David Ben Gourion (1886 - 1973)

Les fondements de l’État d’Israël (2/2)

Le 29 novembre 1947, regardant depuis les fenêtres des locaux de l’Agence Juive la foule danser de joie à l’annonce du vote par l’ONU du plan de partition de la Palestine, David Ben Gourion (61 ans) songeait qu’une partie d’entre elle ne serait plus vivante dans quelques mois. Il savait en effet que la décision de l’ONU avait été rejetée immédiatement par les représentants des pays arabes de la région, y compris par la population arabe de la Palestine, 1 300 000 personnes, face aux 650 000 Juifs dispersés entre le Jourdain et la mer Méditerranée.

Dès le 30 novembre, une guerre civile éclate à travers tout le pays, compliquée par le fait que les Anglais continuent d’être officiellement présents et responsables de l’ordre public. Ils refusent d’annoncer à l’avance la date de leur départ.

Les scouts juifs célèbrent à Jérusalem la résolution de l'ONU sur le plan de partage de la Palestine, 29 novembre 1947, photo Moshe Marlin Levin, Bibliothèque nationale d'Israël.

Jour de gloire, jour d’angoisse

Ben Gourion est le chef du conseil du peuple, sorte de gouvernement juif provisoire. Il est également en charge des affaires militaires.

Peloton de la Légion arabe sur les remparts de la vieille ville de Jérusalem, 1948. Dès début décembre il s’installe donc à Tel Aviv, pour être au plus près du quartier général de la Haganah, l’armée juive clandestine. A posteriori, le choix est le bon : assez rapidement la partie arabe cherchera à couper la ville de Jérusalem de la côte et y réussira en mars 1948. Ce même mois de mars, les forces juives sont partout sur la défensive, défendant un territoire fragmenté et où il est de plus en plus difficile de garder un lien avec les points de peuplement juifs isolés.

Attentat à la voiture piégée rue Ben Yehuda à Jérusalem, organisé par Amin al-Husseini, où 52 civils juifs furent tués 22 février 1948, David Rubinger.Ben Gourion a prédit que la bataille de Jérusalem sera décisive pour la viabilité du futur État. La Haganah lui propose un plan d’attaque pour désenclaver la ville, en mobilisant plusieurs centaines de combattants pour dégager l’axe de circulation qui y mène. Mais Ben Gourion refuse : « Pour réussir, il faut mobiliser plusieurs milliers d’hommes ! » Il donne l’ordre de collecter des armes et des hommes de différents lieux à travers le pays, quitte à dégarnir certains points d’appui.

C’est la première fois que Ben Gourion impose une décision stratégique. Du 3 au 20 avril, son plan permet de reconquérir une grande partie de l’accès à Jérusalem et de renverser l’initiative sur le terrain.

Deux événements concomitants renforcent paradoxalement ce succès :

• Le 8 avril, l’officier palestinien le plus compétent et le plus adulé du public, Abdel Kader El Husseini, est tué dans les combats. Le lendemain, sans lien direct, un groupe de combattants dépendants de l’Irgoun, dirigé par Menahem Begin, s’empare d’un village proche de Jérusalem, Deir Yassin. Les combats font de nombreux morts parmi la population civile (même si leur nombre réel est moitié moins important que ce qui avait été avancé à l’époque).
Photographie du massacre de Deir Yassin dans le Time Magazine du 19 avril 1948.Ben Gourion y voit un excellent argument pour dénoncer ses rivaux de droite et lance une violente campagne contre eux, amplifiant l’horreur de l’événement. Rapidement, cette dénonciation du massacre est reprise et accentuée par les différents médias arabes, dans le but de discréditer le futur État juif sur le plan international. Mais la conséquence en est le début d’un vent de panique qui accélère le départ d’une partie de la population palestinienne.
En réalité, d’autres massacres plus importants sont réalisés par les deux camps dans les mois qui suivent, mais le symbole de Deir Yassin restera un traumatisme profond parmi les Palestiniens.

• Enfin, fait important : le 2 avril, la veille de l’offensive, le premier convoi d’armes tchécoslovaques, obtenu par l’envoyé de Ben Gourion grâce à l’appui de l’URSS, était arrivé, début d’une manne qui contribue à changer le rapport des forces sur le terrain.

Réfugiés juifs évacuant la vielle ville par la porte de Sion, mai 1948.Fin avril, les Anglais annoncent leur départ définitif pour le samedi 15 mai. La proclamation officielle de l’indépendance aura donc lieu, en raison du respect du Shabbat, le vendredi 14 dans l’après-midi, malgré les pressions américaines qui exigent une suspension du plan de partage : ils savent, comme Ben Gourion, que les armées de cinq pays arabes sont prêtes à envahir la Palestine, et les États-Unis sont persuadés que le futur État juif sera incapable de leur résister.

Juste avant le 14 mai, deux sujets doivent encore être tranchés :

- Le premier : décider du contenu de la déclaration d’indépendance. C’est Ben Gourion qui complète finalement sa rédaction définitive. Il tranche le débat entre sionistes religieux, qui veulent que le nom de Dieu soit spécifiquement mentionné, et sionistes laïques, qui refusent toute allusion religieuse de ce type. Le compromis proposé dit « confiant dans le rocher d’Israël », expression qui peut être comprise comme « le Dieu d’Israël » ou comme « l’éternité d’Israël ».

- L’autre question est politico-militaire : faut-il définir les frontières d’Israël précisément, en mentionnant clairement celles inscrites dans le plan de partage de l’ONU, ou bien, comme le propose Ben-Gourion, rester dans le vague, afin de ne pas oblitérer une éventuelle future victoire militaire qui dépasserait les territoires officiellement attribués à l’État juif. Par 6 voix contre 5, les membres du conseil du peuple appuient la proposition « du vieux ». Soixante-quinze ans plus tard, l’État d’Israël n’a toujours pas défini officiellement ses frontières.

Le 14 mai 1948, à 16h, dans la salle du musée de Tel Aviv, devant les centaines de personnes rassemblées, David Ben Gourion lit la déclaration d’indépendance et annonce : « Nous proclamons ainsi la création d’un État juif en terre d’Israël qui porte le nom d’État d’Israël ». Le professeur Chaïm Weizmann (74 ans), bloqué à New York, est le grand absent de la cérémonie. Il deviendra l'année suivante le premier président de la République d'Israël.

Lecture de la déclaration d'indépendance par David Ben Gourion, sous le portrait de Theodor Herzl, le 14 mai 1948 (photo : Rudi Weissenstein).

Le gouvernement mène la guerre d’indépendance

Dès le lendemain de la proclamation d’indépendance, cinq armées arabes envahissent la Palestine ex-anglaise, 25 000 combattants appuyés par 10 000 volontaires locaux. Les forces juives réunissent également 25 000 soldats, avec un cruel manque d’armes lourdes.

David Ben Gourion, lui, est devenu depuis le 14 mai à la fois Premier ministre du gouvernement provisoire et ministre de la Défense. Son premier objectif est de transformer un pays semi-clandestin en une nation moderne et occidentale. Il a compris que cela passe avant tout par l’intégration des différentes forces armées liées à des forces politiques dans une armée au service du peuple et de l’État.

Femme combattante de la Hagana, mars 1948, photographie : Yehuda Aizenshtark, Archives des forces de défense israéliennes. Agrandissement : Artillerie fabriquée par la Hagana dans un atelier clandestin à l'extérieur de Tel-Aviv. Un canon de fortune de la Haganah, mai 1948, photographie : Frank Scherschel.Début mai, il s’est déjà heurté à une espèce de « révolte des généraux » lorsqu’il a voulu changer celui qui est à la tête du quartier général des opérations. De plus, il sait que les habitudes de travail « entre copains » sont bien ancrées chez des personnes habituées à travailler loin des feux du jour.

Pour compliquer le tout, sa manie de vouloir tout contrôler et tout décider sont mal acceptés y compris chez ceux qui le reconnaissent comme le seul dirigeant apte à réussir le passage à l’indépendance. C’est pourquoi, alors que les forces combattantes sont occupées sur le terrain à contenir l’invasion, il publie malgré tout le 26 mai l’ordre gouvernemental créant Tsahal, l’armée de défense d’Israël, corps destiné à incorporer l’ensemble des forces combattantes juives.

Cette décision, que Ben Gourion n’aura de cesse de défendre, explique pourquoi Tsahal est resté jusqu’à ce jour une véritable armée populaire, et que le danger d’un putsch militaire n’est jamais apparu depuis la création de l’État…

La cérémonie de fondation des Forces de défense israéliennes au gymnase Rachaviya à Jérusalem en juin 1948, Collection Meitar, Jérusalem, Bibliothèque nationale d'Israël. Agrandissement : Premier défilé de Tsahal inauguré par Ben Gourion, photographie : Beno Rothenberg, Bibliothèque nationale d'Israël.

Le 10 juin, un cessez-le-feu général de quatre semaines est obtenu par le délégué de l’ONU, Folke Bernadotte, entre Israël et les cinq pays arabes agresseurs. Les juifs ont réussi à contenir l’invasion mais n’ont pu empêcher l’occupation de la moitié de Jérusalem par la légion arabe jordanienne. Quant à l’armée égyptienne, elle n’a été stoppée qu’à 27 km au sud de Tel-Aviv.

Chaque camp a besoin de souffler pour reconstituer ses forces, même si officiellement les livraisons d’armes doivent être stoppées.

Enfreignant la consigne, l’Irgoun de Menahem Begin a affrété en France un bateau, l’Altaléna, avec à son bord 900 immigrants et de nombreuses caisses de munitions. Lorsqu’il arrive en vue de la plage de Tel Aviv, le 22 juin 1948, Ben Gourion donne 10 minutes au navire, à bord duquel est monté Begin, pour livrer sans conditions toutes les armes à Tsahal. Le délai étant épuisé, il ordonne à l’officier qui commande le détachement de l’armée, un certain Ytshak Rabin, d’ouvrir le feu au canon sur le bateau, lequel s’enflamme. Il n’y aura que quelques victimes à déplorer mais le résultat est que les groupes de l’Irgoun seront dissous et ses membres répartis individuellement à l’intérieur de l’armée. Début novembre 1948, ce sont les groupes de gauche du Palmah, des commandos d’élites, qui sont à leur tour dissous et intégrés dans l’armée régulière.

L'Altalena incendié par Tsahal, le 22 juin 1948, photographie : Hans Pinn.

Le Premier ministre aura ainsi démontré sa volonté de ne faire aucun compromis et réussi à écarter tout danger d’un État dans l’État.

Le matin de la déclaration d’indépendance, Ben Gourion avait tenu une réunion avec les principaux dirigeants de l’armée, au cours de laquelle il leur avait expliqué la nouvelle stratégie à tenir sur le terrain. Alors que jusque-là, l’idée avait été de tenir systématiquement tous les points de peuplement qui avaient été créés depuis la fin du XIXe siècle, il propose que les points les plus indéfendables soient vidés de leurs populations, et que les combattants soient regroupés dans de grandes unités, la mobilité étant au centre des opérations, et permettant une utilisation des troupes de la manière la plus efficace possible.

David Ben Gourion en couverture du Time magazine, Volume 52 Numéro 7, 16 août 1948, photographie : Boris Artzybasheff. Agrandissement : le Premier ministre David Ben Gourion dans son bureau le 19 janvier 1949, photographie : David Endy Eldan.Lorsque les combats reprennent le 8 juillet, cette stratégie montre son efficacité, renforcée par trois éléments : la multiplication des livraisons d’armes, le renforcement de la mobilisation à travers la population (entre début juin et début juillet le nombre de soldats en arme a été multiplié par deux) et de plus l’incapacité des armées arabes de coordonner leurs actions.

En dix jours, les opérations israéliennes permettent de renverser la situation sur presque tous les fronts. L’ONU arrive à imposer un nouveau cessez-le-feu le 19 juillet. Sa durée n’est pas précisée mais il tiendra jusque début novembre. Les dernières offensives israéliennes de fin 1948 et début 1949 permettent de libérer la totalité du territoire de la frontière libanaise au nord jusqu’à Eilat, sur la mer Rouge, à l’exception de la Judée et la Samarie, occupées par les Jordaniens avec qui, dès début novembre, un accord de fait avait gelé la situation militaire à Jérusalem.

David Ben Gourion à Eilat, 30 juillet 1950, Meitar Collection, Bibliothèque nationale d'Israël.

La question palestinienne

Avec les victoires militaires sur le terrain, le flot des réfugiés arabes n’avait pas cessé d’augmenter, et dès juin 1948, Ben Gourion avait donné des instructions pour empêcher le retour des habitants, par exemple en faisant dynamiter les maisons des villages abandonnés.
L’historien israélien Benny Morris, à la suite d’une longue enquête, est arrivé à la conclusion que huit cent milles Palestiniens étaient partis en exil, dont les deux-tiers directement expulsés par l’armée israélienne. Il ajoute cependant qu’il ne s’agissait pas d’une politique préparée a priori, mais de l’exploitation des circonstances développées sur le terrain. Il faut également se souvenir que la fin de la Seconde Guerre mondiale avait été marquée par des déplacements de population en Europe, et qu’un an avant l’indépendance d’Israël, celles de l’Inde et du Pakistan avait été marquées par le transfert de millions de personnes.
Les dirigeants du jeune État ne voyaient donc pas dans cette fuite organisée de la majorité de la population arabe un fait moralement ou politiquement condamnable, et ce n’est qu’en 1949 que la quatrième convention de Genève interdira pour la première fois un transfert de population à l’occasion d’une victoire militaire !

Réfugiés palestiniens, en route depuis la Galilée en octobre-novembre 1948.

Le « droit au retour »

Au cours de la guerre d’indépendance et dans les mois qui suivent, Ben Gourion prend encore trois décisions qui orienteront le caractère de l’État d’Israël pour l’avenir. La première est de donner une priorité à l’accueil d’une immigration juive énorme qui s’amplifie dès les premiers mois de l’existence de l’État. Il impose aux cadres de son parti puis aux membres du gouvernement sa vision d’une immigration non limitée. Les opposants craignent qu’une arrivée non contrôlée détruise le potentiel qui a été mis en place depuis 1920.

Le drapeau national d'Israël dessiné à l'encre flotte à Um Rashrash (aujourd'hui Eilat) à travers le golfe d'Aqaba, à la pointe nord de la mer Rouge, photo prise le 10 mars 1949.Le rêve du mouvement sioniste avait été centré dès le départ sur la possibilité de « rassembler les exilés », comme l’exprimait l’antique prière de la tradition juive. Malgré les difficultés dues aux combats, à la désorganisation de l’économie et au manque de moyens matériels, notamment en matière de logement, rien n’est fait pour ralentir le flux des arrivées, bien au contraire.

Une partie de ces nouveaux émigrants viennent d’Europe et sont des survivants de la Shoah, d’autres proviennent de pays arabes, parfois poussés au départ par des émeutes antisionistes, mais également par l’enthousiasme qui saisit des populations traditionnelles à l’annonce de la création de l’État d’Israël, réalisation concrète d’un espoir bimillénaire.

La priorité accordée à l’arrivée en Israël de masses de juifs oblige à revoir l’ordre des urgences : Ben Gourion abandonne fin octobre 1948 le plan de conquête de la région d’Hébron et de la région de Jérusalem jusqu’au Jourdain, qu’il avait ordonné à l’armée de préparer dès le 26 septembre. L’idée était non seulement de rejeter vers l’est l’armée jordanienne, de réunifier Jérusalem et d’intensifier le départ en exil de la population civile arabe des grands centres urbains de Judée-Samarie.

Au début des années 1960, avant la guerre des Six Jours, Ben Gourion s’accusera encore d’avoir provoqué « une tristesse profonde pour les futures générations » en abandonnant les plans de reconquête de la Judée et de Jérusalem. Toujours est-il qu’en trois ans, l’immigration de masse double la population du jeune État, passant de 750 000 habitants en mai 1948 à un million et demi à la fin 1951.

Ce phénomène explique aussi pourquoi, dès 1951, le gouvernement de Ben Gourion s’est montré prêt à négocier avec l’Allemagne d’Adenauer pour obtenir des réparations. Il ne s’agissait pas, bien sûr, d’obtenir des compensations qui auraient effacées le crime impardonnable commis par l’Allemagne pendant la Shoah. Mais l’État d’Israël avait été obligé d’intégrer au moins 500 000 Juifs depuis 1933, et notamment les survivants qui n’avaient pas d’autre solution pour quitter les camps de personnes déplacées sinon de venir s’établir en terre d’Israël. Les réparations allemandes, accordées par le traité signé en septembre 1952, ont permis de dynamiser l’économie, de parfaire l’intégration des nouveaux arrivés et de passer d’une austérité imposée par la guerre à un développement qui annonce déjà les bases de la modernité israélienne.

Premier gouvernement le 1er mai 1949. De gauche à droite : Golda Meir, Zalman Shazar, Bechor-Shalom Sheetrit, Zvi Maimon (sténographe du gouvernement), Dov Yosef, Eliezer Kaplan, Moshe Sharett, le Premier ministre David Ben Gourion,  Ze'ev Sherf (secrétaire de cabinet), Pinchas Rosen, David Remez, Haim Moshe Shapira, Yitzhak Meir Levin, Yehuda Leib Maimon, Hugo Mendelson, Knesset.

L’installation de la démocratie représentative

Deuxième décision essentielle, la tenue d’élections législatives en janvier 1949, alors que la guerre n’est pas encore vraiment terminée. Pour Ben Gourion, le nouvel État d’Israël se doit d’être exemplaire comme démocratie parlementaire, et pour renforcer l’autorité de son gouvernement, il a donc besoin de montrer qu’il bénéficie d’un soutien majoritaire à travers la coalition qui se dégage de cette première consultation. Cette première Knesset (assemblée) aurait dû être constituante, mais très tôt, devant les tensions existantes, notamment entre religieux et non religieux, David Ben Gourion avait proposé que l’on attende pour adopter une Constitution que la majorité des Juifs du monde soient installés en Israël.

La Knesset commença donc à fonctionner comme une assemblée législative habituelle, et en juin 1950 il fut décidé que des lois fondamentales seraient adoptées peu à peu et finiraient par former une Constitution complète. Ben Gourion avait exclu dès le départ de former une alliance avec deux partis : d’une part le Parti Communiste Maki, qui refusait la légitimité de l’existence d’Israël, d’autre part le parti de droite de Menahem Begin, qu’il considérait comme un parti fasciste. La haine de Ben Gourion contre Begin était telle qu’il refusa toujours de prononcer son nom et qu’il le désignait par l’expression : « le député qui siège à la droite du député Bader ».

Mur des Lamentations à Jérusalem. Agrandissement : Dôme du Rocher‎ à Jérusalem.

Jérusalem, pomme de discorde

Enfin, troisième décision fondamentale de Ben Gourion, celle concernant le statut de Jérusalem. Lors du vote sur le partage de la Palestine, en novembre 1947, Jérusalem et ses environs (dont Bethlehem) devait devenir un corpus separatum sous régime international spécial et administré par les Nations-Unis.

Le résultat de la non-action de l’ONU pour tenter de mettre en place ce statut, puis les combats entre Israël et la Jordanie et les accords de cessez-le-feu signés entre les deux pays en avril 1949, font que ce statut de corpus separatum était devenu sans objet.

Soldats Bédouins de Tsahal pendant une parade militaire à Rumat al-Heib, au nord d'Israël, en juin 1949.Or, le plus étrange peut-être de cette période de bouleversements est qu’une commission de fonctionnaires de l’ONU continue malgré tout à étudier comment appliquer le statut international à Jérusalem, en décalage total avec les réalités du terrain.

Les archives de l’époque montrent que la Jordanie n’était pas prête à discuter d’un changement de statut des parties de Jérusalem qu’elle occupe, tandis que les Israéliens étaient seulement prêts à aider à mettre en place un tel statut sur ce qui est considéré comme Lieux Saints. Il n’empêche que l’assemblée générale de l’ONU s’apprête, en décembre 1949, à débattre de ce sujet fantôme.

Le 5 décembre, Ben Gourion déclare à la Knesset : « la Jérusalem juive est une partie organique et inséparable de l’État d’Israël, (…)  et Jérusalem est le cœur de l’État. Les Israéliens seront prêts à se sacrifier pour Jérusalem pas moins que les Anglais pour Londres, les Russes pour Moscou ou les Américains pour Washington D.C ».

Le 9 décembre, l’ONU adopte la résolution 303 concernant l’internationalisation de la ville. En réaction, le gouvernement israélien proclama que la capitale de l’État se trouvait à Jérusalem. Quelques jours plus tard, les bureaux des ministères commencèrent à être transférés dans la capitale, la Knesset y tint sa première séance et un premier Conseil des ministres y fut organisé.

En janvier 1950, les Jordaniens firent de même à Jérusalem-est. Ainsi, au lieu d’accepter la réalité sur le terrain et de profiter du fait que les deux belligérants avaient trouvé un terrain d’accord, l’ONU préféra se braquer sur ses positions, créant une situation qui devint encore plus inextricable après la victoire israélienne de juin 1967.

Une décision négative de Ben Gourion, à la même période, fut d’imposer à des villageois arabes qui ne s’étaient pas enfui une administration militaire qui en faisait des citoyens de seconde catégorie, alors que la déclaration d’indépendance garantissait l’égalité des droits et des devoirs de tous les habitants.

C’est seulement en 1966 que le Premier ministre Levi Eshkol supprima cette discrimination. Notons qu’elle avait été combattue dès le départ par Menahem Begin au nom de la démocratie.

Tombes de Paula et David Ben Gourion dans le kibboutz de Sde Boker, dans le Néguev.

Apothéose

Jusqu’à la fin 1953, Ben Gourion assume les postes de ministre de la Défense et de Premier ministre, et influence en profondeur la politique intérieure et extérieure du jeune État. Deux exemples caractéristiques :

• Face aux attentats commis par des combattants palestiniens soutenus principalement par l’Égypte mais commis généralement à partir du territoire jordanien, il institue une politique de représailles en créant notamment l’unité 101 dirigée par Ariel Sharon en 1953 et rattachée directement au Premier ministre. Ses actions spectaculaires provoquent des pertes importantes parmi les militaires égyptiens ou jordaniens, mais certaines entraînent aussi des victimes collatérales parmi les populations civiles, l’échelon politique se refusant à reconnaître ses responsabilités.
La question des représailles continue d’être, soixante-quinze ans plus tard, une question délicate à résoudre face aux attentats terroristes.

• Dans un tout autre domaine, l’empreinte de Ben Gourion a marqué fortement la politique étrangère d’Israël. Face à une gauche socialiste qui, au début des années 1950, professait une admiration sans borne pour Staline et l’URSS, Ben Gourion a compris que l’avenir du jeune État passait par un ancrage profond au sein du monde occidental. Dès les années cinquante, par exemple, les relations avec la France ont joué un rôle important, permettant non seulement une nette amélioration de l’armement de Tsahal, mais aboutissant au développement d’un programme nucléaire qui n’aurait jamais pu exister sans le soutien discret mais réel de Paris.

David Ben Gourion et Ariel Sharon, 30 décembre 1956. Agrandissement : David Ben Gourion reçoit le chef d'état-major Yitzhak Rabin en 1966 venu le féliciter pour son 80e anniversaire à son domicile de Sdeh Boker, photographie Fritz Cohen.Fin 1953, fatigué par plus de vingt ans à la tête des institutions sionistes puis des instances gouvernementales, David Ben Gourion se retire et s’installe au Kibboutz Sdé Boker, en plein milieu du désert du Néguev. Pour lui, l’avenir d’Israël se joue au sud, et il veut le souligner par son exemple personnel. Il n’en continue pas moins de tirer les ficelles et revient au gouvernement comme ministre de la Défense dès février 1955, puis au poste de Premier ministre en novembre de la même année.

Il est ainsi à la tête du pays lors du nouveau conflit israélo-arabe, la guerre du Sinaï de 1956.

Obligé de démissionner en 1963, à cause d’un scandale de politique intérieure (l’affaire Lavon), il ne se retire de la vie politique qu’à l’âge de 84 ans, en 1970, et décède fin 1973, quelques semaines après la guerre du Kippour. Sa tombe se trouve au Kibboutz Sdé Boker, là où il avait passé les dernières années de sa vie.

Au centre de sa destinée, l’amour du peuple juif et le militantisme sioniste ont été les deux moteurs essentiels de son existence. Servi par une grande intelligence et une capacité de travail exceptionnelle, il a été l’homme qu’il fallait au moment décisif, celui qui a été capable de transformer l’utopie envisagée par Herzl à la fin du XIXe siècle en réalité concrète au milieu du XXe. Autoritaire, parfois dictatorial, capable d’haïr ses ennemis de la pire façon mais également de faire les compromis indispensables, le sort de l’individu passait chez lui après l’intérêt du collectif juif tel qu’il l’envisageait. Comme l’a écrit son biographe, Mickaël Bar Zohar, on peut l’admirer mais il est difficile de l’aimer.

En 1914, après la mort de Théodore Herzl, l’historien juif français Théodore Reinach, écrivait dans son « Histoire des Israélites » ces quelques phrases : « La Palestine est depuis un quart de siècle un des buts favoris de l’émigration de l’Europe orientale. Les misères, les tribulations de toute sorte endurées par les Juifs de Russie et de Roumanie ont fait germer dans plusieurs cerveaux l’idée chimérique de la reconstitution d’un État juif, ayant Jérusalem pour capitale, et dont relèveraient les juifs dispersés dans le reste du monde. Ce rêve a même conquis des sympathies et des adhésions nombreuses dans les pays d’occident et jusqu’en Amérique : le Sionisme – car tel est le nom du nouveau Messianisme – tient ses assises annuelles sous forme de congrès internationaux à Bâle, à Londres, etc. On comprend, on excuse sans peine ces aspirations ; elles sont le fruit amer et légitime de la persécution ; mais les conditions politiques et religieuses de la Syrie opposent, semble-t-il, à leur réalisation des obstacles insurmontables. (…) Au surplus, l’évolution historique du judaïsme nous a montré le passage graduel, très lent, très disputé, mais ininterrompu, du fait national au fait religieux. L’avenir du judaïsme n’est pas dans un retour en arrière ».

David Ben Gourion, le prophète sioniste et israélien, a transformé en fausses prophéties les affirmations de l’historien israélite français.

Alain Michel
Publié ou mis à jour le : 2023-10-20 22:10:14
Christian (27-11-2023 06:52:01)

C'est bien l'assemblée générale de l'ONU qui a approuvé le 29 novembre 1947 la création d'un Etat juif et d'un Etat arabe en Palestine. Les frontières de ces deux Etats étaient parfaitement définies, même si elles ont été modifiées de fait à la suite des armistices israélo-arabes de 1949. L'Etat d'Israël (admis à l'ONU en 1949) et l'Etat de Palestine (admis comme Etat non-membre observateur auprès de l'ONU en 2012) s'inscrivent donc dans la continuité des Etats juif et arabe dessinés en 1947, ce qui suffit à leur conférer une légitimité internationale, même si leurs frontières définitives restent à définir.

orchidoclaste (24-11-2023 10:15:26)

Bonjour, à la lecture d'une page Wiki sur ces sujet, je relève l'élément suivant.
À supposer que cet argument soit recevable en Droit, logiquement ce qui est fondé pour rejeter un état palestinien l’est aussi pour un état israélien.
Je retiens que l’ONU (SDN) n’avait pas le pouvoir de créer un état israélien. Aucune frontière n’étant définie …. Peut-être volontairement ?
Nous pourrions aussi retenir le même argument pour l’Otan. Voir le dossier Serbie -Kosovo.

Souveraineté nationale palestinienne et droit international
Dans une tribune publiée le 20 novembre 2011 dans The Wall Street Journal, les juristes américains David B. Rivkin (en) et Lee A. Casey estiment que « l'Assemblée générale ou le Conseil de sécurité de l'ONU n'ont pas le pouvoir de créer des États », L'ONU n’étant pas souveraine et que « l’Autorité palestinienne ne répond pas aux caractéristiques de base d'un État nécessaires pour une telle reconnaissance ». Ils appuient cette expertise en se fondant sur les exigences énoncées par la convention de Montevideo de 1933 sur les droits et devoirs des États. Ce traité dispose que pour se proclamer « État » une entité doit remplir les conditions suivantes : une population permanente, un territoire défini, un gouvernement, la capacité d'entrer en relation avec d'autres États. Selon cette définition, ils rappellent que « l'Autorité palestinienne n'a ni une population permanente, ni un territoire défini, ni un gouvernement qui a la capacité d'entrer en relation avec d'autres États ».
en l'attente de vous lire.

Bernard (03-11-2023 18:51:36)

Ami d’Herodote depuis très peu de temps, je lis et relis vos articles sur la création d’Israël. Et je dois dire que c’est d’une complexité sans nom…
En tout cas, vos informations sont intéressantes.

Roland Berger (22-10-2023 13:37:21)

Il demeure qu'il y a 75 ans, le territoire appelé Palestine était occupé par des Palestiniens qui en ont été chassés par une décision de l'ONU.

Herodote.net répond :
Cela est très vite dit et fait fi de la complexité de l'Histoire telle que nous nous efforçons de la mettre en lumière.

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