Pendant cinq siècles, la Cité interdite a été le centre du monde comme le suggère son nom officiel : « Cité violet-pourpre interdite ». Ce nom fait allusion à la couleur théorique de l'étoile polaire qui est au centre du monde céleste comme la Cité interdite est au centre du monde terrestre.
Vingt-quatre « Fils du Ciel », titre officiel des empereurs chinois, se sont succédés dans cette succession de pavillons somptueux et de jardins qui compose au coeur de Pékin le plus vaste ensemble monumental en bois de la planète.
C'est du pavillon central que les empereurs édictaient le calendrier de l'année à venir et ainsi assuraient de bonnes récoltes et alignaient l'ordre humain sur l'ordre naturel. De là, ils présidaient aussi les revues et les parades militaires. La Cité interdite rayonne encore aujourd’hui de cette puissance symbolique héritée de l’Histoire et le pouvoir communiste ne s’y est pas trompé puisque ses plus hautes instances sont installées au Zongnanhai, une « nouvelle Cité interdite » située dans un vaste parc flanqué de lacs qui jouxte à l’ouest l'authentique Cité interdite...
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L'ouvrage de Bernard Brizay, Petite et grande histoire de la Cité interdite (Paris, Perrin, 2023, 384 pages), nous plonge dans la vie quotidienne de tous les personnages de la Cité interdite constituant l’immense cour réunie autour du « Fils du Ciel ». Une telle concentration de pouvoir dans un cercle si étroit favorisait naturellement moult intrigues et retournement d’alliances, voire des crimes. L’auteur nous dévoile tout un monde, avec ses différents groupes aux fonctions bien définies, ses codes, sa hiérarchie, l’étiquette qui règle le quotidien mais aussi les grandes cérémonies et les drames qui ont émaillé cinq siècles de présence des « Fils du Ciel ». Pour la première fois, ce livre met aussi en lumière les eunuques. À la fois conseillers et hommes de confiance de l’empereur mais aussi des concubines, ils se sont maintes fois transformés en espions pour servir les unes et les autres… Un livre totalement dépaysant et qui montre pourtant des passions humaines si familières.
L’étoile chinoise
La Cité interdite (Zijincheng) incarne la figure du souverain, le Fils du Ciel, et le pivot autour duquel tournent les affaires célestes. En tant que siège du pouvoir impérial, elle représente le point central, axial, de l'Empire et du monde, vers lequel tout converge. L'empereur, quant à lui, a pour devoir principal de gouverner un Empire qui se doit d’être fort et stable, mais aussi de perpétuer la lignée impériale en ayant un fils.
Pendant près de cinq cents ans, la Cité interdite a abrité les deux dernières dynasties chinoises, les Ming (1368-1644) et les Qing ou Mandchous (1644-1911), soit 24 empereurs au total. Outre son importance historique et architecturale, elle renferme un véritable trésor culturel dont une riche collection d'objets d'art datant principalement de la période des Qing.
La Cité interdite doit son existence au troisième empereur de la dynastie des Ming, Zhu Di, mieux connu sous son nom de règne, Yongle. Celui-ci a hérité d’un fief au nord-est de la Chine, autour de l'ancienne capitale des Yuan (Mongols). Elle a été fondée par Kubilaï Khan en 1271 sous le nom de Khanbalik ou « ville du Khan » (« Cambaluc » selon Marco Polo) ; les Chinois l'appellent Dadu (« Grande Capitale »).
Après avoir pacifié la région, encore menacée par les Mongols, Zhu Di se prend à nourrir des ambitions impériales. Il se brouille avec son neveu Jianwen qui règne à Nankin (Nanjing), capitale des premiers Ming, en amont du delta du fleuve Yangzi. Se doutant que le jeune empereur va le destituer, il décide de prendre les devants en marchant sur la ville.
Après une guerre civile acharnée, Zhu Di s'empare de la « capitale du Sud ». Il incendie le palais impérial et se proclame empereur sous le nom de Yongle. Jianwen disparaît, sans doute dans les flammes. La ville est en partie détruite. Il semblerait que par la suite, Yongle n’a jamais pu se persuader de la mort de son neveu, et que ce doute a empoisonné son existence.
Une décision « capitale »
En 1421, pour asseoir sa légitimité et son pouvoir, Yongle décide de transférer la résidence impériale de Nankin à Dadu, dès lors rebaptisée Pékin (la « capitale du Nord »). Il souhaite également demeurer dans son ancien fief et renforcer la défense militaire de l'Empire contre les invasions des nomades barbares.
Un choix étrange cependant que de créer une capitale éloignée des riches ressources de la Chine centrale et située dans un endroit peu hospitalier, entouré de montagnes au Nord et à l’Ouest, dans une plaine marécageuse, glacée l’hiver et torride l’été, qu’aucun fleuve ne vient irriguer. Osons la comparaison : c’est comme si Strasbourg avait été préférée à Paris comme capitale de la France, pour mieux la protéger des invasions germaniques.
Pékin est conçue selon un schéma d'emboîtements architecturaux, avec quatre villes distinctes entourées de trois enceintes concentriques :
• Au sud, la Ville extérieure abrite le temple du Ciel, avec ses terrasses concentriques, ainsi que des quartiers d'habitation et des administrations.
• Au nord, la Ville intérieure abrite la majorité de la population et comprend des jardins, des tombeaux et divers bâtiments.
• Au sein de cette Ville intérieure, la Ville impériale abrite les résidences des princes, le personnel du palais, des écuries, des vergers, ainsi que des annexes et des administrations de l'Empire. On y trouve le temple des Ancêtres impériaux à l'Est, et l'Autel du dieu des Moissons à l'Ouest, où l'empereur effectue des sacrifices deux fois par an.
• Enfin, au centre de la Ville impériale se trouve la Cité interdite ou Cité pourpre. C'est un grand rectangle de 72 hectares dont 15 de surface bâtie, long de 960 mètres et large de 750. Elle est entourée d’une muraille haute de 10 mètres et de douves remplies d’eau, larges de 52 mètres et profondes de 6 mètres.
Un chantier titanesque
La construction de la Cité interdite a nécessité dans un premier temps de consolider les digues du Grand Canal impérial qui relie le sud et le nord du pays. Plus de 300 000 ouvriers, dit-on, ont été mobilisés pour rendre cet axe navigable et acheminer de différentes provinces les matériaux de construction nécessaires : pierre, marbre, briques, tuiles vernissées, etc.
Parmi ces matériaux, on trouve 100 000 troncs d'arbres vieux de plus de cent ans, appelés nanmu (cèdre), provenant de provinces éloignées du sud-ouest de l'Empire. Ces troncs ont été transportés pendant plusieurs années par différentes rivières et voies fluviales, notamment le Yangzi, avant d'arriver à Pékin par le Grand Canal.
Pour mener à bien la construction, plus de 136 000 foyers de la province voisine du Shanxi ont emménagé à Pékin tandis que plus de 230 000 paysans, artisans qualifiés, terrassiers et soldats ont été mobilisés par roulement pour travailler sur le chantier pendant quinze ans.
Depuis sa construction au début du XVe siècle, la Cité interdite a suscité la fascination et l'imagination des Occidentaux, en particulier à partir de notre XVIIe siècle. Des missionnaires chrétiens et des historiens occidentaux, tel le jésuite Jean-Denis Attiret, restent émerveillés par la grandeur et la beauté de ce palais impérial :
« Quand on a vu ce que l’Italie et la France ont de monuments et d'édifices, on n’a plus que de l’indifférence et du mépris pour tout ce qu’on voit ailleurs. Il faut cependant en excepter le palais de l’empereur à Pékin, et ses maisons de plaisance : car tout y est grand et véritablement beau, soit pour le dessin, soit pour l’exécution, et j’en suis d’autant plus frappé que nulle part rien de semblable ne s’est offert à mes yeux. »
Yongle, magistral concepteur de Pékin et la Cité interdite
L'empereur Yongle a imposé aux architectes de la Cité interdite de respecter les traditions architecturales anciennes et les principes cosmologiques du Li Jing et du Yi Jing, ces textes qui régissent la construction des édifices publics et religieux en Chine. Les principes du feng shui, une pratique visant à harmoniser l'énergie d'un lieu, sont également afin de créer un équilibre des forces et une circulation optimale de l'énergie, le qi.
La Cité interdite doit enfin refléter les préceptes du confucianisme, avec pour objectif de manifester l'autorité de l'empereur et la puissance de l'Empire... mais aussi de le protéger. Notons que la majorité des noms des monuments qui composent la Cité interdite évoquent encore la vertu, l’harmonie, le bonheur et la paix, qualités qui sont au cœur du confucianisme.
La Cité interdite est ainsi le résultat de plus de deux millénaires de développement architectural et s'inscrit dans la continuité des anciennes résidences impériales des Yuan et des Ming. L’architecte Cai Xin et l’eunuque annamite Ruan An l'érigent sur les fondations de l'ancien palais des Yuan mais adoptent un plan inédit.
La disposition des bâtiments est conçue de manière symétrique, avec un axe central Sud-Nord, la partie officielle étant située au sud et la partie privée au nord. Une enfilade de cours mène à des bâtiments de plus en plus importants. De larges cours pavées précèdent l’entrée des palais, généralement édifiés sur des terrasses.
Les pavillons à plan rectangulaire sont l'unité de base de cet ensemble. Ces constructions se distinguent par leurs colonnes cylindriques rouges qui supportent une toiture typique à bords relevés. Les charpentes sont dépourvues de chapiteaux et reposent sur un système de consoles en bois assemblées par tenons et mortaises. Les colonnes et les charpentes assurent le support structurel du bâtiment. Les murs ne sont pas porteurs et ne jouent aucun rôle architectonique conformément à des traditions bimillénaires.
La Cité interdite est composée de 90 palais aux murs de couleur pourpre, symbole du bonheur. La symbolique des couleurs mais aussi des chiffres est très importante dans cet espace ultra ritualisé. La légende veut ainsi que la Cité interdite compte 9999 pièces, un chiffre symbolique représentant la puissance du principe yang à son maximum. En réalité, elle en compte un peu moins de 9000 répartis dans 980 bâtiments, ce qui n'est déjà pas si mal (à comparer aux 2300 pièces du château de Versailles).
Chaque côté de la muraille correspond à l’un des points cardinaux. Quatre bastions aux formes originales, surmontés chacun d’un gracieux pavillon à la toiture jaune complexe, flanquent la muraille aux quatre angles du rempart. Leurs toits incurvés se reflètent dans les eaux tranquilles et profondes des douves.
La Cité interdite comporte quatre portes d’accès, une sur chaque façade, chacune avec trois ouvertures et couronnée d’un large pavillon. Les deux portes principales, Wumen (porte du Midi) et Shenwumen (porte du Génie militaire), se trouvent au centre des murs sud et nord. Elles marquent les deux extrémités du grand axe transversal, tandis que les portes des murs Est (porte Donghua) et Ouest (porte Xihua) sont placées non loin des angles méridionaux, afin de rendre plus facile l’accès des bureaux et des lieux de cérémonie, tous situés dans la partie sud.
L'ouverture centrale de la porte du Midi est réservée à l'empereur, à l'entrée de l'impératrice lors de son mariage et à la sortie des trois lauréats du Concours impérial, tous les trois ans. Les dignitaires et fonctionnaires doivent descendre de leur monture ou de leur palanquin devant la porte du Midi et entrer à pied dans le palais. Cette porte est la dernière à avoir été construite dans la Cité interdite, car tous les matériaux de construction y ont transité. L'axe sud-nord de la ville de Pékin part de cette porte et s'étend sur 8 km au nord, jusqu'aux tours du Tambour et de la Cloche.
La porte du Midi, considérée comme le plus grand édifice monumental de la Cité interdite, dégage une impression de grandeur et de solidité. De sa terrasse nord, on peut voir toute la cour extérieure jusqu'à la porte de l'Harmonie suprême, située à 600 mètres de là. Une fois la porte du Midi franchie, on découvre les espaces et les bâtiments du Palais impérial, utilisés pour la vie officielle.
Les vastes espaces de la cour extérieure ne comportent pas d'arbres afin d'éviter tout bruit du vent ou gazouillis d'oiseaux qui pourraient perturber les cérémonies impériales. Une mince rivière artificielle, la Rivière des Eaux dorées, traverse la cour extérieure d'ouest en est. Cette rivière permet de faire circuler le Qi, l'énergie enfouie dans le sol, et d'évacuer les impuretés néfastes. Cinq ponts de marbre avec des balustrades sculptées de dragons et de nuages l‘enjambent, le pont central étant, comme il se doit, réservé à l'empereur.
À l'extrémité de la cour extérieure, la porte de l'Harmonie suprême, gardée par des lions en bronze, mène par un escalier de marbre blanc à une vaste esplanade de 30 000 m2, où se trouve le palais de l'Harmonie suprême, le plus imposant et le plus symbolique de tous les bâtiments de la Cité interdite. Cette esplanade a été immortalisée dans le film Le Dernier Empereur de Bernardo Bertolucci (1987).
Le palais de l’Harmonie suprême couvre une surface au sol de 2 300 m2. Sa toiture repose sur 72 colonnes. Sa triple terrasse de marbre est ornée de balustrades sculptées de dragons et de phénix, ainsi que de pilastres ouvragés et de statues d'animaux symboliques, tels que des grues (symbole de longévité) et des tortues (symbole d'immortalité). Il abrite la salle du Trône, considérée comme le cœur du monde terrestre : de son trône, l'empereur peut contempler ses vassaux tandis qu'ils doivent imaginer sa présence qui les domine de plus de dix mètres de hauteur.
Le palais abrite également tout un monde de dragons sculptés, emblèmes de l’empereur. L'historien norvégien Osvald Siren observe que « l'effet grandiose de cet édifice est dû en grande partie à ses substructions magnifiques, sa terrasse en marbre et à son aspect dégagé, avec le grand toit qui semble planer au-dessus des colonnades ouvertes. »
Der Ling, dame de compagnie favorite de Cixi (entre 1903 et 1904), partage sa répulsion envers le Palais impérial de Pékin :
« Il était si vieux et construit d’une si drôle de manière. Les cours étaient petites et vastes les vérandas. Pas d’électricité. On devait s’éclairer à la bougie, le matin pour s’habiller, comme au milieu de l’après-midi. Toutes les pièces étaient sombres. On ne pouvait apercevoir le ciel que depuis la cour, en regardant en l’air… Sa Majesté n’a jamais aimé demeurer à la Cité interdite. Je n’en suis pas surprise, tant je la détestais également. » Elle se réjouit quand Cixi décide de retourner au Yihe yuan.
La Cité interdite meurtrie et délaissée
Il n’est guère possible d’évoquer la Cité interdite sans convoquer l'influence croissante des eunuques, les « termites du palais » selon l’expression de Louis Le Comte, auteur d’un Jésuite à Pékin : « Pendant toute la longue histoire de la Chine, ou presque, la structure a été affectée par les termites du palais, c’est-à-dire les eunuques. Cela ne veut pas dire que tous les eunuques du palais étaient malfaisants. Cependant, un système qui repose sur la cupidité, la duplicité, la soif du pouvoir, nourri par les racines repoussantes de la corruption, produit nécessairement des scélérats, ou au moins des gens peu recommandables. »
Les derniers empereurs Ming leur ayant abandonné la réalité du pouvoir, il est devenu évident au début du XVIIe siècle qu'ils avaient perdu le « mandat du Ciel ». Le 25 avril 1644, traqué jusque dans son palais par des rebelles, l’empereur Chongzhen (1628-1644) n'a d'autre choix que de se pendre. Pékin est alors incendiée par le nouveau maître de la ville Li Zicheng et plusieurs pavillons de la Cité interdite sont la proie des flammes.
Là-dessus, empire tombe aux mains d'une nouvelle dynastie fondée par les redoutables barbares du nord, les Mandchous, pénètrent dans la capitale et s'emparent du pouvoir. Leur chef fonde la nouvelle dynastie des Qing et s'installe dans la Cité interdite. Après lui, les grands empereurs mandchous, ces « trois despotes éclairés », selon l’historien Jacques Gernet, Kangxi (1662-1722), Yongzheng (1723-1735) et Qianlong (1736-1795) vont s'employer à la restaurer et à compléter en ayant soin de respecter la configuration souhaitée par Yongle. Ils sont les seconds fondateurs de la Cité pourpre interdite.
Ainsi la Cité interdite a-t-elle pu conserver son aspect général du XVe siècle jusqu’à nos jours même si pas un bâtiment, palais ou pavillon, n’est d’origine, tout de bois qu’ils sont construits.
Mais l’inconfort du Palais impérial, glacial en hiver, étouffant en été, et la lourdeur du protocole ont incité beaucoup d'empereurs à la déserter au moins à titre temporaire, pour s’établir dans des « résidences secondaires » proches de Pékin, agrémentées de parcs et de jardins, tel le Yuanming yuan, l’ancien palais d’Été, au nord-ouest de la capitale. Ou encore l’autre palais d’Été, celui de Chengde, en Mandchourie, de l’autre côté de la grande muraille. Au XVIIIe siècle, Kangxi, Yongzheng et Qianlong y passent le plus clair de leur temps.
Il en va de même de l’impératrice Cixi à la fin du XIXe siècle. L’impératrice douairière a dans un premier temps vécu au Chuxiu Gong, le Palais des Élégances accumulées. C’est là qu’elle a donné naissance au futur empereur Tongzhi, alors qu’elle n'était encore que la concubine de l’empereur. Ce pavillon figure parmi les six palais de l’Ouest, dans la partie privée de la Cité interdite. Cixi n’a jamais caché l’aversion qu’elle éprouvait pour ce lieu et en a toujours voulu aux envahisseurs occidentaux d’avoir détruit son cher Yuanming yuan, lors de la seconde guerre de l’Opium, en 1861. Dans les années 1880, elle a fait reconstruire pour y habiter - avec les fonds destinés à la marine - le Yihe yuan, le nouveau palais d’Été, que les touristes visitent aujourd’hui.
Pierre Loti, officier de marine et romancier, participe à l'expédition occidentale qui va réprimer la révolte des Boxers en 1901. Dans Les derniers jours de Pékin, un livre paru l'année même de cette révolte, il exprime sa désolation devant la Cité interdite, abandonnée par la Cour :
« Qui donc habitait là, séquestré derrière tant de murs, tant de murs plus effroyables mille fois que ceux de toutes nos prisons d’Occident ? Qui pouvait-il bien être, l’homme qui dormait dans ce lit, sous ces soies d’un bleuâtre nocturne, et, qui, pendant ses rêveries, à la tombée des soirs, ou bien à l’aube des jours glacés d’hiver pendant l’oppression de ses réveils, contemplait ces pensifs petits bouquets sous globe, rangés en symétrie sur les coffres noirs ?…
C’était lui, l’invisible empereur fils du Ciel, l’étiolé et l’enfantin, dont l’empire est plus vaste que notre Europe, et qui règne comme un vague fantôme sur quatre ou cinq cents millions de sujets. […]
Cet inviolable palais, d’une lieue de tour, qu’on n’avait jamais vu, dont on ne pouvait rien savoir, rien deviner, réservait aux Européens, qui viennent d’y entrer pour la première fois, la surprise d’un délabrement funèbre et d’un silence de nécropole.
Il n’allait jamais par là, le pâle empereur. Non, ce qui lui seyait à lui, c’était le quartier des jardinets et des préaux sans vue, le quartier mièvre par où les eunuques regrettaient de nous avoir fait passer. Et, c’était, dans un renfoncement craintif, le lit-alcôve, aux rideaux bleu-nuit »
La Cité interdite aujourd'hui (photos : Isabelle Grégor, 2015) :
Mort « symbolique » et renaissance de la Cité interdite
Après la mort presque simultanée de l’impératrice douairière Cixi (laquelle est décédée à la Cité interdite) et de l’empereur Guangxu, en 1908, la Cité interdite cesse pratiquement d’exister sur le plan politique. C’est la mort « symbolique » du palais impérial de Pékin. En 1912, la République est proclamée. Mais les insurgés veulent se ménager une monnaie d'échange en cas d'échec. Puyi, le « dernier empereur », encore enfant, conserve le droit de résider dans la partie privée, au nord de la Cité, nanti d’un confortable « Contrat de Bienveillance ». Ceci jusqu’à son expulsion en 1924, suite à un coup d’État d’un « seigneur de la guerre », Feng Yuxiang.
Devenue un musée en 1925, la Cité interdite a été partiellement ouverte au public. En 1937, suite à l’invasion de la Chine par le Japon, Chiang Kai-shek la vide en grande partie de ses trésors artistiques. Lesquels se trouvent transférés à Taiwan depuis 1949, où ils constituent les collections du Musée national du Palais de Taipeh.
En dépit de sa désaffection relative depuis les empereurs Kangxi et Qianlong aux XVIIIe et XIXe siècles, la Cité interdite a conservé son prestige et sa renommée. Immuable elle est restée, comme un indestructible symbole de la Chine éternelle. C’est depuis le balcon de la porte de la Paix céleste, qui donne sur la place Tian’anmen, que le 1er octobre 1949, Mao Zedong a proclamé l’avènement de la République populaire de Chine !
Depuis les années 1950, des efforts de restauration considérables ont été entrepris pour la préserver et rénover. Ces travaux ont permis de redonner tout son lustre au vieux palais, lui permettant d'être désigné comme site du patrimoine mondial de l'UNESCO en 1987.
À noter que pendant la révolution culturelle (1966-1968), la Cité interdite a échappé de peu à la destruction par les gardes rouges, Zhou Enlai ayant pris la précaution de faire placarder sur ses portes des portraits de Mao Zedong, la rendant ainsi inviolable.
Aujourd’hui, la Cité interdite paraît d'autant plus précieuse qu'elle constitue, avec ses vastes espaces verts et ses palais, le dernier vestige de la Chine ancienne dans une capitale en pleine métamorphose.
Elle est avec la Grande Muraille la principale attraction touristique de la Chine et attire des millions de visiteurs chaque année. La visite commence par la Porte de la Paix céleste sur la place Tian'anmen, reconnaissable grâce au monumental portrait de Mao Zedong. La superficie du Palais impérial ouverte au public devrait atteindre 85 %, lors du 100e anniversaire de l’ouverture du musée, en 2025.
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