Château de Carrouges

La perle du XIVe siècle

Construit pendant la guerre de Cent Ans par Jean de Carrouges, connu pour sa participation au dernier duel judiciaire qui se tint en France le 29 septembre 1386 et inspira le film de Ridley Scott Le Dernier Duel, le château de Carrouges a connu bien des évolutions au fil des siècles.

Retour sur la longue histoire d’un château où séjournèrent Louis XI, Catherine de Médicis, Rabelais, et bien d’autres … au fur et à mesure de la transformation de la place forte médiévale en une résidence de plaisance.

L’édifice en briques, granit et ardoises, comporte notamment un bel appartement de parade, rare témoignage subsistant en France d’un ensemble de boiseries et décors peints réalisé à la fin du règne de Louis XIII. Cette partie du château, qui n’avait encore jamais été ouverte au public, vient de faire l’objet d’une soigneuse restauration menée par le Centre des Monuments nationaux.

Château de Carrouges, vue d'ensemble © David Bordes - CMN

Un donjon médiéval

Situé à un emplacement stratégique entre la Normandie et le Maine, le château de Carrouges (dans l’Orne) fut édifié à la fin du XIVe siècle par Jean IV, seigneur de Carrouges pour servir de place forte dans cette région âprement disputée pendant la guerre de Cent Ans. Il choisit un site marécageux afin d’encercler le bâtiment de larges douves.

Le grand donjon, avec ses archères et ses mâchicoulis, témoigne encore aujourd’hui de l’importance militaire de ce lieu. Il faisait partie d’un plus vaste ensemble qui se présentait sous la forme d’un quadrilatère régulier autour d’une cour. Mais le reste des constructions fut considérablement remanié au cours des siècles suivants.

Château de Carrouges, la cour © David Bordes - CMN

Après la prise de Honfleur par l’armée anglaise en 1419, le roi Henri V d’Angleterre confisqua la terre et le château de Carrouges. Pour rentrer en possession de ses biens, Robert de Carrouges rejoignit alors le camp anglais… avant de combattre à nouveau du côté français.

Il fit partie des 119 chevaliers qui défendirent le Mont-Saint-Michel, avant de trouver la mort à Verneuil, combattant au côté du comte Jean d’Alençon. En l’absence de descendance masculine, la terre de Carrouges passa par mariage à la famille de Cagny, puis aux Blosset.

Le logis du XVe siècle

Château de Carrouges, chambre Louis XI © David Bordes - CMNLes Blosset comptaient parmi les grands seigneurs de la Cour. Guillaume Blosset, seigneur de Saint-Pierre-en-Caux, fut échanson de Charles VI, puis chambellan de Charles VII.

Son fils Jean, chambellan de Louis XI, fut nommé grand sénéchal de Normandie et bailli de Rouen. Il entreprit de remanier le château de Carrouges et fit construire un nouveau corps de bâtiment, appelé logis des Blosset, qui a conservé sa disposition du XVe siècle.

Au premier étage, un escalier en vis menait à une vaste antichambre qui servait également de vestibule à une chapelle, puis à deux « chambres de parement » (salles de tailles plus réduites dans lesquelles étaient reçus les hôtes de marque). L’une d’entre elles fut nommée « chambre Louis XI » car le roi y séjourna le 11 août 1473, alors qu’il se rendait en pèlerinage au Mont-Saint-Michel.

La famille Le Veneur

Comme Jean Blosset n’avait pas d’enfant, il légua le château à sa sœur Marie qui épousa Philippe Le Veneur, descendant d’une noble famille dont le nom rappelait que leur ancêtre avait été le grand veneur de Guillaume le Conquérant. Cette charge fut exercée par des membres de cette lignée pendant plusieurs générations.

Fragment d'une vitre au plomb du musée Carnavalet à Paris, anciennement dans l'église St-Gervais-St-Protais à Paris représentant l'évêque de Lisieux Jean Le Veneur, Cardinal de Tillières, portant une statue en argent en procession le 12 juin 1528, vitrail de Jean Chastellain.Leur fils Jean Le Veneur (?-1543) réussit une brillante carrière ecclésiastique. Evêque-comte de Lisieux, il fut admis par François Ier à siéger au Conseil royal. Devenu grand aumônier de France, il couronna la seconde épouse du roi, Éléonore d’Autriche, en 1526.

Ce grand mécène s’illustra par le soutien qu’il apporta à Jacques Cartier. Il le présenta à François Ier et finança son expédition vers le Canada. Le nom de Jean Le Veneur est cité par Rabelais qui semble avoir trouvé à Carrouges l’un des modèles de son abbaye idéale de Thélème.

À l’aube de la Renaissance

Château de Carrouges, châtelet d'entrée © David Bordes - CMNJean Le Veneur dota Carrouges d’un châtelet d’entrée. Cantonné de quatre tours aux hauts toits aigus, cette construction marque la transition du style gothique à l’art de la Renaissance dont il est considéré comme l’un des premiers témoignages en Normandie.

Le décor en briques noires dessine une mitre et des crosse, symboles de l’évêque, ce qui permet de supposer que la construction est antérieure à 1533, date de l’élévation de Jean Le Veneur au cardinalat.

Au fil des successions, Carrouges revint à son petit-neveu Tanneguy (?-1591), gouverneur de Normandie, qui y accueillit en grandes pompes la reine Catherine de Médicis en 1570.

Il agrandit le château en faisant construire deux nouvelles ailes (ce qui lui donna son plan définitif) et en uniformisant l’ensemble du bâtiment grâce à un même décor de briques rouges et noires. Il fit élever aussi deux escaliers monumentaux qui constituent les fleurons architecturaux de ce chantier.

Une longue histoire de familles

Tanneguy Le Veneur fit appel à un architecte d’Argentan, François Gabriel, dont les descendants étaient promis à un bel avenir au service de la Couronne. Le plus célèbre, Jacques III Gabriel, réalisa le Petit Trianon, demeure favorite de Marie-Antoinette, qui était elle-même une lointaine descendante… de Tanneguy Le Veneur. En effet, la fille de Tanneguy, Marie, qui épousa le comte de Salm, fut la mère de Christine de Lorraine, et donc l’aïeule de la dynastie des Habsbourg-Lorraine.

Un rare décor intérieur du XVIIe siècle

C’est à nouveau un membre de la famille Gabriel qui œuvra à Carrouges au siècle suivant. Dans les années 1630-1650, Maurice Gabriel, petit-fils de François, fut chargé par l’abbé Jacques Le Veneur (?-1653), petit-fils de Tanneguy, de dessiner des jardins à la française, et de réaliser un somptueux appartement de parade au deuxième étage, inspiré du goût italien.

Château de Carrouges, appartement de parade, antichambre 2 © David Bordes - CMN. Agrandissement : Château de Carrouges, appartement de parade, cabinet 2 © David Bordes - CMN

Grand amateur d’art, Jacques Le Veneur avait voyagé en Italie et séjourné à Bologne où la peinture connut alors un véritable âge d’or. Il se lia en particulier à Francesco Albani, dit l’Albane, au point de devenir le parrain de son second fils. Et il lui commanda plusieurs tableaux, Neptune et Amphitrite, Apollon et Mercure et Cybèle et les Saisons.

À la mort de Jacques Le Veneur, ces œuvres, très admirées au XVIIe siècle, furent acquises par André Le Nôtre qui les offrit ensuite à Louis XIV, grand amateur de l’Albane. Entrées ainsi dans les collections royales, les toiles sont aujourd’hui conservées au musée de Fontainebleau.

Château de Carrouges, appartement de parade, oratoire © David Bordes - CMN. Agrandissement :  Château de Carrouges, appartement de parade, le plafond de l'oratoire © David Bordes - CMNÀ Carrouges, elles ornaient la chambre, pièce maîtresse de l’appartement de parade. Leurs sujets ont inspiré le décor peint sur les boiseries des lambris d’appui. Le tableau de dessus-de-cheminée était de la main d’un autre peintre célèbre de l’école de Bologne, Guido Reni, et représentait un sujet inspiré des Métamorphoses d’Ovide, Apollon écorchant Marsyas.

La chambre s’ouvrait le cabinet doré, dans lequel les amateurs d’art aimaient à disposer leurs plus belles œuvres, comme la « cassette d’argent et vermeil doré garnie de plusieurs cristaux de roche » décrite dans un inventaire des biens de Jacques Le Veneur qui possédait aussi tout un mobilier d’argent.

Dispersé dès la mort de l’abbé, ce fastueux ameublement est évoqué grâce au remeublement entrepris par le Centre des Monuments nationaux.

L’appartement se composait aussi d’un petit oratoire, entièrement orné de boiseries peintes et dorées, selon des sujets inspirés par les compositions de Raphaël pour les voûtes des Loges du Vatican.

La ferronnerie d’art

Dès 1540, Jean Le Veneur établit une forge à Carrouges qui fut en activité jusqu’en 1854. La famille mit en place une dizaine d’autres forges en Normandie et dans le Maine ce qui lui apporta de grands revenus. Les imposantes grilles en fer forgé du parc, réalisées lors des aménagements de Jacques Le Veneur, sont un des premiers témoignages de ferronnerie d’art employée pour des clôtures extérieures.

Grille du château de Carrouges © David Bordes - CMN

Les dernières transformations du château

Alexis Paul Michel Le Veneur (1777-1833), général de division, comte d’Empire, fut le dernier grand personnage historique de cette lignée. Ce fut également le dernier à entreprendre des transformations architecturales majeures.

Il fit remplacer le pont-levis par un pont dormant et modifia le décor de la façade en la dotant d’un fronton de style classique. Il transforma entièrement deux étages de l’aile sud-ouest : la galerie de tableaux où Jacques Le Veneur avait exposé ses plus belles toiles céda la place à une imposante salle de fêtes, destinée à accueillir des bals, mais surtout des concerts et des représentations théâtrales.

Il semblerait qu’ Alexis Le Veneur ait eu le projet de remanier entièrement le château pour le mettre au goût du jour, ou peut-être même de le raser pour en reconstruire un neuf. Il n’hésita pas à abattre la tour de la chapelle, mais ne poursuit pas dans cette voie.

Le château demeura ensuite dans la famille, jusqu’à ce qu’en 1936 Marie Gaston Tanneguy IX cède le château à l’État, faute de pouvoir l’entretenir. De grands travaux de restauration furent alors entrepris pour sauver l’édifice, classé monument historique depuis 1927, qui menaçait ruine.

Château de Carrouges, salle de chasse © David Bordes - CMN

Une collection de vènerie unique au monde

Aujourd’hui géré par le Centre des Monuments nationaux, le domaine de Carrouges, qui comprend 10 hectares de jardins, terrasses et bosquets (au cœur du parc naturel régional Normandie-Maine) accueille près de 30 000 visiteurs par an.

Grâce à un partenariat avec le musée de la Nature et de la Chasse, le château présente une collection de vènerie unique au monde : 5 000 boutons d’équipages du XVIIe au XXe siècle, dont les plus anciens, aux armes royales, furent portés par les veneurs de Louis XIV.

Ces pièces exceptionnelles, réunies par Henry et Hubert Férault de Falandre, font écho à l’histoire de la famille Le Veneur et à la longue tradition de la vènerie en forêts d’Écouves et d’Andaines.

Bibliographie

Claude Catherine Terrier et Olivier Renaudeau, Le château de Carrouges, Paris, éditions du Patrimoine, collection « Itinéraires », 56 p.

Publié ou mis à jour le : 2024-06-11 21:57:33
Merly (12-06-2024 21:04:34)

Très bel article . Nous avons vraiment envie d'y aller en visite. Merci à Mathilde Dillmann. Elle nous donne un détail historique qui pourrait passer inaperçu : Tanneguy Le Veneur avait de longs pieds. Il accueillit la reine Catherine...en «grandeS pompeS»! Notez que Berthe avait bien un pied plus grand que l'autre...Alors !

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