Plus grave est l'affaire qui suit. Le 3 avril 1768, une veuve de 36 ans, Rose Keller, l'accuse de l'avoir entraînée dans un bordel, ligotée sur un lit et soumise à différents sévices, y compris de l'avoir fouettée avec des lanières agrémentées de lames de rasoir. Tout cela le jour même de Pâques.

Le scandale est immense. Il faut dire que, quelques mois plus tôt, pour bien moins que ça, on a exécuté à Abbeville le malheureux chevalier de la Barre.

Mais le marquis, qui a succédé à son père dans ses charges officielles, a l'avantage, lui, d'appartenir à la haute société. Il est simplement incarcéré à Pierre-Scize, près de Lyon, et libéré dès le mois de novembre. Son inconduite est notoire, conforme au demeurant à celle de nombreux aristocrates de sa génération, sans parler du vieux roi lui-même, qui cherche le plaisir dans l'hôtel du Parc-aux-Cerfs.

Mais une nouvelle affaire vient corser son dossier : quatre filles accusent le marquis et son valet d'avoir tenté de les droguer et les sodomiser dans un hôtel de passe de Marseille, le 25 juin 1772. Condamné à mort par contumace par le Parlement de Provence, il s'enfuit en Italie et échappe à la sanction grâce à l'intervention du duc d'Aiguillon. Mais sa réputation est brisée.

Pour ne rien arranger, dans les années suivantes, sa famille le lâche à son tour après qu'il a été suspecté d'avoir enlevé cinq fillettes pour assouvir ses phantasmes.

Dans le même temps, il dilapide la fortune de sa femme dans l'aménagement de son château de Lacoste. Dans l'intérêt de la famille mais aussi pour le protéger contre lui-même et lui éviter une exécution capitale, sa belle-mère le fait interner à Vincennes par lettre de cachet le 13 février 1777.

Écrivain raté en quête de gloire

En prison à 37 ans, le marquis de Sade se pique d'écrire et se rêve en auteur de théâtre. Mais sa femme et son ancien précepteur, l'abbé Amblet, lui révèlent la triste vérité :  il n'a aucun talent pour le genre théâtral. Qu'à cela ne tienne, il déclare par lettre à son entourage qu'à défaut de s'illustrer dans le théâtre, il s'illustrera ailleurs et prendra les « pinceaux de l'Arétin », Pierre L'Arétin (1492-1556) étant un poète italien connu pour ses écrits érotiques... 

Le 29 février 1784, il est transféré à la Bastille, sous la surveillance du gouverneur de Launay, lequel périra lors de la prise de la forteresse. Dans la crainte que ses manuscrits ne soient saisis, il met au net, du 22 octobre au 28 novembre 1785 celui auquel il attache le plus de prix, Les Cent-Vingt journées de Sodome. Il le recopie sur d'étroits feuillets collés bout à bout et cache le tout entre deux pierres. Le 2 juillet 1789, dans une énième crise de colère, il crie aux badauds, de sa fenêtre, que l'on égorge les prisonniers. Pour éviter des ennuis, le gouverneur le fait exfiltrer la nuit suivante à l'hospice de Charenton. Le manuscrit disparaît momentanément. Il sera néanmoins publié au XXe siècle.

À la faveur des événements révolutionnaires, voilà le marquis libéré le 2 avril 1790. Obèse et quelque peu usé, coupé de sa famille, il fait publier l'année suivante son roman Justine ou les malheurs de la vertu, qui le classe définitivement parmi les auteurs libertins.

Soucieux de respectabilité, il prend le train de la Révolution en marche et adhère à la section des Piques, une assemblée révolutionnaire de quartier à laquelle appartient Robespierre en personne. Cela n'empêche qu'il demeure attaché au roi et surtout aux privilèges de l'aristocratie : « Je veux qu'on rende à la noblesse son lustre parce que de le lui avoir ôté n'avance à rien ; je veux que le roi soit le chef de la Nation », écrit-il en décembre 1791  ! Son mépris pour le peuple et les domestiques, pour ne rien dire des filles publiques, demeure entier.

Il se fait remarquer le 9 octobre 1793 par un Discours aux mânes de Marat et de Le Peletier dans lequel il dénonce le christianisme mais aussi toute forme de religiosité. Ses outrances ont l'heur de déplaire au pudibond Robespierre, qui voit la morale et la religion comme des nécessités sociales. 

Le 5 décembre 1793, Sade est à nouveau incarcéré. Il échappe à la guillotine d'extrême justesse grâce à la chute de Robespierre, le 9 thermidor... Sous le Directoire, enfin, bénéficiant de l'extrême déliquescence des moeurs, il multiplie les publications à caractère pornographique.

Mais le vent tourne. Le 6 mars 1801, ses manuscrits sont saisis sur ordre du Premier Consul, qui a le souci de se réconcilier avec l'Église et d'établir un ordre moral respectueux de son autorité. Il est à nouveau enfermé à l'asile de Charenton, près de Paris, où il finira sa vie.

Une réhabilitation tardive et contestée

Donatien de Sade dépeint dans ses écrits des perversions qu'il a lui-même pratiquées : pédophilie, lacérations à vif... Il se défend toutefois d'être allé jusqu'au crime comme ses personnages de roman : « Oui, je suis libertin, je l'avoue, j'ai conçu tout ce qu'on peut concevoir dans ce genre-là, mais je n'ai sûrement pas fait tout ce que j'ai conçu et ne le ferai sûrement jamais. Je suis un libertin, mais je ne suis pas un criminel ni un meurtrier », assure-t-il dans une lettre à sa femme le 20 février 1781.

Ses romans circulent sous le manteau tout au long du XIXe siècle et distraient quelques happy few comme Stendhal, Flaubert, Baudelaire, Verlaine... Mais c'est à une préface de Guillaume Apollinaire, en 1909 que le sulfureux marquis doit de sortir enfin du purgatoire ou plutôt de l'enfer. L'éditeur Jean-Jacques Pauvert poursuit sa réhabilitation. Ses oeuvres sont publiées dans la prestigieuse édition de la Pléiade en 1990 et aujourd'hui accessibles à tous sur internet.

Si nous mettons de côté son intérêt littéraire, nous pouvons voir en Sade un signe annonciateur des idéologies totalitaires du XXe siècle fondées sur l'oppression des classes populaires et la toute-puissance de l'individu, dès lors que celui-ci appartient à l'avant-garde révolutionnaire ou à la race supérieure, et bien sûr le rejet de toute forme de morale religieuse. De là le retour en vogue du « divin marquis » dans les cercles intellectuels, dont s'est indigné le philosophe Michel Onfray dans un pamphlet sur la passion de la méchanceté, en 2014. Le débat reste ouvert. 

Les Cent-Vingt Journées de Sodome, entre littérature et abjection

D'aucuns voient dans Les Cent-Vingt Journées de Sodome un sommet de la littérature. Ce texte dégage surtout un profond ennui par la froide répétition de descriptions scatologiques.
On y pioche toutefois d'intéressants aveux... Le marquis considère ainsi, à l'opposé de Jean-Jacques Rousseau, que l'homme est foncièrement mauvais par nature et que le mal est voulu par cette même nature. La morale et la religion, en freinant ses penchants naturels, contrarient la nature : « C'est de la nature que je les ai reçus, ces penchants, et je l'irriterais en y résistant; si elle me les a donnés mauvais, c'est qu'ils devenaient ainsi nécessaires à ses vues. Je ne suis dans ses mains qu'une machine qu'elle meut à son gré, et il n'est pas un de mes crimes qui ne la serve; plus elle m'en conseille, plus elle en a besoin: je serais un sot de lui résister. Je n'ai donc contre moi que les lois, mais je les brave; mon or et mon crédit me mettent au-dessus de ces fléaux vulgaires qui ne doivent frapper que le peuple ».
Le marquis rappelle opportunément que le libertinage a un corollaire, la servitude (volontaire ?) des femmes : « Nous autres libertins, nous prenons des femmes pour être nos esclaves ; leur qualité d'épouses les rend plus soumises que des maîtresses, et vous savez de quel prix est le despotisme dans les plaisirs que nous goûtons ».
Bien entendu, le rejet de toute morale va de pair avec l'athéisme : « ll est expressément enjoint aux amis de n'employer dans toutes les assemblées que les propos les plus lascifs, les plus débauchés et les expressions les plus sales, les plus fortes et les plus blasphématoires. Le nom de Dieu n'y sera jamais prononcé qu'accompagné d'invectives ou d'imprécations, et on le répétera le plus souvent possible » (extraits des Cent-Vingt Journées de Sodome).

Salò ou les 120 journées de Sodome (Salò o le 120 giornate di Sodoma), 1975, film de Pier Paolo Pasolini

Sources

On peut se référer sur le marquis de Sade à l'excellent dossier d'Antoine Lilti, Sade ou le défi lancé aux Lumières, L'Histoire, N°399, avril 2014, ainsi qu'à l'article de Jacques Ravenne, Les 120 journées de Sodome : retour en France, Plume, N°68, avril-mai-juin 2014. On peut aussi lire le pamphlet de Michel Onfray contre le culte du divin marquis : La passion de la méchanceté. Sur un prétendu divin marquis (éditions Autrement, 2014).

Publié ou mis à jour le : 2022-06-20 23:43:40
Boutté (06-04-2014 19:06:51)

M.Ravenne nous donne un très bel article littéraire . Dommage que celui-ci débute par une grossière faute de Français ! Il me semble en effet que les documents ont été rapportés et non pas ... Lire la suite

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