Martin Luther (1483 - 1546)

L'initiateur de la Réforme

Le 31 octobre 1517, sur la porte de l'église du château de Wittenberg, en Saxe, un moine allemand affiche 95 thèses où il dénonce les scandales de l'Église de son temps. Sans s'en douter, Martin Luther va ce faisant briser l'unité de l'Église catholique et jeter les bases d'une nouvelle confession chrétienne, en plusieurs variantes réunies sous le nom de « protestantisme » [au sens de : professer sa foi, du latin pro (pour) + testare (témoigner)].

André Larané

Luther vêtu en augustin, Lucas Cranach l?Ancien, 1523.

L'Europe religieuse

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L'Europe religieuse (droits réservés : Alain Houot)
Aux alentours de 1500, la chrétienté occidentale est en pleine ébullition. Les conditions de vie s'améliorent, surtout dans les villes où les échanges commerciaux et l'artisanat favorisent l'émergence d'une bourgeoisie riche et relativement instruite.
L'invention de l'imprimerie met la lecture à la portée du plus grand nombre et l'on prend goût à lire dans le texte et commenter les écrits évangéliques sur lesquels se fonde l'enseignement de la religion chrétienne. Aussi le geste de Luther a-t-il immédiatement un profond retentissement en Allemagne...
L'enchaînement des passions va entraîner une scission religieuse sans précédent en Europe et la constitution d'Églises rivales de Rome, les Églises dites protestantes ou réformées.

Un moine inquiet

Martin Luther est né à Eisleben, en Thuringe, le 10 novembre 1483. Fils d'un mineur qui s'est enrichi à force de travail, il étudie à l'Université d'Erfurt pour satisfaire son père qui veut l'engager dans la magistrature.

Mais selon son témoignage, il est, un jour d'été, le 2 juillet 1505, surpris par un orage violent qui foudroie un arbre à côté de lui. Pris de frayeur, il s'écrie : « Sainte Anne, secourez-moi. Je me ferai moine ! » Sitôt dit, sitôt fait, il entre au couvent des Augustins au désespoir de son père. Sans doute cette décision fut-elle le fruit d'une longue maturation inspirée par la piété profonde de sa mère...

Devenu prêtre, Luther commence à enseigner la théologie à Wittemberg, en Saxe. Mais il ne tarde pas à s'interroger sur la grâce divine et les moyens d'accéder à la vie éternelle.

Martin Luther (10 novembre 1483, Eisleben, Thuringe ; 18 février 1546) par Hans BaldungÀ l'hiver 1513, étudiant l'épître aux Romains de saint Paul, il est frappé par l'expression : « Le juste vivra par la foi ». Par cette révélation (« l'événement de la tour » du couvent de Wittemberg), le théologien arrive à la certitude que l'homme ne peut être sauvé que par sa foi et non par ses oeuvres.

Il se convainc que la justice selon l'Évangile n'est pas soumission à une loi mais don de Dieu. Animé par un génie certain et une grande intégrité morale, Luther remet dès lors en question la théologie officielle.

Il puise son inspiration dans l'enseignement de Jan Hus, un réformateur tchèque brûlé à Prague un siècle plus tôt (en 1415), qui lui-même avait été attentif aux sermons d'un contemporain anglais, John Wycliff.

Ses réflexions sur la théologie conduisent Luther à s'interroger sur le comportement de la hiérarchie catholique. Celle-ci lui apparaît divisée et profondément corrompue, devenue dédaigneuse au plus haut point du message de l'Évangile.

Pas plus que ses prédécesseurs Hus et Wycliff, Luther n'entend se séparer de l'Église catholique. Il voudrait seulement la ramener dans le droit chemin.

Il faut dire que ses griefs à l'égard du Saint-Siège ne manquent pas de fondement. Le 11 mars 1513, au pape Jules II a succédé le second fils de Laurent le Magnifique, Giovanni de Médicis (38 ans), sous le nom de Léon X. Cet épicurien cultivé, principal pape de la Renaissance, se soucie autrement plus de faire la fête et d'enrichir sa famille que de réformer l'Église. Il protège le peintre Raphaël, qui va décorer ses appartements du Vatican, les célèbres « Stanze ».

La révolte de Luther

Le 31 octobre 1517, la vie de Luther et la chrétienté occidentale basculent.

Ce jour-là, le moine publie 95 thèses qui sont autant de dénonciations des abus du clergé romain. Selon une pratique usuelle dans le monde universitaire, il souhaite de la sorte engager une dispute ou débat avec ses confrères. Pour cela, il envoie aussi une copie de ses thèses à Albert de Brandebourg, archevêque de Mayence et archichancelier du Saint-Empire, lequel transmet le document au Saint-Siège. 

À l'origine de sa révolte, il y a le scandale des indulgences. Il s'agit des aumônes que le clergé catholique a pris l'habitude de récolter contre la promesse d'un allègement des peines qui attendent les pécheurs au Purgatoire, antichambre du Paradis. Ces collectes ont été relancées par le pape Léon X dans le but de reconstruire Saint-Pierre de Rome dans le goût fastueux de la Renaissance italienne.

Comme par ailleurs, les rois de France et d'Espagne, François Ier et le futur Charles Quint se sont portés candidats au titre impérial, les indulgences sont aussi mises à profit pour rembourser les dépenses considérables qui servent à acheter les votes des sept princes électeurs d'Allemagne.

Conciliation impossible

Les 95 thèses affichées à Wittenberg suscitent un profond retentissement en Allemagne et échauffent les esprits. Mais le Saint-Siège et les princes allemands tardent à les condamner, ne voulant pas se mettre à dos la population avant l'élection impériale qui doit se tenir en 1519.

De son côté, Martin Luther fait preuve dans un premier temps d'une sincère volonté de conciliation. Tout en se plaçant sous la protection de Frédéric III de Saxe, il dialogue avec les théologiens romains mais doit bientôt se rendre à l'évidence : les thèses des deux bords sont inconciliables.

Au début de l'année 1520, Luther entre résolument en dissidence contre Rome qu'il présente comme la « rouge prostituée de Babylone » et, dans le feu de la confrontation, approfondit et durcit les 95 thèses de Wittenberg :

- Prédestination et salut par la foi :

À une époque où la crainte de l'enfer et du purgatoire terrifie les fidèles, Luther leur prodigue aux fidèles un remède apaisant en formulant la théorie de la justification par la foi seule.

Ainsi que l'explique l'historien du protestantisme Hugues Daussy, Luther dénie à l'Église le pouvoir d'effacer les peines dans l'au-delà. L'homme n'a pas de libre arbitre et, du fait du péché originel, ne peut se délivrer du mal par sa seule volonté et par ses bonnes oeuvres. Seule la grâce divine peut le sauver en lui donnant la foi et une confiance totale dans le Christ.

Cette théologie de la justification par la foi, que Dieu donne à qui il veut, introduit la notion de prédestination en vertu de laquelle celui qui reçoit la foi est destiné à être sauvé gratuitement. Il s'ensuit que le culte rendu à la Vierge et aux saints, censés intercéder auprès de Dieu pour abréger le temps de purgatoire des défunts, devient inutile.

- Seul compte l'Évangile :

La 62e thèse de Luther qui accorde la primauté absolue à l'Évangile rend caduque la Tradition, autrement dit l'interprétation de la Bible par l'Église au fil des siècles. En conséquence, Luther ne retient que deux sacrements au lieu de sept, à savoir le baptême, en référence à celui du Christ par saint Jean Baptiste, et l'eucharistie (la communion) en souvenir de la Dernière Cène.

Subtilement, il considère que dans l'eucharistie, le corps et le sang du Christ sont présents à côté du pain et du vin (consubstantiation) sans qu'il y ait transformation du pain et du vin comme l'affirme l'Église (transubstantiation).

- Pas de clergé pour le peuple de Dieu :

Considérant que tous les baptisés ont reçu la foi et sont consacrés par la parole divine, Luther juge qu'ils n'ont pas besoin d'intermédiation pour aimer Dieu. Il condamne donc la fonction cléricale, la vie monastique et bien entendu la papauté.  L'ensemble des fidèles et pas seulement les prêtres ont aussi le droit de communier sous les deux espèces, le pain et le vin. Sa formule fait mouche : « Nous sommes tous prêtres ».

Des pasteurs mariés peuvent suffire pour guider le peuple dans la lecture des Saintes Écritures. Chaque fidèle est encouragé à découvrir par lui-même les Écritures saintes en écriture vernaculaire. Il va en résulter dans les pays luthériens une forte incitation à l'apprentissage de la lecture et l'alphabétisation.

Victoire de Luther

Travaillant avec frénésie, Luther publie rien que dans l'année 1520 cinq ouvrages majeurs qui mettent en forme les contours de sa doctrine..

Luther brûle la bulle du pape, par L. Rabus (1557)Par son « Appel à la noblesse chrétienne de la Nation allemande », en avril 1520, le prédicateur consolide son emprise sur l'Allemagne. Il se rallie la noblesse, laquelle se laisse convaincre par la perspective de s'approprier les terres et les biens de l'Église et des institutions catholiques.

Viennent ensuite Des bonnes oeuvres (mai), De la papauté de Rome (juin), De la liberté du chrétien (octobre) et Prélude sur la captivité babylonienne de l’Église (octobre).

Lorsque le 15 juin 1520, le pape Léon X le condamne par la bulle (dico) Exsurge Domine et fait brûler ses 95 thèses, Luther est en mesure de résister. Il défie même le pape en brûlant la bulle à Wittenberg.

En retour, il est excommunié le 3 janvier 1521 par la bulle Decet Romanum Pontificem et le légat pontifical demande sa convocation à Rome, mais le jeune empereur Charles Quint, qui craint un soulèvement populaire, obtient qu'il soit d'abord entendu par la Diète, c'est-à-dire l'assemblée représentative de l'empire allemand.

Albert le Magnanime entre MartinLuther et Philippe Melanchton, par Lucas Cranach l'AncienLe 17 avril 1521, Martin Luther comparaît devant la Diète réunie à Worms, sur le Rhin, en présence de l'empereur. Il expose sa doctrine et refuse courageusement de se rétracter. Le moine s'attend à être arrêté et brûlé comme Jean Hus, un siècle plus tôt. Mais grâce à son protecteur, l'Électeur de Saxe, justement nommé Frédéric le Sage, il est toutefois autorisé à quitter Worms.

L'empereur ne veut pas en rester là et obtient le 26 mai 1521 sa mise au ban de l'Empire.

Pour éviter à Luther d'être arrêté, l'Électeur le fait enlever sur la route de Wittemberg et l'amène dans sa forteresse de la Wartburg, en Saxe, près d'Eisenach, où il va se cacher pendant un an sous le nom de « chevalier Georges », abandonnant ses habits monastiques et se laissant pousser la barbe.

Il profite de cette retraite forcée pour réaliser son chef-d'oeuvre littéraire, la traduction du Nouveau Testament. Cette tâche l'amène à fixer les traits de la langue allemande, jusque-là langue orale éclatée en différents patois régionaux.

Une nouvelle confession chrétienne

Katherine von Bora, épouse de Luther (29 janvier 1499 Lippendorf ; 20 décembre 1552, Torgau)Pendant ce temps, les idées luthériennes se répandent comme une traînée de poudre dans le peuple et l'élite de l'Allemagne.

Les prêtres se marient, les moines et les religieuses abandonnent leur couvent. On voit émerger des sectes comme les anabaptistes.

N'y tenant plus, Luther quitte le 1er mars 1522 son repaire de la Wartburg et se rend à Wittemberg en vue de prendre les choses en main et d'organiser le cadre d'un christianisme rénové.

Il abolit les jeûnes, les confessions, les messes privées...

Lui-même renonce à l'habit monastique et, en 1525, épouse une ancienne religieuse cistercienne, Catherine von Bora, dont il aura six enfants.

La Guerre des paysans

Les positions se radicalisent... Les lettrés humanistes comme Érasme rompent avec Luther par fidélité à l'Église catholique. De son côté, le prédicateur n'hésite pas à prendre parti pour les privilégiés dans la « guerre des paysans » (Bauernkrieg) qui éclate en Allemagne du sud.

Inspirés par le théologien Thomas Münzer, adepte de théories millénaristes annonciatrices de la fin du monde, les paysans réclament l'abolition du servage, l'allègement des taxes et une réforme non seulement religieuse mais aussi sociale.  

Guidés parfois par d'anciens prêtres ou des chevaliers, ils saccagent églises, châteaux et couvents.

Luther appelle les nobles à les écraser de la façon la plus brutale qui soit : « Chers seigneurs, poignardez, pourfendez et égorgez à qui mieux mieux. Si vous y trouvez la mort, tant mieux pour vous ; jamais vous ne pourrez trouver une mort plus bienheureuse, car vous mourrez dans l'obéissance au commandement de la parole et de Dieu », écrit-il dans son pamphlet Wider die raüberischen und mörderischen Rotten der Bauern (Contre les hordes homicides et pillardes des paysans).

La guerre prend fin avec la défaite de Thomas Münzer et des paysans de Thuringe à Frankenhausen, le 15 mai 1525. Elle aura causé environ cent mille morts.

La Réforme profite à la noblesse

Très vite, la noblesse pauvre de haute Allemagne est attirée par la prédication de Luther. Elle voit dans sa Réforme la possibilité de s'enrichir à bon compte en s'emparant des biens d'Église.

Le premier à saisir l'avantage de la Réforme est le grand maître de l'ordre Teutonique, Albert de Brandebourg. Sur une suggestion de Luther lui-même, il sécularise en 1525 l'État de Prusse administré par son ordre et le transforme en un duché héréditaire dont il est le premier titulaire. Son exemple est suivi par de nombreux évêques d'Allemagne du nord.

Portrait de Martin Luther, d'après Lucas Cranach L'AncienTandis que l'Europe centrale se déchire entre catholiques et protestants et que se disputent même les disciples de Luther, l'homme qui est cause de tout cela finit sa vie en bon bourgeois obèse, amoureux de la table.

Ses dîners réunissent des dizaines de convives et leurs témoignages et confidences vont donner lieu à un recueil joliment intitulé Tischreden (Propos de table), riche d'informations sur la pensée et la personnalité de Luther.

Il meurt le 18 février 1546 à Eisleben et sera inhumé dans son église de Wittemberg.

La hiérarchie catholique elle-même va subir par ricochet l'influence de Luther. Au concile de Trente, elle  lance une vigoureuse rénovation intérieure, connue sous le nom de Contre-Réforme. L'Église tridentine qui en est issue est par maints aspects aussi éloignée de l'Église médiévale que les confessions protestantes. 

La Fête de la Réformation

Le 31 octobre, anniversaire des 95 thèses de Luther, est commémoré par l'ensemble des protestants sous le nom de Fête de la Réformation.
Les luthériens proprement dits sont rassemblés dans la « Confession de foi d'Augsbourg ». Ils représentent 65 millions de fidèles, principalement en Allemagne, en Scandinavie et dans les régions américaines d'immigration allemande.
Sur environ 2,2 milliards de chrétiens (croyants ou non), les confessions protestantes issues de la Réforme rassemblent en ce début du XXIe siècle environ 800 millions de fidèles dont 600 millions d'évangéliques ou de pentecôtistes, essentiellement en Amérique et en Afrique.

Publié ou mis à jour le : 2024-02-20 16:46:25

Voir les 10 commentaires sur cet article

Wolf (21-08-2018 14:04:02)

Vincent Beurtheret a commis un excellent ouvrage sur le sujet : "Frères réformés si vous saviez". Tout y est. Le moindre détail et, toutes les sources. A titre personnel, en conclusion de la lectu... Lire la suite

Quénoy (26-11-2017 16:18:03)

Bonjour, enfin, une révélation, de catho. je deviens, dans mon esprit, protestant. Depuis longtemps j'envisageais la conversion.

Joseph (03-11-2017 11:41:06)

Luther était aussi un excellent musicien et chanteur. Il considérait la musique comme la meilleure façon de se rapprocher de Dieu, après la théologie. C'est pourquoi il a lui-même écrit et comp... Lire la suite

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