La Seconde République naît le 22 février 1848 d'une révolte contre le régime timoré et ennuyeux de Louis-Philippe Ier, la « Révolution de Février ».
Ses meneurs, parmi lesquels le poète Lamartine, sont pour la plupart de vieux républicains qui cultivent le souvenir de la grande Révolution et de la première République française, née le 22 septembre 1792, décédée sous l'Empire, aux alentours de 1806. Ils constituent un gouvernement provisoire sans attendre, avec le souci de ne pas se faire voler leur révolution comme leurs aînés de 1830 et des « Trois Glorieuses ».
Sur une idée du socialiste Louis Blanc, le gouvernement provisoire crée le 28 février des ateliers de bienfaisance pour procurer aux chômeurs un petit revenu en échange d'un travail symbolique.
Il publie dans la foulée, le 2 mars, un décret réduisant d'une heure la durée de la journée de travail pour tous les salariés parce que, selon ses termes, « un travail manuel trop prolongé non seulement ruine la santé mais en l'empêchant de cultiver son intelligence porte atteinte à la dignité de l'homme ». C'est ainsi que la journée de travail tombe à... dix heures à Paris et à onze en province (serait-ce que le travail est plus éprouvant à Paris qu'ailleurs ?).
Bien entendu, le gouvernement ne s'en tient pas là. Il prépare aussi l'élection d'une Assemblée constituante en vue de donner au pays des institutions stables. À cette fin, le 5 mars 1848, il instaure généreusement et pour la première fois au monde le suffrage universel (masculin). Il n'est plus question comme sous les régimes antérieurs de réserver le droit de vote à une centaine de milliers de bourgeois réputés assez riches pour être capables de voter avec discernement et en toute indépendance (suffrage censitaire).
Les élections ont lieu les 23 et 24 avril dans la précipitation.
Trois jours après, le 27 avril 1848, avant que ne se réunisse la nouvelle assemblée, le gouvernement publie les décrets d'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises à l'initiative du ministre des colonies Victor Schoelcher. Sont concernées essentiellement les vieilles colonies héritées de l'Ancien Régime dont l'économie repose encore sur les grandes plantations sucrières.
Ateliers de bienfaisance, temps de travail, suffrage universel, esclavage... Tant de générosité inquiète les nouveaux élus conservateurs. Ceux-ci se regroupent dans une mouvance qui s'honore du qualificatif de « Parti de l'Ordre ». Ils ne vont avoir de cesse de ramener la République dans le « droit chemin » et vont réussir au-delà de toute espérance.
Contre toute attente, le suffrage universel a amené à l'Assemblée une forte majorité de députés conservateurs, méfiants à l'égard du peuple ouvrier de Paris. Dans les campagnes, en effet, par résignation, ignorance ou intérêt, les paysans ont massivement voté pour le notable de leur cru. Ils pouvaient difficilement faire autrement, le vote se faisant sur des registres et non à bulletin secret (celui-ci ne sera adopté que le 22 juillet 1913).
Sur 900 élus, on compte en définitive 500 républicains modérés, 300 monarchistes et une centaine de socialistes et démocrates, ainsi qu'une poignée de bonapartistes.
Le 4 mai, l'Assemblée proclame solennellement la République et, le lendemain, le gouvernement provisoire lui remet ses pouvoirs. Dans l'attente d'une Constitution, c'est à partir du 10 mai une Commission exécutive issue de l'Assemblée qui dirige le pays. Comme l'ancien Directoire (1795-1799), elle compte cinq membres, des républicains de mérite qui vont être dépassés par les événements et surtout écrasés par la pression de l'Assemblée : François Arago, président de la Commission et chef d'État virtuel, Garnier-Pagès, Marie, Lamartine et Ledru-Rollin.
L'administration des Ateliers nationaux est confiée à un conservateur, Marie, qui va s'employer à les disqualifier. Tandis que les effectifs employés croissent vertigineusement de 25 000 à près de 120 000, on ne leur confie aucun travail susceptible de concurrencer une entreprise privée. Les députés conservateurs ont beau jeu de dénoncer l'inanité du système et le danger qu'il représente pour la République. La Commission décide donc, le 20 juin 1848, de supprimer les Ateliers nationaux avec l'espoir d'étouffer ainsi l'agitation ouvrière. C'est le contraire qui survient.
Les ouvriers descendent dans la rue et dressent des barricades. La répression est impitoyable et meurtrière. Ces tragiques Journées de Juin 1848 ont pour résultat de couper la IIe République de sa base populaire. Signe des temps, le 9 septembre 1848, le décret du 2 mars sur la journée de dix heures est abrogé.
Le vote de la Constitution, le 4 novembre 1848, est suivi de très près par les élections présidentielles, les modérés ayant le souci de stabiliser au plus vite les institutions.
Au scrutin présidentiel du 10 décembre, l'absence d'une opposition républicaine de gauche et le discrédit dans lequel sont tombés les républicains permettent au prince Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de l'Empereur, de se faire élire président de la République sans trop de mal, en promettant la paix et des réformes sociales.
Le nouveau président et ses ministres, choisis parmi les monarchistes modérés, vont avoir soin désormais de se démarquer des républicains, lesquels ne sont guère en faveur dans la France rurale et la bourgeoisie d'affaires.
Aux élections législatives du 13 mai 1849, précédées d'une intense campagne électorale, s'opposent pour la première fois deux mouvances bien définies :
- d'un côté le « Parti de l'Ordre », qui réunit tous les conservateurs (royalistes légitimistes et royalistes orléanistes, bonapartistes...) autour d'un slogan : Ordre, Propriété Religion,
- de l'autre, la gauche républicaine qui a emprunté aux révolutionnaires d'antan le nom de « Montagne », de quoi effrayer pour de bon les modérés.
Entre ces deux extrêmes, les républicains modérés (les « hommes de 48 », tels Lamartine, Marie...) sont laminés. Le scrutin ne leur donne qu'environ 70 sièges sur 715. Les montagnards en remportent 200 et le Parti de l'Ordre 450 ! Les conservateurs et les monarchistes, qui auraient toutes les raisons de se réjouir, s'inquiètent en fait de la poussée de l'extrême-gauche montagnarde et de sa solide implantation géographique, qui coïncide encore peu ou prou avec les départements dévoués à la gauche.
Sans attendre, la nouvelle majorité et le gouvernement d'Odilon Barrot mettent en application leurs convictions en ordonnant au corps expéditionnaire du général Nicolas Oudinot, à Rome, de restaurer par la force le pape, chassé par une révolution républicaine.
C'est chose faite le 3 juin. Le montagnard Alexandre Ledru-Rollin proteste dès le 11 et interpelle le gouvernement.
Maladroitement, le Comité directeur de la Montagne en appelle au peuple le surlendemain. C'est un échec.
À Paris, le peuple, qui se souvient d'avoir été lâché par les républicains pendant les Journées de Juin, reste coi. Les députés montagnards, qui s'étaient réunis pour une manifestation pacifique, doivent s'enfuir pour échapper à l'arrestation. À Lyon, apprenant cela, les ouvriers de la Croix-Rousse et de la Guillotière s'en prennent le surlendemain aux forces de l'ordre. On relève 80 morts et blessés chez les soldats, 150 chez les ouvriers.
La répression anti-républicaine s'exprime dès lors sans retenue. Beaucoup de députés montagnards sont arrêtés ou contraints à l'exil, les préfets républicains sont démis, les instituteurs et enseignants placés sous surveillance de même que les journalistes... La loi Falloux, qui fait entrer les congrégations religieuses dans l'enseignement, couronne cette reprise en main.
Il n'empêche que les républicains, d'élection partielle en élection locale, progressent dans les urnes. Ils gagnent en particulier des suffrages dans les campagnes touchées par la crise économique et - fait nouveau - un début de récession démographique et d'exode rural (pour la première fois, des départements et des arrondissements ruraux voient leur population décroître).
Les observateurs envisagent un triomphe républicain aux élections prévues en 1852, pour le renouvellement de l'assemblée et l'élection d'un nouveau président ! Qu'à cela ne tienne ! L'Assemblée vote à la va-vite le 31 mai 1850 une loi qui restreint drastiquement le suffrage universel, après qu'Adolphe Thiers eut vilipendé « la vile multitude » : elle impose en particulier d'avoir résidé au moins trois ans dans un canton pour pouvoir y voter. Les électeurs, qui étaient près de 10 millions en 1848, ne sont plus que 7 millions (dans un pays de 35 millions d'habitants).
Le président Louis-Napoléon-Bonaparte, habilement, soutient sans mot dire l'action de son gouvernement et de l'Assemblée mais lui-même soigne sa différence et se présente en arbitre au-dessus de la mêlée, parcourant le pays et multipliant les discours bien intentionnés et consensuels. Ainsi soigne-t-il sa popularité et prépare-t-il le moment où il pourra renverser la République discréditée par ses outrances.
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