Ceylan

Une « perle à l'oreille de l'Asie »

Ceylan (aujourd'hui Sri Lanka) est une île tropicale et balayée par les moussons, ancrée dans l'océan Indien, qui mérite oh combien! le joli qualificatif de l'écrivain Francis de Croisset : une « perle à l'oreille de l'Asie » ! Mais pourquoi a-t-il donc fallu qu'un conflit hérité de la colonisation anglaise vienne assombrir ce morceau de paradis ?

Béatrice Roman-Amat
Une perle de l'océan indien

À une centaine de kilomètres des côtes indiennes, Sri Lanka (« île resplendissante ») abrite environ 20 millions d'habitants sur 65.000 km2 (deux fois la Belgique). Près d'un million vivent à Colombo, la capitale, au bord de l'océan Indien. Les touristes lui préfèrent Kandy. Jolie ville lovée dans une boucle de la plus grande rivière du Sri Lanka, à 500 m d'altitude, Kandy est célèbre pour son temple qui renferme une dent de Bouddha. Pendant trois siècles, ce fut la capitale d'un royaume qui résista aux assauts des Portugais et des Hollandais avant de disparaître sous la pression des Britanniques.
Les Cinghalais, majoritairement bouddhistes, rattachés à la tradition du bouddhisme originel, ou du Petit Véhicule, composent 75% de la population, contre 15% pour les Tamouls hindouistes. Le pays compte également des minorités musulmanes et chrétiennes.
Cette complexité ethnique se reflète sur le drapeau sri lankais, divisé en deux parties inégales. Sur la gauche, les minorités sont figurées par deux fines bandes : la verte pour les musulmans, l'orange pour les Tamouls. Sur le reste du drapeau trône un lion brandissant un glaive, symbole du royaume de Kandy. Aux quatre angles, les feuilles de l'arbre sacré rappellent le bouddhisme, religion nationale.

L'industrie textile, l'agriculture (production de thé, de caoutchouc, de noix de coco), la pêche, les pierres précieuses et le tourisme constituent les principales sources de revenu du pays.

À la remorque de l'Inde

Ceylan entre dans l'histoire quand elle est conquise, au Ve siècle avant JC, par des envahisseurs aryens venus du nord de l'Inde, qui refoulent vers les forêts de l'intérieur la population indigène, les Veddas. Au IIIe siècle, l'île accueille avec ferveur les missionnaires bouddhistes envoyés par l'empereur Açoka et restera dès lors fidèle à la nouvelle religion, à la différence de l'Inde continentale, rapidement revenue à l'hindouisme.

Aux XIVe et XVe siècles, tandis que les Tamouls venus d'Inde établissent un royaume florissant dans la péninsule de Jaffna, au nord de l'île, des princes cinghalais fondent toute une série de capitales éphémères. Une exception : Kandy, au centre d'un puissant royaume jusqu'en 1815.

Grandeur et décadence du royaume de Kandy

Les premiers rois de Kandy sont d'origine locale, mais des rois originaires d'Inde du sud leur succèdent. Une administration fondée sur le système des castes et sur la notion de service se met en place. Ce système féodal, proche de celui de l'Occident carolingien, est adapté à un contexte de guerres fréquentes contre les voisins du royaume. Le roi possède le sol et attribue des fiefs aux officiers ; les paysans lui doivent des corvées.

La prospérité du royaume permet une renaissance religieuse. De hauts dignitaires viennent du Siam pour restaurer la tradition du bouddhisme originel qui avait parcouru le chemin inverse quelques siècles plus tôt.

Sanctuaire de Bouddha à Polonnaruwa, ancienne capitale du Sri Lanka.

Les Européens à la conquête de Ceylan

En 1505, les Portugais débarquent à Ceylan, sur les traces des commerçants arabes et de Marco Polo lui-même qui avait gardé un souvenir ébloui de l'île. Les nouveaux-venus espèrent mettre à mal la domination des musulmans sur le commerce des épices, car l'île produit de la cannelle. Les premiers autochtones qui aperçoivent des Portugais restent perplexes à la vue de ces hommes blancs qui « mangent des pierres blanches et boivent du sang » (du pain et du vin).

Les Portugais construisent un fort à Colombo mais se heurtent à la résistance du royaume de Kandy quand ils cherchent à pénétrer dans les hautes terres du centre de l'île. De 1593 à 1638, ils tentent de faire tomber le royaume et brûlent et pillent cinq fois Kandy mais leurs troupes finissent toujours par se faire massacrer.

Ces échecs successifs contribuent au déclin des Portugais, supplantés à Ceylan par de nouveaux venus : les Hollandais. Le roi de Kandy s'allie avec eux pour faire déguerpir les Portugais. En 1659, Jaffna, leur dernière place forte, tout au nord du pays, tombe aux mains des Hollandais. Ceux-ci adoptent une attitude plus prudente que leurs prédécesseurs vis-à-vis du royaume de Kandy. Ils ne l'attaquent pas de front et se contentent de commercer sur les côtes. Comme les Portugais, ils s'installent sur l'île pour environ 150 ans.

Paradoxalement, les Portugais, en dépit de leur violence, laissent beaucoup plus de traces derrière eux que ne le feront les Hollandais : la religion protestante ne supplante pas la religion catholique dans le cœur des convertis et de nombreux noms de famille gardent encore aujourd'hui la marque du passage des Portugais.

À partir du milieu du XVIIIe siècle, le système féodal en vigueur à Kandy commence à dégénérer. Des tensions apparaissent entre l'aristocratie cinghalaise et les rois, entourés d'Indiens du continent. Parallèlement, les Hollandais se lancent à leur tour dans des expéditions contre Kandy. Mais leur déclin commercial est amorcé et l'Angleterre désire profiter de la disparition de l'empire moghol pour assurer sa suprématie sur le sous-continent indien. Pendant les guerres de la Révolution en Europe, la France occupe les Pays-Bas. Réfugiés à Londres, les responsables hollandais autorisent l'Angleterre à prendre le contrôle de Ceylan (1796). Le traité d'Amiens confirme cette donation.

Les Britanniques introduisent la question tamoule

Au début du XIXe siècle, le dernier roi de Kandy, Sri Wickrama, mène une politique de terreur : il fait empaler et supplicier bon nombre de ses sujets, ce qui lui vaut de perdre le soutien du peuple comme de l'aristocratie. Les Britanniques en profitent en 1803 pour lancer une première expédition contre son royaume. En 1815 enfin, Kandy tombe entre leurs mains. Ceylan se trouve dès lors entièrement sous leur domination.

Le thé à l'origine de la guerre civile

Les Britanniques remplacent la culture de la cannelle par celle du café puis du thé. Ils se mettent alors en quête d'une main-d'œuvre disponible toute l'année pour ces nouvelles cultures, en raison du repiquage et des moissons nécessaires à la riziculture. Ainsi se tournent-ils vers les Tamouls d'Inde du Sud (issus de basses castes), ce qui est également un moyen de maintenir les salaires au plus bas sur l'île. Les travailleurs tamouls prennent racine dans le monde clos des plantations. Ils se concentrent essentiellement dans la presqu'île de Jaffna, au nord, et sur la côte orientale de l'île, où ils conservent leur langue, leurs traditions et leur religion (hindouiste pour l'essentiel mais l'on compte aussi une forte minorité chrétienne).
En 1946, à la veille de l'indépendance, on compte près de 800 000 Tamouls à Ceylan, soit 12% de la population (en 2006, on évalue leur nombre à 4 millions, sur un total de 20 millions de Sri-Lankais). Leur présence ne va pas tarder à empoisonner la vie du nouvel État...
L'île bénéficie d'une décolonisation en douceur, à la différence du reste des Indes. Les Britanniques favorisent en effet très tôt à Ceylan l'émergence d'une élite anglicisée, capable de gérer les affaires politiques, pour en faire un modèle d' « home rule ». Hommes et femmes y obtiennent le droit de vote dès 1932. Un parti nationaliste, le « Congrès national », est créé en 1918, sur le modèle du Congrès indien, mais les divisions entre les Cinghalais et la minorité tamoul, attisées par les autorités britanniques, l'emportent rapidement sur le sentiment nationaliste.
Les différentes communautés ne s'unissent pas pour obtenir l'indépendance de leur pays. Elle leur est octroyée après la Seconde Guerre mondiale. Ceylan devient donc indépendant le 4 février 1948, quelques mois après l'Inde et le Pakistan, tout en restant membre du Commonwealth.

Les nationalismes... après l'indépendance

Un régime démocratique se met en place mais échoue à donner une place à la minorité tamoule. En 1956, le cinghalais est décrété langue officielle unique du pays, ce qui provoque l'ire de la communauté tamoule, toujours concentrée dans le Nord et l'Est du pays. Au cours de années suivantes, les tensions entre Tamouls et Cinghalais ne font qu'augmenter.

La création du « Mouvement des Tigres de libération de la patrie tamoule » (LTTE) en 1972 conduit en 1983 à une guerre civile qui va faire des dizaines de milliers de victimes en vingt-cinq ans. Redoutables, les « Tigres » imposent à chaque famille tamoule de livrer à la cause l'un de ses enfants - fille ou garçon, peu importe). Ils pratiquent sévices, tortures et assassinats ciblés. L'une de leurs victimes est en 1991 le Premier ministre indien lui-même, Rajiv Gandhi. La rébellion ne prendra fin qu'en 2017, quand les Tigres consentiront à un cessez-le-feu.

Publié ou mis à jour le : 2022-07-20 08:31:26

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