1146-1187

Les contre-offensives musulmanes

Peu à peu, la contre-offensive turque s'organise. L'atâbeg ou seigneur de Mossoul, le Turc Zengi, est nommé par le sultan gouverneur d'Alep le 18 juin 1129. Avec lui va débuter la reconquête musulmane. Celle-ci est favorisée par la mort inopinée du prince Bohémond II d'Antioche en février 1130.

Une histoire de femmes

Alix, veuve de Bohémond d'Antioche et par ailleurs fille du roi Baudouin II, veut déposséder sa propre fille Constance de son héritage. Elle n'hésite pas pour cela à demander l'assistance de... Zengi ! Surprenante querelle de famille comme on en verra de nombreuses dans cette Syrie franque livrée aux appétits et aux faiblesses des hommes... et des femmes.

Baudouin II ramène heureusement sa fille à la raison et devient régent d'Antioche pour le compte de Constance. Mais il meurt le 21 août 1131. Sa fille Mélisende lui succède avec son époux Foulque d'Anjou (on le surnomme « Plantagenêt » car il a coutume de porter une branche de genêt piquée dans son chapeau !). Celui-ci, homme déjà mûr, a marié son fils Geoffroy (ou Godefroi) à l'héritière du trône d'Angleterre, ce qui vaudra à son petit-fils de devenir roi d'Angleterre sous le nom d'Henri II.

En attendant, voilà Foulque d'Anjou roi de Jérusalem. Pour contrer les ambitions de Zengi, il reprend la diplomatie habile de Baudouin II visant à opposer les princes musulmans entre eux. C'est ainsi qu'en juin 1137, il se porte au secours du royaume turc de Damas, attaqué par Zengi. Il tente par ailleurs de s'allier à l'empereur byzantin Jean Comnène mais la méfiance entre Francs et Byzantins a raison de cet ambitieux projet qui eut changé l'Histoire de l'Orient.

Le roi Foulque meurt le 10 novembre 1143 d'un accident de chasse et lui succède son fils Baudouin III, âgé de 13 ans, sous la régence de la reine Mélisende. Profitant de la faiblesse du royaume, l'atâbeg de Mossoul entame le 28 novembre 1144 le siège de la ville d'Édesse, poste avancé de la Syrie franque en Mésopotamie du nord, au-delà de l'Euphrate. La ville tombe le 23 décembre 1144. Les Latins sont massacrés mais le vainqueur prend soin de ménager les chrétiens indigènes en prévision des conquêtes à venir.

Mais Zengi est assassiné par ses pages le 14 septembre 1146. Son royaume est partagé entre ses deux fils, Ghâzi qui reçoit Mossoul et Nour el-Dîn Alep. Mais un mois plus tard, coup de théâtre. Les Arméniens d'Alep ouvrent les portes de la ville à leur ancien comte Jocelin II. Celui-ci entre dans la ville avec ses chevaliers cependant que la citadelle reste aux mains des Turcs. Nour el-Dîn lui-même accourt avec ses troupes. Les Francs sont taillés en pièces et les Arméniens massacrés sans pitié ou vendus comme esclaves sur les marchés d'Orient.

Là-dessus, la reine Mélisende rompt avec la sage diplomatie de ses prédécesseurs en marchant contre le roi de Damas pour appuyer la révolte d'un émir local. Mauvais présage.

Les croisades en Terre Sainte

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En deux siècles, de l'appel d'Urbain II à la chute de Saint-Jean d'Acre, les croisades vont mettre en branle plusieurs centaines de milliers de personnes. Avec un bilan en demi-teinte...

La deuxième croisade (1147)

La chute d'Édesse suscite l'émoi en Occident. Saint Bernard, abbé de Clairvaux et conseiller des souverains, lance sur la colline de Vézelay, en Bourgogne, le jour de Pâques 1146 (31 mars), un appel vibrant aux chevaliers et aux souverains. C'est le signal de ce que les historiens considèrent comme la deuxième croisade.

Deux souverains et non des moindres se mettent à la tête de l'expédition: le roi de France Louis VII, accompagné de sa jeune épouse Aliénor d'Aquitaine, et l'empereur allemand Conrad III de Hohenstaufen.

Allemands et Français suivent l'itinéraire terrestre des premiers croisés (un demi-siècle plus tôt).

Ils entrent de concert à Constantinople mais ne s'entendent pas avec l'empereur byzantin Manuel Comnène. Et l'on frôle (déjà) la guerre entre chrétiens d'Orient et d'Occident.

En Anatolie, la chevalerie allemande, exténuée, est assaillie par la cavalerie turque et obligée de se replier sur Nicée en ayant perdu le quart de ses effectifs.

Louis VII, qui suit Conrad III de loin, n'éprouve pas moins de difficultés. Arrivé en Anatolie par la route terrestre, il est assailli par les Turcs et, pour leur échapper, se résigne à embarquer pour Antioche. Il y est accueilli chaleureusement par le prince Raymond d'Antioche, oncle de sa propre femme Aliénor d'Aquitaine.

Raymond compte sur le roi pour attaquer l'ennemi turc en son coeur, Alep. Mais Louis VII préfère nuitamment quitter Antioche pour gagner Jérusalem. Officiellement, le roi veut gagner le Saint Sépulcre, objectif de son voyage. Mais on sussurre qu'il est jaloux de Raymond et soupçonne Aliénor d'être (trop) sensible aux charmes et à l'énergie de son oncle.

A Jérusalem, Louis VII et Conrad III cèdent aux sollicitations de la reine Mélisende et décident de mettre le siège devant Damas ! Le siège va échouer. Il n'aura d'autre effet que de resserrer les liens entre les frères ennemis de l'islam, la principauté de Damas et celle de Mossoul, pour le plus grand malheur des croisés.

La deuxième croisade débouche sur un fiasco et les souverains s'en retournent au bout de quelques mois sans avoir même tenté de repousser l'atâbeg de Mossoul.

Devenu majeur, le fils du roi Foulque d'Anjou et de Mélisende monte sur le trône de Jérusalem en 1152 sous le nom de Baudouin III. C'est le premier roi de Jérusalem qui soit né dans le pays, un poulain donc! Il chasse sa mère et prend les choses en main, non sans quelques déconvenues. Il presse sa jeune cousine Constance, veuve du prince d'Antioche Raymond de Poitiers, de se remarier. Celle-ci s'éprend d'un beau chevalier français sans fortune, Renaud de Châtillon.

À la tête de la principauté d'Antioche, cet aventurier sans cervelle va multiplier les coups de main et les actes de brigandage, y compris contre l'île byzantine et chrétienne de Chypre... Et l'on verra comment beaucoup plus tard, après une longue captivité en terre d'islam, il mènera le royaume de Jérusalem à sa perte par son comportement éhonté.

De son côté, Nour el-Dîn ne perd pas de temps. Il s'empare de Damas et y fait son entrée le 25 avril 1154. Coup dur pour les États francs de Palestine qui doivent désormais affronter une Syrie unifiée, placée qui plus est sous la direction d'un homme remarquable, combattant de l'islam qui vit en ascète. C'est pour eux le début d'un inexorable déclin.

Baudouin III combat son ennemi, le nouveau sultan de Damas, avec bravoure et habileté. Ainsi met-il en fuite son armée quand elle assiège la forteresse de Paneas, en Galilée. Sur le chemin du retour, le 19 juin 1157, Baudouin bivouaque sans méfiance près du gué de Jacob. Il se fait surprendre par ceux-là même qu'il venait de battre. En déroute, il ne lui faut cependant que quelques jours pour reconstituer son armée et reprendre Panéas.

Le roi meurt prématurément en 1162, sans doute empoisonné par son médecin. Il n'a que 33 ans. Son frère Amaury 1er lui succède sur le trône de Jérusalem.

Au même moment, Nour el-Dîn tourne ses regards vers l'Égypte, affaiblie par des luttes de palais. Le maître de la Syrie veut réunifier les deux grandes parties du monde arabe avant de porter ses coups contre les États francs. Amaury 1er et le sultan de Damas se disputent les faveurs de l'Égypte. C'est finalement le second qui l'emporte ou plutôt son représentant sur place, un jeune officier kurde appelé à un illustre destin, Saladin.

La troisième croisade (1189)

Saladin devient vizir d'Égypte en 1169 et cinq ans plus tard, en 1174, profite de la mort de Nour el-Dîn pour faire son entrée à Damas. Le nouveau sultan refait l'unité des deux grands morceaux du monde arabe, la Syrie et l'Égypte, et prend ainsi en tenaille la Palestine franque.

Le 11 juillet de la même année, à Jérusalem, le roi Amaury 1er meurt du typhus. Il a 39 ans. Pour les croisés établis en Palestine depuis trois générations, c'est une perte immense. Son fils et successeur, Baudouin IV, est courageux et intelligent. Mais il n'a que 13 ans et l'on découvrira bientôt qu'il est atteint de la lèpre. Il en mourra à 24 ans et c'est son beau-frère, un homme faible et indigne, Guy de Lusignan, qui recueillera la couronne de Jérusalem.

Le 3 juillet 1187, au pied des collines de Hattîn, près du lac de Tibériade, Saladin remporte une victoire écrasante sur les Francs, desservis par l'incompétence du roi de Jérusalem, Guy de Lusignan, la trahison du grand-maître des Templiers, Gérard de Ridefort, et la brutalité de Renaud de Châtillon.

Le 3 octobre suivant, le sultan entre à Jérusalem. Stupeur en Occident. Les Francs de Palestine réclament une troisième croisade.

Après s'être beaucoup attardés en Sicile, le roi de France Philippe Auguste et le roi d'Angleterre Richard 1er débarquent avec leurs armées sur la côte proche-orientale. Mais le coeur n'y est plus et les dissensions sont plus vives que jamais.

La malchance est au rendez-vous : le plus puissant des croisés, l'empereur d'Allemagne Frédéric Barberousse, n'atteint pas le terme de son voyage. Il est emporté par un torrent, le Cydnos, en Anatolie, et son armée, privée de son chef charismatique, se débande sans attendre.

Le roi d'Angleterre remporte quelques succès, à commencer par la prise d'Acre au terme d'un interminable siège. Il y gagne le surnom de Coeur de Lion. Il commet une maladresse en jetant du haut des remparts la bannière du duc d'Autriche, injure dont ce dernier tirera plus tard une dure vengeance... Il se signale aussi par un acte de barbarie : le massacre sur la plage de 2.700 prisonniers turcs que le sultan Saladin était pourtant disposé à racheter au prix fort.

Le départ précipité de Philippe Auguste laisse Richard seul face à Saladin. Le roi d'Angleterre noue de bonnes relations avec Mélik el-Adil, frère et héritier de Saladin. Il envisage même un moment de lui donner sa soeur Jeanne en mariage pour qu'ensemble, dans la tolérance, ils gouvernent la Terre sainte! Mais ce projet utopique avorte dans l'oeuf. Les menaces qui pèsent sur sa couronne d'Angleterre obligent Richard à conclure une trêve et à se rembarquer pour l'Europe. Peu après, le 4 mars 1193, le sultan Saladin meurt à Damas à l'âge de 55 ans.

Lui succède son frère, Mélik el-Adil, l'ami de Richard Coeur de Lion.

Une paix fragile semble enfin prendre forme. Les Francs restent en possession de quelques ports (on dit aussi échelles ou escales, en raison des échelles par lesquelles on accède des bateaux aux quais), en particulier Tyr, qu'a défendu avec énergie Conrad de Montferrat avant d'être poignardé par des Assassins.

Mais ils renoncent à la Ville sainte au profit des Turcs en conservant seulement un droit d'accès au tombeau du Christ, le Saint-Sépulcre... Ce n'est qu'en 1918 qu'une armée occidentale, sous le commandement du général britannique Allenby, reprendra pied à Jérusalem.

Malchanceuse couronne

La couronne de Jérusalem est confiée à un seigneur franc, le comte Henri II de Champagne, après que celui-ci eut été marié à Isabelle de Jérusalem, soeur cadette de Sybille et du roi Baudouin IV le Lépreux.

Cette belle jeune femme est déjà veuve d'un quelconque Onfroi de Toron et de Conrad de Montferrat. Mais à peine s'est-elle attachée à son nouveau mari que celui-ci tombe à la renverse d'une fenêtre et meurt.

Les barons francs de Terre sainte la marient illico à Amaury de Lusignan, qui a succédé à son frère Guy à la tête du royaume de Chypre et devient de la sorte, sous le nom d'Amaury II, le nouveau roi de Jérusalem.

Ainsi se transmet par les femmes la malheureuse couronne d'un royaume sans capitale.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2021-01-17 12:45:12

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