Pendant la première moitié du XIIIe siècle, le Midi toulousain, de la Garonne au Rhône, endure une succession de tragédies qui vont conduire à sa ruine et à la perte de son autonomie. Le motif en est la guerre contre les hérétiques aujourd'hui connus sous le nom de « Cathares », nombreux dans la région.
Dénommée croisade contre les Albigeois, cette guerre bénéficie de l'onction du pape Innocent III. Elle va avoir raison de l'hérésie mais son effet le plus tangible sera l'annexion de la région au domaine capétien (ce qui deviendra la France).
Saint Dominique de Guzman échoue à ramener les hérétiques à la foi catholique. Le pape Innocent III décide en désespoir de cause de recourir à la force.
Le légat pontifical tente de convaincre le comte Raimon VI de Toulouse de prendre la tête d'une expédition contre les cathares, aussi appelés «Albigeois».
Mais le comte de Toulouse, qui descend du fameux Raimon IV de Saint-Gilles, chef de la première croisade en Terre Sainte, refuse net de combattre ses propres sujets. Il s'ensuit une dispute, l'excommunication du comte, le départ du légat pontifical et de son escorte, enfin son assassinat ! Ce drame de trop entraîne le pape à lancer l'appel à la croisade sans oublier de canoniser son légat. L'expédition porte officiellement le nom d'«Affaire de la Paix et de la Foi» (en latin, negotium pacis et fidei).
C'est la première fois qu'une croisade est dirigée contre des gens qui se réclament du Christ. Mais cet aspect ne gêne pas les contemporains tant il est vrai que l'hérésie cathare ne saurait être tolérée.
Le roi Philippe Auguste préfère se tenir en réserve. En bon politique, il ne veut pas altérer son image dans une guerre contre des gens qui sont formellement ses sujets. Il désapprouve aussi l'intervention du pape dans une affaire intérieure à la France et le fait savoir. Mais il ne s'oppose pas à ce que l'abbé Guy des Vaux-de-Cernay démarche les seigneurs d'île-de-France.
L'expédition réunit un certain nombre de ces seigneurs ainsi que le comte de Toulouse, par opportunisme. Elle est placée sous le haut commandement de l'abbé Arnaud-Amalric, qui n'est autre que le chef du puissant ordre monastique de Cîteaux. Les opérations militaires débutent par le sac de Béziers et le massacre de sa population, le 22 juillet 1209.
Le jeune vicomte de la région, Raimon-Roger de Trencavel, se livre à la merci des vainqueurs pour obtenir la vie sauve de ses sujets.
Tandis que les principaux seigneurs choisissent de s'en retourner chez eux une fois achevée leur «quarantaine»(le service militaire de quarante jours auquel ils se sont engagés en se croisant), c'est un modeste seigneur d'île-de-France, Simon de Montfort, qui devient le chef militaire de l'expédition aux côtés du légat pontifical Arnauld-Amalric. Il dispose en tout et pour tout d'une trentaine de fidèles, récompensés par les terres des vaincus, et de quelques milliers de soldats.
Face à lui sont les hérétiques et, plus grave que tout, de nombreux seigneurs locaux qui entrent en résistance après avoir été dépossédés de leurs biens et avoir fait mine de se soumettre. On les appelle «faidits» ou «faydits», d'après un mot de la langue d'oc qui désigne des fuyards ou des dépossédés.
La guerre devient inexpiable. Bûchers et massacres se multiplient. Le paroxysme est atteint avec le siège de Lavaur, près de Castres. Les 80 défenseurs sont pendus et la dame de Lavaur, bonne catholique, livrée aux soudards avant d'être jetée dans un puits. Un bûcher reçoit les quatre cents Bonshommes et Bonnes femmes de la petite ville qui ont refusé de renier leur foi. C'est le plus grand bûcher de toute la croisade.
Simon de Montfort se tourne enfin contre Raimon VI, qui a abandonné et trahi ses vassaux et se retrouve isolé...
Le 17 avril 1211, le pape Innocent III «expose en proie»les terres du comte de Toulouse et les promet à qui les prendra. En novembre 1212, des Assises réunies à Pamiers à l'initiative de Simon de Montfort les attribuent par avance aux croisés du nord, sous la suzeraineté du roi de France, Philippe Auguste. Mais voilà que proteste le roi Pierre II d'Aragon, beau-frère du comte de Toulouse et suzerain traditionnel des vicomtés de Béziers et de Carcassonne.
Pierre II supporte mal l'intrusion de Simon de Montfort. Il lui reproche ses exactions qui meurtrissent autant les bons catholiques que les hérétiques. Il se propose d'éradiquer lui-même l'hérésie cathare et envoie une délégation à Rome plaider sa cause auprès du pape Innocent III qui l'a couronné en 1204 et auquel il a lui-même prêté hommage de vassalité.
Pierre II fait valoir sa glorieuse contribution à une autre croisade, contre les musulmans d'Espagne celle-là. Le 16 juillet 1212, n'a-t-il pas remporté à Las Navas de Tolosa une victoire qui a abattu à jamais la puissance musulmane d'Espagne ?
Innocent III n'est pas loin de se laisser convaincre. Mais les prélats du Midi, qui ont l'oreille du légat Arnaud-Amalric, ont le dernier mot . Ils doivent leur diocèse au bon vouloir de Simon de Montfort et ne veulent lâcher ni l'un ni l'autre. Le pape cède à leur plaidoyer et refuse in fine de restituer Pierre II dans ses droits légitimes sur ses terre du Midi.
Dépité, le roi d'Aragon, héros de la croisade contre les musulmans, rejoint son beau-frère Raimon VI dans la guerre contre le catholique Simon de Montfort. Il est malheureusement tué à la bataille de Muret le 12 septembre 1213.
La guerre s'enlise jusqu'à la mort de Simon de Montfort lui-même sous les murailles de Toulouse le 25 juin 1218. Les seigneurs méridionaux relèvent la tête. Sous la conduite des comtes de Toulouse, père et fils, les «deux Raymond», ils reprennent partout l'initiative. La croisade lancée dix ans plus tôt s'avère un cruel échec.
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Grandie pas à pas, la France capétienne devient une Nation ou du moins un État solide sous le règne de Philippe II Auguste. Chevaliers et milices communales luttent ensemble contre une coalition ennemie à Bouvines. Plus cruellement, le Midi est déchiré par l'hérésie et la répression de celle-ci par une croisade venue du Nord.
Sous le règne de Saint Louis (Louis IX), le pays atteint son épogée et se présente comme le royaume le plus puissant et le plus influent de la chrétienté occidentale...
Fin de l'indépendance toulousaine
À ce moment-là, les adversaires étant exténués, le roi de France Philippe II Auguste entre à son tour dans l'affaire. Son fils et successeur Louis le Lion, devenu Louis VIII, prend le relais. Il s'engage dans une expédition contre le nouveau comte de Toulouse, Raimon VII.
Après avoir proprement ravagé le pays, il meurt sur le retour, emporté par une dysenterie aiguë à Montpensier, en Auvergne, le 8 novembre 1226. Sa veuve Blanche de Castille négocie enfin le 12 avril 1229, à Meaux, au nom du nouveau roi, Louis IX (Saint Louis) un traité de paix avec les Toulousains. Le comte Raimon VII promet de donner sa fille et héritière Jeanne en mariage à l'un des frères du roi de France. C'en est fini de l'autonomie du comté de Toulouse.
Excès de l'Inquisition
De nombreuses seigneuries du Midi sont livrées aux croisés venus du Nord. Ces derniers traitent sans ménagement leurs sujets sous prétexte de lutter contre l'hérésie cathare, toujours vivace dans la région.
Le 20 avril 1233, le pape Grégoire IX installe en France le tribunal de l'Inquisition. Avec ce tribunal ecclésiastique qui relève seulement de lui-même, le pape veut en finir avec l'hérésie tout en évitant les excès et l'arbitraire de la justice seigneuriale ou civile.
Confiée à l'ordre monastique des frères prêcheurs de Saint Dominique, l'Inquisition use de la délation, ainsi que de la torture, de la menace du fer et du bûcher. Les personnes suspectées d'hérésie sont mises au secret pendant plusieurs jours puis averties qu'elles peuvent bénéficier de la clémence des juges à condition de dire tout ce qu'elles savent sur elles-mêmes et leur entourage.
Chacun, ayant à coeur de sauver sa peau, n'hésite pas à charger ses voisins, voire ses parents ou ses amis. Quelques bûchers achèvent de terroriser les hésitants. Les résultats ne se font pas attendre... L'hérésie recule très vite.
Ultimes révoltes
Les exactions des occupants couplées aux excès des inquisiteurs suscitent un ultime soulèvement. Le 29 mai 1242, un groupe de chevaliers massacre onze inquisiteurs dont le tristement célèbre Guillaume Arnaud à Avignonet, près de Castelnaudary, où le petit groupe a fait halte pour la nuit.
Le pape exige aussitôt qu'il soit mis fin à l'impunité du repaire d'où sont venus les meurtriers, une citadelle pyrénéenne du nom de Montségur où ont trouvé refuge par ailleurs les derniers Bonshommes cathares.
Une armée entame le siège de Montségur. Faits prisonniers, plus de deux cents cathares refusent de renier leur foi et sont brûlés au pied de la forteresse. Ultime barbarie d'une guerre qui n'en manqua pas.
L'hérésie va perdurer encore un demi-siècle dans les villages reculés des Pyrénées, tel Montaillou, rendu célèbre par le livre de l'historien Emmanuel Leroy-Ladurie (1975), écrit à partir des registres de l'inquisiteur Jacques Fournier qui sévit dans le village au début du XIIIe siècle. Le dernier parfait ou Bonhomme cathare est brûlé en 1318.
Bilan et bibliographie
Le ralliement du Midi toulousain à la monarchie capétienne sera sans équivoque, malgré les conditions tragiques de sa soumission. Deux siècles après la croisade contre les Albigeois, c'est le Midi qui sauve la dynastie capétienne en conservant sa fidélité au «petit roi de Bourges» dépouillé de ses droits au profit de l'Anglais.
Les élites urbaines renoncent à la langue d'oc (ou «occitane» selon le terme mis à la mode au XXe siècle) et adoptent d'elles-mêmes la langue française (ou langue d'oïl) dès le XIVe siècle.
La croisade contre les Albigeois s'efface des mémoires jusqu'à sa redécouverte à la fin du XIXe siècle par des érudits nostalgiques de l'époque médiévale tel Napoléon Peyrat. Elle bénéficie dès lors d'un engouement populaire inattendu suite à une série d'émissions télévisées dans les années 1960 sous le titre «La caméra explore le temps» et à un premier livre de l'historien Michel Roquebert, Les citadelles du vertige.
Sur la croisade contre les Albigeois, on peut aussi lire avec profit l'ouvrage régulièrement réédité de Zoé Oldenbourg, Le bûcher de Montségur, ou plus simplement le petit essai complet et didactique de Jacques Madaule : Le drame albigeois et l'unité française (Gallimard, 1973).
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Primo (05-12-2013 09:19:21)
"Les élites urbaines renoncent à la langue d'oc (ou «occitane» selon le terme mis à la mode au XXe siècle) et adoptent d'elles-mêmes la langue française (ou langue d'oïl) dès le XIVe siècle."
Et la langue d'oc de n'être plus qu'une langue de paysans arriérés, et ce dès le XIVème siècle!!! Mais que dire des Leys d'amor (1323) fondées par des élites urbaines de Toulouse pourtant! Et des oeuvres de Godolin, Larade, Ader, D'Astros au XVIIème siècle ???
Ce commentaire lapidaire et (trop) général paraît exprimer qu'il en est fini de la langue d'oc à tous les niveaux de la société d'élite (administration, littérature, utilisation sociale,etc.). Et semble encore une fois respecter l'historiographie nationaliste française... Sans nier que ces mêmes élites sont pour la plupart devenues bilingues (et non monolingues) et ont usé très tôt de la langue du roi dans des actes officiels, on ne peut effacer d'un coup de clavier toute l'histoire de la littérature, de la langue sociale, des actes notariaux, voire des chartes officielles rédigées à cette époque, et jusqu'à tard en langue d'oc, même par les élites urbaines.
Voilà encore les langues de France évacuées de l'histoire enseignée à nos enfants (voire à ce sujet les thèses d'Henri Meschonnic qui défend l'enseignement de et sur les langues dites "régionales"). C'est bien dommage... Allez lire les ouvrages à ce sujet (Ph. Martel & R. Lafont, Histoire d'Occitanie, Hachette, 1979, La fin du Moyen Âge ou l'histoire occitane confisquée, par exemple). Cela ouvre (enfin) les yeux sur cette réalité cachée. Il serait d'ailleurs intéressant qu'Hérodote nous propose un de ces jours un article sur les cultures et langues de France. A bon entendeur...