Considérée comme le « berceau de la Renaissance », Florence connut un extraordinaire développement artistique au XVe siècle, favorisé par le mécénat des Médicis. Un véritable âge d’or s’ouvrit alors pour la ville.
Décimée par une épidémie de peste en 1348, la population s’accrut à nouveau rapidement, grâce à l’arrivée de nombreux artisans venus des campagnes environnantes, jusqu’à compter entre 90 et 1000 000 habitants au début du XVe siècle (dont seuls 3 000 possédaient des droits civiques).
Des réflexions urbanistiques novatrices accompagnèrent l’agrandissement et l’embellissement de la ville. Florence fut alors surnommée « la nouvelle Rome », en raison du renouveau architectural inspiré par la redécouverte de l’Antiquité.
L’avénement de la Renaissance
En 1401, le concours lancé pour la réalisation des portes Nord du Baptistère fit date car il marqua le triomphe de l’art de la Renaissance sur le style gothique.
Alors que les portes Sud, réalisées en 1336 par Andrea Pisano, étaient encore empreintes des traditions médiévales, le portail Nord annonce le renouveau artistique qui fit la renommée de l’art florentin. Ghiberti qui avait remporté brillamment le concours y représenta des scènes du Nouveau Testament. Son œuvre fut si appréciée que le sculpteur fut ensuite chargé du portail Est illustrant l’Ancien Testament.
Au cours de longues années de travail, de 1424 à 1452, l’artiste parvint à une extrême virtuosité dans le rendu de la perspective grâce à d’infimes variations en très fin bas-relief (appelé schiacciato, « écrasé ») à tel point que Michel-Ange appela son œuvre « la porte du paradis ».
Une nouvelle représentation du monde… élaborée devant le Baptistère de Florence
Le Baptistère fut également au cœur des recherches de Brunelleschi pour mettre au point la perspective.
C’est en se plaçant devant la cathédrale, et en juxtaposant un dessin du Baptistère (reproduit avec des lignes de fuite convergeant vers un point donné) avec l’image du véritable monument reflétée dans un miroir que l’artiste vérifia la justesse de ses expérimentations. Cette innovation majeure dans la représentation de l’espace, perçu selon une conception géométrique et optique, révolutionna les arts.
À la fois sculpteur, architecte et ingénieur, Brunelleschi appliqua ses nouveaux principes dans les nombreux chantiers qu’il dirigea à Florence. L’un des premiers qu’il mena fut celui de la colonnade conçue en 1419 pour l’Ospedale degli Innocenti (l’Hôpital des Innocents).
Cet orphelinat, le premier créé en Europe, servait à accueillir les enfants abandonnés en évitant qu’ils ne soient laissés nuitamment dans la rue ou sur les marches des églises. Grâce à un tour pivotant aménagé dans le mur, les enfants déposés étaient immédiatement pris en charge par des religieuses (tandis que l’identité de la personne qui abandonnait l’enfant demeurait secrète).
Ce système fonctionna jusqu’en 1875, et encore de nos jours, le bâtiment conserve sa fonction d’accueil et de protection de l’enfance en lien avec l’Unicef.
La colonnade de Brunelleschi, emblématique de l’art de la Renaissance, renoue avec le vocabulaire de l’architecture antique (arcs, colonnes, chapiteaux corinthiens) et repose sur la répétition de modules géométriques afin de créer une structure équilibrée et harmonieuse. Elle suscita l’admiration des Florentins qui adoptèrent avec enthousiasme ce nouveau style architectural au point de désigner leur ville comme la « nouvelle Rome ».
Une réorganisation de l’espace urbain
Ces principes d’ordre et de régularité devaient trouver leur accomplissement avec la réalisation de la grande place située devant l’orphelinat : la Piazza della Santissima Annunziata qui porte le nom de la basilique.
Bien moins connue que la cathédrale Santa Maria del Fiore dont Brunelleschi réalisa l’extraordinaire coupole, la basilique de la Santissima Annunziata est pourtant étroitement liée à l’histoire de la ville. Elle renferme une fresque miraculeuse de l’Annonciation (qui aurait été achevée par un ange pendant le sommeil du peintre), vénérée depuis le XIIIe siècle. Le jour de l’Annonciation (25 mars), célébré comme la date anniversaire de la fondation de Florence, placée sous le double patronage de la Vierge et de Saint Jean-Baptiste, une grande procession traversait (et traverse encore aujourd’hui) solennellement la ville pour aboutir à la basilique. Ce jour de fête marqua jusqu’en 1750 le début de l’année à Florence, à la différence de nombreux états qui avaient déjà adopté depuis longtemps la date du 1er janvier ou qui conservaient la date plus traditionnelle de Pâques. Les Médicis financèrent la reconstruction du modeste oratoire fondé en 1250 autour de la fresque miraculeuse et le transformèrent en une somptueuse église réalisée par Michelozzo à partir de 1451. L’architecte reprit le principe de la colonnade conçu par Brunelleschi pour l’Ospedale degli Innocenti. Au cours des siècles, les plus grands artistes florentins embellirent l’église, comme Andrea del Sarto et Pontormo qui y furent ensevelis.
Brunelleschi prévoyait une vaste place, bordée de colonnades, s’ouvrant par un axe de perspective vers la cathédrale. Le format régulier de la place rectangulaire témoignait d’un nouvelle conception de l’espace urbain, rationnel et aéré, qui contrastait avec le plan irrégulier de la ville médiévale, aux rues étroites et souvent tortueuses, débouchant fréquemment à des impasses ou à des cours privées.
Les colonnades répondaient à un souci à la fois esthétique et pratique : ce modèle architectural antique permettait de donner plus de solennité à l’espace public, mais aussi d’abriter les passants de la pluie ou de l’ardeur du soleil. Toutefois, l’architecte qui souhaitait faire œuvre d’urbaniste ne put mettre son projet à exécution. Mais ses plans marquèrent les esprits et furent (plus ou moins fidèlement) appliqués au fur et à mesure que se bâtissait cette place, longtemps située à la périphérie de la ville.
Le mécénat des Médicis
Comme tant d’autres artistes, Brunelleschi se vit confier d’importants chantiers par la puissante famille des Médicis, comme celui de leur église paroissiale, San Lorenzo à partir de 1421.
Sous l’influence de Jean, Côme l’Ancien, Pierre le Goutteux et Laurent le Magnifique, l’effervescence artistique redoubla à Florence.
Côme l’Ancien se révéla un très grand mécène, désireux d’embellir sa ville par de somptueuses constructions. Parmi les plus importants chantiers architecturaux qu’il finança, figure assurément celui du couvent de San Marco. Il chargea en 1437 Michelozzo d’agrandir le bâtiment construit au XIIIe siècle afin d’accueillir des dominicains de Fiesole.
L’architecte conçut un nouveau cloître selon un plan régulier et de larges espaces de circulation dans les bâtiments où Côme l’Ancien se réserva deux cellules pour venir s’y retirer et méditer.
Le couvent devint rapidement célèbre pour sa lumineuse bibliothèque, conçue selon le modèle d’une basilique à trois nefs, qui abritait de précieux manuscrits enluminés, mais surtout pour les fresques de Fra Angelico qui ornent le cloître, les grandes pièces du rez-de-chaussée, et les couloirs et les cellules des moines à l’étage.
La maîtrise de la perspective permit au peintre d’inscrire parfaitement ses œuvres dans l’architecture et de créer une continuité entre la scène représentée et l’espace du spectateur, afin de produire les conditions propices à la méditation et à la prière.
L’effet est particulièrement saisissant pour la Madone des Ombres : les ombres peintes correspondent à l’effet que produirait dans la réalité la lumière venue d’une fenêtre sur les chapiteaux corinthiens peints sur le mur. De même, la main droite d’un Christ bénissant semblant se détacher sur le fond bleu du manteau de la Vierge et s’inscrire dans l’espace du spectateur.
La parfaite maîtrise de ces effets de réel par Fra Angelico, la douceur des visages, l’harmonie des couleurs, expliquent en partie la fascination provoquée par ces fresques.
Les autres grandes familles florentines passèrent également d’innombrables commandes de monuments, de fresques et de tableaux, de sculptures et d’objets d’art. La famille des Pazzi, célèbre pour la conjuration organisée contre les Médicis, fit réaliser par Brunelleschi une chapelle à la basilique Santa Croce à partir de 1429.
La chapelle des Pazzi constitue un des joyaux de l’architecture de la Renaissance. Elle propose une savante variation à partir de modules géométriques simples (le carré et le cercle) dont la perfection des proportions fait un chef-d’œuvre d’harmonie.
Les palais de la Renaissance
La rivalité des grandes familles florentines se manifesta également par la construction (ou la reconstruction) de leurs palais.
C’est en effet par la magnificence de leur demeure que les dynasties de marchands et de banquiers affirmaient leur puissance dans la ville. « Une maison remarquable dans la cité fait plus d’honneur parce qu’elle se voit plus que les autres biens », écrivait Michel-Ange.
Malgré l’abandon définitif du modèle architectural des tours fortifiées médiévales, le climat de méfiance qui régnait dans la ville contribua à donner encore aux demeures un aspect de forteresse. C’est naturellement le palais Médicis, commandé en 1437 à Michelozzo par Côme l’Ancien, qui donna le ton à ces nouvelles constructions.
Les façades présentent au niveau du rez-de-chaussée un appareil en bossage rustique, hérissé de blocs massifs, et percé seulement de petites ouvertures. (Les larges fenêtres furent percées plus tardivement.) Mais au fur et à mesure des étages, l’appareil de pierre se fait plus lisse et harmonieux.
Les bifore, fenêtres composées de deux baies surmontées d’un arc unique en plein cintre, sont disposées de manière régulière et apporte un bon éclairage dans les pièces des étages. Le raffinement de l’architecture se déploie à l’intérieur, autour de la large cour centrale et dans les pièces d’apparat situées au premier étage.
Pour concurrencer le palais Médicis, Filippo Strozzi tenta de rétablir le rang de sa famille en faisant construit un gigantesque palais au rez-de-chaussée aussi haut qu’une maison ordinaire. Il fallut démolir quinze immeubles pour dégager un espace suffisant. Car les grandes familles, dédaignant les nouveaux quartiers à la périphérie de Florence, firent en très grande majorité, construire (ou souvent reconstruire) leur palais en plein centre de la ville où l’implantation urbaine était très dense.
Ce choix leur permettait de montrer leur puissance et l’importance de leurs réseaux puisqu’il matérialisait des accords passés avec d’autres propriétaires, qui acceptaient de céder leurs parcelles ou leurs bâtiments afin de permettre l’édification d’une nouvelle demeure.
La fondation des palais donnait lieu à de somptueuses célébrations (bénédiction religieuse, messes dans plusieurs églises voisines, grand banquet réunissant les amis de la famille, ou même tous les habitants du quartier). La date faisait l’objet de savants calculs astrologiques pour déterminer un jour faste : l’humaniste Marsile Ficin fut ainsi sollicité afin de fixer la date du 6 août 1489 pour le palais Strozzi.
Au fur et à mesure du XVe siècle, les façades gagnèrent en raffinement. Giovanni Rucellai, dont la famille avait fait fortune en important de la teinture rouge de Majorque, fit appel à Leon Battista Alberti, auteur de célèbres traités sur la peinture et sur l’architecture qui servirent de référence pendant des siècles.
L’architecte s’inspira des modèles antiques et reprit notamment l’idée de superposition des ordres (dorique au rez-de-chaussée, ionique au premier étage et corinthien au second étage). Cette composition connut rapidement un très grand succès et fut adoptée dans d’innombrables monuments.
Pour mettre en valeur leurs palais, les propriétaires financèrent aussi l’aménagement de places (parfois dotées d’une loggia) devant leurs nouvelles demeures et s’adressèrent souvent aux mêmes architectes.
Alberti conçut ainsi la Piazza Rucellai, et tira le meilleur parti d’un espace étroit de forme triangulaire afin de permettre à tous les passants d’admirer le palais qu’il avait fait construire. Les Médicis firent aménager la Via Larga (« rue large », rebaptisée par la suite Via Cavour) devant leur palais : elle tranchait par son ampleur avec les rues médiévales qui entouraient la cathédrale.
Cette nouvelle aération de l’espace urbain permettait d’organiser au mieux des cortèges et processions accompagnés de fêtes et réjouissances publiques. Les multiples festivités organisées dans la ville par les Médicis jouèrent en effet un grand rôle pour leur attirer la sympathie populaire.
Le grand projet urbanistique de Laurent le Magnifique
Plus encore que ses prédécesseurs, qui s’étaient déjà montrés de fastueux mécènes, Laurent de Médicis chercha à embellir Florence. Il projeta de faire construire un palais encore plus somptueux que celui de la Via Larga, dans le nouveau quartier entourant la basilique de la Santissima Annunziata.
Cette résidence au luxe princier devait se développer autour d’une immense cour d’honneur et surtout au milieu de magnifiques jardins (ce qui devait être une véritable nouveauté à Florence où les rares et minuscules jardins des palais se trouvaient dissimulés à l’arrière des bâtiments). Elle devait également dominer un nouvel ensemble urba-nistique de quinze hectares, conçu selon un plan géométrique régulier.
Laurent confia la réalisation de ce projet à l’architecte Giuliano da San Gallo qui l’avait accompagné sur les champs de bataille en tant que maître des fortifications et des machines de guerre.
Toutefois il modéra rapidement ses ambitieux desseins, vraisemblablement pour ne pas heurter les susceptibilités florentines en se comportant comme les princes d’autres cités italiennes qui faisaient édifier de splendides demeures à l’écart de leur ville.
Laurent renonça donc à faire construire un nouveau palais et réduisit l’étendue du nouveau quartier idéal. Giuliano da San Gallo fit percer de nouveaux axes urbains, comme la Via Laura (actuelle Via della Colonna), la Via del Rosario (actuelle Via Laura) et le Borgo Pinti, et délimita des parcelles dans ce nouvel espace urbain aéré qui contrastait avec l’étroitesse des rues médiévales du centre de la ville.
Dans ce nouveau quartier, appelé le Lorenziano du nom de son fondateur, vinrent s’établir des proches de Laurent, comme le chancelier Bartolo Scala, et surtout des artisans et artistes protégés par la famille Médicis.
L’Oltrarno
De l’autre côté de la ville, le quartier établi sur la rive sud connaissait également une véritable métamorphose. Longtemps mal considéré, l’Oltrarno, situé « au-delà de l’Arno » et relié par quatre ponts au centre historique de Florence, abritait les habitants les plus modestes.
Ses ruelles regroupaient de petites échoppes et ateliers. Mais, à partir du XIVe siècle, il commença à attirer de riches bourgeois désireux de faire construire de grandes habitations à l’écart de l’agitation urbaine. Toutefois, les familles les plus importantes continuèrent à préférer habiter le centre de la ville… à l’exception notable du banquier Luca Pitti qui chercha à rivaliser avec les Médicis.
Pour se singulariser, il fit l’acquisition de vastes terrains en périphérie du quartier, sur la colline de Boboli, et fit bâtir par Brunelleschi un immense palais à partir de 1457 qui devait donner sur de gigantesques jardins. Le projet ne fut jamais achevé et, ironie de l’histoire, le domaine fut vendu un siècle plus tard au premier grand-duc, Côme Ier, et de-vint le symbole du pouvoir retrouvé des Médicis.
Au fur et à mesure du développement du quartier au XVe sièle, les édifices religieux se multiplièrent. Le grand chantier de l’église Santo Spirito fut confié à partir de 1444 à Brunelleschi qui reprit et perfectionna le modèle d’église idéale qu’il avait conçu pour San Lorenzo vingt ans plus tôt. En augmentant encore les volumes, il approfondit sa conception esthétique d’une architecture considérée comme un modèle de sobriété, re-posant sur le jeu des pleins et des vides et sur la reprise de figures géométriques simples, soulignées par une alternance de deux couleurs. La construction, inachevée à la mort de Brunelleschi, fut poursuivie par ses élèves. Mais la façade ne fut véritablement achevée qu’au XVIIIe siècle. L’église qui abrite de nombreux chefs-d’œuvre, comme ceux de Ghirlandaio et de Lippi, donna à l’Oltrarno son nouveau nom de quartier de San Spirito.
Non loin de là, l’église Santa Maria del Carmine est célèbre pour la chapelle Brancacci, ornée de fresques commandées par le riche marchand Felice Brancacci aux peintres Masolino et Masaccio dans les années 1420. Elles représentent des scènes de la vie de saint Pierre et comptent parmi les premières réalisations picturales de la Renaissance florentine.
Bibliographie
Francesco Cesati, I Medici. Storia di una dinastia europea, Florence, Mandragora, 2014, 142 p,
Jacques Heers, Le clan des Médicis, Paris, Perrin, 2012, 378 p.
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