Pianiste virtuose, inventeur du récital et compositeur d’avant-garde très fécond, avec 700 œuvres recensées, Franz Liszt est parfois limité à l’archétype du bel artiste romantique, capable de déclencher une véritable hystérie auprès du public féminin.
Incarnation du dionysiaque selon Nietzsche, Liszt était pourtant aussi un excellent pédagogue et un homme vivant avec intensité les événements de son siècle.
Le nouveau Mozart ?
Franz Liszt voit le jour le 22 octobre 1811 à Raiding, en Hongrie. Son père a joué du violoncelle et chanté à la cour des Esterhazy, où il a fréquenté Haydn, et souffre de frustration dans cette petite ville où la vie musicale est inexistante. Il transmet à son fils sa passion de la musique ainsi qu’un très fort sentiment religieux.
En 1820, lorsque le petit Franz se distingue en interprétant un concerto de Ries, de riches Hongrois s’engagent à lui verser une bourse pour financer ses études. Un an plus tard, il joue à Vienne et Salieri le prend sous son aile. L’Europe commence à bruisser de la rumeur de la découverte d’un nouveau Mozart.
À Paris, il joue pour la duchesse de Berry et le duc d’Orléans, futur Louis-Philippe 1er. Il s’installe dans la ville, y étudie avant de donner des cours de piano. Amoureux d’une de ses élèves, il en est violemment séparé par le père de la jeune fille qui découvre l’idylle. Liszt tombe alors dans une période de dépression, aigri par le statut de « bohémien » de l’artiste, méprisé par les classes dominantes.
Les « Trois Glorieuses » viennent le tirer de ses idées noires. Galvanisé par l’atmosphère insurrectionnelle qui entoure la chute des Bourbons, il compose une Symphonie révolutionnaire, sa première incursion au-delà du monde du piano. Pour cet artiste sensible aux soubresauts de l’Histoire, l’art est « un Paradis sur terre auquel on ne fait jamais appel en vain lorsque l’on est confronté aux oppressions de ce monde ».
Le jeune homme fréquente les cercles saint-simoniens, qui prônent pour l’artiste un rôle de prophète du progrès social. Autodidacte en littérature, il dévore les livres, se lie avec Vigny, Hugo, Lamartine, Georges Sand.
S’inspirant de la virtuosité de l’Italien Paganini, il publie en 1837 Douze grandes études, où alternent pièces en mode majeur et mineur. Il s’applique à traduire pour le piano les œuvres de Berlioz, Beethoven, Mozart, Schubert.
Les années 1830 sont aussi marquées par sa liaison avec Marie d’Agoult. Mariée et mère de deux filles, elle fuit avec lui Paris pour Genève, en véritable héroïne romantique. Liszt y compose L’album d’un voyageur, inspiré du folklore suisse. Marie lui donne trois enfants, Blandine, Cosima (destinée à devenir Mme Wagner) et Daniel, mais finit par retourner à Paris et rompre leur liaison.
Liszt voyage en Italie et, inspiré par la littérature, compose en se fondant sur les émotions que font naître chez lui Pétrarque et Dante. Il continue ses « pèlerinages », voyage en Hongrie, où il compose les Rhapsodies, inspirées par la musique hongroise et tzigane.
Coqueluche des salons
De 1839 à 1847, il voyage sans relâche à travers l’Europe pour donner des concerts. Au cours de ce que l’on a appelé la « Glanzperiod », il parcourt des milliers de kilomètres, de Gibraltar à Saint-Pétersbourg. Comme une vraie « star » à la stratégie de communication parfaitement rodée, il joue de son image de héros romantique et de son charme.
Pendant cette période, il écrit peu mais accède à la gloire en tant qu’interprète virtuose. Inventeur du concert soliste, le récital, il impose la disposition du piano de profil par rapport au public, encore en vigueur aujourd’hui. Contrairement à Chopin, qui préférait jouer devant les publics restreints des salons parisiens, il joue seul devant des publics nombreux. Pratiquant la paraphrase, il interprète des variations à partir d’œuvres d’autres compositeurs. À la fin du récital, il n’hésite pas à demander au public des thèmes d’improvisation.
Une vraie « Lisztomania » l’entoure : des femmes montent sur scène pour couper une mèche de ses cheveux ou ramassent sur son passage les cendres de son cigare. La petite histoire raconte qu’il s’attire l’inimitié de Nicolas Ier en s’arrêtant de jouer parce que le tsar de toutes les Russies parle avec son aide de camp !
Liszt reste cependant sensible aux causes sociales, jouant par exemple devant les ouvriers au chômage de Lyon.
La quête de la « musique de l’avenir » à Weimar
À la fin des années 1840, Liszt rencontre à Kiev la princesse Caroline Von Sayn-Wittgenstein, qui sera son second grand amour. Cette rencontre coïncide avec son désir d’abandonner la course perpétuelle de la période brillante pour se consacrer à la composition. Il s’installe à Weimar avec elle, sous la protection du grand-duc.
Il y compose les Harmonies poétiques et religieuses, dont certains morceaux sont inspirés par les soulèvements de 1848-49 en Europe et la violente répression des Habsbourg dont les Hongrois sont victimes après leur tentative de déclaration d’indépendance.
Pendant dix années très fécondes, il compose des concertos pour piano, des symphonies et de nombreux Lieder à partir de poèmes de Goethe, Heine, Hugo. Compositeur d’avant-garde, il invente le procédé de la transformation thématique : un motif inaugural se métamorphose pendant la suite de l’oeuvre. Selon sa conception profondément romantique de la composition, l’idée initiale ne doit pas être soumise à la forme, contrainte par un souci d’architecture.
Toujours soucieux d’allier poésie et musique, il invente le « poème symphonique ». À travers cette innovation, il atteint son objectif de créer la « musique de l’avenir » : le genre sera repris par des compositeurs comme Saint-Saëns, Moussorgski et Dvorak.
Liszt révolutionne aussi la direction d’orchestre en remplaçant le simple mouvement du bras par l’expressivité de tout le corps et du visage. Il développe une grande amitié pour Richard Wagner, dont il monte les opéras à Weimar.
La liaison de Wagner avec sa fille Cosima, l'un et l'autre étant déjà mariés, brouillera quelque temps les deux compositeurs avant que les deux amants ne finissent pas convoler.
En Allemagne, la « querelle des romantiques » fait rage. À Leipzig, on critique la liberté avec laquelle Liszt s’affranchit des règles des classiques viennois. Au poids de ces critiques s’ajoutent des soucis d’ordre personnel : Caroline n’est pas reçue à la cour et ne parvient pas à faire annuler son mariage.
Brouillé avec le grand-duc, Liszt part s’installer à Rome au début des années 1860. Il aspire à créer une nouvelle musique pour l’Église, une musique qu’il qualifie d’« humanitaire ». Il compose des messes et surprend l’Europe en devenant abbé.
Ses dernières années sont partagées entre Rome, Weimar et Budapest. Inventeur de la master-classe qui vient remplacer le cours individuel, il continue à enseigner inlassablement, entouré de disciples, dont de jeunes Américains.
Pour ses 75 ans, il est célébré dans toute l’Europe, même à Leipzig, fief du classicisme viennois, longtemps réfractaire à la « musique de l’avenir ». La même année, il meurt à Bayreuth.
Réconcilié avec Wagner, il a consacré beaucoup d’énergie au cours de ses dernières années à promouvoir la notoriété du festival de Bayreuth, au détriment de son œuvre propre.
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