L’œuvre attribuée à Homère est immense, non seulement en quantité, mais par la place qu’elle occupe dans la littérature mondiale.
L’Iliade (de « Ilion » : Troie), ce sont 15 000 vers auxquels viennent s’ajouter les 12 000 vers de L’Odyssée (de « Odusséos » : nom grec d'Ulysse), sont disposés dans les deux textes en 24 parties ou « chants » qui devaient former des histoires indépendantes pouvant être racontées en une seule fois.
Leur structure est complexe : des centaines de personnages se croisent tout autour de la Méditerranée, dans une chronologie s‘étendant sur des années. Mais retours en arrière, répétitions et dialogues parviennent à s’organiser pour créer une architecture à la fois solide et fluide.
Une naissance difficile
L’œuvre d’Homère, depuis sa naissance sous forme orale au cours du VIIIe siècle av. J.-C., a été en perpétuel mouvement : chaque aède, en effet, n’hésitait pas à adapter et modifier l’œuvre selon son public. Il fallait séduire avant tout ! Mais la conservation du texte devient vite une priorité : une organisation, les Homérides (« fils d’Homère »), se serait constituée dans ce but dès le VIe siècle av. J.-C. dans l’île de Chios.
À cette même époque, Pisistrate, tyran d’Athènes, s’attelle à une mise en ordre des textes pour en donner une version définitive. Il faut attendre le IIIe siècle av. J.-C. pour trouver des traces du texte noté sur un papyrus, sûrement dans un but d’étude. C’est d’ailleurs en Égypte que les savants de la bibliothèque d’Alexandrie se plongent dans des analyses précises des textes homériques. Si les Latins apprennent par cœur Homère, l’époque médiévale s’en détourne, faute de connaître suffisamment le grec ancien.
11 ans et 10 000 vers : c’est ce qu’il fallut à Virgile, poète romain du 1er siècle av. J.-C., pour s’élever au rang d’Homère. Pour cela, il choisit de partir de l’épisode de la chute de Troie pour imaginer la suite des aventures d’un des princes de la cité, Énée.
À sa suite, nous revivons la terrible nuit qui a vu la défaite des Troyens, puis la fuite du héros et ses mésaventures en Méditerranée, à la façon d’un nouvel Ulysse. Énée va même avoir l’honneur de pouvoir descendre aux Enfers pour s’entretenir avec Achille mais aussi avec ses glorieux successeurs, Jules César et Auguste.
L’Énéïde est en effet une œuvre rédigée à la gloire de Rome, présentée comme l’héritière de Troie. Auguste comprit bien la portée de l’ouvrage : lorsque Virgile mourut, le maître de Rome refusa que l’épopée inachevée soit détruite, comme l’avait demandé son auteur. La littérature lui en est reconnaissante.
Précisons aussi que c'est à Virgile que l'on doit le récit fameux entre tous du cheval de Troie, ruse suggérée par Ulysse et grâce à laquelle les Grecs auraient enfin réussi à pénétrer dans la cité ennemie. Homère s'est contenté d'évoquer en quelques vers cet épisode dans l'Odyssée.
Entre fascination et rejet
Ce n’est qu’en 1488 qu’est imprimée la première édition de L’Iliade et L’Odyssée, en pleine Renaissance florentine. Pour les lettrés, il faut attendre la fin du XVIe siècle pour pouvoir se procurer les premières traductions, en français ou latin.
Homère s’impose alors : connus de tous, ses textes servent de prétexte à des œuvres comme Les Aventures de Télémaque (1699) où Fénélon initie le duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV, aux difficultés de la politique.
Mais la gloire du vieux poète n’est pas définitivement acquise puisque des rumeurs d’imposture ne vont cesser d’enfler. Cependant Flaubert et son laconique « Homère n’a jamais existé » ne peuvent lutter contre l’« homérophilie », cet engouement qui s’empare du XIXe siècle.
Pour sauver Homère, certains se sont en effet mis en tête de retrouver les lieux décrits : on part à la recherche des traces de la tente d’Achille ou des murs de la cité de Priam.
Dans cette quête, c’est l’Allemand Heinrich Schliemann qui gagne haut la main en mettant à jour les villes supposées de Troie et Mycènes, dans les années 1870.
On le croyait disparu à jamais : le fameux « trésor de Priam », formé par la collection des œuvres antiques rassemblées par Heinrich Schliemann, a fini par réapparaître. Mais quelle aventure ! Exposé à partir de 1881 au musée ethnologique de Berlin, il est dissimulé pendant la guerre dans une cave du zoo de la capitale. Il change de mains à l’arrivée des Soviétiques qui vont nier pendant près de 50 ans l’avoir en leur possession.
Ce n’est qu’en 1993 que Boris Eltsine reconnaît l’évidence, relançant la polémique sur l’endroit définitif où il doit être exposé : en Turquie, sur les terres où il a été découvert ? En Grèce, qui en revendique la paternité historique ? Ou en Allemagne, pays d’origine de son inventeur ? Finalement, selon une loi déclarant russes les œuvres d‘art saisies en Allemagne, le trésor reste pour l’instant visible au musée Pouchkine, à Moscou.
Une source sans fin d’inspiration
Le mouvement romantique ne pouvait qu’admirer d’Homère, modèle du poète qui puise son inspiration dans sa souffrance. Chateaubriand et Stendhal ne cessent de rendre hommage dans leur oeuvre au « prince des poètes » tandis que lord Byron, grand amoureux de la Grèce, va jusqu’à revêtir à ses heures perdues le costume d’Achille.
Le théâtre du XXe siècle n’hésite pas à revenir aux sources antiques avec des œuvres comme La Guerre de Troie n’aura pas lieu (Jean Giraudoux, 1935) ou encore Les Troyennes, d’après Euripide (Jean-Paul Sartre, 1965). Dans le monde du roman, citons enfin Ulysse de James Joyce (1922), nouvelle Odyssée qui a révolutionné la littérature.
Représenter les héros
Vases, statues, peintures… Dès l’Antiquité, les artistes se sont emparés des personnages d’Homère pour leur donner un visage.
Parmi les œuvres les plus marquantes ou originales, il faut retenir les « tables iliaques » romaines, sortes de bas-reliefs illustrant les principaux épisodes de l’histoire d’Ilion (Troie).
Le Moyen Âge s’approprie l’œuvre en revêtant Hector et ses compagnons d’armures totalement anachroniques, avant que la Renaissance puis l’époque classique ne s’attachent à nouveau à rechercher la vérité des décors et costumes.
La passion du XIXe siècle pour Homère peut être symbolisé par le palais de l’Achilleion, élevé dans l’île de Corfou par l’impératrice Elizabeth d’Autriche à la gloire des héros antiques. Le XXe siècle a bien sûr utilisé le 7e art pour donner vie à cet univers dans le Troie de Wolfgang Peterson (2004) ou encore, de façon détournée, dans le film des frères Cohen, O’Brother (2000).
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