Le monde a basculé comme jamais dans la première moitié du XXe siècle. Cela s’observe dans tous les domaines : la politique et la guerre, bien sûr, mais aussi la vie quotidienne, les arts et plus encore peut-être les sciences !
Après la « décennie prodigieuse » (1895-1905) et la révolution quantique des années 1920, l’humanité a connu le feu prométhéen : la découverte de la relativité par Einstein et de la radioactivité par Curie ont conduit de fil en aiguille à la fission et la fusion nucléaires.
Ce grand saut dans l’inconnu fut l’œuvre d’une poignée de physiciens de génie, dans le cadre du projet Manhattan (1942-1946) qui a permis aux Américains de mettre au point et lancer les premières bombes atomiques.
Effrayés par la portée de leurs travaux, plusieurs de ces savants ont essayé ensuite de les juguler par le biais d’accords internationaux. Mais ceux-ci restent fragiles…
Les prémices
La physique nucléaire a été portée sur les fonts baptismaux par le chimiste et physicien Ernest Rutherford, né en 1871 en Nouvelle-Zélande. En 1898, l’année même où Marie Curie nomme la radioactivité, il découvre les rayonnements alpha et bêta. Cela lui vaudra le prix Nobel de chimie en 1908.
Mais le 12 septembre 1933, alors qu’il enseigne au laboratoire Cavendish, à Cambridge (Angleterre), il écrit dans le Times : « L'énergie produite par l'atome est plutôt quelconque. Quiconque parle de l'utiliser comme source d'énergie est à côté de ses pompes » (The energy produced by the atom is a very poor kind of thing. Anyone who expects a source of power from the transformation of these atoms is talking moonshine).
Le lendemain, se promenant dans les rues de Londres, le jeune physicien Leó Szilárd sursaute en lisant ces lignes. Né en 1898 à Budapest, il a fui l’antisémitisme de la Hongrie pour s’établir à… Berlin en 1919. Là, il suit les cours d’Albert Einstein, Max Planck et Max von Laue.
Il devient l’assistant de ce dernier et collabore aussi avec Einstein sur l’invention et le brevet d’un réfrigérateur d’absorption vendu à Electrolux. Là-dessus, fuyant le nazisme, il s’installe en 1933 à Londres, sans le sou, et c’est alors qu’il découvre l’article de Rutherford…
Avec ses maigres moyens, il se met en tête d’étudier la possibilité d’émettre de l’énergie par la fission de l’atome : tout atome de matière est composé d’un noyau autour duquel tournent des électrons chargés négativement, le noyau lui-même est composé de protons chargés positivement et de neutrons (neutres comme leur nom l’indique). L’idée est de fissurer un noyau en le bombardant avec un neutron de façon qu’il s’ensuive une émission d’énergie et la libération d’autres neutrons qui iraient à leur tour bombarder d’autres noyaux du voisinage. Cette « réaction en chaîne » serait en théorie susceptible de dégager en un temps record une énergie proprement phénoménale.
Dès le 12 mars 1934, il dépose une première demande de brevet et, deux ans plus tard, soucieux de protéger les intérêts des démocraties face à la montée du nazisme, il confie son brevet à l’Amirauté britannique. Toutefois, il échoue dans ses tentatives de provoquer une réaction en chaîne avec l’indium et le béryllium. Là-dessus, visionnaire, il anticipe la guerre à venir et émigre à nouveau, en janvier 1938, cette fois vers les États-Unis.
À l’université Columbia, à New York, il retrouve son collègue italien Enrico Fermi et poursuit avec lui ses travaux. C’est là qu’il apprend par le journal que deux chimistes allemands, Otto Hahn et Fritz Strassmann, auraient réussi à diviser le noyau d’uranium en plusieurs parties en le bombardant avec des neutrons…
Le coup de semonce
Luis W. Alvarez est un jeune physicien de l’équipe du professeur Ernest Lawrence, au Berkeley Radiation Laboratory, près de San Francisco. Ce dimanche 29 janvier 1939, il se détend chez son barbier quand il découvre lui aussi ladite information dans le San Francisco Chronicle.
Il bondit jusqu’au Rad Lab et montre le journal à ses collègues et amis qui en saisissent immédiatement comme lui la signification : s’il est possible de fissurer un noyau d’uranium en le bombardant avec un neutron et de produire ainsi une réaction en chaîne, on peut aboutir à des bombes d’une puissance incomparablement supérieure à toutes celles qui existent déjà.
À la lecture de l’article, le professeur de physique théorique J. Robert Oppenheimer se contente toutefois d’un lapidaire : « C’est impossible ! » et tente de le démontrer mathématiquement au tableau noir. Mais de son côté, Alvarez se rend au laboratoire et reproduit l’expérimentation des Allemands.
Le lendemain, au vu des résultats, tous les physiciens de Berkeley se convainquent de la réalité : des savants du IIIe Reich ont ouvert la possibilité de produire une bombe surpuissante par fission de l’atome ! Un télégramme du Danois Niels Bohr confirme la découverte de la fission.
Aussitôt, un jeune étudiant de 21 ans, Joseph Weinberg, fait le croquis d’une bombe. Toutefois, son collègue Philip Morrison montre par le calcul que la réaction en chaîne est vouée à s’épuiser avant l’explosion.
Pour arriver à celle-ci, ainsi qu’ils le découvriront plus tard, il faut purifier au préalable l’uranium pour ne retenir que de l’uranium 235 (U-235, avec un noyau de 92 protons et 143 neutrons), lequel n’est présent qu’à hauteur de 0,7% dans l’uranium naturel, le reste étant constitué d’uranium 238 (92 protons et 146 neutrons). Or, la purification est une opération industrielle coûteuse, longue et difficile (c’est ce qui retient encore aujourd’hui beaucoup de pays comme l’Iran de pouvoir accéder à l’énergie atomique).
En attendant, à New-York, Leó Szilárd ne perd pas de temps. Lui aussi a compris les implications militaires de la découverte et se convainc que les savants allemands les ont comprises aussi, ce qui heureusement n’était pas le cas.
Pacifiste dans l’âme, il convainc Enrico Fermi du péril qu’il adviendrait si les nazis venaient à développer une bombe atomique avant les démocraties.
En juillet 1939, il se rend à Long Island où Albert Einstein passe ses vacances. Il le persuade d’engager son prestige auprès du président Roosevelt pour le convaincre de produire la bombe avant les nazis. Lui-même rédige une lettre et la soumet à la signature du savant.
À la réception de la lettre, le président Roosevelt met sur pied un Comité de l’uranium confié au physicien Lyman C. Briggs mais pendant près de deux ans, il va rester pratiquement au point mort.
Il en va autrement en Angleterre où les physiciens Otto Frisch et Rudolf Peierls qui ont fuit l’Allemagne convainquent le gouvernement de l’urgence. Un comité ultra-secret, MAUD, est mis sur pied au printemps 1941 et publie un rapport bien argumenté. À sa lecture, l’ingénieur américain Vannevar Bush, chargé de mettre la science au service de l’armée, prend la mesure du défi atomique et en fait part au président Roosevelt le 16 juillet 1941.
La situation se débloque aussitôt, d’autant que le président sait que l’entrée en guerre de son pays devient inéluctable. Il remplace le Comité de l’uranium par un comité exécutif dit S-1, placé sous son égide, avec rien moins que l'ingénieur Vannevar Bush, le chimiste James Conant, président de Harvard, le secrétaire à la Guerre Henry Stimson, le chef d’état-major George C. Marshall et le vice-président Henry Wallace !
Le « projet Manhattan »
Le professeur Lawrence suggère à Conant, président du S-1, de confier à son collègue de Berkeley, J. Robert Oppenheimer, la recherche sur les neutrons rapides, un enjeu essentiel de l’entreprise.
Sans attendre, à l’été 1942, Oppenheimer réunit la crème des physiciens théoriciens dans un séminaire ultra-secret pour plancher sur une ébauche de la bombe. L’un de ces physiciens, l’Allemand Hans Bethe, confiera plus tard : « Nous n’arrêtions pas d’inventer de nouveaux trucs, de trouver des moyens de calculer, et de rejeter le gros de ces trucs en fonction des calculs. J’ai pu directement constater l’énormité de la puissance intellectuelle d’Oppenheimer, le leader incontesté de notre groupe. »
Au cours de ce séminaire, le physicien Edward Teller évoque une éventualité soulevée plus tôt par Enrico Fermi : se pourrait-il qu’une arme à fission en vienne à enflammer du deutérium, une forme lourde d’hydrogène, jusqu’à produire une explosion à fusion surpuissante et possiblement enflammer l’atmosphère terrestre ? Chacun de s’alarmer aussitôt. Oppenheimer saute dans un train et informe Compton de ce risque fatal pour l’humanité. Là-dessus, Bethe reprend les calculs et aboutit à un risque « proche de zéro ». Voilà chacun rassuré (ou presque).
En septembre 1942, Oppenheimer apparaît comme l’homme idoine pour diriger le volet scientifique du projet à venir et, pour lever tout obstacle à sa nomination, il promet à Compton de couper toutes ses connexions communistes liées à son passé de jeune intellectuel gauchiste.
L’armée étant appelée à codiriger le projet, elle désigne à cet effet le colonel Leslie Groves, aussitôt nommé général pour mieux en imposer aux scientifiques. Le 18 septembre 1942, Leslie Groves lance officiellement le projet sous le nom de code « Manhattan Engineer District », en référence à son implantation newyorkaise, mais la postérité retiendra plus simplement le nom de « Manhattan project ».
Oppenheimer convainc Groves de réunir toutes les équipes de recherche en un même lieu, aussi discret que possible, pour éviter les redondances et Groves, là-dessus, décide de lui confier la direction de ce futur laboratoire central. Il fait confiance à son charisme et fait fi de ses handicaps (passé gauchiste, absence de prix Nobel, manque d’expérience administrative).
Le général et le professeur se mettent en quête d’un site idoine pour le futur laboratoire. Oppenheimer suggère le désert du Nouveau-Mexique et plus précisément le site de Los Alamos où il avait tant galopé dans sa jeunesse, non loin de Santa Fe. C’est là donc que débutent aussitôt les travaux d’une ville-champignon de 3500 âmes.
En mars 1943 arrivent les premiers scientifiques, bientôt rejoints par leurs familles dans un décor spartiate. En 1945, Los Alamos comptera quatre mille civils et deux mille militaires, trois cents bâtiments résidentiels, deux cents caravanes, les services indispensables et quelques dizaines de bâtiments abritant les équipements industriels et les outils de recherche
Par ailleurs, dès juin 1942, le général Leslie Groves établit le principal site d'enrichissement de l'uranium dans une vallée du Tennessee, à Oak Ridge, près de Knoxville. De son côté, le physicien Arthur H. Compton, Prix Nobel 1927, prend à Chicago la direction du laboratoire de métallurgie chargé de produire des réacteurs qui convertiront l'uranium en plutonium. Il construit à cet effet une usine à Hanford (Washington), en décembre 1942 (en avril 1944, le recours au plutonium sera finalement abandonné au profit de l'uranium 235).
À Chicago, dans un espace sécurisé situé sous le stade de la ville, le laboratoire de métallurgie de Compton s'est hasardé à construire un premier réacteur nucléaire, connu sous le nom de Pile-1. C'est ainsi que grâce à ce réacteur, une équipe conduite par Enrico Fermi a pu tester pour de bon une réaction en chaîne le 2 décembre 1942 et a montré qu'elle pouvait s'auto-entretenir et déboucher sur une explosion à partir d'une certaine « masse critique » de matière fissile. Preuve était faite de la faisabilité de la bombe. Compton fit part de ce succès initial à Conant par un message codé : « Le navigateur italien [Fermi] a atterri dans le nouveau monde ».
Le 15 avril 1943, à Los Alamos, un premier colloque, sous la conduite de Robert Serber, ancien élève d’Oppenheimer, définit l’enjeu : soit produire une bombe de quinze kilos à partir d’uranium hautement enrichi, avec une puissance équivalente à 20000 tonnes de TNT (trinitrotoluène, glycérine) ; soit utiliser du plutonium pour une bombe d’une masse critique bien moindre et qui ne pèserait que cinq kilos. Mais le plutonium, élément plus lourd que l’uranium, nécessite d’être produit par capture de neutrons à partir d’uranium 238 selon un processus industriel très lourd. Le projet Manhattan va suivre de concert les deux pistes mais en avril 1944, pressé par le temps et par souci de fiabilité, Oppenheimer renoncera au plutonium en dépit de tous les efforts consentis.
En décembre 1943, conformément à l'accord de Québec anglo-américain, une délégation de scientifiques britanniques rejoint le site nucléaire de Los Alamos (Nouveau-Mexique) et participera au « projet Manhattan ». Elle inclue le Danois Niels Bohr, qui a pu échapper à la surveillance des nazis, mais aussi le réfugié allemand Klaus Fuchs dont on apprendra en 1950 qu’il travaillait pour les Soviétiques.
En 1945, le projet Manhattan en vient à réunir près de 130 000 personnes répartis sur plus de trente sites aux États-Unis, au Royaume-Uni et au Canada. Il s'agit principalement de sites industriels destinés à la production de matières fissiles à partir d'uranium naturel, lequel vient du Colorado et du Canada et principalement de la mine de Shinkolobwe, au Katanga, une province du Congo belge.
C'est le moment-clé du projet. L'Allemagne étant vaincue et le Japon sur le point de l'être, le gouvernement américain voit se profiler la menace d'une nouvelle guerre avec son allié soviétique. À Los Alamos, il n'est pas question d'interrompre les travaux et le 16 juillet 1945, les scientifiques procèdent au premier essai atomique, près de la base aérienne d'Alamogordo. La bombe, d'une puissance de 15 kilotonnes, restera dans l'Histoire sous le nom de Trinity.
Après quoi, deux bombes étant encore disponibles, le président Harry S. Truman décide de les larguer sur le Japon... C'est seulement à ce moment-là, après le bombardement d'Hiroshima, que l'immense majorité des participants du projet Manhattan comprirent l'objet de leur travail des trois dernières années !
Dans les usines, ouvriers et techniciens exécutaient les tâches qui leur étaient demandées sans poser de questions. Telle exécutante, dans les vestiaires, dirigeait un appareil vers les blouses que lui présente le personnel mais sans savoir ce que signifiait le cliquetis émis par l'appareil, aujourd'hui connu sous le nom de compteur Geiger !
Les contraintes de sécurité et de secret furent très strictes sur les sites mais aussi dans la recherche elle-même, le gouvernement américain allant jusqu'à retirer des bibliothèques les articles sur la fission. À Los Alamos, les scientifiques veillaient eux-mêmes à ne pas désigner la bombe autrement que sous le nom de « gadget ». Les secrets du projet Manhattan furent en définitive si bien gardés que les Soviétiques ne recueillirent que des renseignements sans importance.
D'un coût d'environ 2 milliards de dollars américains de l'époque (soit environ 24 milliards de dollars en 2021), le projet Manhattan est le deuxième budget de la Seconde Guerre mondiale derrière la conception et la production des « forteresses volantes » B-29.
Stop ou encore ?
Après la capitulation de l’Allemagne, Leo Szilard, au Met Lab de Chicago, comprit que les bombes atomiques risquaient d’être désormais larguées sur des villes japonaises et il tenta d’en empêcher l’utilisation. Dans une entrevue le 25 mai 1945 avec le président Truman, il fit valoir avec justesse que leur utilisation risquait de précipiter la course aux armements avec les Soviétiques. Leo Szilard n’en resta pas là et convainc en juin 1945 six collègues de Chicago de produire un mémorandum de douze pages pour convaincre les autorités de ne pas tester la bombe atomique. Ce texte est connu sous le nom de « rapport Franck », du nom de son plus illustre signataire, le prix Nobel James Franck, mais il fut immédiatement enterré par la bureaucratie de Washington.
Après Trinity, il y eut donc Hiroshima et Nagasaki.
Officiellement clôturé le 31 décembre 1946, le projet Manhattan allait être prolongé par la « Commission de l'énergie atomique » (United States Atomic Energy Commission, AEC). Reprenant les actifs du projet Manhattan, elle reçut officiellement la mission de promouvoir le nucléaire civil et de prévenir la divulgation des techniques nucléaires au-delà des frontières américaines. Robert Oppenheimer fut nommé président du Groupe consultatif général de l'AEC, avec mission d'émettre des propositions au gouvernement.
Le président Truman confia la présidence de l'AEC à l'avocat David E. Lilienthal, qui avait déjà présidé la Tennessee Valley Authority au temps de Roosevelt. Le général Kenneth D. Nichols lui était associé. Mais le 11 mars 1948, Truman, obnubilé par la menace soviétique, les convoque tous les deux à la Maison Blanche pour leur signifier qu'à la vérité, « l'objectif principal de l'AEC était de développer et de produire des armes atomiques. »
En août 1949, grâce à des enregistrements recueillis par un bombardier B-29 sur une bande de papier radiosensible, les Américains apprennent avec stupeur que les Soviétiques venaient de procéder à leur premier essai atomique quatre ans après celui de Trinity, à Los Alamos.
Truman, qui n’y croyait pas, y vit un motif de relancer la course aux armements et de développer au plus vite la bombe thermonucléaire ou bombe H (pour bombe à hydrogène) ou bombe à fusion. Elle était qualifiée de « Super » par les scientifiques, au sens de terrifiante, car, tandis que sa cadette, la bombe A ou bombe à fission, capable de « seulement » détruire une ville moyenne comme Hiroshima, celle-ci est en mesure de vitrifier d’un coup plusieurs milliers de km2 et plusieurs millions d’êtres humains.
Le grand savant danois Niels Bohr, l'un des pères de la mécanique quantique, y vit quant à lui un motif supplémentaire de conclure un accord international pour interrompre la course aux armements. Il lui apparaissait insensé et militairement inutile de développer des armes « génocidaires ». Depuis le début des travaux sur la bombe atomique, il recommandait même l’ouverture et la transparence à l’égard de l’allié (et bientôt rival) soviétique : le gouvernement américain se devait de le tenir informé de ses acquis en matière atomique afin de le convaincre de sa bonne volonté.
À tout le moins, Bohr recommande de suspendre les essais sur la bombe H. C’est une mesure facile à garantir car il est impossible à un État quel qu’il soit de procéder à un essai clandestin sans qu’il soit détecté. Et sans essai préalable, il n’y a pas de bombardement possible.
Ses positions sont partagées par Oppenheimer mais ne font pas l’unanimité parmi les scientifiques. Parmi les plus ardents partisans de la « Super » figurent Ernest Orlando Lawrence et Edward Teller. Né en 1908 à Budapest, Edward Teller se comportait déjà à Los Alamos en électron libre et ne voulait pas démordre de son idée fixe de bombe à hydrogène qui lui était venue en 1942, à Chicago, d'un entretien avec Enrico Fermi. Le savant italien avait suggéré qu’une fusion nucléaire, sous réserve qu'elle soit initiée par une fission, aurait beaucoup plus d’impact qu’une fission classique pour un volume similaire de matière.
Teller va donc prendre la tête de la croisade pour la bombe H en association avec Lawrence, qui est à l’origine du premier cyclotron (accélérateur de particules) et a obtenu pour cela le Prix Nobel en 1939.
En novembre 1952, les Américains réalisent le premier essai de bombe à hydrogène grâce à l'action d'Edward Teller. Celui-ci y gagnera le surnom de « père de la bombe H » mais sera aussi écarté pour cela du prix Nobel. Son parcours inspirera au cinéaste Stanley Kubrick le personnage du Dr Folamour (Dr Strangelove) en 1964.
Mais les Soviétiques, piqués au vif, réalisent leur propre essai dès août 1953, soit à peine dix mois après les Américains, démontrant par là qu'ils ont en bonne partie comblés leur retard depuis leur essai de bombe A en 1949.
En 1968 sera signé le premier traité de non-prolifération. Interrogé à son propos, Niels Bohr regrettera qu’il vienne vingt ans trop tard. De fait, après les Soviétiques, les Britanniques, les Français et les Chinois ont démontré leur maîtrise de la bombe thermonucléaire. L'humanité était entrée en tremblant dans l'âge atomique et tout retour en arrière était devenu impossible.
Vos réactions à cet article
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Christian (10-08-2023 07:16:30)
Comme l'écrit André Larané, on peut déplorer que la bombe atomique ait été employée contre le Japon sans véritable justification militaire, mais ce précédent a peut-être dissuadé les grandes puissances nucléaires (Etats-Unis et URSS en tête), d'y recourir au cours de la guerre froide. Même après la crise des missiles de Cuba, souvent présentée comme le paroxysme de la guerre froide, on peut citer au moins trois cas où des conflits locaux ont failli dégénérer : en 1969 (lorsque l'URSS semble avoir envisagé de recourir à l'arme nucléaire contre la Chine), en décembre 1971 (guerre d'indépendance du Bangladesh, au cours de laquelle l'URSS soutenait l'Inde contre le Pakistan, lui-même soutenu par les Etats-Unis et la Chine) et le 25 octobre 1973 (mise en état d'alerte des forces américaines à la suite de rumeurs faisant état d'une intervention soviétique au Moyen-Orient).
On aurait pu penser que de tels risques avaient disparu avec la fin de la guerre froide, mais la prolifération nucléaire (Israël, Inde, Pakistan, Corée du Nord, Iran peut-être) et les politiques aventuristes menées par les grandes puissances (agression américaine contre l'Irak en 2003, agression russe contre l'Ukraine en 2022, expansionnisme chinois dans la mer de Chine méridionale au détriment du Vietnam et des Philippines) n'incitent guère à l'optimisme...
Aubert Simard (08-08-2023 15:36:22)
Très intéressant.Bravo.
Jeanne (31-07-2023 08:30:40)
Entre 1945 et 1990, qu'est-ce qui a retenu l'URSS d'envahir l'Europe de l'Ouest ? Et donc qu'est-ce qui a permis à l'Europe de l'Ouest de vivre en paix et de se développer (au moins économiquement) à un rythme jamais vu jusqu'alors ?
Est-ce que c'était un sincère désir de paix des dirigeants soviétiques, la crainte d'une destruction totale par les armes nucléaires occidentales ou autre chose ?
Je pense qu'on a le droit de penser, même si le danger était très grand du fait de l'existence de ces armes, que ça pourrait être la deuxième possibilité. C'est paradoxal et pourtant c'est plausible. C'est le principe de la dissuasion et pour moi elle a marché à la perfection.
Mais la crise des missiles de Cuba me direz-vous. Je pense que les médias se sont jetés sur l'aubaine en la présentant comme le jour où la troisième guerre mondiale a failli commencer. Oui, il y a eu du danger lors de cette affaire, mais entre un danger limité et une guerre thermonucléaire, il y a à mon avis un très grand pas que ni Kennedy, ni Khrouchtchev n'étaient prêts à franchir.
Que pensez-vous de la dissuasion nucléaire comme facteur majeur de paix durant la Guerre froide ?