Qui se douterait que le Japon, qui occupe aujourd'hui une place majeure dans le monde, était proprement inconnu des Européens avant les grandes explorations maritimes du XVIe siècle ?
C'est tout juste si le voyageur vénitien Marco Polo l'a évoqué par ouï-dire à la fin du XIIIe siècle et c'est en 1542 seulement qu'un navire européen, portugais en l'occurrence, accoste sur l'archipel.
Son histoire est pourtant très similaire à celle des États européens. Ainsi la société japonaise est-elle la seule, en dehors de l'Europe, à avoir connu une féodalité.
Elle plonge aussi dans la nuit des légendes. Les mythes nationaux font remonter la fondation de la dynastie impériale, toujours en fonction, à la déesse Amaterasu Omikami (660 av. J.-C.).
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Situé sur la « ceinture de feu » (chapelets de volcans) du Pacifique, l'archipel nippon s'étire des latitudes sibériennes à la zone intertropicale. Il comprend du nord au sud les îles d'Hokkaïdo, Honshu (ou Hondo), Shikoku et Kyushu, ainsi que les îles Riu Kiu (ou Riou Kiou), dont la principale est Okinawa.
Dans la nuit des temps
Les quatre grandes îles de l'archipel (du nord au sud, Hokkaïdo, Honshu ou Hondo, Shikoku et Kyushu) ont plusieurs fois au cours de l'ère quaternaire été reliées au continent, du fait de l'abaissement du niveau des océans à la faveur des grandes glaciations. C'est ainsi qu'elles ont pu accueillir de grands mammiphères tels des mammouths et aussi des hommes venus à pied du continent.
L'archipel a d'abord été peuplé par des chasseurs-cueilleurs de type caucasien (Blancs), les Aïnous ou Aïnos. Aujourd'hui refoulés dans l'île d'Hokkaïdo, ils ne sont plus guère que quelques milliers, en bonne partie métissés. Plus tard arrivèrent les Japonais actuels, en provenance de la péninsule coréenne.
De ce fait, les civilisations palélolithiques sont apparues assez tardivement dans l'archipel, sans doute pas avant 25 000 ans BP (Before Present) comme le montrent des outils bifaces de type acheuléen découverts au nord-ouest de Tokyo.
La première civilisation référencée, dite Jômon (« cordée ») se forme au VIIIe millénaire av. J.-C. et s'épanouit entre -2 500 et 300 av. J.-C.
Ses membres sont divisés en de nombreux clans. Ils manifestent un remarquable sens artistique comme l'attestent les trouvailles archéologiques en céramique.
C'est aussi à la fin de l'époque Jômon que se constitue l'actuelle religion nationale du Japon, le shintô ou shintoisme, une religion animiste qui repose sur l'adoration des kami, des milliers d'esprits qui habitent l'espace naturel.
Comme la civilisation Jômon est installée dans un biotope riche en ressources marines et en produits de la forêt, elle en reste longtemps au stade de la cueillette et ne fera la place à l'agriculture que dans les derniers siècles avant notre ère.
À la civilisation de Jômon succède l'« époque Yayoi » (IVe siècle av. J.-C. - IIIe siècle après J.-C.), sans doute avec des nouveaux-venus établis au sud de la grande île d'Honshu.
Ils amènent avec eux le riz et surtout la manière de le cultiver. Ils amènent également la métallurgie du bronze au début de notre ère puis la métallurgie du fer. Avec eux, l'État nippon entre dans l'Histoire.
À l'« époque Kofun », dite des grandes sépultures (de 250 après J.-C. à la fin du VIe siècle environ), les Japonais ensevelissent leurs morts sous des tumulus surmontés de haniwa (cylindres de terre cuite aux formes artistiques). Ces sépultures contiennent des objets en céramique et en bronze et des armes.
Par l'intermédiaire de leurs voisins coréens, les Japonais adoptent peu à peu l'écriture chinoise et se dotent d'une administration embryonnaire. Avec en plus la domestication des chevaux et la fabrication d'armures métalliques, il s'ensuit la constitution de grandes armées et d'un premier pouvoir centralisé.
Celui-ci, l'État de Yamato, absorbe les nombreux clans du centre et du sud du Japon. Tous ces clans se réclament de la filiation d'un même ancêtre. La famille régnante elle-même prétend descendre de la déesse du soleil Amaterasu.
À la fin du IVe siècle, les Japonais deviennent assez forts pour débarquer en Corée et y établir un petit État nippon, qui perdure pendant deux siècles.
Naissance d'un État
Aux VIe et VIIe siècles (qui correspondent en Occident à l'époque mérovingiensne) se met en place une aristocratie sous l'autorité nominale de l'empereur ou Tennô (souverain céleste du Pays du Soleil levant), auquel est reconnu une ascendance divine. C'est l'« époque d'Asuka », du nom de la résidence impériale. Elle marque l'entrée effective du Japon dans l'Histoire.
Par le biais d'échanges commerciaux et de guerres, sous la direction du clan Soga, les Japonais de cette époque bénéficient de l'apport civilisateur de la Chine et de la Corée proches. Ils accueillent le bouddhisme, qui devient religion d'État en 594 et s'additionne au shintoïsme sans le combattre. Avec le bouddhisme, la crémation supplante l'inhumation comme rituel funéraire, mettant fin à l'art des haniwa.
Empereurs et impératrices se succèdent sur le trône, sans discrimination fondée sur le sexe du souverain. La centralisation se renforce et le nombre de fonctionnaires augmente. En 701, l'empereur Mommu structure le pays à la manière chinoise, en créant 66 provinces, ancêtres des actuelles préfectures.
Les Japonais de l'époque d'Asuka adoptent la manière de leurs contemporains chinois de s'asseoir à même le sol.
Quand plus tard, les Chinois se convertissent à l'usage de tables hautes et de chaises, les Japonais, repliés sur leur archipel, négligent cette nouveauté mais innovent de leur côté avec le tatami, tapis en paille de riz apparu au XIVe siècle et destiné à recouvrir le sol des habitations.
Autre exemple d'innovation endogène : via la Corée, les Japonais empruntent aux Chinois les idéogrammes Kanji mais ne tardent pas à les compléter avec environ 90 caractères proprement japonais de type syllabique : hiragana et katakana.
En 710, l'impératrice Gemmyo rompt avec la tradition selon laquelle chaque nouvel empereur établissait une capitale différente des précédentes.
Elle installe sa capitale à Nara, au sud de la grande île d'Honshu. La construction de cette ville impériale, au plan en damier à la chinoise, symbolise la conception autoritaire d'un État dont le pouvoir s'est beaucoup accru au fil des ans.
Les techniques d'irrigation se développent, de même que l'élevage des vers à soie. Les premières monnaies japonaises sont fondues.
En cette « époque de Nara » naît aussi la littérature japonaise.
En 794, l'empereur Kammu déplace sa résidence à Heian (plus tard Kyoto, siège de la cour impériale jusqu'en 1868). Là s'épanouit la vie de cour (à la même époque, Charlemagne place l'Occident sous son sceptre).
Le pouvoir est très vite monopolisé par la famille des Fujiwara qui s'octroient la charge de kampaku (régent) et marient leurs filles aux empereurs. Habiles administrateurs, les Fujiwara préservent une paix relative dans l'ère de peuplement nippon ; principalement le sud de l'île d'Honshu.
Féodalité façon japonaise
Au tournant du XIIe siècle, l'État nippon est encore pour l'essentiel confiné dans la province du Shinkansen, au sud de la grande île de Honshu (ou Hondo), sur les bords de la mer Intérieure. Il entame alors son expansion vers les terres sauvages du nord de l'île. Dans les régions frontalières se dresse une noblesse guerrière de type féodal. C'est ainsi qu'à côté des splendeurs de la cour se développe la caste des guerriers (bushi), appelés samouraïs (serviteurs) dans la langue populaire.
En 1183, la guerre de Genpei voit s'affronter deux clans princiers. Le vainqueur, un chef prestigieux du nom de Minamoto no Yoritomo, impose en 1192 un gouvernement militaire parallèle à celui de l'empereur. C'est le bakufu (« gouvernement de la tente »). Son siège est fixé à Kamakura, à 60 km de l'actuelle Tokyo.
Yoritomo obtient le titre de shôgun (« général chargé de la lutte contre les barbares »). Il assume la réalité du pouvoir au détriment de l'empereur, cantonné à Kyoto. Un premier code, le bushido (« voie du guerrier »), fixe de façon très rigoureuse les devoirs des guerriers et des serviteurs du shôgun en conformité avec la morale confucianiste. Ainsi naît la féodalité japonaise.
Le shogunat Ashikaga
À la fin du XIIIe siècle, les Mongols, qui se sont déjà rendus maîtres de la Corée, tentent d'envahir le Japon. Mais si l'on en croit les chroniques, un typhon, ou kamikaze (« vent des dieux »), aurait dispersé leurs troupes et fait échouer l'invasion. Le shôgun n'est pas moins affaibli par ces attaques étrangères.
L'empereur Go-Daigo veut en profiter pour reprendre le pouvoir en 1333. Il parvient à abattre le shogunat de Kamukura avec le soutien d'un clan militaire, les Ashikaga. Mais Ashikaga Takauji se retourne trois ans plus ans plus tard contre l'empereur et défait ses troupes à la bataille de la rivière Minato. Il rétablit en 1338 le shogunat à son profit et installe le siège du bakufu à Muromachi. Il intronise un nouvel empereur à Kyoto.
Mais l'empereur déchu ne renonce pas. Il fonde une autre cour dans les montagnes de Yoshino, au sud de Nara, la « cour du Sud », et ses partisans ne vont cesser de se heurter à ceux du shôgun.
La paix revient enfin en 1392 quand Ashikaga Yoshimitsu, petit-fils de Takauji, met fin à la « Période des cours du Sud et du Nord » et réintègre la première à Kyoto.
Le shogunat se reconnaît vassal de la Chine des Ming. Le pays s'ouvre au commerce international, via le port méridional de Nagasaki, grâce à une classe active de marchands.
Muromachi, le quartier de Kyoto où réside le shôgun, connaît une grande effervescence artistique, influencée par les Ming, et voit à la fin du XIVe siècle l'apparition d'une forme inédite de théâtre lyrique, le nô, un spectacle raffiné, stylisé et composite, qui mêle pantomimes, danses, chant...
Révolution politique
Dans le même temps où le Japon s'ouvre à la Chine et à l'Occident, les Ashikaga n'arrivent pas à restaurer l'autorité des anciens shôguns. Ils doivent faire face à la montée en puissance des daimyo (« grands noms »), environ 250 seigneurs locaux héréditaires, proches de la paysannerie, qui se partagent l'essentiel du territoire et se font des guerres incessantes.
Le pays est à ce point divisé qu'il est surnommé Sengoku (« pays en guerre »). Il va être réunifié sous l'action de trois chefs de guerre successifs :
Le premier, Oda Nobunaga (39 ans), renverse en 1573 le shôgun Ashikaga, autrement dit le maire du palais qui administre le pays au nom de l'empereur. Nobunaga devient dictateur (gondaïnagon), combat les sectes bouddhistes militaires et soumet les grands seigneurs féodaux des régions centrales, les daimyo. Les guerres privées se raréfient.
Le 29 juin 1575, le dictateur affronte le clan Takeda à Nagashino. Cette bataille a donné lieu à un film mémorable d'Akira Kurosawa en 1980 : Kagemusha. Elle met aux prises des dizaines de milliers d'hommes et se signale par l'utilisation à grande échelle des armes à feu.
Mettant à profit les enseignements des Occidentaux, Nobunaga équipe ses troupes de 3.000 mousquets. C'est ainsi que, pour la première fois dans l'histoire du Japon, des fantassins ont raison d'une armée de cavaliers bushi (nom donné aux chevaliers du Moyen Âge japonais).
Devenu paranoïaque et désireux de se faire adorer comme un dieu, Nobunaga est poussé au suicide.
Toyotomi Hideyoshi (46 ans), lieutenant de Nobunaga, poursuit l'oeuvre unificatrice de ce dernier et soumet les féodaux. Il tente même de conquérir la Corée.
En vue de stabiliser le pays, il promulgue deux édits, l'un pour interdire à toute personne n'appartenant pas à la classe militaire de porter des armes, l'autre pour interdire aux paysans de changer de métier.
Il fait construire à la fin du XVIe siècle un millier de châteaux-forts pour quadriller le pays utile , surveiller les villes et contenir l'anarchie féodale. De ces châteaux, construits en bois pour résister aux séismes, il ne reste cependant que des gravures.
À la veille de sa mort, en 1598, il demande à ses cinq principaux vassaux de prêter serment de loyauté à son fils qui n'est encore qu'un enfant.
C'est finalement l'un de ces vassaux, Ieyasu Tokugawa (58 ans), ancien lieutenant de Nobunaga, qui emporte la mise.
Il s'approprie le pouvoir et défait ses adversaires les 20 et 21 octobre 1600, à Sekigahara, dans une grande bataille qui met aux prises près de 200.000 hommes. C'en est fini des guerres entre seigneurs daimyo.
En 1603, Tokugawa Ieyasu rétablit le shogunat. Il établit le nouveau bakufu (gouvernement shogunal) à Edo (aujourd'hui Tokyo). Ainsi s'ouvre l'ère d'Edo ou ère Tokugawa.
Situé à l'extrémité du Vieux Monde, face à l'immensité de l'océan Pacifique, l'archipel du Japon est connu des Occidentaux par les on-dit de Marco Polo, au XIVe siècle seulement. Christophe Colomb rêve d'atteindre cet empire mythique du bout du monde que Marco Polo appelait Cipango.
C'est à la faveur d'une tempête qu'un premier navire européen touche l'île de Tanegashima en 1543. Il s'agit de commerçants portugais en provenance du port chinois de Macao. De retour chez eux, ils donnent des précisions sur le mystérieux empire et sa société féodale, qui rappelle le Moyen Âge européen avec sa noblesse terrienne et sa classe de chevaliers.
Arrivent alors des navires marchands chargés d'épices. Ils reçoivent bon accueil des Japonais et sont rapidement suivis de missionnaires catholiques. Le premier est l'un des fondateurs de la Compagnie de Jésus, Saint François-Xavier. Sa foi et son ardeur lui valent de convertir en deux ans, de 1549 à 1551, des villages entiers. Trente ans après son passage, on compte 150.000 convertis et 200 églises, principalement autour de Nagasaki, sur l'île méridionale de Kyushu.
Les Portugais sont suivis des Hollandais, de redoutables concurrents prêts à tout pour chasser leurs prédécesseurs. Les nouveaux-venus introduisent dans l'archipel lles techniques et les idées de la Renaissance occidentale. Les Japonais adoptent ces nouveautés avec empressement comme ils ont beaucoup plus tôt adopté celles venues de Chine. Mais ils s'irritent aussi des conflits entre Portugais et Hollandais.
Prenant le contrepied de ses prédécesseurs, le shôgun Tokugawa Ieyasu extermine cruellement les chrétiens de l'archipel, chasse les Portugais et cantonne les Hollandais sur un îlot.
Vos réactions à cet article
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Annimage (14-09-2023 16:23:11)
Excellent, compliqué mais très très interessant.
Merci de nous faire sortir de notre continant.
FLOCH (25-11-2020 21:44:48)
Excellent article, de qualité. Que de lecture ! ça va trop vite !!!! quel était "l'art des Haniwa"? merci bonne continuation
MELLON (25-11-2020 18:35:44)
Merci à vous pour cet article passionnant sur le Japon
Mon arrière grand père De Lucy Fossarieu était ambassadeur de France à Kobé Une de ses filles est devenue ma grand mère dont le mari était amiral de la Flotte à Toulon et qui a vécu les Drames de Mers-el Kebir le 3 et 6 juillet 1940 et le drame du Sabordage de la flotte à Toulon le 27 novembre 1942