Sitôt que tombe le mur de Berlin, en 1989, des nationalistes serbes s'empressent de rompre le fragile équilibre de la Fédération yougoslave. Cette construction multinationale issue des deux guerres mondiales n'avait tenu jusque-là que par la crainte de devenir le théâtre d'un affrontement entre Moscou et Washington.
Avec la fin de la guerre froide, les dissensions entre les différentes nationalités qui composent la Yougoslavie conduisent à une succession de conflits qui vont endeuiller l'Europe et renouer avec les mauvais souvenirs des deux guerres mondiales. Leur bilan humain est évalué à plus de cent mille morts, surtout en Bosnie-Herzégovine, à quoi s'ajoutent les viols de guerre, les blessés, les personnes chassées de leur foyer...
En 1986, un groupe d'académiciens de Belgrade publie un appel pour souhaiter que les Serbes retrouvent au sein de la Yougoslavie l'hégémonie auxquels ils auraient droit en vertu de leur rôle historique dans la résistance à l'occupant turc ou allemand.
Milosevic, chef du parti communiste de la République fédérative de Serbie, en voie de devenir le président de la République, enfourche les thèses nationalistes dès 1987 pour conquérir le coeur des foules, accéder au pouvoir absolu et le conserver.
Le 23 mars 1989, Milosevic abolit unilatéralement l'autonomie dont jouissait la province serbe du Kossovo (ou Kosovo en anglais), à l'égal des Républiques fédératives yougoslaves (Croatie, Bosnie-Herzégovine, Slovénie, Macédoine, Monténégro, Serbie). Il abolit également l'autonomie de la Voïvodine, une autre province de la République fédérative de Serbie qui compte 300 000 Hongrois.
Le 28 juin 1989, à l'occasion du 600e anniversaire de la bataille du Champ du Merle, un million de Serbes, soit le cinquième de la population adulte (!), font un triomphe à Milosevic lorsqu'il annonce un programme de « reconquête » du Kossovo, où 200 000 Serbes s'inquiètent de leur marginalisation face à près de 2 millions de musulmans de langue albanaise.
Les autres républiques de la Fédération, plus ouvertes sur l'Occident, s'inquiètent de la dérive guerrière de la Serbie.
En mai 1991 se produisent de premiers incidents sanglants entre Serbes et Croates. Le 13 juin, l'armée yougoslave, que dominent les Serbes, entame les premiers tirs d'artillerie en Slavonie (Croatie), dans la région de Vukovar. C'est le début effectif de la guerre.
Le 25 juin 1991, les Croates et les Slovènes proclament leur « désassociation » de la Fédération yougoslave. Sur les instances de la Communauté européenne, ils acceptent de surseoir à leur indépendance pendant trois mois à condition que les Serbes reviennent à une conception équitable des rapports fédéraux.
Leurs attentes sont trahies dès le 1er juillet suivant quand, le Croate Stipe Mesic ayant été légalement porté à la présidence de la Fédération yougoslave, la Serbie refuse de reconnaître son autorité !
Le 3 juillet 1991, les Slovènes, qui habitent au nord du pays, se heurtent à l'armée fédérale et la chassent sans difficulté de leur territoire. Ils deviennent de facto indépendants. Les Croates ont moins de chance. Ils doivent faire face à une invasion en règle par les Serbes de l'Armée populaire yougoslave, soutenus par les miliciens originaires de Krajina, une région de Croatie à population majoritairement serbe.
Les positions se radicalisent et Vukovar est copieusement bombardée dès le 30 août... Les Occidentaux ne s'en émeuvent pas outre-mesure car l'attention internationale est tournée vers Moscou où l'autorité de Gorbatchev a été réduite en miettes après une tentative de coup d'État de ses opposants. Pour se défendre, les Croates font appel à un homme énergique, le général Franjo Tudjman. Il s'agit d'un nationaliste croate qui fut en d'autres temps proche des extrémistes Oustachis.
Le 7 octobre, Mesic, vaincu par l'obstruction des Serbes, démissionne de la présidence yougoslave. De ce jour, la Fédération a cessé de vivre... Dans cette affaire, faut-il le rappeler ? Milosevic bénéficie d'une étonnante mansuétude de la part des Européens et en particulier du président français, François Mitterrand, lequel devient célèbre pour une phrase d'anthologie : « Il ne faut pas ajouter la guerre à la guerre ! ».
À l'issue d'un siège brutal, la ville croate de Vukovar tombe aux mains des Serves le 18 novembre 1991. Avec le concours des milices paramilitaires, l'armée commence à vider les provinces conquises de leurs populations allogènes (Croates, musulmans bosniaques, Hongrois...). vingt mille personnes quittent ces régions dans les pires conditions.
Là-dessus, c'est au tour de Dubrovnic, l'antique Raguse, perle de l'Adriatique, d'être à son tour soumise à des bombardements serbes.
Le 15 janvier 1992, la Communauté européenne se résout à reconnaître l'indépendance de la Croatie et de la Slovénie à défaut de pouvoir les défendre. La petite et misérable république de Macédoine, au sud de la Yougoslavie, devient entre-temps indépendante dans l'indifférence générale.
Chacun attend le tour de la Bosnie-Herzégovine. Cette république est une Yougoslavie en réduction, avec une population qui se partage à parts presque égales entre musulmans de langue serbo-croate, Croates catholiques et Serbes orthodoxes. À Sarajevo même, on ne compte plus les mariages intercommunautaires et la cohabitation paraît aller de soi... jusqu'au 28 mars 1992, quand des nationalistes serbes proclament une République serbe de Bosnie-Herzégovine.
Le 6 avril 1992, tandis que la Communauté européenne reconnaît l'indépendance de la Bosnie-Herzégovine, la capitale de la république est le théâtre d'une grande manifestation pacifique. L'armée serbe la brise par la violence et entame le long siège de Sarajevo. Il va faire 12 000 victimes parmi les habitants dans les trois ans qui suivent et laisser des séquelles durables.
La guerre de Bosnie se traduit par des cruautés sans nom. Les Serbes ouvrent des camps de concentration et systématisent la terreur. Les Musulmans et les Croates leur rendent la pareille. On évalue à 100 000 le nombre de morts de cette guerre sur une population de 4 millions d'habitants. La moitié de la population est déplacée ou exilée.
C'est de l'ouest que va surgir l'espoir avec l'élection de Jacques Chirac à la présidence de la République française ! Rompant avec la mansuétude de son prédécesseur à l'égard du président serbe Milosevic, le président prend fait et cause pour les Bosniaques et propose la création d'une Force de réaction rapide (Force de protection des Nations Unies, Forpronu).
Celle-ci est créée par l'ONU le 15 juin 1995. Forte de plus de dix mille hommes, elle s'interpose entre les combattants dès juillet 1995 en Bosnie-Herzégovine. En septembre 1995, de concert avec la Forpronu, l'OTAN elle-même engage des frappes aériennes sur les positions serbes de Bosnie afin de les affaiblir.
Le 14 septembre 1995, en dépit de plusieurs sursauts et massacres, dont celui de Srebrenica (8 000 morts), commis sous les yeux de la force de « paix » internationale, les Serbes doivent reconnaître leur défaite.
Les accords conclus à Dayton (Ohio, États-Unis) en novembre 1995, sous l'égide du président américain, débouchent sur un fragile partage de la république bosniaque entre Serbes d'un côté et Croato-Musulmans de l'autre. Ils donnent lieu à une signature officielle à Paris le 14 décembre 1995.
Après avoir perdu les guerres de Croatie et de Bosnie, les Serbes sont expulsés de terres où ils vivaient en paix depuis plusieurs siècles (ainsi de la Krajina croate). La faillite de la « Grande Serbie » a des effets contrastés sur le Monténégro et la Serbie :
Le Monténégro partage la langue, la culture et la religion du grand frère serbe (10 millions d'habitants). Mais ce petit pays de 600 000 habitants est plus ouvert aux idées occidentales du fait de sa façade maritime. Il est aussi fier d'avoir conservé son indépendance face à l'ennemi ottoman tout au long des siècles... Les désertions et les refus d'incorporation se multiplient parmi les jeunes Monténégrins mais Milosevic affecte l'indifférence car il a d'autres priorités que la remise au pas de la petite république.
Le Monténégro s'émancipe en catimini de la Serbie grâce à l'habileté de son président, Djukanovic. Il attendra le référendum du 21 mai 2006 pour reprendre son indépendance, perdue au lendemain de la Première Guerre mondiale.
En Serbie même, la majorité des habitants resserrent les rangs autour de Milosevic pour oublier la faillite de leur guerre en Croatie et en Bosnie ainsi que l'implication massive des milices et de l'armée dans le « nettoyage ethnique ». Les élections législatives de 1998 confortent le pouvoir de Milosevic en Serbie et offrent même une légitimité électorale aux criminels de guerre Arkan et Seselj.
Rassuré sur son maintien au pouvoir, Milosevic tourne son regard vers le Kossovo, une province montagneuse à peine plus grande que la Corse mais dix fois plus peuplée (2 millions d'habitants sur 10 000 km2). C'est le coeur historique de la nation serbe, là où Milosevic a célébré son accession au pouvoir. Mais depuis le XIXe siècle, du fait d'une immigration en provenance de l'Albanie voisine, sa population est devenue très majoritairement albanaise et musulmane, les Serbes ne représentant plus qu'un dixième de cette population.
Pendant les guerres de Croatie et de Bosnie, les Kossovars musulmans, peu désireux de devenir indépendants, ont fait le dos rond et enduré sans broncher la politique de « différenciation » mise en oeuvre par les Serbes. C'est ainsi qu'ils ont dû scolariser leurs enfants et se soigner en marge des institutions officielles, aux mains des Serbes. Ils ont espéré que la tourmente les épargnerait. Leur leader Ibrahim Rugova a cru que la non-violence triompherait dans son pays comme en Inde quelques décennies plus tôt.
Mais Milosevic entend briser les velléités indépendantistes de la province. Il frappe le Kossovo en mars 1998 avec une violence jamais encore atteinte depuis le début de la guerre en ex-Yougoslavie. 40 000 policiers serbes ratissent la province et font plus d'une centaine de victimes. L'agression serbe donne corps au mouvement indépendantiste et à la mystérieuse UCK (Armée de Libération du Kossovo).
Au début des troubles, certains bruits courent dans la presse selon lesquels l'UCK est soutenue en sous-main par Milosevic lui-même, qui cherchait des prétextes à son agression contre la province ! Avec la prolongation de la guerre et la multiplication des massacres d'innocents, tant Serbes que Kossovars, l'indépendance devient le seul objectif raisonnable pour les Kossovars.
Le 15 janvier 1999, le massacre de 45 musulmans dans le village de Raçak, dans des conditions troubles, scandalise l'opinion occidentale et entraîne l'ouverture de négociations à Rambouillet. Leur échec conduit l'OTAN à intervenir. Il s'ensuit 78 jours de bombardements « ciblés » de l'OTAN, y compris sur le coeur de Belgrade. Ces frappes, émaillées de meurtrières bévues et de « dommages collatéraux » selon les éléments de langage américains, font environ deux mille morts, essentiellement des civils. Elles sont dénoncées par les ONG comme des violations du droit humanitaire international.
L'armée serbe, impuissante face à ces bombardements, se venge sur la population musulmane du Kosovo dont la moitié est amenée à fuir.
Là-dessus, l'OTAN se prévaut de l'urgence de prévenir des exterminations massives de civils pour envahir le Kossovo en juin 1999 sans attendre l'aval de l'ONU. La province devient dès lors un protectorat de l'alliance atlantique, tout en restant nominalement sous la souveraineté serbe. Le Parlement kossovar proclame unilatéralement l'indépendance du Kossovo le 17 février 2008, au grand dam de l'ONU et de la communauté internationale, soucieux de préserver les droits de la minorité serbe et l'intégrité au moins théorique de la Serbie.
En contradiction avec le droit international, les Occidentaux reconnaissent le nouvel État, à quelques exceptions près (comme l'Espagne, qui craint que ce précédent ne soit exploité par la Catalogne). Quinze ans plus tard, sur les 193 États représentés à l'ONU, 136 ont reconnu l'indépendance du Kossovo ; les autres, qui représentent l'écrasante de la population humaine (Chine, Inde, Indonésie, Brésil, Russie, etc.), se sont abstenus ou ont voté contre l'indépendance (note).
En Serbie, l'espoir renaît avec les élections présidentielles du 24 septembre 2000 qui portent au pouvoir un austère professeur de droit constitutionnel de 56 ans, nationaliste autant qu'anticommuniste, Kostunica. Belgrade explose de joie et le régime national-communiste de Milosevic s'écroule en douceur tandis que son chef doit reconnaître sa défaite électorale.
Le 1er avril 2001, Milosevic est incarcéré sous l'inculpation de corruption. Karadzic est à son tour arrêté et extradé de Serbie en 2008. Le 25 mai 2011, c'est au tour de Mladic, le « bourreau de Srebrenica », d'être arrêté en Serbie après une longue traque. L'un et l'autre sont déférés à La Haye (Pays-Bas), devant le Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie qui a été créé le 22 février 1993 par l'ONU ; c'est le premier du genre avant celui du Rwanda et la création de la Cour pénale internationale en 2002
En 2003, la Yougoslavie cesse officiellement d'exister. Elle est remplacée par la Serbie-Monténégro, qui deviendra Serbie en 2006 suite à la scission d'avec le Monténégro.
Slobodan Milosevic est né le 29 août 1941 à Pozerevac (Serbie), d'un père monténégrin, rongé par la folie, qui se suicidera en 1962 et d'une mère qui se pendra en 1974. La mère de son épouse Mirjana a été fusillée par les résistants, en 1942, sous l'accusation d'avoir livré à la Gestapo son réseau de résistance. Milosevic a lui-même été incarcéré à La Haye (Pays-Bas) après sa chute et il s'est suicidé en prison en 2006 sans qu'ait pu aboutir son interminable procès pour crime contre l'humanité.
Sur l'ascension de Milosevic et son lourd passif familial, on peut lire la biographie parue dans le quotidien Le Monde (vendredi 2 avril 1999).
Sur les racines du drame yougoslave, on peut lire le livre passionné de l'universitaire Paul Garde : Vie et mort de la Yougoslavie (Fayard).
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WELTZ Raphaele (01-06-2023 11:12:54)
Pour rappel, quand les Etats-Unis et l'OTAN ne font que de reprendre la solution en son temps de l'Etat Autriche-Hongrie qui est intervenue pour soi disant résoudre le conflit en finissant la Bosnie Herzégovine le 5 octobre 1908 ce qui conduira comme solution pacifiste, à la Première guerre Mondiale ....l'Histoire nous apprend en effet que le droit d'ingérence est une violation pure et simple de la Raison ,au service de l'impérialisme . L'occident n'en a pas fini avec sa politique d'expansionnisme à tout va, au nom de ses principes et valeurs par les armes.....
Rappel des faits Wikipédia :
Le mécontentement de la population serbe conduit à l'insurrection de la Bosnie-Herzégovine en 1875-1877.
L'Autriche-Hongrie réclame alors le droit d'occuper et d'administrer le vilayet pour y rétablir l'ordre. Elle obtient l'accord des grandes puissances par le traité de Berlin du 13 juillet 18782 ainsi que le droit de tenir garnison et d'avoir des routes militaires et commerciales dans le sandjak de Novipazar. Cependant, la conquête austro-hongroise se heurte à une résistance acharnée des habitants, musulmans et chrétiens, qui ont renversé l'administration ottomane et refusent toute domination étrangère. La prise de Sarajevo par l'armée austro-hongroise donne lieu à des destructions et massacres. Peut-on me citer des cas où cette ingérence a réussi? En Irak, en Lybie , en Afghânistân ??? Continuons comme cela et on verra bien la suite....
thorepenn (29-06-2017 10:07:43)
Il faut remarquer que le Kosovo est le berceau de la Serbie.A la fin de la guerre de 39/45 le Kosovo comptait 50000 serbes et très peu d'Albanais musulmans,lors de la guerre du Kosovo les Serbes étaient toujours 50000 mais les ALBANAIS étaient 2000000.Aujourd'hui les serbes chrétiens orthodoxes sont traqués par les" Kosovars" musulmans qui commencent à envahir le Montènègro qui, lorsque les Albanais seront assez nombreux transformerons celui ci en République Islamique et rongerons petit à petit les Balkans ,participant ainsi à l'Islamisation de l'Europe par le Sud Est.