7 septembre 1812

Bataille indécise à Borodino

Le 7 septembre 1812, sur les bords de la Moskova, près du village de Borodino, à 124 kilomètres de Moscou, la Grande Armée de Napoléon Ier trouve en face d'elle l'armée russe au grand complet.

Mikhaïl Koutouzov (67 ans) a succédé au prince Mikhaïl Barclay de Tolly à la tête de l'armée russe. Alexandre Ier, qui ne l'aime pas depuis sa fuite d'Austerlitz, lui a néanmoins  offert le bâton de feld-maréchal en récompense de ses victoires sur les Turcs, l'année précédente, en 1811. 

Koutouzov ne peut plus se dérober. Sous la pression de l'opinion russe comme de l'état-major, il décide de défendre autant que faire se peut la vieille capitale russe. Ainsi offre-t-il à l'Empereur des Français l'affrontement frontal que celui-ci attendait depuis son invasion de la Russie, neuf semaines plus tôt.

Il en résulte une indécise bataille, dont chaque belligérant revendique la victoire. C'est le moment fort de la campagne de Russie, avec davantage de morts et de blessés qu'aucune autre bataille avant cette date.

Les Français connaissent cette bataille sous le nom de Moskova, qui souligne la proximité de Moscou, l'ancienne capitale russe. Mais les Russes l'appellent Borodino. Eux-mêmes qualifient par ailleurs la campagne de Russie de « Grande guerre patriotique ».

Fabienne Manière
Bataille de la Moskowa (Louis-François Lejeune, 1822, château de Versailles)
La Russie, dévoreuse de la Grande Armée

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Napoléon et la campagne de Russie (Alain Houot)
Quand il franchit le Niemen avec la Grande Armée, Napoléon Ier cherche comme à son habitude le choc frontal avec l'armée ennemie. Mais, tirant parti de l'espace russe, les Russes se dérobent aux attaques et insidieusement, d'étape en étape, entraînent la Grande Armée vers l'Est...

Un choc sans suite

Du fait de ses pertes antérieures et de l'effilochement de la Grande Armée sur plusieurs centaines de kilomètres, Napoléon ne dispose au moment crucial que du tiers de ses effectifs initiaux. Sur les 440 000 soldats qui ont traversé le Niemen (non compris les hommes des équipages), 100 000 sont restés à l'arrière pour sécuriser les régions occupées. Et près de 200 000 ont disparu, morts, blessés, déserteurs ou prisonniers, victimes de la dysenterie, de la faim, des attaques des Cosaques ou des combats.  

Le 28 août, la Grande Armée arrive dans la petite ville de Viazma. Comme les précédentes, celle-ci a été vidée de ses habitants et de ses réserves de vivres puis incendiée sur ordre de l'état-major russe. Le feu n'ayant pas eu le temps de dévorer des réserves de vodka, celles-ci procurent un bonheur inespéré mais bref aux soldats français. 

Napoléon comprend ce jour-là que les Russes préparent enfin à une bataille frontale.

Ils se sont positionnés sur cinq ou six kilomètres, entre deux routes qui mènent l'une et l'autre vers Moscou. Au nord est le village de Borodino. Plus au sud, sur une hauteur, près du village de Raïevski, les Russes aménagent à la hâte une « Grande redoute » avec des canons en batterie et des fortifcations en terre. À l'extrême sud, à Semenovskoïe, où s'est déployée l'armée du prince Bagration, sont aménagées trois petites redoutes également bourrées d'artillerie et ouvertes sur l'arrière, des « flèches » ou une « redans ».

Pour gagner du temps et lui laisser le temps d'achever ces ouvrages, Koutouzov donne l'ordre au général Neverovski de défendre coûte que coûte la redoute de Schevardino, située à trois kilomètres à l'avant du dispositif.

C'est à la cavalerie du roi de Naples Murat et à l'infanterie du général Compans que revient la responsabilité de prendre Schevardino. Le combat s'engage le 5 septembre.La bataille est brève mais rude et sanglante. Les troupes de Neveroski se replient sur les flèches de Semenovskoïe. La journée du lendemain se passe dans les préparatifs de la grande bataille.

Koutouzov, meilleur communiquant que général, fait dire à ses soldats : « Frères et compagnons d'armes !
(...) Remplissez votre devoir. Songez aux sacrifices de vos cités livrées aux flammes et à vos enfants qui implorent votre protection. Songez à votre Empereur, votre Seigneur, qui vous considère comme le nerf de sa force, et demain, avant que le soleil ne se couche, vous aurez écrit votre foi et votre fidélité à votre souverain et à votre patrie avec le sang de l'agresseur et de ses armées ».

Napoléon n'est pas en reste. Au petit matin du 7 septembre, il fait lire à ses troupes une célèbre proclamation : « Soldats, voilà la bataille que vous avez tant désirée ! Désormais, la victoire dépend de vous : elle nous est nécessaire. Elle nous donnera l'abondance, de bons quartiers d'hiver et un prompt retour dans la patrie ! Conduisez-vous comme à Austerlitz, à Friedland, à Vitebsk, à Smolensk , et que la postérité la plus reculée cite avec orgueil votre conduite dans cette journée ; que l'on dise de vous : il était à cette grande bataille sous les murs de Moscou ! »

Les deux commandants en chef vont se tenir toutefois à l'écart de la bataille, Koutouzov parce qu'il est vieux, obèse, borgne et impotent, Napoléon parce qu'il souffre d'un méchant rhume !

Mikhail Koutouzov entouré de son état-major

À 6h30, après lecture de la proclamation de ce dernier, l'artillerie française ouvre le feu et permet au prince Eugène de Beauharnais, beau-fils de Napoléon, d'occuper le village de Borodino. Il s'agit d'une manoeuvre de diversion destinée à masquer la principale offensive vers les trois flèches de Bagration.

Louis-Nicolas Davout lance l'attaque avec succès et emporte les trois flèches. Au passage, son cheval est fauché par un boulet et lui-même perd connaissance. Mais il se replace quelques minutes plus tard à la tête de ses hommes. Succès éphémère. Bagration revient à la charge et reprend les flèches. Entre alors en scène le maréchal Michel Ney qui reprend les flèches. Son comportement à la tête du 3e Corps de la Grande Armée lui vaudra plus tard le titre de prince de la Moskova.

Côté russe, le prince Bagration est grièvement blessé à la cuisse et doit se faire remplacer par Alexandre de Wurtemberg (il meurt quelques jours plus tard de gangrène). C'est un coup dur pour le moral de ses troupes. À dix heures, la victoire semble aux Français à portée de main mais il reste à prendre la grande redoute de Raïevski. 

Le vice-roi Eugène et les divisions Broussier, Morand et Gérard engagent l'attaque contre la redoute. L'assaut devient bientôt général. Les généraux Montbrun, Caulaincourt et beaucoup d'autres y laissent la vie (le général Gabriel de Caulaincourt est le frère d'Armand de Caulaincourt, diplomate et aide de camp de l'Empereur).

Malgré cela, les Russes continuent de résister. Face à un ennemi nombreux et bien armé, qui a pris le temps de préparer la bataille, Napoléon est saisi par le doute. Sous le coup de la fatigue ou de l'âge, il commet l'erreur fatale de ne pas engager la Garde impériale malgré les demandes réitérées de ses maréchaux. Il veut la garder intacte pour la suite.

En conséquence de quoi, la nuit venue, après l'interruption des combats, l'armée russe se retire discrètement mais non sans précipitation, abandonnant beaucoup de blessés à leur triste sort. L'armée française reste maîtresse du terrain et peut revendiquer la victoire. La route de Moscou lui est ouverte. Mais elle n'a encore pu détruire l'armée russe. Les pertes humaines sont très lourdes : 28 000 morts, blessés et disparus du côté français dont 47 généraux, contre 45 000 côté russe, soit le tiers des effectifs.

Le feld-maréchal Mikhail Koutouzov (musée de l'Ermitage)

Koutouzov, remis de son erreur stratégique, est heureux de s'en tirer à bon compte. L'opinion publique, comme plus tard Léon Tolstoï, auteur de Guerre et paix, tiennent bien à tort le vieux courtisan pour un grand stratège... Le tsar, lui-même rassuré par sa demi-victoire, offre cinq roubles à chacun des soldats.

Le 13 septembre 1812, dans le village de Fili, dans l'isba du moujik Frolov, Koutouzov réunit les principaux généraux de son état-major (Barclay de Tolly, Bennigsen, Platov, Ermolov...) et prend leur avis sur l'opportunité de défendre Moscou. Il y renonce finalement mais n'ose l'avouer au tsar et reprend à son compte la tactique de la terre brûlée de son prédécesseur Barclay de Tolly en refusant tout nouvel affrontement.

Quant à la Grande Armée de Napoléon, une semaine après la bataille de Borodino, elle s'offre une satisfaction en trompe-l'oeil en entrant à Moscou, mais c'est pour s'apercevoir que la ville a été désertée par tous ses habitants...

Publié ou mis à jour le : 2022-09-11 22:45:48
jarrige (02-10-2022 11:17:43)

"grande guerre patriotique" ? On a aussi donné ce nom à la guerre contre les Allemands (seconde guerre mondiale , me semble-t*il.

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