Fantastique

Quand le monde de l’ombre joue avec nos nerfs

Comme les journées raccourcissent et les ombres s’allongent, allons à la rencontre d’un monde fantastique qui fascine les petits, amateurs de déguisements et de bonbons, et les grands, amateurs de frissons…

Isabelle Grégor

Francisco de Goya, Le Sabbat des sorcières, 1797, Museo Lázaro Galdiano, Madrid

La peur, compagne de toujours…

Arnold Böcklin, Autoportrait à la Mort jouant au violon, 1872, Staatliche Museen, BerlinQui ne s’est jamais penché sous son lit pour chasser les fantômes ? Croque-mitaines, père Fouettard et autres sorcières ont depuis toujours poussé les enfants à plonger sous les draps.

Si, aujourd’hui, le risque de croiser un loup au coin du bois est limité, ces messages d’avertissement continuent à être diffusés par la société.

Malgré notre maîtrise de la nature, nous gardons en effet en héritage ces angoisses qui ont permis à notre espèce de survivre : il faut se méfier des animaux, craindre de rester seul dans le noir, ne pas s’approcher du vide…

Mais aujourd’hui, quel intérêt y a-t-il de se mettre à hurler à la vue d’une abominable créature des marais… en plastique ? Le charme de la surprise, la montée de l’adrénaline, la satisfaction de surmonter son malaise ? Ou le plaisir de sentir ses cheveux se hérisser, comme lorsque nous guettions, enfants, le bruit des chaînes du fantôme ?

Qui a peur du grand méchant loup ?

Il n’y a pas que le Petit Chaperon rouge qui se méfie du loup. L’animal est redouté depuis la nuit des temps, au point d’avoir donné naissance à un monstre hybride, le loup-garou.

Gravure extraite du Traité de physiognomonie de Charles Lebrun et Morel d'Arleux, 1806À partir du moment où Lycaon, roi d’Arcadie, fut changé en loup pour avoir reçu Zeus sans la politesse souhaitée, les lycanthropes ont peuplé les forêts, ou du moins les esprits. Ces assoiffés de sang sont-ils victimes du Diable ou plus simplement d’une maladie qui les recouvre de poils ?

Dans le doute, méfiez-vous des nuits de pleine lune ! Ce n’est pas Pétrone qui dira le contraire : « Quand je me retourne vers mon compagnon, je le vois qui se déshabille et pose tous ses vêtements sur le bord de la route. J'en reste plus mort que vif, immobile comme un cadavre. Mais lui tourne autour de ses habits en pissant et aussitôt le voilà changé en loup. […] Devenu loup, il se mit à hurler et s'enfuit dans les bois. D'abord je ne savais même plus où j'étais. Ensuite je voulus aller prendre ses habits : ils étaient changés en pierre. Qui était mort de peur ? C'était moi » Pétrone, Satyricon, LXII (Ier siècle après JC).

Au pays des « choses vaines »

La racine grecque du mot « fantastique » nous éclaire sur sa définition : elle renvoie en effet à tout ce qui est créé par l’imagination (phantasia), tout ce qui est irréel et illusions. Nos ancêtres n’ont cessé de lutter à leur manière contre ces chimères omniprésentes : pratiques magiques, art divinatoire, superstitions cherchent à rassurer face à l’inexplicable. Égyptiens ou Romains ont ainsi multiplié les pratiques astucieuses permettant de chasser les mauvais songes et les présages inquiétants.

Nous leur devons une grande partie de nos superstitions et les remèdes qui vont avec : par exemple, briser un miroir était déjà néfaste chez les Grecs anciens, qui s’en servaient pour faire des divinations. Plus de miroir, plus d’avenir !

Le Moyen Âge observe à son tour avec inquiétude son environnement qu’il peuple de fées, de lutins ou de vouivres (serpent ailé). Chats noirs, corbeaux et sorcières sont les objets des pires persécutions, jusqu’à une époque avancée. Personne ne remet alors en cause l’existence d’un être étrange dans le Loch Ness, de Dames blanches évanescentes au bord des routes ou d’un Golem dans une synagogue de Prague. Monstres et revenants font alors pleinement partie du quotidien !

Signe distinctif : vêtu d’un drap blanc, s’amuse à faire peur

Eugène Thiébault, Henri Robin et un spectre, 1863, Collection de Gérard Lévy, Paris« Dis-moi pourquoi tes os sanctifiés, ensevelis dans la mort, ont déchiré leur suaire ? Pourquoi le sépulcre où nous t'avons vu inhumé en paix a ouvert ses lourdes mâchoires de marbre pour te rejeter dans ce monde ? » C’est ainsi qu’Hamlet s’adresse à l’esprit errant de son père, revenu donner le nom de son assassin. Shakespeare, tout comme Molière dans Don Juan, n’a pas hésité à faire intervenir cette figure dans son théâtre, preuve de la grande popularité de ces spectres.

Héritiers des lémures romains, ces âmes en peine qui reviennent nous visiter traduisent la peur ancestrale de l’inhumation précipitée, qui enferme des vivants dans des cercueils. « Sujet de délire du XIXe siècle » pour le Dictionnaire des idées reçues de Gustave Flaubert, momies, vaisseaux fantômes et autres ectoplasmes plus ou moins frappeurs et farceurs ont fait le bonheur des amateurs de fantastique. Quoi de plus terrifiant en effet que l’absence de frontière entre morts et vivants ? Ce ne sont pas les zombies vaudous qui vous diront le contraire !

Quand un diable amoureux triomphe de la Raison

Le XVIIIe siècle est resté dans les livres d’histoire comme l’époque du triomphe de la Raison contre toutes les superstitions.

Francisco de Goya, Le Sommeil de la raison engendre des monstres (dessin préparatoire), 1797, musée du Prado, Madrid Au cri de : « Écraser l'infâme ! », formule qui précédait la signature de Voltaire, les Lumières s’attaquent à ces croyances qui mènent au fanatisme. Pourtant ce siècle est aussi celui qui a vu naître le fantastique et ses cohortes de créatures.

En réaction au règne de la logique que veulent imposer nos philosophes, et s’appuyant sur un affaiblissement de la religion, l’attrait pour les mystères de l’autre monde regagne alors du terrain. On tente de nouveau de communiquer avec l’au-delà, on applaudit aux expériences mystérieuses de Franz Mesmer, le père du magnétisme, on est convaincu de l’immortalité du comte de Saint-Germain, on adhère à l’illuminisme qui croit aux passerelles entre notre monde et l’au-delà.

Et surtout, en 1772, on lit et relit un roman bien étrange, Le Diable amoureux de Jacques Cazotte, où l’on voit Belzébuth multiplier les apparences pour séduire un jeune homme. Le diable et ses amis ne repartiront plus…

Le Vieux Cornu entre en scène

Le diable, d'après le Codex Gigas, manuscrit du XIIIe siècle, Bibliothèque nationale de Suède« Que veux-tu ? » Ce sont les premières paroles du diable de Cazotte. Qu’on lui donne les traits de Méphisto, Satan, Lucifer ou Belzébuth, le Diable est en effet avant tout l’image de la tentation. Ange déchu, il prend dans L’Apocalypse de saint Jean la forme d’un « grand dragon rouge, ayant sept têtes et dix cornes ».

Il est placé sur le devant de la scène à partir du XIe siècle, alors que la terreur de la fin du monde commence à envahir les esprits. Le Maître de l’Enfer devient un être inhumain, insaisissable, capable de prendre possession des corps et des esprits.

À la fin du Moyen Âge, on part à la chasse aux sorcières, ses servantes, tandis qu’avec l’arrivée de l’imprimerie se multiplient les traités de démonologie. Il faut mettre fin à ces sabbats où sexe et mort se mêlent ! En déclin à l’époque classique, le Seigneur des Ténèbres refait une apparition remarquée sous la plume de Goethe (1808), en proposant au docteur Faust un pacte infernal. Aujourd’hui on continue à le combattre sous la forme d’exorcismes, et à le croiser dans villes et villages : levez les yeux et observez les gargouilles qui vous contemplent.

Le déferlement du gothique

Traversons la Manche pour nous promener au cœur des ruines anglaises, tellement propices à l’apparition d’êtres indéterminés. Un auteur, Horace Walpole, y trouve l’inspiration en 1764. Son Château d’Otrante pose les bases du roman « gothique » ou « noir » dans lesquels de jeunes filles terrorisées vont croiser des moines mystérieux ou des comtes cruels au fond de souterrains sans fin ou de forêts sombres.

Boris Karloff dans le rôle de Frankestein, Image extraite du film de James Whale, 1931L’époque est alors la proie du romantisme qui rejette le carcan du rationalisme : le cauchemar de la Révolution est fini, le siècle est naissant, les idées doivent être nouvelles. Vive les passions et l’imagination ! On multiplie les mystères, on érige des décors lugubres, on imagine des jalousies sanglantes. Mais cela n’est rien comparé à la créature qui va sortir du cerveau d’une simple jeune fille.

Elle a 19 ans, elle est décrite comme étant en toutes circonstances douce et réservée. Mary est pourtant une passionnée, qui ne va pas hésiter à fuir avec l’amour de sa vie, le poète Percy Shelley.

Un soir de 1816, leur ami lord Byron lance un défi : rédiger un récit d’horreur pour animer un peu leurs soirées. Retirée dans sa chambre, Mary voit une créature s’inviter dans son esprit : « une horrible chose… aux yeux délavés », formée à partir de plusieurs cadavres par le docteur Victor Frankenstein, ce « Prométhée moderne ». L’histoire est efficace car Mary a pris soin de mêler ses idées les plus insolites à un fond de réalité scientifique. Le fantastique est né !

Dents longues et teint blafard : les vampires

Nous sommes en 1887, en pleine mode du roman gothique. Un auteur irlandais, Bram Stoker, entend parler d’une vague histoire de souverain roumain dont la soif de pouvoir n’avait d’égal que la cruauté. Dix ans plus tard, Vlad l’empaleur a donné naissance au personnage de Dracula. Vieux, poilu, craignant les miroirs et la lumière du jour, notre comte est l’aboutissement fascinant d’une longue lignée de buveurs de sang, certainement nés de la peur des « mal morts ». C’est le savant Buffon qui, s’inspirant de ces légendes, donna le nom de vampires à certaines chauves-souris américaines, particulièrement repoussantes.

Faut-il y croire ? Les grands principes du fantastique

Il ne faut pas grand chose pour créer du fantastique : un soupçon de réel, une touche de mystère et une pincée de surnaturel. Tout l’art est de parvenir à donner naissance à cette « inquiétante étrangeté », pour reprendre les mots de Freud.

Le fantastique doit plonger le lecteur ou le spectateur dans le doute : il doit balancer entre une explication rationnelle des événements étranges décrits et une interprétation faisant appel au surnaturel. Voici la définition ultime, donnée par Tzetan Todorov : « c'est l'hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles, face à un événement en apparence surnaturel ». Le lecteur doit sans arrêt s’interroger : le personnage est-il victime de faits inexplicables ou est-il simplement fou ? Vous ne pouvez résoudre l’énigme ? Vous êtes devenu une victime consentante du fameux vertige distillé par le genre fantastique !

Un siècle anxieux : le XIXe et le spiritisme

Le fantastique a trouvé dans le XIXe siècle un terreau parfait pour s’épanouir. Dans ce siècle d’angoisse qui peine à se remettre du cataclysme de la Révolution, les consciences sont à la recherche de nouveaux repères. Elles s’inquiètent face aux bouleversements de la société, aux progrès de la science, à la remise en cause de la religion.

Une image, en particulier, atteste de ce climat : voici le grand Victor Hugo, alors en exil à Jersey, qui tente d’entrer en communication avec sa fille Léopoldine en faisant tourner un simple guéridon.

Les séances de spiritisme se succèdent pendant près de deux ans, avant de cesser au départ pour Guernesey. À la même époque, Léon Rivail reprend le nom qu’il pense avoir porté dans une vie antérieure : Allan Kardec. Maître du spiritisme en France, son influence est considérable. Et si les morts se mêlaient aux vivants ? Les fantômes commencent à devenir de plus en plus nombreux…

Charles Allan Gilbert, All is Vanity, 1892

Des grands qui font court

Le fantastique a fait son nid dans un type d’écrit précis : la forme brève. Rien de tel qu’une nouvelle ou qu’un conte pour aller à l’essentiel : l’arrivée du phénomène inexpliqué. Après une mise en place rapide du décor, on plonge de suite le lecteur dans le suspense avant de le mener rapidement vers une fin généralement inattendue, la chute.

À la suite des Contes fantastiques d’Ernst Hoffmann (1814) et des Histoires extraordinaires d’Edgar Allan Poe (1848), les écrivains français se lancent dans l’aventure. Citons Guy de Maupassant et Gérard de Nerval qui, tous deux, finissent par sombrer dans la folie qu’ils décrivent.

Parmi les maîtres du genre, Théophile Gautier et Prosper Mérimée trouvent quant à eux leur inspiration dans le monde antique. Le phénomène est étendu : les Russes Nicolas Gogol et Alexandre Pouchkine font revenir les fantômes tandis que l’Irlandais Oscar Wilde et l’Écossais R. L. Stevenson jouent sur le dédoublement de la personnalité. Le XXe siècle a aussi vu des trésors d’imagination naître notamment sous la plume de Franz Kafka et Dino Buzzati comme sous le pinceau de René Magritte.

René Magritte, La Reproduction interdite, 1937, Museum Boymans-van Beuningen, Rotterdam

« Donc les invisibles existent ! » (Guy de Maupassant, Le Horla -1887)

Le narrateur est confronté à des phénomènes étranges. Il pense qu’une créature, le Horla, s’est installée chez lui.

Julian-Damazy, illustrations pour Le Horla, Å’uvres complètes illustrées de Guy de Maupassant, édition Ollendorff, 1903 « Or, ayant dormi environ quarante minutes, je rouvris les yeux sans faire un mouvement, réveillé par je ne sais quelle émotion confuse et bizarre. Je ne vis rien d’abord, puis, tout à coup, il me sembla qu’une page du livre resté ouvert sur ma table venait de tourner toute seule. Aucun souffle d’air n’était entré par ma fenêtre. Je fus surpris et j’attendis.

Au bout de quatre minutes environ, je vis, je vis, oui, je vis de mes yeux une autre page se soulever et se rabattre sur la précédente, comme si un doigt l’eût feuilletée. Mon fauteuil était vide, semblait vide ; mais je compris qu’il était là, lui, assis à ma place et qu’il lisait. D’un bond furieux, d’un bond de bête révoltée, qui va éventrer son dompteur, je traversai ma chambre pour le saisir, pour l’étreindre, pour le tuer !... Mais mon siège, avant que je l’eusse atteint, se renversa comme si on eût fui devant moi... Ma table oscilla, ma lampe tomba et s’éteignit, et ma fenêtre se ferma comme si un malfaiteur surpris se fût élancé dans la nuit, en prenant à pleines mains les battants.
Donc, il s’était sauvé ; il avait eu peur, peur de moi, lui ! »

Cousins éloignés

Ne confondons pas le fantastique avec ses genres voisins. Dans le merveilleux, par exemple, le lecteur va accepter d’emblée l’existence des êtres fabuleux. La présence de fées ou de sorcières devient tout à fait normale : tout est possible, le doute n’a pas sa place. C’est le cas également pour la fantasy, qui crée des univers parallèles qui ne sont à aucun moment remis en question et qui n’ont pas nécessairement comme but de faire naître l’angoisse.

Plus récente, la science-fiction prend appui sur la peur du présent pour imaginer un futur fabriqué à partir d’avancées scientifiques à venir. Enfin, souvent présentée comme un sous-genre du fantastique, l’horreur joue également sur la peur et parfois le surnaturel, mais en poussant au paroxysme les scènes de violence.

« Personne ne vous entendra crier »

Des hurlements d’horreur : ce sont les cris de spectateurs terrifiés qui ont accueilli la naissance du cinéma, à la projection du premier film des frères Lumière.

Image extraite du Nosferatu le vampire de Friedrich W. Murnau,1922Le cinéma et la peur ne pouvaient que faire bon ménage ! Mais ce n’était rien en comparaison des réactions face au visage lugubre du Nosferatu le vampire, tourné en 1921 par Friedrich Murnau, qui allait ouvrir la voie à tout un cortège de monstres en noir et blanc.

Les images de Boris Karloff dans Frankestein (1931) et de Bela Lugosi dans Dracula (1931) hantent encore les mémoires. Les créatures maléfiques en tous genres envahissent vite la toile : le Diable, bien sûr (Rosemary’s baby – 1968) suivi par quelques fantômes (Sixième sens - 2000) et loups-garous (Wolf – 1994).

D’autres films utilisent des techniques moins voyantes pour faire naître le frisson : c’est le cas des Oiseaux dont Hitchcock n’explique jamais le comportement soudainement agressif.

Le développement des effets spéciaux et, aujourd’hui, de la 3D, ne change rien au ressort de ces films : « pour le moment, tout va bien mais… »

Publié ou mis à jour le : 2019-07-17 12:58:37
niki van espen (28-03-2020 10:54:53)

merci pour vos articles fort intéressants

daniel (28-02-2013 09:32:55)

Avant le Nosferatu de Murnau, le cinéma allemand avait déjà produit plusieurs films relevant du fantastique, tels L'Etudiant de Prague (1913) et le Golem (1914). Il faudrait revenir aussi sur les sources littéraires des débuts du cinéma fantastique.

Jean-Néville Dubuis (13-06-2012 11:10:39)

Très intéressant ! Il ne manque plus que le chef d'oeuvre
de Jean Ray "Malpertuis" Je vous le conseille c'est à découvrir.

Respectez l'orthographe et la bienséance. Les commentaires sont affichés après validation mais n'engagent que leurs auteurs.

Actualités de l'Histoire
Revue de presse et anniversaires

Histoire & multimédia
vidéos, podcasts, animations

Galerie d'images
un régal pour les yeux

Rétrospectives
2005, 2008, 2011, 2015...

L'Antiquité classique
en 36 cartes animées

Frise des personnages
Une exclusivité Herodote.net