Il existe une photo très connue datant du début des années 1960. On y voit, sur le perron de l’Elysée, Charles de Gaulle à droite et David Ben Gourion à gauche. La différence de taille physique est frappante entre le Français et l’Israélien. Mais sur le plan de l’envergure et de la place dans l’Histoire, il n’existe pas de dissemblance.
Tous deux incarnent véritablement le destin de leurs peuples : de Gaulle, le résistant de Londres et le président de la France de l’apogée des Trente Glorieuses ; Ben Gourion, le combattant sioniste, père de l’indépendance et Premier ministre du tout jeune État d’Israël. Il existe cependant une différence dans l’action des deux hommes.
De Gaulle a combattu contre l’occupation allemande d’une France plus que millénaire. Ben Gourion a incarné la lutte pour la renaissance d’un État juif qui avait été détruit depuis deux mille ans.
David Ben Gourion méritait donc bien cette biographie de la part d’Herodote.net. La première partie nous plongera au cœur de l’histoire du sionisme. Elle débute à la fin du XIXe dans une petite ville de Pologne, Plonsk, où naît David Grün, et s’arrête avec la victoire du combat sioniste mené par celui qui est devenu David Ben Gourion, lorsque l’assemblée générale de l’ONU adopte le plan de partage de la Palestine qui reconnaît officiellement le droit des juifs à avoir un État. La deuxième nous conduira de Tel-Aviv, où Ben Gourion proclame la création d’Israël au moment même où cinq armées arabes envahissent le tout jeune pays, jusqu’au Kibboutz de Sdé Boker dans le désert du Néguev, où il décède deux mois après la guerre de Kippour, le troisième affrontement israélo-arabe.
Nostalgie de la Terre Promise
David Grün (Gryn) est né en 1886 à Plonsk, en Pologne, alors sous domination russe. Il grandit dans une famille de hovévé tsion (« les Amants de Sion »), dont la vie est influencée par la nostalgie d’Israël et l’idée que le retour du peuple juif en dispersion est en train de commencer.
Son père, Avigdor, est un militant communautaire et sioniste, et la maison des Grün sert souvent de local pour des réunions ou bien des activités. À 5 ans, le jeune David est mis au « heder », sorte de classe primaire où l’enseignement se fait en yiddish et où sont enseignés le Pentateuque et les prières.
Mais deux ans plus tard, Avigdor fait passer son fils dans un des heder modernisés que les sionistes développent dans l’est de l’Europe, écoles où la langue d’enseignement est l’hébreu, et dans lesquelles on enseigne d’autres matières supplémentaires, notamment l’histoire du peuple juif et le calcul. À l’âge de 14 ans, encouragé par son père, il crée avec quelques amis un groupement de jeunesse dont le but est de préparer ses membres à partir en Israël, et d’intensifier parmi eux l’apprentissage de l’hébreu.
Au début de 1904, il part s’installer à Varsovie, gagnant sa vie comme enseignant et fréquentant les groupes politiques sionistes. Il retourne au printemps 1905 à Plonsk pour préparer son Alyah ou « montée en Israël », afin de participer à la nouvelle vague d’émigration qui vient de débuter, la deuxième Alyah : celle-ci est déclenchée à la fois par l’arrivée à l’âge adulte d’une génération qui, comme Ben Gourion, a grandi dans la nostalgie de la Terre Promise, également par la brusque mort de Theodor Herzl, fondateur du sionisme politique, en juillet 1904, et surtout par la reprise de l’antisémitisme (dico) en Pologne et en Russie (1903, pogrom de Kichinev) qui entraîne le départ en 10 ans de plus d’un million de Juifs de l’est de l’Europe, la majorité vers les États-Unis.
Retardé par le déclenchement de la révolution russe de 1905, le départ de David en compagnie de plusieurs de ses amis a lieu finalement en été 1906, et début septembre ils arrivent à Jaffa, un port près duquel sera fondée Tel Aviv.
Dès le premier jour, David Grün et plusieurs de ses camarades partent chercher du travail dans l’implantation de Pétah Tikva, distante de plusieurs kilomètres. Ils sont venus en terre d’Israël pour agir, participer au développement du pays et à la création d’une société nouvelle, dans laquelle l’accusation de « parasitisme juif », utilisée par les antisémites, ne pourrait avoir cours.
Pendant plus de quatre ans, comme beaucoup d’autres de ces travailleurs nouveaux immigrants, David Grün va donc passer de colonies en colonies fondées pendant la première Alyah, ou dans des implantations communautaires crées par des groupes sionistes socialistes de cette deuxième Alyah. Parfois il ne trouve pas d’embauche, et peut ne pas avoir de quoi manger à sa faim. Mais il est soutenu par son idéal car il reste un intellectuel et pas seulement un ouvrier agricole. Chaque soir, cet autodidacte à l’esprit curieux de tout s’installe dans une grange pour lire et approfondir ses connaissances.
À Plonsk déjà, il avait adhéré au parti Poalé Tsion (« Les ouvriers de Sion »), qui allie le socialisme au sionisme. Peu de temps après son arrivée, il commence à participer aux réunions et manifestations du Parti, et est élu membre du comité central. Il est vite connu pour ses discours et sa capacité d’imagination. Il propose ainsi très tôt l’organisation d’un syndicat uni, et fait inscrire dans le programme du parti que le but ultime poursuivi est l’obtention d’une indépendance politique du peuple juif en terre d’Israël.
Au printemps 1910, il s’installe à Jérusalem car il a été intégré à la rédaction du journal du parti, L’Unité. Dans le deuxième article qu’il publie, il signe du nouveau nom qu’il s’est choisi : Ben Gourion. Il s’agit du nom de l’un des responsables de la grande révolte contre les Romains, entre 66 et 70. Tout un symbole.
Vers l’établissement du « foyer national juif » en Palestine
Ben Gourion appartient à la tendance du parti qui considère qu’il faut s’intégrer vraiment à l’empire turc afin de construire de l’intérieur un groupe de pression qui fera avancer les intérêts du sionisme en Palestine ottomane. C’est pourquoi, en 1911, il passe plusieurs mois à Salonique afin d’apprendre la langue turque (il en profite pour apprendre aussi le français), puis, après avoir réussi les examens, il s’installe à Istamboul et entame des études de droit. Son plus proche ami du parti, Itshak Ben Tzvi, qui sera le deuxième président du futur État d’Israël, l’accompagne.
En été 1914, alors qu’ils reviennent en vacances en Israël, la guerre éclate en Europe. Lorsque la Turquie rejoint l’Allemagne dans la guerre, en octobre 1914, Ben Gourion prend la nationalité turque, car les autorités locales expulsent les nombreux immigrants porteurs de passeport russe. Bien qu’il ait tenté de créer une milice juive de défense du territoire, en mars 1915 il est malgré tout expulsé vers Alexandrie en compagnie de Ben Tzvi, comme militants sionistes connus.
Se place alors un incident qui mérite d’être rapporté : lorsque Ben Gourion montre à un ami arabe très proche, avec qui il a étudié à Istamboul, l’ordre d’expulsion reçu contenant une interdiction de retour à tout jamais en Turquie, celui-ci lui déclare : « comme ami proche, je suis désolé, mais comme arabe nationaliste, je suis content ». C’est la première fois que Ben Gourion est confronté au nationalisme arabe local.
D’Alexandrie, Ben Gourion et Ben Tzvi partent à New York, où ils arrivent en mai 1915. Ils sont chargés par le Poalé Tsion de recruter des jeunes juifs désireux de monter en Israël, et de les préparer dans le cadre de l’organisation héhalutz (« Le Pionnier »). Mais assez rapidement Ben Gourion se fait connaître des juifs américains grâce à la traduction en yiddish d’un livre de souvenirs publié en Palestine en 1911, consacré à la fois à sa propre expérience de jeune émigrant, mais également à la mémoire des gardiens d’implantations qui ont trouvé la mort dans leur action de défense des colonies.
Le Poalé Tsion le charge alors, avec l’aide de Ben Tzvi, d’écrire un livre sur la terre d’Israël. Une jeune femme du parti, Paula, arrivée de Minsk quelques années auparavant, lui propose son aide pour ses recherches, et en décembre 1917, tous les deux se marient. Mais en cette même année 1917, l’histoire s’accélère. En avril, les États-Unis sont entrés dans la guerre, et le 4 novembre, le gouvernement britannique a proclamé la déclaration Balfour, qui ouvre la porte a une reconnaissance internationale du droit des juifs à créer « un foyer national » en Palestine.
Les Anglais, dans la foulée, organisent des bataillons de tirailleurs juifs en Angleterre et parmi les expulsés d’Alexandrie. Ben Gourion recrute début 1918 un bataillon de volontaires américains qui passent par le Canada, puis la Grande Bretagne pour finalement arriver sur le front sud de la Palestine. Son bataillon ne participera pas finalement à la bataille, l’armée anglaise avançant rapidement vers Damas. Il se contentera de garder des prisonniers et de faire des rondes. C’est là toute l’expérience militaire acquise par le futur ministre de la Défense d’Israël.
Début 1919, Ben Gourion réussit à réunir une partie des groupes sionistes socialistes d’Israël et aide à la création du Ahdout haavoda (« l’Union du Travail »). Dans cette période de 1919-1920, il participe à plusieurs congrès sionistes socialistes internationaux et s’identifie avec l’aile droite qui refuse d’adhérer à la IIIe Internationale ou Komintern, car la condition posée par les bolchéviques est de sortir de l’organisation sioniste, crée par Herzl plus de 20 ans auparavant. C’est pour lui le début de la rupture entre le sionisme socialiste et le communisme de Moscou.
Parallèlement, Ben Gourion figure parmi les fondateurs de la Histadrout, le syndicat uni des travailleurs hébreux en Israël, et il en devient le secrétaire général en décembre 1921. La Histadrout, sous sa direction, va devenir une puissance omniprésente du foyer national juif. De par sa double fonction, être à la fois le syndicat représentant les ouvriers, mais également le principal employeur, qui gère les fonds investis par l’organisation sioniste, son importance se fera sentir jusqu’au milieu des années 1970, plus de 25 ans après la création de l’État.
Dans les premières années de son mandat syndical, Ben Gourion pense encore qu’Arabes et juifs peuvent s’entendre et que les tensions actuelles proviennent de personnages qui ont intérêt à les créer, notamment les milieux les plus traditionnels et les propriétaires, ce essentiellement du côté de la société palestinienne. Il encourage même les travailleurs arabes à s’organiser en un syndicat qui travaillerait main dans la main avec le syndicat juif.
Les émeutes antijuives qui éclatent en août 1929, orchestrées par le chef des nationalistes palestiniens, le grand mufti Hadj Amin el Husseini, changent la vision de Ben Gourion.
Désormais pour lui, l’objectif est d’arriver le plus rapidement possible à une situation dans laquelle les Juifs seront majoritaires sur le territoire du mandat. Seulement alors, les Arabes accepteront de vivre en paix avec les juifs (à cette date, il y a encore entre le Jourdain et la Méditerranée 800 000 habitants arabes pour 150 000 juifs).
Lorsqu’en 1930 le gouvernement britannique publie un livre blanc dans le but de limiter le nombre d’immigrants juifs et la possibilité pour ceux-ci d’acheter de nouvelles terres, il mobilise l’ensemble des organisations de travailleurs à travers le monde afin qu’elles fassent pression pour son annulation.
Début 1930, Ben Gourion arrive enfin à réaliser l’unité politique de la gauche travailliste en Israël, par la création du Mapaï, parti des travailleurs d’Israël, dont il devient le secrétaire général. Il profite de ce poste pour devenir beaucoup plus actif dans le cadre de l’Organisation sioniste mondiale : le poids du Mapaï s’y fait désormais sentir dans les décisions prises quant à l’avenir du mouvement sioniste.
Tout en restant jusqu’en 1935 à la tête du syndicat, son activité principale se déroule maintenant au sein de l’exécutif du mouvement sioniste, dont il devient la personnalité la plus connue à travers le monde juif.
Dans ces années 1932-1934, il agit principalement pour contrer le courant de droite sioniste, les « révisionnistes », qui ont à leur tête une personnalité très charismatique, Wladimir Zéév Jabotinsky. Celui-ci est autant sioniste que Ben Gourion, mais opposé au socialisme et favorable à un État libéral et capitaliste, et même admirateur du fascisme de Mussolini. Ben Gourion traîne dans la boue son adversaire, n’hésitant pas à le nommer publiquement « Wladimir Hitler ».
La tension atteint son comble dans la deuxième moitié de 1933, lorsque le bras droit de Ben Gourion, Arlozorof, est assassiné à Tel Aviv, et que trois révisionnistes en sont accusés. Ce qui est en question est l’attitude à tenir face aux nazis et à Hitler, qui vient d’accéder au pouvoir en janvier 1933.
Tandis que Jabotinsky prône un boycott mondial contre l’Allemagne, Ben Gourion a envoyé Arlozorof à Berlin pour négocier l’accord de Aavara, « le Transfert », qui permettra jusqu’en 1940 à plus de 20 000 juifs allemands de s’installer en Palestine en conservant une partie de leur fortune, et de ne pas être compté ainsi dans le contingent annuel d’immigrants autorisé par les Anglais.
Les tensions entre les deux tendances sionistes sont à leur comble en 1934, mais les deux leaders se rendent compte de l’importance de l’union alors que le poids international de Hitler est en train de croître.
De manière étonnante d’ailleurs, Ben Gourion prédit dans un discours de janvier 1934 que dans cinq ou six ans éclatera une nouvelle guerre mondiale en Europe, et que le peuple juif risque d’en être la première victime.
Jabotinsky et Ben Gourion se rencontrent donc à Londres, pour négocier un accord de réconciliation. Les révisionnistes vont l’approuver mais, contre l’avis de Ben Gourion, les membres du Mapaï le rejette, ce qui provoque la rupture définitive et la sortie des révisionnistes de l’Organisation sioniste mondiale. Ils créent leur propre organisation sioniste qui restera séparée de l’originale pendant dix ans.
En parallèle, dans les années trente, Ben Gourion tente de se confronter à l’autre problème urgent, celui des Arabes de Palestine. Pendant toute la période, il a des rencontres secrètes avec plusieurs leaders palestiniens importants, mais finalement les négociations se heurtent toujours au même problème : les leaders arabes exigent que les juifs restent une minorité sur le territoire du mandat, une demande inacceptable pour les sionistes.
En 1935, Ben Gourion est choisi comme président de l’exécutif de l’Agence juive, créée en 1929, l’organisme représentatif de la communauté juive (le yishouv) face aux Anglais. C’est l’Agence juive qui est responsable pour coordonner toutes les questions relatives au développement du foyer national juif.
En parallèle, il devient l’un des leaders principaux de l’exécutif de l’Organisation sioniste mondiale, ce qui lui donne une place centrale dans les décisions engageant l’avenir de la présence juive en Palestine. Or au printemps 1936, les dirigeants palestiniens redoublent d’inquiétude face à l’augmentation de la population juive consécutive aux persécutions antisémites en Allemagne : les juifs représentent désormais un tiers de la population de Palestine et, en plus, sont en train de constituer une armée militaire secrète.
En réaction, les Arabes déclenchent une grande révolte qui durera trois ans. Cette révolte se donne un double objectif : boycotter les institutions et les firmes juives, pour nuire économiquement au développement de l’entreprise sioniste, et faire pression sur les Anglais pour une annulation totale de l’application de la déclaration Balfour.
Très rapidement, cette révolte prend une tournure militaire, comprenant des attentats qui visent les implantations isolées juives et les voies de communications, mais également la présence armée anglaise.
Sous l’influence de Ben Gourion, la réponse sioniste s’organise autour de deux axes : sur le plan militaire il impose à la Haganah (« la Défense »), l’armée juive clandestine en voie de constitution, une politique de retenue. À ses yeux, il importe de ne pas répondre aux attaques par des attentats aveugles contre la population arabe et de conserver de bonnes relations avec la Couronne britannique. La Haganah réussira d’ailleurs jusqu’en 1944 à développer une certaine coopération militaire avec l’armée anglaise.
Mais cette tactique se heurte à l’opposition de l’Irgoun ou Etzel (organisation armée nationale), un groupe armée juif dissident de la Haganah qui a été créé dès 1931 par des membres de la Haganah proches de Jabotinsky. Sur le plan économique, le boycott arabe provoque en fait une accélération de l’autonomie du fonctionnement de l’économie juive, grâce à l’action de Ben Gourion et de ses collaborateurs.
Par exemple, jusqu’ici l’entrée principale de l’immigration juive, mais également l’exportation des agrumes, se faisaient par le port de Jaffa, au sud de Tel Aviv, inutilisable désormais du fait de la grève arabe. Les Juifs construisent donc un nouveau port, au nord de la ville et deviennent désormais indépendant dans ce domaine.
De manière générale, la grande révolte arabe constitue un revers pour ses auteurs sur le plan économique, provoquant un appauvrissement de l’économie palestinienne qui contraste avec les réussites sionistes. Sur le plan armé, l’échec est encore plus criant. Une sévère répression anglaise aboutit à des centaines de morts arabes, tandis que les chefs se retrouvent le plus souvent en prison ou en exil.
Mais c’est sur le plan diplomatique que l’avenir se joue, un domaine où Ben Gourion s’investit tout particulièrement. En juillet 1937, une commission d’enquête britannique, sous la direction de Lord Peel, propose pour la première fois un plan de partage, les Arabes devant recevoir 85 % du territoire situé à l’ouest du Jourdain, les juifs condamnés eux à se contenter de 12 %. Ben Gourion est disposé à accepter le principe du partage, même si l’État juif proposé est loin de le contenter, mais il est persuadé que les frontières pourraient être changées dans l’avenir.
Cependant, début septembre 1937, un front uni des leaders palestiniens et des dirigeants arabes de la région rejette tout partage. Ben Gourion passe alors beaucoup de temps à Londres en 1937-1938 pour persuader médias et politiciens de soutenir la cause du mouvement sioniste. En février-mars 1939, il dirige la délégation sioniste, conjointement avec Haïm Weizmann, futur premier président d’Israël, à la conférence de Saint-James à Londres, dernière tentative britannique pour trouver un compromis entre Arabes et juifs, et qui n’aboutit à aucun succès.
Ben Gourion comprend que les Anglais ont décidé de revenir sur les engagements de la déclaration Balfour car, alors que la guerre en Europe se profile à l’horizon, l’intérêt britannique est de maintenir une relative tranquillité dans l’Empire britannique, le Proche-Orient jouant un rôle clé de par l’importance stratégique du canal de Suez.
Ce changement de politique de la part du gouvernement Chamberlain devient concret lorsqu’est publié un nouveau Livre blanc en mai 1939, qui limite pour cinq ans le nombre de visas d’entrée pour les juifs à 15.000 par an, et annonce qu’ensuite toute immigration juive en Palestine anglaise sera soumise au bon vouloir de la partie arabe. C’est figer à jamais la condition minoritaire des Juifs, le Livre blanc interdisant également l’achat de terres par les juifs dans près de 90 % du territoire entre le Jourdain et la Méditerranée.
Ben Gourion prévient Chamberlain qu’il ne pourra empêcher l’arrivée des juifs si ce n’est par les armes. Or, le 1er septembre, Hitler envahit la Pologne et la Seconde Guerre mondiale commence. Le 12 septembre 1939, Ben Gourion annonce officiellement l’attitude des organismes sionistes : « Nous devons soutenir la Grande Bretagne dans son effort de guerre comme si le Livre blanc n’existait pas, et combattre le Livre blanc comme si la guerre n’avait pas lieu ». C’est effectivement ce qui se passe, Ben Gourion encourageant les jeunes juifs de la communauté juive en Palestine à s’engager dans l’armée anglaise.
Les Anglais craignant à partir de 1941 une invasion de la région par les troupes allemandes, par le Caucase ou bien par les chars de Rommel depuis la Lybie, ils soutiennent la création et l’entraînement de commandos d’élite de la Haganah. C’est le Palmah (« groupes de destruction »). Il va aider l’armée anglaise à conquérir la Syrie et le Liban vichystes, un jeune officier juif sioniste du nom de Moshé Dayan y étant blessé grièvement à l’œil.
De son côté, Haïm Weizmann réussi en 1944 à convaincre Churchill de créer une Brigade juive qui participe aux combats en Italie, puis joue un rôle important pour recueillir les rares survivants de la Shoah en Allemagne et en Autriche.
En parallèle, la direction sioniste tente d’accélérer l’immigration clandestine, et plusieurs dizaines d’implantations illégales sont créées, notamment dans le Néguev, le désert du sud d’Israël, fait qui influencera considérablement la carte du partage de la Palestine en 1947.
La lutte pour la création d’un État juif
Dès 1942, Ben Gourion commence à recevoir des nouvelles inquiétantes des assassinats de juifs et des destructions de communautés entières à l’est de l’Europe par les nazis et leurs complices. Mais sa perspective politique est claire : il est trop tard pour agir concrètement là-bas, ce d’autant plus que l’Organisation sioniste et l’Agence juive ne disposent pas des moyens militaires ou diplomatiques d’un vrai gouvernement.
Pour Ben Gourion, la seule façon de sauver le peuple juif est d’accélérer la possibilité de l’indépendance en terre d’Israël. C’est à cela que tendent tous ses efforts et qu’il consacre son temps et les moyens dont disposent l’Organisation sioniste et l’Agence juive. Dès 1939, il a compris que les Britanniques ont abandonné le soutien à l’idée du sionisme, et qu’il faut trouver de nouveaux alliés. C’est pourquoi il oriente les efforts diplomatiques sionistes vers les États-Unis, de par l’importance que prend de plus en plus la superpuissance américaine dans la conduite de la guerre et dans la politique mondiale.
La présence d’une communauté juive comptant plusieurs millions de membres, et influente dans les milieux politiques, représente un atout certain. Ce n’est pas un hasard si c’est à l’hôtel Biltmore à New York que Ben Gourion, à l’occasion du Congrès des Sionistes américains, fait adopter pour la première fois une résolution donnant clairement pour but au sionisme la construction d’un État en terre d’Israël, alors que jusque-là, par déférence pour le gouvernement anglais, le mot État n’avait jamais été utilisé. C’est ce programme de Biltmore qui guide désormais la politique sioniste jusque 1948.
À partir de 1944, dans la perspective de la fin de la guerre mondiale, Ben Gourion favorise un rapprochement entre la Haganah et l’Irgoun. Jabotinsky est décédé en 1940 d’une crise cardiaque, et celui qui se trouve à la tête des révisionnistes et de leur branche militaire est Menahem Begin, un activiste de Pologne de trente ans, arrivé en terre d’Israël tout droit des prisons soviétiques à la faveur d’un accord entre Moscou et le gouvernement polonais en exil. Les oppositions idéologiques demeurent les mêmes que celles qui existaient avec Jabotinsky, mais autant au niveau personnel, les deux hommes avaient une estime mutuelle, autant les rapports de Ben Gourion avec Menahem Begin seront tissés d’une véritable haine.
Dès 1944, Begin lance d’ailleurs une campagne d’attaques terroristes contre les Anglais, alors que Ben Gourion espère encore voir la politique britannique se transformer, de par les assurances que lui ont donné les dirigeants du parti travailliste, qu’il connait grâce aux rencontres organisées par l’internationale socialiste. C’est pourquoi Ben Gourion ordonne une véritable chasse à l’homme contre l’Irgoun, une période connue sous le nom de « la saison ». Il faut montrer au futur gouvernement anglais que la majorité travailliste sioniste est prête à travailler légalement avec le gouvernement du mandat anglais pour résoudre en commun les questions de l’avenir de la Palestine.
Mais en juillet 1945, après l’arrivée au pouvoir des travaillistes à Londres, ceux-ci tournent le dos aux promesses données à Ben Gourion, et annoncent vouloir poursuivre la politique du Livre blanc de 1939. Ceci au moment où l’on découvre les horreurs de la Shoah, et la situation critique des survivants hébergés dans des camps de personnes déplacées en Allemagne. Ben Gourion, qui a été les visiter, constate que le seul espoir de ces rescapés est de pouvoir venir s’installer en terre d’Israël. Il lance donc les institutions sionistes dans la lutte contre les Anglais.
La Haganah et l’Irgoun réussissent à organiser un « mouvement de révolte hébraïque » uni qui se lance dans des opérations contre l’armée britannique. Un organisme clandestin, le Mossad, multiplie les bateaux clandestins qui amènent des immigrants illégaux, tandis que Ben Gourion réunit à New York quinze juifs américains très riches pour créer un fond clandestin afin d’acheter à travers le monde l’armement dont la Haganah a besoin pour ébranler la présence anglaise en Palestine et se préparer à la future lutte contre les Arabes.
Ben Gourion dira par la suite qu’il s’agit de l’une des trois décisions les plus importantes de sa vie, avec celle de monter s’installer en terre d’Israël, et la proclamation de l’État d’Israël.
Les Britanniques déclenchent alors une violente répression contre la révolte juive (Ben Gourion est ainsi obligé de diriger pendant plusieurs mois l’Agence juive depuis Paris pour ne pas être arrêté), mais la volonté des juifs de Palestine ne fléchit pas.
Finalement, en avril 1947, la Couronne britannique annonce remettre son mandat sur la Palestine à l’ONU. L’organisation internationale crée alors une commission d’enquête, l’UNSCOP, et le 4 juillet, à Jérusalem, David Ben Gourion témoigne devant elle : « Pour être certain qu’une nouvelle Shoah ne se déroule pas, il y a une seule garantie : une patrie, un État », déclare-t-il.
Après plusieurs mois de prospections, l’UNSCOP propose un plan de partage de la Palestine entre juifs et Arabes. Le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale de l’ONU adopte à la majorité des deux tiers la résolution 181 qui attribue 55 % du territoire au futur État juif (pour compenser le fait que 40 % de son territoire est composé de zones désertiques).
Ce jour-là, tous les combats, tous les efforts, tous les rêves, tous les espoirs que David Ben Gourion a menés et vécus depuis la maison paternelle de Plonsk jusqu’aux bureaux de l’Agence juive à Jérusalem, tous se concrétisent enfin. Il sait aussi que ce n’est qu’un début, qu’il va falloir mener une guerre et construire un État. La deuxième partie de sa vie peut commencer.
Vos réactions à cet article
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JEANNE33 (29-10-2023 14:31:33)
D'accord avec les commentaires précédents : excellent article.
Voici ma question : serait-il possible d'en savoir davantage sur ce mandat britannique ?
Osmane (16-10-2023 11:35:12)
excellent article
Piguet (15-10-2023 19:06:23)
Super article qui explique bien que la naissance de l'état d'Israël s'est bien faite au forceps.