Immigration : quel avenir pour la France ? (1/4)

Politiques de Gribouille

Depuis quatre décennies, la France et l'Europe rejettent les travailleurs étrangers, même à titre temporaire, mais accueillent de manière définitive une immigration familiale plus difficile à assimiler...

Si le Vieux Continent est devenu en ce début du XXIe siècle la principale région d'immigration dans le monde, devant l'Amérique du Nord, c'est le résultat paradoxal des restrictions à l'entrée légale de travailleurs dans les années 1970.

« Préférence nationale »

Avant 1974, les pays européens accueillaient librement de jeunes travailleurs d'Afrique du Nord, de Turquie ou d'Afrique noire dans la mesure où ils trouvaient à s'employer. Certains faisaient souche et se fondaient dans la nation. Mais la plupart, nostalgiques de leurs racines ou rebutés par les conditions de vie et d'accueil, revenaient chez eux au bout de quelques années avec un pécule et se faisaient remplacer par un fils ou un neveu.

Cette immigration à double sens n'était somme toute guère différente des migrations intra-européennes qui l'avaient précédée avec ses succès et ses échecs.

Mais à la fin des « Trente Glorieuses » (1944-1974), l'opinion publique et les gouvernants se sont alarmés de la montée soudaine du chômage et n'ont eu rien de plus pressé que d'arrêter l'entrée des travailleurs étrangers et le regroupement familial au nom de la « préférence nationale », selon une expression popularisée plus tard par l'extrême-droite.

Quoique maladroite, cette politique fut approuvée par la gauche et l'extrême-gauche en vertu d'un principe tout à fait louable, le « développement autocentré » : selon ce principe énoncé par Michel Rocard, chaque pays, à l'image de la Chine de Mao ou de la Yougoslavie autogérée de Tito, devait se développer en ne comptant que sur ses propres forces, sans piller les ressources matérielles ou humaines des autres pays.

C'est ainsi que le 3 juillet 1974, en France, sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing, une directive suspendit l'immigration légale de jeunes travailleurs ainsi que de familles du tiers monde. La nouvelle réglementation mit fin à la « noria » entre pays de départ et pays de travail.

Les travailleurs étrangers déjà installés en France n'eurent plus la possibilité de se faire remplacer par un proche et craignirent de perdre le peu qu'ils possédaient s'ils venaient à « rentrer au pays ». Ils manifestèrent donc le souhait de s'établir définitivement dans le pays d'accueil avec leur famille.

Sur injonction du Conseil d'État, le secrétaire d'État à l'immigration Paul Dijoud et le Premier ministre Jacques Chirac rétablirent donc le droit au regroupement familial le 1er juillet 1975, en l'accompagnant de primes et d'aides à l'installation. Par un généreux décret en date du 29 avril 1976, ce droit fut confirmé par le ministre du travail Michel Durafour.

Les pouvoirs publics furent très vite débordés par l'afflux des demandes et le gouvernement de Raymond Barre tenta le 10 novembre 1977 de suspendre certaines dispositions du précédent décret mais le Conseil d'État cassa son décret au motif de respecter « le droit pour les immigrés à une vie familiale normale » (on verra dans la dernière partie de l'analyse qu'il y a d'autres façons d'appliquer ce droit que d'enlever une femme et des enfants à leur environnement habituel).  

Avec cette affaire débuta la prise en main de la politique migratoire par les juges. Dans un commentaire très argumenté de la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, le magistrat administratif Michel Bouleau met en lumière « un triple mouvement d'effacement de la norme législative, de subjectivisation de l'office du juge et d'affirmation d'un pouvoir administratif ». Pour le dire de manière plus crue, depuis 1975, les juges ont fait en sorte d'assouplir progressivement tous les obstacles en matière d’immigration ! Les juges ont ainsi permis à l’autorité administrative (le ministère de l’Intérieur) de gérer les régularisations à coup de circulaires sans que les parlementaires puissent intervenir (note).

Le dernier épisode en la matière est la décision du Conseil constitutionnel en date du 6 juillet 2018, qui a dépénalisé le délit d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger en vertu d’un « principe de fraternité » inscrit dans la devise de la République française ! Si le sujet n’était pas si grave, on pourrait sourire de cette interprétation orwellienne qui torture les mots :
• L’inscription de la fraternité dans la devise n’en fait pas pour autant un principe juridique et un élément constitutif du droit.
• La fraternité désigne à proprement parler une relation solidaire entre les membres d’une même communauté, en l’occurrence la communauté des citoyens ; élargie à toute l’humanité, elle n’a aucun sens, sinon dans le messianisme chrétien.
• La fraternité est une relation d'égal à égal ; elle n’a rien à voir avec la charité à l'égard des immigrants irréguliers, qui induit une relation inéquitable de supérieur à inférieur.

Il en résulte un enchaînement absurde qu'eut apprécié Gribouille, un personnage de la comtesse de Ségur qui plongea dans la rivière pour échapper à la pluie :

- Une immigration à faible productivité :

D'un côté, les représentants de l'État facilitent depuis 1977 l'entrée de non-travailleurs dans le pays (femmes, enfants...) avec, au besoin, des aides financières à leur installation ; en même temps, ils se plaignent de ne pouvoir correctement les assimiler (éducation, logement, sécurité, assistance, santé) malgré un très important réseau associatif financé par les subventions publiques.

De l'autre, l'industrie ne trouve plus dans l'immigration légale les travailleurs motivés dont elle a besoin. Dans la confection, le bâtiment, les travaux agricoles… les employeurs en manque de main-d'œuvre bafouent donc la loi et le code de travail en multipliant les embauches d'étrangers en situation irrégulière !

Il s'ensuit l'ouverture de nombreuses filières d'immigration clandestine et l'apparition de nouvelles formes d'esclavage en collusion avec des réseaux africains. C'est ainsi que des chefs de village et des confréries comme les Mourides musulmans du Sénégal envoient leurs serviteurs en France. Travaillant dans les champs ou sur les chantiers, faisant les ménages ou vendant des pacotilles chinoises dans les lieux touristiques, ces clandestins condamnés à la promiscuité des taudis ont l'obligation de renvoyer à leur patron l'essentiel de leurs revenus. La barrière de la langue et plus encore la pression du clan les empêchent de revendiquer leurs droits.     

Au bilan, en contradiction avec le « bon sens » commun, les restrictions à l'emploi légal de travailleurs étrangers en France et dans le reste de l'Europe n'ont pas le moins du monde réduit le chômage. Mais elles favorisent l'immigration familiale, intensifient les flux migratoires et dégradent le marché du travail !

- Des pays de départ déstabilisés :

La nouvelle réglementation sur le regroupement familial s'est révélée également néfaste pour le tiers monde.

Plaçant tous leurs espoirs dans la fuite, les jeunes gens les plus éveillés d'Afrique et du Moyen-Orient ont perdu l'envie de travailler au développement de leur pays et n'ont eu d'autre objectif que de gagner le paradis européen. Une fois installés en Europe avec femme et enfants, ils n'ont plus autant eu le souci de nourrir leur famille restée au village.

Les transferts de fonds des émigrés à leur famille restée au pays représentaient au total dans le monde environ 669 milliards de dollars en 2023 selon la Banque Mondiale, soit beaucoup plus que toute l'aide publique au développement. Mais si ces transferts améliorent dans l'immédiat le sort des bénéficiaires, ils sont affectés à des dépenses de prestige (construction de belles maisons ou de mosquées) bien plus qu'à des investissements productifs.

En Algérie comme au Sahel, on ne décèle aucun progrès matériel induit par l'émigration... Au contraire, celle-ci fait fonction de soupape aux mécontentements sociaux  avec pour seul résultat de permettre le maintien de régimes népotiques et incapables.   

Immigration « légale », immigration « clandestine »

Au tournant du XXIe siècle, la classe politique prétendait encore réprimer l'immigration clandestine. Depuis 2015 et l'arrivée en masse d'immigrants illégaux par les Balkans ou la Méditerranée, il n'est plus question que d'accueillir au mieux ces derniers. La différence entre immigration « légale » (réputée utile) et immigration « clandestine » (officiellement réprouvée) tient désormais aux délais de régularisation, les premiers étant plus vite régularisés que les seconds.

- Des « clandestins » de moins en moins clandestins :

D'un côté, bon an mal an, la police fait du « chiffre » en expulsant à prix d'or quelques milliers de réfugiés roumains ou bulgares sans que cela les empêche de revenir plus tard. De l'autre, le ministère de l'Intérieur régularise au fil de l'eau les immigrants de toutes origines qui ont pu franchir la Méditerranée ou les sas d'aéroport, ce qui vide de leur sens les réglementations sur la répression de l'immigration clandestine et le travail illégal.

Pour ne rien arranger, en France et en Europe occidentale, en ce début du XXIe siècle, on a prétendu restaurer un « droit du sol » selon lequel tout enfant qui vient à naître sur le sol national obtient automatiquement la citoyenneté du pays.

Il s'agit d'un contresens sur une juridiction ancienne qui avait une toute autre signification. Aux États-Unis, depuis 1790, cette juridiction accordait la citoyenneté à tous les immigrants blancs et libres (white free men) ainsi qu'à leurs enfants à naître... mais la refusait aux natifs indiens et noirs ! En France, à la fin du XIXe siècle, elle avait été adoptée pour contraindre les enfants d'immigrés italiens à accomplir leur service militaire tout comme leurs camarades d'école français, ce qui n'avait rien d'un privilège !

La mésinterprétation de ce droit au XXIe siècle incite des femmes étrangères au dernier stade de leur grossesse à pénétrer illégalement en France (Comores, Guyane, Méditerranée...)  pour y accoucher et obtenir pour leur enfant et donc pour elles-mêmes un titre de séjour.

- « Regroupement familial », repli communautaire et dégradation de la condition féminine :

On convient d'appeler « clandestin » ou « sans-papier » un jeune Africain qui traverse au péril de sa vie le détroit de Gibraltar pour s'embaucher dans une exploitation agricole ou une entreprise de construction... mais on considère comme immigrante régulière l'adolescente turque, nord-africaine ou noire qui est mariée par son père à un cousin déjà installé en Europe.

Cette aberration résulte de l'une des ambiguïtés majeures de notre droit, le droit au regroupement familial dans le pays d'accueil (note).

Ce droit se fonde sur la conception traditionnelle de la famille occidentale : un homme et une femme qui ont librement décidé de s'unir pour la vie, ainsi que les enfants nés de leur union. Mais cette conception est devenue caduque en Occident, où aucun contrat civil n'est aujourd'hui plus éphémère que le mariage. Elle n'a surtout rien à voir avec les conceptions matrimoniales qui prévalent sous d'autres cieux (polygamie et/ou mariage forcé d'adolescentes).

Du fait de cette équivoque sur le sens donné au mariage, le « regroupement familial » est devenu le prétexte à une immigration clandestine déguisée, de loin la plus importante et la plus pernicieuse.

En effet, les immigrants qui ont pu régulariser leur situation en France ou en Europe retournent chercher dans leur village d'origine une adolescente qu'ils présenteront à l'état-civil comme leur épouse et dont ils feront leur domestique, leur esclave sexuelle et la génitrice de leurs enfants. Le manège peut se reproduire plusieurs fois avec pour résultat qu'il y aurait par exemple plus de ménages polygames dans les quartiers maliens de Montreuil-sur-Seine qu'à Bamako (note).

L'assimilation de ces familles est d'autant plus utopique que la majorité des enfants reviennent dans le pays d'origine de leurs parents pour y prendre à leur tour un conjoint. 98% des jeunes Turcs de France seraient dans ce cas ainsi que la majorité des Sahélien(ne)s. Chaque nouvelle génération effectue ainsi un retour à la case départ, vidant de son sens le concept de « deuxième ou troisième génération ».

Dans le même temps, à rebours des Européennes, les femmes d'origine africaine ou turque voient leur condition se dégrader irrésistiblement. Vouées à la relégation dans des logements sociaux, dans la soumission à leur « époux » ou à leur père, elles ont peu d'espoir d'assimiler un jour les valeurs et le mode de vie du pays d'accueil.  

Le magazine Pèlerin du 17 mai 2012 a consacré un reportage émouvant à l'une de ces victimes du regroupement familial, Fatoumata, livrée à 17 ans à un homme de vingt ans plus âgé et déjà bigame, arrachée à son milieu pour finir à La Courneuve sans amies ni relations (note).

Moi, Fatoumata, femme de ménage (Pèlerin, 17 mai 2012, par Charles-Arnaud Ghosn, illustrations : Olivier Balez), DR
Publié ou mis à jour le : 2024-10-01 16:56:18

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