État modeste à l'ouest de la péninsule ibérique (92 000 km2, 10,3 millions d'habitants en 2021), le Portugal cultive la nostalgie d'une histoire millénaire qui l'a un temps propulsé à l'avant-garde de l'aventure européenne avec son immense empire maritime.
Une création féodale
Jusqu’au XIIe siècle, la région qui devait donner le jour au Portugal eut un destin commun avec le reste de la péninsule ibérique (Hispanie). À l’époque romaine, le Portugal correspondait à peu près à la province de Lusitanie qui était très instable et difficilement contrôlable (note).
Durant son expansion, Rome eut affaire dans le sud-ouest de l’actuel Portugal à Viriato, héros de la résistance lusitanienne, mort en 139 av. J.-C. Il en était venu à être considéré comme « la terreur de Rome ». Cependant, malgré ses succès militaires, il n’acquit pas la renommée d’Hannibal, sans doute à cause de ses actions se limitant au Portugal et au sud de l’Espagne actuelle.
Les Lusitaniens participèrent à la révolte de Sertorius, qui souleva l’Hispanie contre la dictature de Sylla et dont l’assassinat, en 73 av. J.C., mit un terme définitif à leur résistance. Le futur Portugal jouit alors pendant des siècles de la pax romana. Celle-ci fut rompue par les invasions germaniques, lesquelles entraînèrent la formation d’un royaume suève, du nom d’une tribu germanique, au nord du Portugal et de la Galice, le reste de la péninsule étant alors dominé par les Wisigoths. Arrivent ensuite les Arabes, au VIIIe siècle.
Aux alentours de l'An Mil, alors que la plus grande partie de la péninsule ibérique est encore sous domination arabo-berbère, les rois chrétiens des Asturies enlèvent aux chefs musulmans la région du Douro, un fleuve à l'extrême nord du Portugal actuel, et la ville de Porto, à son embouchure. Cette petite région prend alors le nom de Terra portucallis, d'après Portus Calle, nom romain de Porto.
Sous le règne du roi Afonso Ier (739-757) débute la Reconquista (dico). Le point culminant de sa campagne coïncide avec la prise de Astorga et surtout celle de León qui devient la capitale d’une monarchie asturio-léonaise, désormais fer de lance de la Reconquista.
Afonso Ier lance des expéditions au cours desquelles il s’empare des cités de Braga, Viseu et Chaves, mais le plus souvent ce sont des conquêtes sans lendemain, car le roi ne dispose pas de forces suffisantes pour les conserver et les repeupler car, comme les Maures, les chrétiens pratiquent alors la politique de la terre brûlée.
En 1095, le roi de León et Castille Alphonse VI donne le comté de Portugal à son gendre Henri de Bourgogne (Dom Henrique). Le fils de ce dernier vainc une coalition de roitelets musulmans à Ourique, dans l'actuelle province d'Alentejo, au sud du pays, le 25 juillet 1139. C'est le « miracle d'Ourique », à l'origine du Portugal moderne.
L'heureux vainqueur se proclame roi sous le nom d'Alphonse Ier (Afonso Henrique) et, pour assurer son indépendance face à son beau-père, se place sous la protection du Saint Siège (le pape).
Le 25 octobre 1147, avec l'aide de 13 000 croisés en partance pour la Terre Sainte, Alphonse Ier le Conquérant enlève Lisbonne aux musulmans qui occupaient la ville depuis plus de quatre siècles.
Lisbonne, à l'embouchure du Tage, devient la nouvelle capitale du royaume. Elle fait remonter son nom et sa fondation au héros grec Ulysse mais l'on suppose plus sérieusement qu'elle a été fondée par les Phéniciens sous le nom d'Olisipo.
L'indépendance à tout prix
Par la bulle du 23 mai 1179, le pape Alexandre III, accorde à son vassal Afonso Henrique le titre définitif de roi et lui accorde le droit de poursuivre la conquête des terres musulmanes. À partir de là, le Portugal va préserver farouchement son indépendance, à la différence des autres royaumes de la péninsule ibérique.
En 1383, le roi Ferdinand Ier meurt en laissant une fille, Béatrice, mariée au roi de Castille Jean Ier. La noblesse portugaise, tout comme le peuple, craint de perdre son indépendance et rejette le souverain. Elle propose la couronne à un demi-frère du roi défunt, Jean le Bâtard, ou Dom João de Aviz. Le chef de la rébellion, un soldat de 25 ans, Nuno Alvares Pereira, le fait élire roi du Portugal par les députés des Cortes de Coïmbre, sous le nom de Jean Ier (Joao Ier), le 6 avril 1385.
Dépité, le souverain castillan franchit la frontière à Beira avec son armée. Il se heurte à une première force portugaise le 29 mai 1385 à Trancoso puis à l'armée portugaise, renforcée par un petit contingent d'archers anglais, à Aljubarrota, sur la route de Lisbonne, le 14 août 1385. Les Castillans sont battus à plate couture et l'indépendance du Portugal restaurée.
Jean Ier, nouveau roi, en sera reconnaissant à ses alliés anglais et, en mai de l'année suivante, signera avec eux le traité de Windsor établissant une « ligue d'amitié inviolable, éternelle, solide, perpétuelle et véritable » entre les deux royaumes. Cette alliance, qui n'allait jamais être remise en cause, est la plus ancienne encore en vigueur !
Le roi Jean (João Ier), grand-maître de l'ordre militaire d'Aviz, est à l'origine de la dynastie du même nom. Avec son épouse, Philippa (Filipa de Lancastre), fille du duc anglais Jean de Gand, il engendre plusieurs enfants dont Henri le Navigateur, à l'origine de la grandeur impériale du Portugal.
Notons que Dom Nuno Alvares Pereira, après avoir servi le roi en qualité de connétable, fonde un monastère carmélite à Lisbonne et s'y retire en 1423, tout en inaugurant la lignée des futurs ducs de Bragance qui dominera la politique portugaise aux XVe-XVIe siècles. Il sera canonisé cinq siècles plus tard.
Aventures outre-mer
Pendant plus de deux siècles, sous le roi Jean Ier le Bon et ses successeurs de la Maison d'Aviz, le royaume portugais va connaître un destin planétaire sans commune mesure avec sa petite taille, tout en tenant en lisière son puissant voisin, le royaume de Castille qui rêve de restaurer l’unité de la péninsule ibérique.
Après avoir été longtemps sous la tutelle des États d'Afrique du Nord, le Portugal menace de leur rendre la monnaie de leur pièce en s'emparant de Ceuta, au nord du Maroc, en 1415. C'est la première intervention des Européens hors de leur continent depuis les croisades. Mais les Portugais se désintéressent très vite des conquêtes nord-africaines et leur préfèrent les navigations au long cours. La raison est avant tout économique et politique, car le maintien des garnisons est extrêmement coûteux pour un bénéfice de moindre mesure.
Encouragés par l'Infant Henri le Navigateur, marins et princes portugais tiennent un rôle pionnier dans les Grandes Découvertes. À bord de navires très maniables, les caravelles, ils découvrent l'archipel des Açores et l'île de Madère, et explorent méthodiquement la côte africaine, en vue de contourner le continent noir et d'atteindre les Indes. Les ressources tirées des nouvelles possessions dépassent leurs espérances (canne à sucre, vin).
En 1433, Henri le Navigateur donne l'ordre à Gil Eanes de reconnaître la côte au-delà du cap Bojador, au sud du Maroc actuel. Dans un premier temps, le marin préfère s'enfuir aux Canaries car des légendes terrifiantes courent sur les contrées situées au sud de ce cap. Mais il finit par se raviser. L'année suivante, il est le premier Occidental à dépasser ce cap.
En 1488, enfin, Bartolomeu Dias contourne la pointe de l'Afrique. Il ne faudra plus que quelques années avant que Vasco de Gama ne jette l'ancre dans un port des Indes... Le triomphe des Portugais est néanmoins terni par le succès concomitant de Christophe Colomb. Parti vers l'ouest en quête de l'Asie, il a offert un Nouveau Monde aux souverains espagnols.
Prenant acte du risque de conflit entre les deux puissances ibériques, le pape Alexandre VI Borgia, lui-même d'origine espagnole, intervient en arbitre et partage les terres à découvrir entre Espagnols et Portugais. Aux premiers les terres situées à l'ouest d'une ligne traversant l'Atlantique du nord au sud, aux seconds les terres situées à l'est. Ce partage est sanctionné par le traité de Tordesillas le 7 juin 1494.
Une erreur de navigation plus ou moins volontaire vaut toutefois à un explorateur portugais d'enfreindre cette règle. Le 22 avril 1500, Pedro Álvares Cabral découvre ce qui deviendra le Brésil, colonie portugaise en Amérique du Sud et principal pays de ce nouveau continent.
Pour étendre ses possessions et comptoirs dans l'océan Indien, le roi Manuel Ier demande à Afonso de Albuquerque, un proche de la famille royale bientôt surnommé le « Mars portugais », de prendre le relais des explorateurs.
Il s'installe à Cochin, sur la côte sud de l'Inde, en 1503, puis occupe sans coup férir l'îlot stratégique de Socotora, à l'entrée de la mer Rouge et l'îlot d'Ormuz, qui commande l'accès au golfe Persique par le détroit du même nom.
Ses entreprises sont fatales au commerce musulman entre la péninsule arabe et l'Asie des moussons. Elles lui valent en 1509 le titre de vice-roi des Indes portugaises.
Pour affermir la présence portugaise dans le sous-continent indien, il s'empare enfin de Goa en 1510, jusque-là soumise à l'autorité d'un roi musulman. Le Portugais entre dans la ville sans avoir à combattre et se voit acclamé par la population, majoritairement hindoue.
Chef estimé autant que redouté, Albuquerque étendra le rayonnement du Portugal jusqu'à Ceylan, le détroit de Malacca et les îles de la Sonde.
Le Portugal arrive au bout de sa mission historique avec le voyage de Magellan et del Cano. Les deux explorateurs accomplissent d'ouest en est, en 1519-1522, le premier tour du monde à la voile ! Ils confirment par leur exploit la rotondité de la Terre, ce dont à vrai dire aucune personne instruite ne doutait depuis au moins deux mille ans...
Fin du rêve
Cette Histoire glorieuse menace de prendre fin après la mort du roi Sébastien et d’une très grande majorité de la noblesse portugaise le 4 août 1578, dans une bataille livrée au sultan du Maroc à Alcacer Quibir.
Le puissant roi d'Espagne Philippe II de Habsbourg profite des démêlés de la succession pour occuper le pays et s'en désigner roi à titre personnel. Commence alors en 1580 une nouvelle crise dynastique qui conduit à la perte de l’indépendance et à l’Union ibérique, mais surtout à la naissance de la légende du « Roi Caché » selon laquelle Sébastien Ier retournera au Portugal pour le sauver.
Philippe II occupe le pays après avoir remporté la bataille d’Alcantara contre le prétendant portugais Dom Antonio. Au XVIIe siècle, le comte-duc d’Olivares décide d’augmenter les impôts pour financer les guerres des Habsbourg durant la guerre de Trente Ans (1618-1648). Qui plus est, Hollandais et Anglais en profitent pour dépecer l’Empire portugais.
Mais l'occupation espagnole est brutale et tissée de massacres. Elle se solde par des impôts accrus pour financer les guerres des Habsbourg. Qui plus est, Hollandais et Anglais en profitent pour dépecer le bel empire colonial construit par les marins lusitaniens, du Brésil à Macao.
Les Portugais se soulèvent à plusieurs reprises, en profitant de l'affaiblissement des Habsbourg, occupés à combattre sur le Rhin et sur les Pyrénées pendant la guerre de Trente Ans. Enfin, le 1er décembre 1640, la petite noblesse arrive à rétablir une nouvelle fois l'indépendance du pays et porte sur le trône l'un des siens, Jean de Bragance. Celui-ci est couronné sous les acclamations populaires le 15 décembre sous le nom de João IV.
Le soulèvement bénéficie du soutien du cardinal français Richelieu, heureux de jouer un bon tour à la maison des Habsbourg qui gouverne l'Espagne... Comme les Espagnols tentent de reprendre pied au Portugal, celui-ci reçoit l'appui intéressé des Hollandais et des Anglais, qui leur enlèvent le monopole du fructueux commerce des épices. Le Portugal fait reconnaître son indépendance en 1668 une bonne fois pour toutes mais ne va plus sortir de l'orbite anglaise.
Le pays cultive dès lors le souvenir de sa gloire passée, tout en conservant d'immenses colonies sous-exploitées sous toutes les latitudes, du Brésil aux îles de la Sonde en passant par quelques comptoirs sur la côte africaine et dans les Indes.
En 1703, un traité anglo-portugais accorde au royaume lusitanien le monopole de l’exportation de vin vers l’empire britannique (le fameux porto !) et octroie à ce dernier la quasi-exclusivité du marché du textile au Portugal et dans ses colonies. Pour l’Angleterre, le bénéfice est double : elle ne dépend plus de la production des vignes françaises et bénéficie d’un immense marché incluant les riches possessions de l’empire portugais.
Le Portugal se rappelle au souvenir des Européens lors du tremblement de terre de Lisbonne, en 1755, qui permet au premier ministre, le marquis de Pombal, de démontrer son savoir-faire et son ouverture aux idées nouvelles. Allié aux Anglais, il regagne du prestige durant la guerre de Sept Ans (1756-1763) en repoussant un assaut franco-espagnol.
Arrivent la Révolution française et son appendice, le séisme napoléonien, plus terrible que celui de Lisbonne. Pour renforcer le Blocus continental et isoler ainsi l'Angleterre, Napoléon regarde vers le Portugal dont il compte fermer les ports au commerce britannique : « Pour vaincre l’Angleterre, attaquons le Portugal ! » Pour mener à bien ses plans, Napoléon se tourne vers Carlos IV, roi d'Espagne, qu'il considère comme le fidèle allié de la France. Il attend de ce dernier qu'il l'aide à « arracher le Portugal à l'influence de l'Angleterre » et à forcer cette dernière à demander la paix. Lisbonne est conquise par les Français en 1807 mais ces derniers sont battus peu après par les Anglais, toujours prêts à rendre service aux Portugais !
Le Brésil, où s'est réfugiée la famille royale, s'émancipe en douceur. Il devient un empire sous l'autorité de Pierre, le fils cadet du roi. Le Portugal retourne à son anonymat.
Retour à la réalité
Le 5 octobre 1910, la monarchie est remplacée par une république et celle-ci tombe bientôt sous la coupe d'un chef autoritaire quoique sans charisme, le docteur Antonio de Oliveira Salazar. Il v diriger le pays de façon autoritaire durant près de 40 années, soit quasiment jusqu'à sa mort en 1970, en s'appuyant sur une redoutable police politique, la PIDE.
Mais au sein même des forces armées grandit un sentiment de contestation. Nombre d'officiers engagés à partir du début des années 1960 contre les rebelles angolais, guinéens et mozambicains jugent impossible de gagner ces guerres coloniales. Certains mettent alors sur pied une organisation secrète, le Mouvement des forces armées (MFA) qui se donne pour but de rétablir la démocratie.
Les conjurés s'assurent la neutralité bienveillante du plus titré des généraux portugais, Antonio Spínola, ancien gouverneur de Guinée-Bissau, limogé le 14 mars. L'insurrection, dite « Révolution des Oeillets », est déclenchée le 25 avril 1974 à 0 h 30. Elle met fin sans effusion de sang au régime de l’Estado Novo fondé par Salazar. Le pays découvre la démocratie et perd par la même occasion les derniers vestiges d'un empire colonial démesuré.
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TCHAIDJIAN (25-07-2021 10:33:42)
Bonjour à tous et toutes,
Vraisemblablement, il s'agit d'un article paru il y a une bonne dizaine d'années, d'après la date des commentaires. Bien que mis à jour il y a deux ans, je pense que cette mise à jour peut être utilement complétée par celle de sa population : 10 281 762 habitants selon un recensement de 2018, nombre concordant lu dans les éditions 2021 de l'Année stratégique (Armand Colin) et de l'Atlas Larousse socio-économique des pays du monde, nombre qui peut être arrondi à 10 282 000. Quant à la superficie, à quelques dizaines de km² près selon les deux sources, c'est plutôt 92 000 km².
Ceci précisé, l'article n'a rien perdu de son intérêt historique fondamental ; on mentionne trop rarement l'histoire de ce pays depuis ses origines.
Puisque le récit historique de l'article s'arrête en 1974 à la Révolution de Oeillets, des compléments sur l'histoire du Portugal depuis 1974 seraient les bienvenus, notamment eu égard aux développements économiques et sociaux fulgurants accomplis depuis lors.
Bien cordialement.
TARDY (07-09-2010 15:51:24)
Article apprécié, car clair, objecif et bien documenté . Visite récente de ce Pays, ai constaté les changements importants dans l'essor et progrés Economique , dûs en grande partie à l'Aide de l'Union Eupéenne, les subventions accordées bien utilisées pour le développement de grands travaux Publics : Transports, Autoroutes,Industries... Malheureusement la langue Française disparait progressivement face a la vague Anglophone !
Senec (29-07-2009 14:05:25)
J'aime bien l'expression "roitelets musulmans" ! C'est tellement évocateur et tellement juste !