1801 à 1916

La Question d'Irlande

En guerre contre la France pendant la Révolution, le gouvernement anglais mesure le danger que représente l'Irlande, sa plus ancienne colonie, avec ses 4 millions d'habitants, dont 3 millions d'indigènes catholiques et 1 million de colons protestants.

Humiliée, opprimée depuis plusieurs siècles, la majorité catholique et celte de l'île est prête à se rebeller et soutenir un éventuel envahisseur en vertu de l'adage : England's difficulty is Ireland's opportunity (« Les difficultés de l'Angleterre sont des occasions à saisir pour l'Irlande »).

Mais les protestants qui possèdent 90% des terres et défendent avec âpreté leurs privilèges vont contrarier toutes les tentatives de réforme.

L'Acte d'Union

Le Premier ministre William Pitt Le Jeune voit avec raison dans le Parlement corrompu de Dublin et l'autonomie législative de l'île des outils au service de l'oligarchie des colons protestants (l'Ascendancy). Il obtient l'autodissolution du Parlement puis, le 1er janvier 1801, par l'Acte d'Union, l'union de l'Irlande à la Grande-Bretagne au sein du « Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande ». Les affaires de l'île seront désormais examinées par le Parlement de Westminster.

Pitt ne veut pas en rester là. Il souhaite en finir avec les discriminations de tous ordres qui frappent les catholiques irlandais et leur ouvrir les portes du Parlement. Mais il se heurte à l'opposition irréductible du roi George III et des colons protestants et doit en conséquence démissionner dès mars 1801 (ce qui fera l'affaire d'un certain Napoléon Bonaparte, Premier Consul de son état !).

En définitive, contrairement aux attentes de Pitt, l'Acte d'Union va aggraver la situation des Irlandais. Au Parlement de Westminster, les députés irlandais seront impuissants à se faire entendre et leurs homologues britanniques utiliseront tous les artifices possibles pour limiter les libertés publiques en Irlande même. Par ailleurs, l'union douanière va tuer dans l'oeuf l'industrie irlandaise, incapable de rivaliser avec l'industrie britannique.

Quant aux héritiers des « Irlandais Unis » et de Wolfe Tone, ils ressentent avec amertume la disparition du Parlement de Dublin (le Dail en gaélique), ultime symbole de l'antique indépendance de l'île !

La question religieuse

Depuis la rupture avec Rome, il n'y a plus dans le royaume qu'une Église « établie » (officielle). C'est l'Église anglicane. Aussi les catholiques irlandais sont-ils tenus de payer la dîme, autrement dit l'impôt religieux, à une Église qui leur est hostile.

Le gouvernement tente, à défaut d'autre chose, de régler cette question religieuse et propose au clergé catholique de bénéficier lui aussi du statut d'Église établie... mais à la condition que le roi ait un droit de regard sur la nomination des évêques.

Un jeune avocat fortuné, Daniel O'Connell, s'élève aussitôt contre ce marché de dupes et convainc les évêques de ne pas se vendre au gouvernement. Fort de ce premier succès, il fonde une Association catholique et réussit pour la première fois à enrôler le clergé sous la bannière patriotique.

Orateur charismatique et agitateur-né, O'Connell réunit des foules considérables et parvient à faire élire au Parlement de Westminster des protestants favorables à l'émancipation politique des catholiques. C'est ainsi que, le 13 avril 1829, ceux-ci obtiennent enfin le droit d'être élus députés... Là-dessus, O'Connell lance une offensive contre la dîme payée à l'Église anglicane et aboutit en 1838 à un compromis acceptable. Roi non couronné d'Irlande, il s'engage dès lors dans la lutte pour le rappel de l'Union, autrement dit l'autonomie de l'Irlande.

Il annonce à cette fin un meeting géant sur le site de Clontarf, près de Dublin, le 8 octobre 1843. Un million de personnes sont attendues. Mais le gouvernement, inquiet, fait interdire la manifestation et O'Connell, par crainte des dérapages, se résout à l'annuler. Lui-même est arrêté mais, faute de charge crédible, libéré peu après. Abandonné par une bonne partie de ses troupes, il quitte la scène politique et meurt le 15 mai 1847, à 72 ans, lors d'un pèlerinage à Rome.

La Jeune Irlande se donne un drapeau

Quelques Irlandais romantiques de différentes religions s'unissent en 1842 en vue d'une émancipation de leur île, au besoin par la violence. Ils revivifient et exaltent la culture gaélique et le souvenir des Saints et des Héros.
Le 15 avril de la même année, ces « Jeunes Irlandais » se donnent un drapeau tricolore : vert pour représenter les catholiques, orange pour représenter les protestants et blanc pour signifier l'espoir d'une trêve permanente entre les deux communautés ! Ce sera le drapeau de l'Irlande républicaine.

La Grande Famine

Une catastrophe fait taire pour un temps les revendications politiques : la « Grande Famine » (note). L'île était devenue l'un des pays les plus densément peuplés d'Europe avec près de 9 millions d'habitants. La majorité paysanne se nourrissait presque exclusivement de pommes de terre, réservant les céréales et la viande à l'exportation. Or voilà qu'une maladie mystérieuse frappe le tubercule plusieurs années de suite, de 1845 à 1849. C'est le mildiou de la pomme de terre, dû à un champignon minuscule. On l'appelle aussi brunissure ou peste de la pomme de terre.

Le gouvernement anglais de Robert Peel importe du maïs américain pour nourrir les Irlandais et fait voter l'abolition des droits sur le blé pour en diminuer le prix. Les organisations caritatives se mobilisent également. Mais ces mesures se révèlent insuffisantes et sont en partie annihilées par la mauvaise volonté des propriétaires (les landlords) et de leurs régisseurs. Beaucoup n'ont pas de scrupules à expulser les tenanciers incapables de payer leurs fermages... et ceux qui font preuve de mansuétude ne tardent pas à se ruiner eux-mêmes et à devoir vendre à des spéculateurs encore plus féroces !

Au final, un million et demi de pauvres gens meurent de faim ou de maladie (choléra, dysenterie, typhoïde). Près d'un million d'autres émigrent aux États-Unis ou... en Angleterre dans des « bateaux cercueils », dans des conditions aussi épouvantables que les émigrés qui fuient aujourd'hui l'Afrique noire.

C'est le début d'un impressionnant courant d'émigration qui ne va plus cesser jusqu'au milieu du XXe siècle et va faire de Boston (Massachusetts) la principale ville irlandaise du monde (les émigrants s'arrêtaient là faute d'argent plutôt que de poursuivre leur voyage jusqu'à New York, traditionnelle porte d'entrée des États-Unis).

La Grande Famine a pour effet collatéral d'abaisser de deux ou trois millions à seulement 600 000 le nombre de locuteurs du gaélique. L'anglais devient la langue dominante de l'île.

La question agraire

Sans surprise, c'est aux États-Unis, chez les émigrés, que resurgissent les revendications irlandaises et, cette fois, il ne s'agit plus de gagner l'autonomie par la voie parlementaire mais d'obtenir une république indépendante par l'insurrection armée. En 1858 est ainsi fondée la Fraternité Républicaine Irlandaise (Irish Republican Brotherhood, IRB), plus connue sous le nom gaélique de mouvement « Fenian » (les Fianna sont des guerriers celtes mythiques).

Les Fenians multiplient les attentats meurtriers dans les grandes villes anglaises et même au Canada mais la répression a vite raison de leur mouvement.

En décembre 1868, William Gladstone, le chef du parti libéral (whig), entre au 10, Downing Street. Le nouveau Premier ministre, animé par de très fortes convictions religieuses, déclare d'emblée : « Ma mission est de pacifier l'Irlande ».

Il commence par clore la question religieuse en dispensant complètement les catholiques du paiement de la dîme à l'Église établie.

Par ailleurs, Gladstone comprend que l'autonomie (le « Home Rule ») ne peut être octroyée à l'île sans qu'ait été réglée au préalable la question sociale, à défaut de quoi le pouvoir retomberait aux mains de l'oligarchie protestante. Le 15 février 1870, il fait voter une première loi agraire qui améliore quelque peu la situation des tenanciers...

En 1872, le Ballot Act impose le secret du vote aux élections. Dès lors, comme les paysans ne votent plus sous la menace de leur propriétaire, il s'ensuit aux élections législatives de 1874 une percée des députés favorables à l'autonomie de l'Irlande (le « Home Rule ») ! Ceux-ci exploitent une faille du règlement parlementaire (l'interdiction d'interrompre un orateur) et paralysent le travail parlementaire en discourant sans fin sur tous les sujets, avec au besoin de longues citations de la Bible ! Mais l'on finit par modifier le règlement et limiter le temps de parole des orateurs...

En 1879, indigné par les abus persistants des landlords, un ancien Fenian, Michaël Davitt, fonde la Ligue agraire (Land League) avec le soutien du clergé.

Il en confie la présidence à un député plein de talent, Charles Stewart Parnell, issu d'une famille de landlords protestants (!). La Ligue se porte au secours des tenanciers et plaide pour la réforme agraire.

Dès lors va s'amorcer un partage des tâches entre Parnell et le Premier ministre Gladstone. Le premier lance des revendications et menace ; le second supplie les représentants des propriétaires de bien vouloir accepter des concessions pour éviter le pire.

Pauvre Mr Boycott !...

Le 17 septembre 1879, Charles Parnell, président de la Ligue agraire, inaugure une tactique nouvelle pour faire plier les propriétaires et les régisseurs qui maltraitent ou dépouillent leurs tenanciers : la mise en quarantaine.
La première « victime » est un certain capitaine Charles Boycott, régisseur d'un grand propriétaire. Du jour au lendemain, il ne trouve plus aucun employé ni commerçant qui accepte de traiter avec lui ou seulement de lui parler. Pour éviter que ses récoltes ne pourrissent sur pied, il fait venir des paysans protestants de l'Ulster sous la protection de l'armée. Finalement, il jettera l'éponge et quittera l'Irlande, laissant son nom à la postérité ;-)

Gladstone reprend les revendications de la Ligue dans une deuxième loi agraire déposée le 22 août 1881, qui, cette fois, accorde de sérieuses protections juridiques aux tenanciers.

En faisant alliance tantôt avec les conservateurs (tories), tantôt avec les libéraux (whigs), Parnell obtient de nouvelles améliorations de la loi agraire. Cela ne va pas sans de sérieux troubles dans le pays. Pour finir, aux élections de 1885, il impose à ses alliés libéraux de s'engager en faveur du « Home Rule ». Cela réveille les haines en Irlande. L'Ordre d'Orange refait surface, prend la tête des unionistes (partisans de l'Union) et s'oppose aux home rulers (partisans de l'autonomie). Son slogan favori : Home rule is Rome rule ! (« L'autonomie, c'est le gouvernement par Rome »).

Un premier compromis déposé par Gladstone est rejeté deux fois de suite en 1886 du fait de la défection d'une partie des libéraux, les « libéraux-unionistes ». L'opinion anglaise se déchaîne contre Parnell et celui-ci est accusé par le Times de complicité dans un double assassinat terroriste à Dublin, en 1882. Le procès révèle que l'accusation est le fait d'un faussaire et Parnell est disculpé en 1890 avec les honneurs.

De façon inattendue (peut-être un coup monté ?), il va être rattrappé par une affaire d'ordre privé : la révélation d'une relation adultère avec la femme de l'un de ses lieutenants ! Discrédité cette fois pour de bon, il doit se retirer et, découragé, meurt le 6 octobre 1891 à seulement 45 ans.

Deux ans plus tard, le 1er septembre 1893, Gladstone réussit à faire voter le Home Rule (l'« autonomie ») par les Communes mais le texte est bloqué par la Chambre des Lords. Ce nouvel échec ravive les troubles en Irlande.

En 1903 enfin, le secrétaire d'État pour l'Irlande George Wyndham rétablit le calme par une ultime loi agraire qui permet aux tenanciers d'acheter leurs terres à de bonnes conditions. Grâce à quoi les Irlandais qui ne possédaient plus que 5% des terres en 1878 en possèderont de la sorte 67% en 1914.

En résolvant la question agraire, les conservateurs britanniques espéraient étouffer les revendications autonomistes. Mais il est trop tard. Les Irlandais catholiques, toutes classes confondues, ne sont plus disposés à y renoncer.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2024-01-13 18:15:35
Boutté Jacques (26-04-2012 07:59:15)

Malgré toute la sympathie que j'éprouve pour le peuple d'Irlande ,je ressens un malaise à lire que le Prix Nobel de la Paix a été donné -et ce n'est pas une exception !- à un homme qui fit de la guerre son action quotidienne .

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