23 juillet 1952

Nasser renverse la monarchie en Égypte

Dans la nuit du 22 au 23 juillet 1952, un groupe de jeunes « Officiers libres » prend le pouvoir en Égypte et renverse le roi Farouk Ier sans effusion de sang. Ils installent à la tête du pays le général Naguib.

Le chef des insurgés est un lieutenant-colonel de 33 ans, Gamal Abdel Nasser. Un an plus tard, il instaure la République puis évince Naguib. En dépit d'échecs redoublés et d'un pouvoir sans partage, il va symboliser pendant plus de deux décennies la fierté arabe retrouvée.

L'anniversaire de ce jour est devenu fête nationale en Égypte.

Alban Dignat

Un royaume humilié

Le roi Farouk Ier (16 ans) a succédé le 6 mai 1936 à son père Fouad Ier.  Sa dynastie, issue de Méhémet Ali, un soldat originaire des Balkans, a fait entrer l'Égypte dans la modernité avant de faire allégeance aux Anglais. Le roi lui-même est de culture très occidentale et parle plus volontiers l'anglais que l'arabe.

Farouk 1er (11 février 1920 - 18 mars 1965) Souverain constitutionnel, le souverain multiplie les coups bas contre le Wafd (délégation en arabe), un mouvement politique né à la fin de la Grande Guerre en vue d'obtenir une pleine indépendance de l'Égypte.

Son armée ayant été battue après avoir tenté en mai 1948 de détruire l'État nouveau-né d'Israël, le roi engage un bras de fer avec les Britanniques pour récupérer la gestion du canal de Suez et redresser de cette manière son prestige.

Le 6 octobre 1951, le Premier ministre Nahhas Pacha (72 ans) convoque le Parlement en session extraordinaire et dénonce le traité anglo-égyptien de 1936 qui laissait aux Britanniques le canal jusqu'en 1956 et leur donnait le droit d'y maintenir des troupes dans la crainte d'une attaque ennemie, italienne ou allemande... Il dénonce également les accords du 19 juillet 1899 sur le Soudan. Les Cairotes s'en montrent ravis et descendent dans la rue pour manifester leur joie. Mais celle-ci est prématurée : le gouvernement britannique dirigé par Winston Churchill, alors à l'automne de sa vie (77 ans), ne veut rien entendre et donne même l'ordre de renforcer les troupes dans la zone du canal.

Le Premier ministre égyptien, non moins obstiné, multiplie les mesures vexatoires contre les Anglais : il débaptise des avenues d'Alexandrie, il transforme un club privé du Caire en jardin public, il recommande aussi le boycott des marchandises anglaises. Plus risqué, il encourage les violences et les attentats contre les intérêts britanniques.

Le général George Erskine décide de riposter et, le 25 janvier 1952, réprime durement la révolte d'un millier de Boulouks, ou auxiliaires de police, à Ismaïlia, sur la rive occidentale du canal. Il s'ensuit 49 morts dont trois Britanniques.

Dès que la nouvelle est connue, le pays bascule au bord de l'explosion. Le lendemain 26 janvier, un « Samedi noir », des émeutes secouent Le Caire. Des immeubles, bars, cafés et cinémas, y compris le prestigieux hôtel Shepheard, sont incendiés et des ressortissants britanniques lynchés par la foule. La police reste les bras croisés et le jeune roi Farouk, qui offre un banquet de six cents couverts à ses officiers, regarde sans mot dire les incendies qui illuminent la capitale. Le centre du Caire est dévasté et l'on compte une trentaine de morts. Les slogans de la foule, d'abord tournés contre les Anglais, ne tarde pas à viser aussi le roi et son entourage, dont la corruption n'est un mystère pour personne.

Le Premier ministre est congédié dès le lendemain et les ministères se succèdent sans résultat dans les semaines qui suivent. Devant cette carence du pouvoir, le peuple, désemparé, ne sait plus à quels saints se vouer. La monarchie est non seulement minée par la corruption mais d'autre part fragilisée par une série de complots.

Les coups viennent d'une part de la droite religieuse et des Frères musulmans, un mouvement créé en 1928 par Hassan Al-Banna en vue de prendre le pouvoir et établir un régime théocratique ; d'autre part du mouvement progressiste des « Officiers libres », fondé par le colonel Gamal Abdel Nasser, jeune héros de la guerre contre Israël, professeur à l'école d'état-major.

L'Égypte en quête de démocratie

Le 21 juillet 1952, les Officiers libres décident de passer aux actes, avec la bienveillante neutralité des Frères musulmans. Le déclenchement de l'insurrection doit avoir lieu à minuit. Mais leur complot est découvert et le chef d'état-major réunit les chefs de l'armée en vue d'arrêter les officiers séditieux. La troupe entoure la caserne où ils se sont réunis.

Coup de théâtre. Le chef des assaillants se range du côté des Officiers libres et gagne avec ses troupes le Grand Quartier général où délibèrent les chefs de l'armée. Les sentinelles ne se doutent de rien en voyant revenir leurs camarades. En un quart d'heure, l'état-major est capturé.

C'est pour Nasser le premier de ses coups de chance qui lui vaudront de transformer des défaites en victoires... 

Dans la nuit même du 22 au 23 juillet, tous les points névralgiques de la capitale sont occupés par les insurgés. Au petit matin, un officier prend la précaution d'avertir l'ambassade britannique que « l'action qui se déroule est d'ordre purement intérieur et que toute tentative d'immixtion de la part des autorités britanniques sera considérée comme un acte d'hostilité » (note).

Vainqueur du bras de fer qui l'oppose à la monarchie, Nasser fait réveiller le général Mohamed Naguib (41 ans), un aîné plus connu et plus prestigieux que lui. Il s'efface devant lui et lui remet la présidence du Conseil et le commandement en chef des armées.

Homme intègre et sympathique, au demeurant très populaire, Naguib, à vrai dire, n'a ni l'étoffe ni l'ambition d'un chef. Il penche pour un régime parlementaire à l'anglaise tandis que Nasser envisage une dictature de salut public et un parti unique dont il serait bien évidemment le guide.

Sitôt aux commandes, Nasser entreprend une réforme agraire majeure par laquelle il confisque les domaines royaux, limite la grande propriété foncière et permet à un million de petits paysans de racheter à des conditions avantageuses les terres des grands féodaux. Il commence aussi à placer les militaires à tous les rouages de l'État.

Le 18 juin 1953, la République est proclamée. Naguib en devient le Président. Pour la fonction de Premier ministre, on fait appel à Ali Maher, un politicien expérimenté de l'ancien régime, dont la principale qualité est l'intégrité. Mais il abandonne son poste dès le 7 septembre et Naguib cumule dès lors la présidence et la direction du gouvernement.

Nasser, encore peu accoutumé aux interventions publiques, se réserve une place de vice-Président du Conseil de la Révolution.

Le conflit éclate entre les deux hommes le 14 janvier 1954 : Nasser, sans en référer à personne, interdit la confrérie des Frères musulmans après une violente manifestation de rue. Il fait arrêter son chef Hassan el-Hodeibi, qui a succédé à Al-Banna à la tête du mouvement.

Colère de Naguib qui met sa démission dans la balance. Il est aussitôt rappelé sous la pression de la rue mais cède néanmoins la présidence du Conseil à Nasser. Toujours soucieux de légalité démocratique, il ne se résout pas à faire le tri entre les factions qui se disputent le pouvoir : officiers nassériens, Frères musulmans, Wafd.

Gamal Abdel Nasser et Mohamed Naguib en 1953

L'Égypte en quête de souveraineté

Le Conseil de la Révolution, gouvernement provisoire en charge des affaires, promet le 4 mars 1954  l'élection d'une Assemblée constituante. Mais les tensions n'en sont que plus vives entre Naguib, qui désespère d'installer la démocratie, et les jeunes Officiers libres groupés autour de Nasser. 

Le 19 octobre 1954, au terme de longues négociations, Nasser obtient des Britanniques qu'ils retirent dans un délai de vingt mois les troupes en charge de la surveillance du canal de Suez. C'est la fin effective du protectorat inauguré soixante-douze ans plus tôt.

Quelques jours plus tard, le 26 octobre, à Alexandrie, devant une foule immense, le colonel Nasser peut se flatter d'avoir rendu au pays une souveraineté pleine et entière... Tout bascule alors. Un jeune excité qui dira plus tard appartenir aux Frères musulmans tire sur lui huit balles de revolver qui, toutes, le manquent. L'orateur calme la foule terrorisée. Il atteint alors les sommets de la popularité et ne les quittera plus. 

Le 14 novembre suivant, Naguib est déposé par son jeune rival au terme d'un ultime bras de fer. Nasser devient désormais le chef absolu de l'Égypte. À l'étranger, sa détermination face aux Britanniques fait de lui le leader du monde arabe. C'est ainsi qu'il apparaît au cours de la conférence des non-alignés de Bandoeng, en avril 1955. Là, il rencontre ses homologues de l'Inde et de la Chine mais aussi entame un dialogue avec les communistes pro-soviétiques et surmonter son anticommunisme viscéral.

Le 25 juin 1956, il est élu président avec plus de 99% des voix et prend le titre de « raïs » (président ou chef, d'après un mot arabe qui désignait autrefois un dignitaire ottoman). La révolution est finie.

Publié ou mis à jour le : 2019-05-27 17:41:24
BV (21-07-2013 19:14:30)

Bonjour,

Il manque un mot dans la phrase :
"après que le premier eut réprimé une insurrection palestinienne au prix de plusieurs ? de morts («Septembre Noir»)."

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