Fils d'un brasseur et tonnelier, Joseph Proudhon est le seul théoricien révolutionnaire du XIXe siècle issu du milieu populaire.
Un intellectuel issu du peuple
Ayant attiré l'attention d'un enseignant par sa soif d'apprendre, il est admis comme boursier au collège de Besançon, puis devient ouvrier typographe pour contribuer à nourrir ses parents. L'Académie de Besançon lui attribue un prix qui lui permet de passer son baccalauréat à 29 ans.
Proudhon publie en 1840 le mémoire : Qu'est-ce que la propriété ? ou Recherches sur le principe du droit et du gouvernement, qui affecte de traiter la propriété sous forme de spéculation académique. On en retient la fameuse formule « La propriété, c’est le vol » !
Passant en revue les différentes théories présentées jusqu'alors pour établir le droit de propriété, le jeune Proudhon les réfute l'une après l'autre, et conclut que la propriété est immorale, injuste, impossible !... Traîné devant la cour d'assises, il est cependant acquitté, les jurés n'ayant vraisemblablement pas conscience du caractère explosif du sujet.
Dès lors, Proudhon va poursuivre à Paris ses activités de journaliste, de théoricien de la révolution et d'activiste radical. Il établit un réseau de correspondants agitateurs (Grün, Bakounine, Herzen, Marx) et publie d'innombrables articles, manifestes, études sociales.
Confronté toute sa vie à des difficultés professionnelles, Proudhon milite contre le travail aliénant du capitalisme industriel naissant. Corrigeant sa pensée initiale, il dénonce principalement la propriété des outils de production et le fait que l'on puisse tirer un revenu de son capital sans être obligé de travailler. Il se montre par contre partisan de la propriété individuelle pour tous et exalte la cellule familiale, clé de voûte de la société.
Proudhon, confiant en la nature humaine, apparaît comme un lointain disciple de Jean-Jacques Rousseau. Il souhaite protéger l'individu de toute sorte d’abus de pouvoir et en vient à s’opposer à la notion d’État pour proclamer la prépondérance de la liberté. Cela fait de lui le premier théoricien de l'anarchisme... et un adversaire majeur des socialistes et de Karl Marx.
L'insurgé
Le militant est élu en juin 1848 à l'Assemblée constituante de la IIe République. À la tribune de l'Assemblée, ce « pauvre fils de pauvre », comme il se définit lui-même, plaide avec vigueur en faveur de la liberté et prend la défense des révoltés, ce qui lui vaut un blâme.
Le prince Louis-Napoléon Bonaparte (le futur Napoléon III) devenant président de la République en décembre 1848, Proudhon s'oppose immédiatement à lui. Le voici envoyé pendant trois ans en prison pour « offense au Président de la République ». Qu’importe, il profite de son séjour à la prison Sainte-Pélagie pour écrire tant et plus... et épouse une jeune ouvrière passementière. Après un deuxième séjour en prison, il s'exile en Belgique.
Sous le Second Empire, à Londres, en 1864, quelques mois avant sa mort, amnistié mais usé par les épreuves et le travail, Proudhon participe encore à la naissance de la 1ère Internationale socialiste avec (ou plutôt contre) Karl Marx.
L'année de sa mort, le peintre Gustave Courbet, qui fut son ami, réalise à partir de photos anciennes le portrait posthume ci-dessus, qui représente Joseph Proudhon en 1853, dans la pose très symbolique de l'ancien ouvrier typographe en blouse, dans une attitude pensive, entouré d’écrits et la plume à portée de la main, en compagnie de ses chères filles. Cet autodidacte n’a cessé en effet d’observer, de s’interroger et d’écrire...
Son oeuvre considérable fait de lui l'un des maîtres à penser de l'anarchisme, de l'autogestion, de la dialectique révolutionnaire et du fédéralisme. Son idéalisme inspirera également Jaurès et les socialistes français de même que les anarchistes russes, tel Bakounine, et même les promoteurs du fédéralisme européen...
Soulignons que le révolutionnaire Proudhon n'a pas poussé l'audace jusqu'à prôner l'émancipation des femmes et la libération sexuelle. En conformité avec les préjugés de son temps, il a écrit des propos ineptes sur l'infériorité présumée des femmes, au mental comme au physique !
Plus gravement, si l'on peut dire, il a exprimé dès 1847 un antisémitisme violent, inspiré moins par des préjugés religieux que par des préjugés sociaux (confusion entre le Juif et le banquier ou l'oppresseur capitaliste). Il se range à ce titre parmi les précurseurs de l'« antisémitisme de gauche ».
Ainsi peut-on lire dans ses Carnets : « Juifs. Faire un article contre cette race, qui envenime tout, en se fourrant partout, sans jamais se fondre avec aucun peuple. Demander son expulsion de France, à l'exception des individus mariés avec des françaises ; abolir les synagogues, ne les admettre à aucun emploi, poursuivre enfin l'abolition de ce culte. Ce n'est pas pour rien que les chrétiens les ont appelés déicides. Le juif est l'ennemi du genre humain. Il faut renvoyer cette race en Asie, ou l'exterminer... Par le fer ou par le feu, ou par l'expulsion, il faut que le juif disparaisse... Tolérer les vieillards qui n'engendrent plus. Travail à faire. Ce que les peuples du Moyen Âge haïssaient d'instinct, je le hais avec réflexion et irrévocablement. La haine du juif comme de l'Anglais doit être notre premier article de foi politique » (26 décembre 1847).
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Erik (30-12-2014 12:51:50)
Cet antisémitisme débridé nous rappelle que le nazisme était bel et bien un gauchisme populaire...