1990-2018

Le rêve brisé de la « Nation Arc-en-ciel »

Au début des années 1980, l'Union sud-africaine, éprouvée par la difficile coexistence de populations rivales, semble s'orienter vers une explosion sanglante. Contre toute attente, celle-ci n'aura pas lieu. Le pays va se dissoudre pacifiquement et donner naissance à une République d'Afrique du Sud démocratique.

Ce miracle est l'oeuvre de deux hommes que tout opposait au départ : Frederik de Klerk, lointain descendant de huguenots français, et le charismatique Nelson Mandela.

Alban Dignat

Le renouveau

En janvier 1989, l'accession de Frederik de Klerk à la présidence de la république sud-africaine marque un changement de cap... Le nouveau gouvernement, confronté à des sanctions économiques internationales de plus en plus pesantes, prend acte de l'impasse où mène l'apartheid.

Par un coup d'éclat qui secoue la planète, le président de Klerk ordonne la libération le 11 février 1990 de plusieurs prisonniers politiques, dont le chef de l'ANC, Nelson Mandela (72 ans), en prison depuis 27 ans. Le vieil homme, devant les télévisions du monde entier, montre qu'il n'a rien perdu de ses convictions... ni de son charisme. Désormais, la direction de l'ANC, parti virtuellement interdit, va gouverner de facto de concert avec le gouvernement officiel.

Frederik de Klerk démantèle en juillet 1991 les derniers piliers de l'apartheid : la classification raciale et les quartiers réservés. Des délégations de tous les partis inaugurent un forum en mars 1993 en vue d'une nouvelle Constitution. L'aboutissement heureux de leurs travaux vaut à Nelson Mandela et Frederik de Klerk de recevoir le prix Nobel de la paix en novembre 1993.

Les deux hommes doivent encore surmonter l'opposition du leader zoulou Buthelezi qui laisse planer la menace d'une guerre civile. Enfin ont lieu les 26 et 27 avril 1994 les premières élections législatives multiraciales. Elles aboutissent au triomphe de l'ANC, qui recueille plus de 60% des suffrages. Le Parti national de Frederik de Klerk, qui a fait amende honorable en renonçant à l'apartheid, arrive loin derrière en seconde position.

Le 10 mai 1994, Nelson Mandela devient le premier président noir du pays, désormais doté d'un nouveau nom  : République d'Afrique du sud, et d'un nouveau drapeau. La Constitution adoptée le 10 décembre 1996 commence par les mots  : « Nous, peuple de l'Afrique du Sud ». Elle établit l'égalité de tous les citoyens devant la loi et reconnaît l'existence de 11 langues officielles, parmi lesquelles le zoulou, le xhosa et le venda. Elle exclut formellement la peine de mort.

Pour accélérer la construction de la « nation arc-en-ciel » dont rêve Mandela, une politique de discrimination positive est lancée. Une commission « Vérité et réconciliation », présidée par le prix Nobel de la Paix Desmond Tutu, est également mise sur pied afin d'aider la société sud-africaine à tourner la page de l'apartheid. Nelson Mandela ouvre le ban en se repentant pour les exactions commises par l'ANC clandestine dans ses bases angolaises. Dans un esprit de rédemption aux consonances très chrétiennes, la commission enregistre les dépositions et amnistie très largement les prévenus. Soucieux de réconciliation, Mandela lui-même rend visite à la veuve d'Hendrik Verwoerd...

Dans un premier temps, Mandela gouverne avec pour vice-présidents son fidèle second Thabo Mbeki et Frederik de Klerk et pour ministre de l'Intérieur le bouillant Buthelezi. Le 30 juin 1996, Frederik de Klerk et son parti rentrent dans une opposition qu'ils veulent constructive. Ils bloquent par ailleurs un projet afrikaner d'instaurer à l'Ouest de la province du Cap un territoire blanc plus ou moins autonome, le Volkstaat. L'ANC tient désormais toutes les rênes du pouvoir.

Le 17 juin 1999, Nelson Mandela ayant renoncé à solliciter un deuxième mandat, Thabo Mbeki lui succède fort naturellement à la présidence de la République. Il choisit pour vice-président le populiste Jacob Zuma, un Zoulou.

Désenchantement

Au tournant du XXIe siècle, par l'ampleur des changements intervenus depuis la fin de l'apartheid et l'adoption d'une constitution très progressiste (abolition de la peine de mort, droits des femmes...), l'Afrique du Sud offrait au monde l'exemple d'une révolution pacifique. Elle s'affichait comme la première puissance économique d'Afrique et d'éminents « experts » de la banque Goldman Sachs l'ont même rangée parmi les principaux pays émergents de la planète sous l'acronyme BRICS : Brésil ( !), Russie, Inde, South Africa.

Restait à « transformer l'essai »... Ce n'est pas gagné. C'est que la disparition de « Madiba », surnom affectueux de Mandela, le 5 décembre 2013, a libéré les haines et les ressentiments entre les Xhosas et les Zoulous, principales communautés noires du pays, mais aussi contre les blancs et les nombreux immigrés africains.

Le pays est encore très loin des standards occidentaux et souffre de graves inégalités sociales. La minorité blanche conserve la mainmise sur l'économie mais elle tend à se marginaliser par l'effet de l'émigration et d'une faible fécondité. Elle ne constitue déjà plus qu'un dixième de la population mais acquitte 90% des impôts. Dans les dix ans qui ont suivi la fin de l'apartheid, on estime que plus de 800 000 blancs, soit un sur cinq, ont déjà émigré vers les pays anglo-saxons, en particulier la Nouvelle-Zélande, et l'Autralie. Parmi eux beaucoup de diplômés, ingénieurs ou médecins.

À côté de la minorité blanche a émergé une bourgeoisie noire, enrichie par la corruption et par les lois antidiscriminatoires qui obligent les entreprises à ouvrir leur capital et leur conseil d'administration à des représentants de la majorité noire. Ces parvenus, arrogants et incompétents, calfeutrés dans des ghettos d'un luxe inouï et qualifiés de « Black Diamonds », ont contribué à faire de l'Afrique du Sud l'un des pays les plus inégalitaires du monde. Ils ont aussi couvert la répression meurtrière des manifestations de mineurs à Marikana, le 16 août 2012.

Les townships, surpeuplées, sont rongées par la criminalité, les viols et le sida. Ces mêmes townships sont envahies par des immigrés de toute l'Afrique et principalement du Zimbabwe, attirés par la relative prospérité du pays. Il s'ensuit des émeutes xénophobes de plus en plus souvent meurtrières qui font envier le sort des immigrés africains en Europe.

Les violences, qui atteignent même les enfants, font craindre une désagrégation du tissu social et rebutent les hommes d'affaires. Les investisseurs occidentaux fuient en conséquence le pays malgré les fabuleuses richesses de son sous-sol.

Qu'à cela ne tienne, le pays a profité dans la première décennie du XXIe siècle de la hausse du prix des matières premières, en lien avec la poussée économique de la Chine. L'Afrique du Sud a pu vendre à cette dernière ses minerais à prix d'or. Mais en contrepartie, elle a dû lui acheter ses produits manufacturés, ce qui a eu pour effet de ruiner ses propres industries manufacturières, textiles en premier lieu. Sur les marchés africains, les produits sud-africains sont aujourd'hui partout remplacés par les produits chinois...

Turbulences

Jacob Zuma, nouvel homme fort de l'ANC, principal parti sud-africain, a obtenu le 25 septembre 2008 la démission du président Thabo Mbeki et provoqué une scission de l'ANC. Il a été lui-même élu à la présidence de la République le 6 mai 2009. Sous sa présidence autoritaire et fantasque, la jeune démocratie sud-africaine est allée de crise en crise, la corruption généralisée atteignant le président lui-même.

Dans les années 2014-2015, le ralentissement de l'économie chinoise et la chute des prix des matières premières ont cassé la croissance sud-africaine et en 2017, le pays est entré en récession. L'insécurité et les inégalités sociales frisent désormais les records mondiaux. La même année, en 2017 donc, Jacob Zuma a été « débarqué » par l'ANC et remplacé par Cyril Ramaphosa, un Venda aux talents de diplomate reconnus. Empêché de succéder à Nelson Mandela en 1999, il s'était engagé dans les affaires jusqu'à devenir le premier milliardaire noir sud-africain.

Enfin au pouvoir, le voilà confronté aux racialistes noirs... Le 27 février 2018, le Parlement sud-africain de Tshwane (ex-Pretoria) vote à une écrasante majorité une motion visant à exproprier sans indemnité les 35 000 fermiers blancs encore en activité. C'est une façon d'amadouer les masses populaires irritées par la corruption, l'insécurité et la mauvaise gouvernance. Une semblable mesure a été prise deux décennies plus tôt au Zimbabwe voisin (ex-Rhodésie) par le président Mugabe. Elle a eu pour effet immédiat de ruiner le pays et d'anéantir son agriculture, le seul secteur productif du pays. Les mêmes conséquences sont à craindre en Afrique du Sud, auquel cas toute l'Afrique australe devrait bientôt recourir à l'aide alimentaire de l'Occident.

Publié ou mis à jour le : 2020-07-02 19:24:03

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