Contes de l'enfance

Grand-mère, raconte-moi une histoire

Noël approche, les yeux des enfants s'illuminent. Ils imaginent derrière le sapin un pays extraordinaire peuplé de princes charmants et de jeunes filles à la robe couleur de nuit. Gagnons avec eux le fabuleux pays des contes…

Isabelle Grégor

John Atkinson Grimshaw, Spirit of the Night, 1879

Compte, comptine, conte

Fées, princesses, magiciens et sortilèges sont les ingrédients habituels de nos contes… Rien qui soit ordinaire !

Gustave Doré, illustration du Chat botté, 1862, BNFInterrogeons l’étymologie. On retrouve la trace des premiers contes dans les « comptines », chansons enfantines rythmées (qui ne connaît « Am stram gram, piké, piké, kolégram » ?). Elles tirent leur nom du latin « computare » (calculer, compter).

Les contes ont d'abord désigné avec quelque dédain les récits à dormir debout recueillis à la veillée, dans les soirées d’hiver, quand petits et grands se rassemblaient autour de la cheminée.

Le conte est en effet avant tout populaire, histoire de grands-mères et de nourrices dans les fermes, mais aussi de conteurs professionnels dans les châteaux et dans les foires. Comme dans le Roman de Renart, on aimait entendre les aventures sans cesse réinventées d’animaux personnifiés ou de chevaliers audacieux.

Ce caractère oral explique la brièveté de ces récits qui devaient s’assurer l’attention du public, mais aussi la richesse des textes, nourris de l’improvisation de chacun et du quotidien de chaque époque.

« Si Peau d’Âne m’était contée... »

Jean de La Fontaine note l’attraction qu’exercent fables et contes sur tous les publics, y compris le plus exigeant :

(...)Si Peau d'Âne m'était conté,
J'y prendrais un plaisir extrême.
Le monde est vieux, dit-on : je le crois ; cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant.

(Le Pouvoir des Fables, Livre VIII - Fable 4, 1678).

Quelques années plus tard, en 1695, la « grande » littérature s’empare des contes populaires et leur donne ses lettres de noblesse grâce à Charles Perrault.

Déjà âgé de 67 ans, chef de file des Modernes dans les cercles littéraires de Versailles, l'académicien publie les Contes de ma mère l’Oye après les avoir testés sur ses enfants.Toute la cour de Louis XIV succombe alors aux charmes de la Belle au bois dormant et du Chat botté.

Charles Perrault (12 janvier 1628 - 16 mai 1703)

La mode est lancée : deux ans plus tard paraissent les Contes de fées de Marie-Catherine d’Aulnoy puis, en 1757, La Belle et la Bête de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont.

Si toutes deux écrivent en priorité à destination des plus jeunes, des sommités de la littérature s'intéressent aussi  aux contes pour adultes. C’est d'abord le cas de La Fontaine lui-même qui a gagné la faveur des libertins avec ses Contes grivois, à ne pas confondre avec ses fables. C'est aussi celui d'Antoine Galland, académicien et antiquaire du roi, qui fait entrer l’Orient dans la culture française en traduisant à partir de 1704 Les Mille et une Nuits dans le goût libertin et leste de l’époque.

La recette magique

« Il était une fois, dans un pays lointain »« et ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants» : voici le début et la fin d’un conte, il ne reste plus qu’à remplir le vide. Pas si simple…

Edmund Dulac, L’Oiseau de feu, 1916Munissez-vous d’un pays imaginaire, si possible comprenant un sinistre château médiéval et une forêt sombre.

Ajoutez-y un prince charmant qui voit sa tranquillité initiale perturbée par les cris de détresse d’une aimable princesse. N’oubliez pas les épreuves à surmonter pour réussir la mission : quelques combats contre des créatures féroces feront l’affaire.

Heureusement, vous permettrez que votre héros obtienne l’aide d’un vieux sage ou d’une épée magique. Vous l’amènerez alors à la résolution de l’affaire, et au fameux mariage. Cette recette éprouvée, objet d'études savantes, ne doit cependant pas masquer la diversité d’un univers aux possibilités infinies !

Les contes, par-delà le merveilleux, reflètent aussi la cruauté du monde réel. Enfants morts de froid comme la Petite fille aux allumettes, gamines maltraitées par leur belle-mère comme Cendrillon ou Blanche-Neige, enfants abandonnés par leurs parents comme le Petit Poucet, adolescentes souillées par leur père ou leur beau-père comme Peau d'Âne ou mariées de force comme dans Barbe-Bleue...

Un conte de Noël cruel : La Petite fille aux allumettes

La petite marchande d'allumettes, film muet de Jean Renoir (1928), d'après le conte d'Andersen« […] Elle frotta encore une allumette sur le mur : il se fit une grande lumière au milieu de laquelle était sa grand-mère debout, avec un air si doux, si radieux ! " Grand-mère s’écria la petite, emmène-moi. Lorsque l’allumette s’éteindra, je sais que tu n’y seras plus. Tu disparaîtras comme le poêle de fer, comme l’oie rôtie, comme le bel arbre de Noël ". Elle frotta promptement le reste du paquet, car elle tenait à garder sa grand-mère, et les allumettes répandirent un éclat plus vif que celui du jour. Jamais la grand-mère n’avait été si grande ni si belle. Elle prit la petite fille sur son bras, et toutes les deux s’envolèrent joyeuses au milieu de ce rayonnement, si haut, si haut, qu’il n’y avait plus ni froid, ni faim, ni angoisse ; elles étaient chez Dieu.

Mais dans le coin, entre les deux maisons, était assise, quand vint la froide matinée, la petite fille, les joues toutes rouges, le sourire sur la bouche… morte, morte de froid, le dernier soir de l’année […] ». (Hans Christian Andersen, Contes, 1845)

L’Europe à la quête du conte

Jakob et Wilhelm Grimm recueillent les récits populaires allemandsÀ la fin du XVIIIe siècle, la vogue des contes bénéficie dans toute l’Europe de l’intérêt nouveau porté à l’enfance et du mouvement romantique. Les érudits courent les campagnes pour recueillir les histoires que l’on a coutume de raconter à la veillée.

Ainsi, les frères allemands Jacob et Wilhelm Grimm, experts dans l’étude des langues, rassemblent entre 1812 et 1822 près de 200 Contes pour les enfants et les parents, dont certains ont d’ailleurs déjà été racontés par Charles Perrault. Les plus connus sont Blanche-Neige, La Belle au bois dormant, Cendrillon, Hansel et Gretel… Leur publication a pour objectif de faire ressurgir une culture germanique primitive.

Avant tout compilateurs, ces auteurs ont l’habileté de respecter le style simple des récits collectés.

Le Danois Hans Christian Andersen se démarque des précédents avec, à partir de 1835, des contes tirés davantage de son imagination que du folklore européen. Il fait l’admiration de Charles Dickens aussi bien que d’Alphonse de Lamartine et finira sa vie comblé d’honneurs

Dans cette production, Alice au pays des merveilles (1865) de Lewis Carroll occupe une place à part : le monde étrange dans lequel erre Alice sort tout droit de l’imagination de l’auteur qui y sème énigmes et critiques de la société de son temps.

Les fées existent, on les a photographiées !

Elsie Wright et sa cousine, Frances Griffiths, âgées de 16 et 10 ans en 1917, aiment aller se promener dans les forêts de Cottingley, dans le West Yorkshire, en Angleterre. Elles y croisent régulièrement des fées qui acceptent finalement d’être prises en photographie.

Vous en doutez ? Pourtant, cinq clichés existent et de grands esprits comme Arthur Conan Doyle les considèrent comme authentiques. Les images sont expertisées à plusieurs reprises et publiées. L’intérêt grandit, le scepticisme aussi. Finalement l’histoire se tasse avec le départ des jeunes filles pour l’étranger. Longtemps évasives, elles finissent par reconnaître la supercherie en… 1983.

La psychanalyse ausculte les contes

Géants sanguinaires, marâtres impitoyables, loups affamés… En observant bien les textes, on semble loin de l’univers innocent de l’enfance. Pourtant quel plaisir pour les plus petits de retrouver, tous les soirs, la même histoire avec les mêmes frissons de peur au même moment !

Philologues et psychanalystes se sont penchés sur ce paradoxe, à l’image de Bruno Bettelheim qui a montré dans son étude intitulée Psychanalyse des contes de fées (1976) la part de l’inconscient dans ces histoires.

Selon lui, elles traduiraient les peurs et les désirs cachés des enfants face à certains thèmes : la sexualité (figure du loup séducteur), les rapports avec les parents (ambiguïté des relations avec le père, dans Peau d’âne par exemple), l’indépendance (besoin et crainte de quitter sa famille et rester seul, comme dans Le Petit Poucet)…

Jean Marais et Catherine Deneuve dans le film Peau d'Âne (Jacques Demy, 1970)

Ogres et fées prennent la place du père et de la mère et deviennent tour à tour menaçants et protecteurs. Véritable pont entre le monde des enfants et celui des adultes, le conte est donc là pour rassurer les plus jeunes et leur donner des clés pour comprendre la vie.

D’hier et pour toujours

Les contes semblent traverser les siècles sans souffrir du temps. Héritiers des mythologies antiques, ils n’ont cessé d’être réinventés à chaque époque par les auteurs, y compris les plus inattendus.

Pendant l’Occupation, Marcel Aymé offre à ses lecteurs un peu de légèreté avec les aventures de Delphine et Marinette, héroïnes des Contes du chat perché, avant que Jacques Prévert ne propose ses Contes pour enfants pas sages (1947).

En 1967, c’est au tour de Jean Anouilh de moderniser l’histoire de Cendrillon dans ses Fables tandis que le pauvre Petit Chaperon rouge devient la victime préférée des détournements de toutes sortes (Dumas et Moissard, Le Petit Chaperon bleu marine, 1977).

Le cinéma s’empare de ces personnages avec Georges Méliès (Cendrillon, 1899) qui ouvre la voie à Walt Disney (Blanche-Neige et les Sept Nains, 1937). En France, le public accepte avec plaisir les versions très personnelles de La Belle et la Bête de Jean Cocteau (1945) et de Peau d’âne de Jacques Demy (1970). Notons que le cinéma n’a pas porté ombrage à la diffusion des contes sous format écrit puisque le genre profite de l’abondance des récits venus du monde entier mais aussi de la bonne santé de la littérature pour enfants, avec notamment Pierre Gripari (Contes de la rue Broca, 1967).

Cendrillon et sa machine à laver

Le soir du grand bal, la bonne marraine
Qui avait longtemps travaillé chez Dior,
Fit de deux chiffons une robe à traîne
D’un goût infini, toute brodée d’or.
Mais, entre sa machine à laver la vaisselle
Et son frigidaire, en son antre blanc,
La pauvre Cendrillon sanglotait de plus belle,
Dans sa belle robe, en se lamentant :
« Mes soeurs préférées ont une voiture,
Elles sont parties en quatre chevaux ;
Les taxis font grève ; avec ma coiffure
Et ma robe d’or, irai-je en métro ? »
« C’est bien, dit la fée, qu’à cela ne tienne ;
On n’a pas toujours fée comme marraine ;
Trouve une citrouille et dix-neuf souris ;
Ta dix-neuf chevaux, marque américaine,
Sera bientôt là. Maintenant, souris ! »
(Ravalant sa peine, Cendrillon se fit un léger raccord,
Redevint jolie.) Mais ce qui fut fort ?
Ce fut, étant donné les progrès de l’hygiène,
De trouver dix-neuf souris dans le Seizième.
Il fallut aller jusqu’au quai aux Fleurs.
Pour la citrouille aussi on eut quelques malheurs.
Enfin on en trouva, Dieu merci, en conserve.
Une fée marraine, il faut que ça serve
Un soir de bal à l’Opéra !
[…]
(Jean Anouilh, « Le Carrosse inutile » in Fables,1967)

Publié ou mis à jour le : 2020-02-26 11:56:12

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