10 mai 1857

La révolte des Cipayes

Le 10 mai 1857, des Cipayes, ou soldats indiens des armées britanniques, refusent d'employer des cartouches suspectées de contenir des graisses animales. C'est le début d'une insurrection généralisée contre la toute-puissante Compagnie britannique des Indes orientales, une entreprise commerciale de droit privé.

Une fois la rébellion brisée, le gouvernement de Londres va remplacer la compagnie dans l'administration des Indes.

Gabriel Vital-Durand

Cipayes capturés par les Britanniques et exécutés au canon le 8 septembre 1857, gravure britannique, 1858. En agrandissement : Pendaison de rebelles par des soldats de la Highland Brigade près de Bénarès, gravure de Charles Ball, 1858.

Les Britanniques aux Indes

Au début du XIXe siècle, l'« Honorable East Indian Company » (Compagnie des Indes orientales) domine sans entrave les principautés du sous-continent indien. Elle a pour seul souci de distribuer un maximum de dividendes à ses actionnaires. L'empereur de Delhi, héritier de la prestigieuse dynastie moghole, n'est lui-même plus qu'un pantin dans les mains des gouverneurs généraux (Dalhousie puis Canning).

Unique photographie de Muhammad Bahâdur Shâh le dernier empereur moghol prise lors de son exil à Rangoon. Photographie de Robert Tytler et de Charles Shepherd, mai 1858. En agrandissement : Désarmement du 11e régiment de cavalerie irrégulière à Baharampur (Bengale) sous la surveillance de l'artillerie britannique en 1858.La soumission des princes indiens, tant hindous que musulmans, se fait essentiellement avec des soldats indigènes (les Cipayes) et un financement par l'impôt sur les sujets indiens !... La pratique de s'approprier les principautés des maharadjas disparus sans descendance mâle permet à la Compagnie d'étendre ses possessions sans risque. En 1853, le vieil allié des Britanniques Nana Sahib, prince des Marathes, se trouve même privé de sa pension cependant que les droits héréditaires de l'empereur moghol Bahadour Shah II sont remis en cause par le gouverneur général.

L'effervescence s'accroît d'autant plus dans les années suivantes qu'une croyance populaire veut que la Compagnie des Indes, dite communément « John Company », doit disparaître cent ans après la bataille de Plassey (1757) qui a assuré sa suprématie.

Dans les années 1850, les troupes indigènes réparties en trois armées distinctes s'élèvent à plus de 250 000 Cipayes, alors que l'armée régulière (Queen's regiments) ne dépasse pas 35 000 Européens (surtout des Écossais). Les relations entre ces deux corps ne sont pas particulièrement cordiales du fait de la morgue des officiers et des fonctionnaires britanniques.

En mars 1857, le bruit court dans le 3e régiment de cavalerie légère de Meerout (ou Meerut), dans le Pendjab, au nord-ouest des Indes, que la graisse utilisée pour les nouvelles cartouches réglementaires est tirée de graisses animales (de vaches selon les uns, de porcs selon les autres). Or, ces cartouches doivent être déchirées avec les dents pour être décapsulées avant emploi. Cela ne peut que hérisser les troupes indigènes, tant les hindous qui vénèrent les vaches, que les musulmans qui ne peuvent tolérer le contact avec le porc...

La domination britannique vacille

Le 10 mai 1857, 85 Cipayes qui ont refusé d'utiliser lesdites cartouches sont condamnés à dix ans de travaux forcés. Le lendemain, la révolte gagne le régiment qui se mutine et marche sur Delhi. La prestigieuse capitale moghole est conquise sans combat. Après quelques hésitations, le vieil empereur Bahadour apporte son appui aux insurgés. Très vite, l'insurrection gagne Allahabad, qui est prise le 11 juin suivant, puis Cawnpore, au sud.

The 2nd Dragoon Guards, the Queen's Bays, mettent en déroute les mutins de Lucknow près de la route d'Hyderabad, Norie, Sepoy Rebellion, 1857-1858.

Le drame de Cawnpore

Cawnpore est défendue par plusieurs milliers de Cipayes et près d'un millier de Britanniques, parmi lesquels des femmes et des enfants.

Le général Sir Hugh Wheller qui commande la garnison ne croit pas nécessaire de désarmer les troupes indigènes et celles-ci se mutinent à la mi-juin, portant leur chef Nana Sahib à leur tête. La chaleur est étouffante et l'eau vient à manquer. À bout de ressources, Wheeler négocie une sortie honorable pour ses hommes. La troupe embarque à Satchiura Ghat le 28 juin sur une flottille de fortune. L'affaire tourne au désastre par la maladresse de quelques soldats qui perdent la tête et ouvrent le feu. Seuls quatre rescapés réussissent à rejoindre les lignes anglaises et le 15 juillet suivant, les femmes et les enfants survivants détenus à Bibi-Ghar sont massacrés à l'arme blanche jusqu'au dernier.

Soldats britanniques recherchant des blessés sur un champ de bataille pendant la révolte des cipayes, 1857-1858.

À l'est, Lucknow est aussi gagnée par l'insurrection. La ville, qui a été occupée peu avant par les Britanniques, reste peu sûre. Dès qu'il est informé de l'insurrection, le général Lawrence, qui commande la garnison, ne perd pas de temps : les Européens sont cantonnés dans le périmètre de la Résidence, au milieu de la ville, et défendus par 1700 hommes dont une majorité d'indigènes fidèles.

Les insurgés cipayes s'emparent de la ville alentour dès la fin juin et commencent d'investir le réduit des défenseurs en creusant des mines sous le rempart de torchis. On se bat à l'arme blanche dans les galeries souterraines, par une chaleur insoutenable. Lawrence est atteint mortellement d'une balle de mousquet et remplacé aussitôt par son frère. À la mi-août, une estafette parvient à rejoindre les assiégés à bout de forces, annonçant l'arrivée des troupes de secours... L'attente continue pendant 90 jours.

Lord Dalhousie, le gouverneur général des Indes de 1848 à 1856 qui mit en place la doctrine de préemption. En agrandissement : Charles Canning, le gouverneur général des Indes durant la révolte.Entre temps, la panique gagne Bombay, Madras et Londres. Mais la vieille politique britannique (« diviser pour régner ») porte ses fruits : les Sikhs du Pendjab n'ont guère de sympathie pour l'empereur moghol, et les hindous du sud de la péninsule préfèrent attendre avant de choisir leur camp.

La « John Company » va quérir à Londres les appuis nécessaires. Le Premier ministre Henry Palmerston n'hésite pas à qualifier les massacres such as to be imagined and perpetrated only by demons sallying forth from the lowest depths of hell (« abominations telles que seuls les démons issus des profondeurs de l'enfer pourraient les concevoir et les perpétrer »). Les généraux Campbell et Havelock se lancent dans la reconquête des territoires perdus, sans s'embarrasser de mansuétude pour les insurgés et les populations réputées hostiles.

Un aventurier du nom de Nicholson se met à la tête d'un corps de troupes loyales (Sikhs du Pendjab, Gurkhas du Népal et régiments de la reine) et se rend maître de la plus grande partie du riche Pendjab. Il lui reste à reconquérir Delhi mais il manque d'artillerie lourde pour ouvrir une brèche dans les remparts. Après plusieurs mois d'escarmouches et de préparation, Delhi tombe enfin en septembre 1857. Nicholson est tué au cours de la bataille, entraînant la défection d'une partie de l'armée indigène qui le vénérait. L'empereur est arrêté et ses trois fils sommairement exécutés.

La garnison britannique de Lucknow résiste encore aux insurgés Cipayes lorsqu'enfin une troupe de cavaliers écossais fait irruption le 25 septembre 1857. Et le 18 octobre, après quatre mois de siège, les survivants réussissent à s'échapper de la Résidence qui leur avait servi de réduit. Ils abandonnent la ville aux insurgés et c'est en mars 1858 seulement que les Britanniques s'en rendront maîtres à nouveau.

La révolte des Indes septentrionales a vécu. Mais la répression est féroce. On ne fait pas de prisonniers. Les mutins sont exécutés par pendaison. La pratique se répand même de les exécuter en leur tirant au canon à travers le corps ;utre son caractère cruel, le fait de disperser sans retour les restes d'un hindou lui interdit définitivement la survie dans l'au-delà...

Le British Raj

La révolte des Cipayes (en anglais Indian Mutiny ou Sepoys Rebellion) a fait trembler sur ses bases la domination britannique des Indes. Pour éviter le retour d'une pareille insurrection, le gouvernement de Londres abolit le régime de délégation à l 'East Indian Company et décide de diriger désormais la colonie sans intermédiaire.

Les Indes deviennent officiellement une colonie de la Couronne, administrée depuis Londres par un secrétaire d'État pour l'Inde assisté d'un Conseil de l'Inde. Sur place, à Calcutta, réside un gouverneur général ou vice-roi, aidé d'un Conseil législatif et d'un Conseil exécutif. Ainsi la prédiction populaire se trouve-t-elle réalisée dans un sens que n'imaginaient pas les Indiens.

Le dernier empereur moghol est déporté en Birmanie où il meurt sans successeur en 1862. Dans le même temps, près de six cents princes hindous ou musulmans (maharadjahs et nizams) qui ont noué alliance avec le roi d'Angleterre conservent un semblant d'autonomie jusqu'à la proclamation de la République indienne en 1947.

Les pratiques d'expropriation généralisée sont abolies, le respect pour les traditions religieuses institué en règle et les indigènes désormais admis dans les postes subalternes de l'administration (Indian Civil Service). L'armée des Indes limite le recrutement indigène et prescrit le contrôle de l'artillerie par des soldats britanniques.

Enfin, le 1er janvier 1877, sur une suggestion de son Premier ministre Benjamin Disraeli, la reine Victoria est proclamée impératrice des Indes. C'est l'avènement du British Raj (l'Empire britannique en anglo-hindi), héritier de l'empire moghol. Pour la première et unique fois de son Histoire, le sous-continent indien est uni. Cette unité se rompra à l'indépendance, en 1947, avec la sécession du Pakistan.

Publié ou mis à jour le : 2023-05-09 15:04:18

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