Europe occidentale

Le triomphe de la raison et de la science

Autour de l'An Mil, les Européens faisaient triste figure en regard des empires du reste du monde, de la Chine à l'empire de Bagdad et au califat de Cordoue. Six siècles plus tard, leur avance dans le domaine scientifique était devenue spectaculaire et n'allait plus faire que s'accroître jusqu'à la fin du XXe siècle. Les facteurs militaires et géopolitiques n'avaient rien à voir avec ce retournement de situation car, jusqu'au milieu du XVIe siècle, les Européens avaient les plus grandes difficultés à résister aux pressions extérieures, en particulier aux armées de l'empire ottoman limitrophe. Nous croyons plutôt qu'il tire ses origines de la structure familiale particulière des sociétés ouest-européennes...

Le climat, facteur de changement

L’« Optimum climatique médiéval » a été suivi au XIVe siècle d’un nouveau refroidissement de trois siècles, qualifié par les météorologues de « Petit Âge glaciaire ». Pour suppléer à l’insuffisance des récoltes, les populations riveraines de l’Atlantique, de la mer du Nord et de la Baltique sont allées pêcher du côté de Terre-Neuve dans les inépuisables bancs de morues et de harengs descendus de l’Arctique.

Leur mode de vie en a été transformé. Qui plus est, ils y ont gagné une grande expérience de la navigation hauturière (en haute mer). Forts de cette expérience, les Portugais ont pu faire œuvre de pionniers en se lançant dans les expéditions maritimes lointaines.

Ils n’ont pas tardé à être suivis et concurrencés par les Espagnols puis les Anglais et les Néerlandais. Côté français, seuls les Bretons de Saint-Malo et les Normands de Dieppe se sont lancés sur leurs traces… Les gouvernants français s’intéressaient en effet assez peu aux expéditions maritimes, à l’exception du roi François Ier et plus tard du ministre Richelieu. Leur royaume ne manquait pas de ressources et ils avaient assez à faire avec les enjeux continentaux.

Dans les régions alpines et les Pyrénées, la rigueur du climat, couplée à la violence des guerres de religion, a aussi eu une part de responsabilité dans l’émergence d’un phénomène d’une violence inouïe : la « grande chasse aux sorcières ».

En l’espace de deux générations (1560-1630), au moins trente mille femmes furent conduites au bûcher sous prétexte de commerce avec le diable. La France est restée pour l’essentiel imperméable à cette folie collective. Il est vrai qu’elle avait déjà bien assez souffert des guerres de religion entre catholiques et protestants (1562-1598).

C’est dans ce climat sombre à bien des égards que va pourtant naître et s’épanouir la grande révolution scientifique et intellectuelle des Temps modernes. Ceux-ci courent du XVIIe siècle à l’An 2000 : de même que la Renaissance a clos le Moyen Âge, nous pouvons dire que le XXe siècle a clos les Temps modernes.

Ces quatre siècles ont connu des avancées sans précédent par leur importance et leurs conséquences. La plupart se sont produites dans un espace restreint à la France, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et l’Allemagne, sans oublier l’Amérique du nord. Est-ce à dire que le génie aurait été mieux distribué dans ces régions-là que dans les autres ? En aucune façon. Nous croyons fermement qu’il est distribué de la même façon dans toute l’humanité. Mais nous croyons aussi qu’il s’épanouit plus ou moins selon l’environnement social. Si Blaise Pascal, Wolfgang Mozart ou Albert Einstein étaient nés dans le Sahel ou en Afghanistan, ils seraient devenus des gardiens de chèvres ou, au mieux, des coqs de village.

Cherchez la femme

Qu’est-ce qui fait donc que les sciences ont pu prospérer à la pointe de l’Eurasie et nulle part ailleurs ? La réponse nous est inspirée par les travaux de l’anthropologue Emmanuel Todd, qui a étudié pendant quarante ans et en autant d’ouvrages les systèmes premiers villages, l’agriculture et l’élevage, d’abord au Moyen-Orient, puis en Chine, dans le Sahel et en Amérique centrale. Là, sur un axe « Bamako-Bagdad-Beijing » (Todd), sont nées les premières civilisations sédentaires, avec dans certains cas l’écriture et des embryons d’État.

Les structures familiales se sont en tous ces lieux adaptées aux nouvelles conditions d’existence. Du fait d’écarts de revenus plus importants, des hommes ont pu s’offrir plusieurs femmes, avec plaisir sexuel et force de travail en prime. Pour ne pas disperser les fortunes, ils ont aussi privilégié les unions entre cousins proches. Les règles d’héritage et les rapports entre les générations et les sexes se sont ainsi éloignées du modèle nucléaire primitif et ont évolué de diverses façons vers plus de stabilité et de cohésion.

Pour les jeunes hommes de ces communautés, l’avenir apparaissait autrement plus serein qu’à l’époque des chasseurs-cueilleurs : ils cultivaient le champ de leurs parents et jouaient avec leur cousine en attendant d’hériter du premier et d’épouser la seconde. Quand sont apparus les premiers empires, peu avant notre ère, en Perse et en Chine, les villageois n’ont même plus eu à se soucier de leur sécurité, l’ordre étant assuré par l’armée du souverain, en contrepartie de l’impôt. Tout cela était confortable et n’incitait pas au mouvement ou à la contestation.

Les barbares des régions périphériques sont restés en marge de ces progrès jusqu’au moment où ils sont entrés en contact avec les peuples dits civilisés. Ce rapprochement s’est produit, on l’a vu, sur les franges occidentales de l’empire romain au début de notre ère, au point de rencontre entre les Germains et les Latins. Il a conduit à l’émergence d’une société d’un type nouveau, avec tous les attributs de la civilisation : écriture, administration, État centralisé, unité religieuse (le mot religion, qui vient du latin relegere, « relier », désigne ce qui relie les hommes entre eux) mais aussi avec une structure familiale archaïque, du type nucléaire, fondée sur le mariage monogamique, indissoluble et librement consenti, dans une relative égalité de statut entre les hommes et les femmes.

Cette forme de société est née au cœur du Regnum Francorum (la France actuelle) et s’est étendue à l’ensemble de la chrétienté médiévale. Instable et relativement inconfortable, elle n’offre en général aux jeunes gens aucune garantie d’héritage et de mariage. Elle les oblige à se prendre en charge dès l’enfance, à se former et faire preuve d’initiative et d’inventivité pour asseoir leur avenir. Voilà comment, avec cette interprétation très schématique des thèses d’Emmanuel Todd, on peut comprendre le fabuleux destin de Blaise Pascal, Wolfgang Mozart ou Albert Einstein !...

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2023-11-22 19:08:59

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