30 septembre 1938

Les accords de Munich

Le 30 septembre 1938, le Français Daladier, le Britannique Chamberlain et l'Italien Mussolini signent avec Hitler les accords de Munich. En cédant une nouvelle fois à la menace, les Occidentaux confirment le dictateur allemand dans la conviction que tout lui est permis.

Les accords de Munich sont devenus non sans raison le symbole de la lâcheté politique. Ils représentent l'attitude à éviter chaque fois qu'un dictateur émet des prétentions injustifiées.

André Larané

Neville Chamberlain, Édouard Daladie, Hitler, Mussolini et le comte Ciano à la conférence de Munich (1938)

Conférence de la dernière chance

La crise est née de la volonté de Hitler de poursuivre son avantage après l'annexion sans coup férir de l'Autriche en mars de la même année (Anschluss).

Le Führer se propose cette fois d'ajouter au Reich les territoires périphériques de la Tchécoslovaquie. Il justifie cette nouvelle revendication par le fait que ces territoires des Monts Sudètes sont majoritairement peuplés d'Allemands. Ceux-ci sont 3,2 millions dans une Tchécoslovaquie de 15 millions d'habitants. Le 12 septembre 1938, en clôturant le congrès nazi de Nuremberg, Hitler réclame pour eux le droit à l'autodétermination.

On commence à entrevoir la guerre pour de bon bien que beaucoup d'Allemands gardent un souvenir amer du désastre de 1918 et rechignent à une entrée en guerre. Les principaux conseillers du Führer et les chefs militaires y sont eux-mêmes opposés.

- Chamberlain le temporisateur :

Neville Chamberlain (conservateur) a succédé le 27 mai 1937 à Stanley Baldwin à la tête du gouvernement britannique après l'avoir assisté comme Chancelier de l'Échiquier (ministre de l'économie).

Selon une tradition britannique qui remonte aux guerres napoléoniennes, l'un et l'autre ont le souci de préserver l'équilibre des forces sur le Continent et de contenir les rêves impérialistes de la France ! C'est ainsi qu'ils ont couvert la signature du traité naval anglo-allemand, à Londres, le 18 juin 1935, en violation du traité de Versailles. Ce traité a brisé le front de Stresa (4-7 janvier 1935) et la tentative des Français Barthou et Laval d'isoler l'Allemagne par des alliances avec l'Italie et l'URSS. 

Confronté à la montée en puissance de l'Allemagne et aux prétentions de Hitler, Chamberlain espère sauvegarder la paix en multipliant les gestes d'apaisement envers le Führer et, pourquoi pas ? en lui offrant quelques colonies africaines.

Il lui rend visite à Berchtesgaden le 15 septembre puis à Godesberg le 22 septembre, après avoir consulté ses alliés et persuadé les Tchécoslovaques de la nécessité de trouver un arrangement. ll fait savoir au Führer qu'il est disposé à accepter une rectification de frontières. Les chancelleries s'agitent, ne sachant sur quel pied danser.

- Daladier le résigné :

Alliée de la Tchécoslovaquie dans le cadre de la Petite Entente, la France n'est, pas plus que la Grande-Bretagne, enthousiaste à l'idée de défendre par les armes l'intégrité de ce petit pays.

Elle a plus qu'aucun autre pays pâti de la Grande Guerre, à peine vingt ans plus tôt : c'est sur son territoire qu'ont eu lieu les combats les plus violents et c'est sa jeunesse qui a été la plus éprouvée (1,4 million de morts). En 1914, elle avait déjà le plus faible taux de natalité d'Europe et en 1938, le solde naturel de sa population est déjà devenu négatif.

Le courant pacifiste est très fort dans la population et tout particulièrement dans les milieux de gauche dont beaucoup de dirigeants rejoindront plus tard la Collaboration pour ne pas « ajouter la guerre à la guerre ». Dans Refus d'obéissance (1937), le très populaire romancier Jean Giono, ancien de Verdun, dit son refus de prendre les armes même en cas d'agression de la patrie...

L'état-major français, tout comme son homologue britannique, doute de la capacité de son armée à affronter l'armée allemande, moderne et pleine d'allant - à en juger du moins par la propagande nazie -.

Pour le radical-socialiste Édouard Daladier, une agression de la Tchécoslovaquie par l'Allemagne ne saurait toutefois rester impunie. Ministre de la Guerre dans le gouvernement de Front populaire de Léon Blum, il accède à la présidence du Conseil le 12 avril 1938 et fait aussitôt son possible pour accélérer le réarmement du pays avec les pleins pouvoirs financiers. Il n'hésite pas à abroger la loi sur la semaine de 40 heures pour permettre aux usines d'armement d'intensifier leur production.

Mais quand éclate la crise des Sudètes, il n'est pas averti par Chamberlain de ses rencontres avec Hitler à Berchtesgaden. Quand celui-ci annonce enfin être déterminé à occuper les Sudètes, Daladier refuse de « s’incliner devant la violence » et pour le démontrer, il ordonne le 24 septembre la mobilisation de 400 000 réservistes. 

- Hitler le risque-tout :

Hitler est ébranlé par les hésitations de ses proches et les réticences de l'opinion publique mais il est porté par la volonté de défaire le Diktat de Versailles du 28 juin 1919 et la conviction d'être protégé par une bonne étoile. Finalement, il choisit de surenchérir et exige une cession des Sudètes dès le 1er octobre suivant, menaçant d'envahir le territoire à cette date.

Le 28 septembre, alors que la guerre est imminente devant la détermination de Daladier, Hitler fait savoir aux Occidentaux que son ami Mussolini le prie de surseoir à son entreprise. Dans l'après-midi, le maréchal Hermann Goering suggère à l'ambassadeur de France à Berlin, André François-Ponçet, une conférence internationale de la dernière chance... en l'absence des principaux intéressés, les Tchécoslovaques.

Faillite politique

Dès le lendemain 29 septembre, Hitler accueille Mussolini en gare de Munich. Neville Chamberlain et son homologue français Édouard Daladier arrivent chacun de leur côté en avion, le Français n'ayant pas eu l'opportunité de s'entretenir avec son allié ! La conférence s'ouvre à 12h30 au Führerhaus, sur la place Royale de la capitale bavaroise.

En son for intérieur, le président du Conseil français se refuse à faire la moindre concession à Hitler. Il sait que ce serait l'encourager à émettre de nouvelles revendications, jusqu'au moment où il se sentirait militairement assez fort pour engager la guerre contre les démocraties.

Mais Daladier est aussi sensible à la pression de l'opinion pacifiste, majoritaire en France. Le très influent secrétaire général du Quai d'Orsay, Alexis Léger, lui a remis un mot : « Rien d'irréparable avec M. Hitler ». Alexis Léger, plus connu sous son pseudonyme de poète, Saint-John Perse, recevra plus tard le Prix Nobel de littérature.

Au bord de l'épuisement, pressé par Chamberlain, Daladier finit par accepter un « compromis » présenté par Mussolini par lequel le gouvernement de Prague est tenu d'évacuer les Sudètes dans les dix jours et de démanteler ses forteresses de la frontière... La Tchécoslovaquie est ainsi abandonnée aux nazis dans une illusoire tentative de prolonger la paix en Europe.

Démantèlement de la Tchécoslovaquie

Dès le lendemain, l'armée allemande pénètre en Tchécoslovaquie et annexe les Sudètes. Hitler rectifie de son propre chef les frontières du pays en attendant de le conquérir tout entier.

Quelques jours plus tard, le Führer, affecté par les réticences des Allemands à l'égard de sa politique, décide de briser leurs consciences. C'est la « Nuit de Cristal ».

La Pologne et la Hongrie croient habile de profiter du malheur de leur voisin tchèque pour voler une part de ses dépouilles.

– La Pologne, à l'initiative du ministre des affaires étrangères, le colonel Jozef Beck, s'empare de la ville de Teschen et du territoire environnant (1700 km2 et 228 000 habitants dont seulement une minorité de Polonais).

– La Hongrie, dès le 2 novembre 1938, s'empare du sud de la Slovaquie (19 500 km2 et 772 000 habitants dont une majorité de Hongrois) ainsi que de la Ruthénie subcarpathique.

– Se manifestent aussi les Slovaques, un petit peuple de Tchécoslovaquie très proche des Tchèques par la langue et la culture mais plus pauvre qu'eux. Profitant de l'intervention allemande, ils obtiennent que ce qui reste du pays soit transformé en un État fédéral avec d'une part la Bohême-Moravie, peuplée de Tchèques (capitale : Prague), d'autre part la Slovaquie (capitale : Bratislava, autrefois Presbourg).

Mais cela ne suffit pas. Travaillés en sous-main par les nazis, les Slovaques portent à leur tête Monseigneur Josef Tiso, un prêtre devenu le chef du parti populiste. Celui-ci proclame l'indépendance de la Slovaquie (sous la protection de l'Allemagne) le 14 mars 1939.

Le même jour, Hitler convoque à Berlin le président tchèque Hacha, qui a succédé au président Benès après les accords de Munich. Il le somme de « remettre en pleine confiance entre les mains du Führer le destin du peuple et du pays tchèques » sous peine de réduire Prague en cendres. Dès le lendemain, le 15 mars 1939, l'armée allemande occupe sans combat la Bohême-Moravie. La croix gammée flotte sur le Hradschin, le château royal qui domine Prague.

– Hitler transforme la Bohême-Moravie en un protectorat du Reich sans plus se soucier de consulter Londres ou Paris. C'est la première fois qu'un État européen est ainsi asservi et réduit à l'état de colonie. De son côté, la Slovaquie devient un pays indépendant mais vassal du Reich.

Le Premier ministre Neville Chamberlain brandit le traité de Munich à sa descente d'avion à Londres le 30 septembre 1938

Défaite des démocraties

L'opinion publique des pays démocratiques est à la fois troublée et soulagée par les accords de Munich. À sa descente d'avion, Neville Chamberlain, toujours plein d'illusions, n'hésite pas à affirmer que le Führer « est un homme sur qui l'on peut compter lorsqu'il a engagé sa parole ».

Il gagne là-dessus le palais de Buckingham où il est reçu chaleureusement par le roi Georges VI puis se rend au 10 Downing Street, la résidence du Premier ministre. Tout au long de sa trajet, les badauds lui font une ovation. Du deuxième étage, il s'adresse à la foule qui le réclame : « Mes amis, c'est la deuxième fois dans notre histoire que la paix revient de Berlin dans l'honneur », en référence au retour de Benjamin Disraeli du congrès de Berlin de 1878. Il ajoute : « Je crois que c'est la paix assurée pour notre génération. (...) Maintenant, je vous propose de rentrer chez vous et dormez tranquille » (« My good friends, this is the second time in our history that there has come back from Germany to Downing Street peace with honor. I believe it is peace for our time. (...) Now I recommend you to go home and sleep quietly in your beds »).

En France, au lendemain des accords de Munich, tous les journaux titrent à la une : La Paix ! Daladier est accueilli à son retour au Bourget par une foule en délire. Amer et lucide, il murmure entre ses dents : « Les cons. Les cons, ils ne savent pas ce qui les attend ».

À la Chambre où siège encore une majorité de gauche élue sous l'étiquette du Front Populaire, les accords sont approuvés par une écrasante majorité de 537 voix. L'illustre Léon Blum les approuve, non sans trouble, au nom du Parti socialiste : « Il n'y a pas une femme et pas un homme en France pour refuser à Monsieur Neville Chamberlain et à Édouard Daladier leur juste tribut de gratitude ».

Seuls s'y opposent les 75 députés communistes, qui craignent que l'Union soviétique ne fasse les frais de l'opération, et deux autres députés. Le premier, Jean Bouhey, est un obscur député socialiste de la Côte-d'Or. Il renoncera à son mandat dès le début de la guerre, en 1939, pour s'engager comme capitaine... Le second est un député de droite et un ancien héros de la Grande Guerre, Henri de Kérillis. Dès juin 1940, il rejoindra Londres pour continuer la lutte mais se fâchera avec le clan gaulliste et finira sa vie aux États-Unis.

Notons toutefois, avec l'historien René Rémond, que l'opinion publique est plus partagée que les parlementaires. Un sondage réalisé par l'IFOP (Institut français de l'opinion publique) montre que pas moins de 37% des Français désapprouvent les accords tandis que 57% les approuvent (note). Le colonel Charles de Gaulle écrit le 1er octobre 1938, au lendemain des accords : « Peu à peu, nous prenons l'habitude du recul et de l'humiliation à ce point qu'elle nous devient une seconde nature. Nous boirons le calice jusqu'à la lie ».

En Angleterre, plusieurs personnalités manifestent leur désapprobation, à commencer par le premier Lord de l'Amirauté Duff Cooper, qui démissionne dès le 1er octobre et s'en explique deux jours plus tard à la chambre des Communes en qualifiant Munich de trahison. Lors de la même séance, quelques autres voix se font entendre pour déplorer le lâchage de la Tchécoslovaquie : Eden, Attlee, Archibal Sinclair Amery, MacMillan et Bracken.

Le 5 octobre, c'est au tour de Churchill de se faire entendre : « Nous avons subi une défaite totale et sans mélange (...). Notre peuple doit savoir que nous avons subi une défaite sans guerre, dont les conséquences nous accompagneront longtemps sur notre chemin » (note). La postérité retiendra de lui cette formule, dans une lettre postérieure : « Ils ont accepté le déshonneur pour avoir la paix. Ils auront le déshonneur et la guerre ». Le vieux trublion entrera deux ans plus tard, le 10 mai 1940 au 10 Downing Street pour relancer la guerre contre Hitler avec toute l'énergie nécessaire.

Publié ou mis à jour le : 2024-03-24 19:15:03

Voir les 6 commentaires sur cet article

Picotte (24-03-2024 11:58:10)

Une chance que Churchill n'avait pas un esprit penchant vers "le suicide" comme le Chamberlain. Ce qui est malheureux se porte sur le fait que la France ne voulait pas et à aucun prix contre-attaquer... Lire la suite

janpol (28-09-2022 13:11:05)

Votre texte fort précis me semble avoir des correspondances très actuelles avec ce qui se passe illégalement dans une partie de l'Ukraine sous occupation, où un "référendum", piloté par un pays... Lire la suite

Liger (07-04-2021 14:49:42)

Un régime aussi instable (durée moyenne d'un Gouvernement inférieure à 8 mois) et invertébré que la IIIe République était incapable de suivre une politique ferme et constante. À main... Lire la suite

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