La dynastie des Song

Une nouvelle Chine

Une grande partie de l’empire des Tang échappant aux Song, ces derniers eurent à façonner un nouveau territoire pour tenir tête aux ensembles impériaux que créèrent tour à tour les peuples de la steppe entre les xe et xiiie siècles : Khitan-Liao, Tangut, Jurchen et bien sûr Mongols.

On a vu comment l’opposition à la cour entre des tendances conciliatrices avec ces puissances et des projets irrédentistes s’était constituée en marqueur politique tout au long de la dynastie. Dans ces conditions, si plusieurs formes de paix armée ont pu sauver la dynastie, elles ont tout autant mis en lumière l’incomplétude impériale des Song et conditionné leur organisation géopolitique.

Peinture chinoise de l'époque de la dynastie des Song du Nord représentant un moulin à céréales alimenté par l'eau.

Un carrefour

La diversité des politiques frontalières atteste cette tension entre le pragmatisme politique et diplomatique, d’une part, et des guerres de conquête, légitimées comme entreprises «  civilisatrices  », d’autre part. Alors qu’au Nord la frontière était une ligne, tracée sur la base de négociations garantissant son intangibilité, au Nord-Ouest, dans l’Amdo tibétain, elle était une zone que les Song entreprirent de coloniser entre les années 1070 et 1127. Enfin, dans les marches du Sud-Ouest, entre Sichuan, Guizhou et Yunnan, l’avancée régulière de colons et de marchands permit un grignotage systématique de terres riches en ressources diverses.

L’organisation intérieure du territoire a d’emblée reflété la volonté centralisatrice de la cour. Celle-ci a repris le modèle des préfectures, mais en fragmentant les compétences des instances qui les administraient au niveau régional dans un même « circuit ». La séparation des organes fiscaux, judiciaires et militaires était censée éviter les collusions et l’essor de pouvoirs régionaux trop menaçants.

Carte 3. Les échanges terrestres et maritimes vers 1210-1220 © C. Lamouroux, La dynastie des Song, p. 308 (DR Les Belles Lettres)Au-delà de ce dispositif, le contrôle de la cour s’exerçait également à travers la circulation et la remontée des informations, lesquelles conduisirent à un remarquable essor de la curiosité géographique. De nombreux lettrés, devenus fonctionnaires, souhaitaient en effet valoriser dans leurs écrits les réalités locales découvertes au cours de leurs voyages.

Par ailleurs, l’intensification des liaisons ultra-marines se traduisit par une expansion commerciale et des échanges migratoires permanents, ce qui fit de cette nouvelle Chine un véritable carrefour. La vitalité du commerce entre puissances a en effet contribué à ordonner l’espace asiatique autour des Song, de leurs richesses et de leurs monnaies.

Les échanges officiels en soieries, métaux précieux et thés, imposés par les traités, ne signifièrent pas pour autant la disparition des échanges terrestres du grand Ouest : le mouvement des métaux et des produits de luxe garantissait de solides profits aux marchands d’Asie centrale, pourvoyeurs des chevaux indispensables à la cavalerie chinoise.

Cargos chinois sur une rivière glacée, Guo Zhongshu, Dynastie Song, Taipei, Musée national du palais.Les marins et marchands du Zhejiang, du Fujian et de Canton intensifièrent surtout leurs liens séculaires avec les mers du Sud, en s’intégrant à une population cosmopolite, installée aussi bien sur les côtes chinoises qu’au Vietnam, en Malaisie, à Sumatra ou à Java.

Les exportations de soies, de porcelaines (dico) et de laques, de riz et de fruits, de plantes médicinales et de papier garantissaient à ces marchands des profits qui ont sans doute largement contribué au financement du commerce intérieur dont le dynamisme a profondément transformé la société des Song du Sud.

Le long de la rivière pendant le festival de Qingming, détail du Qingming Shang He Tu (Le Jour de Qingming au bord de la rivière) Zhang Zeduan, XIIe siècle, Dynastie Song, Musée national du palais.

Expansion et institutions économiques

La répartition de la population — entre 90 et 100 millions d’individus sous les Song du Nord et de 58 à 64 millions sous les Song du Sud — confirme la permanence des trois pôles historiques de peuplement : la plaine du Nord, le bassin inférieur du Yangzi et le Sichuan, le bassin supérieur du Yangzi.

Deux traits caractérisent la période. Premièrement, la société urbaine se différencie sensiblement. Dans l’arrière-pays des cités préfectorales et des capitales — Kaifeng ou Hangzhou comptant des centaines de milliers d’habitants —, émergent quelque deux mille agglomérations, à la fois place d’échanges des produits ruraux et centres de perception fiscale des administrations. Deuxièmement, les migrations du xiie siècle font définitivement du Sud le centre de gravité économique de l’empire, donnant une nouvelle importance à l’ensemble de la vallée du Yangzi.

Malgré un refroidissement climatique à partir de l’an mille, les rendements céréaliers ont augmenté sensiblement grâce à l’intensification du travail, inséparable de l’apport en main d’œuvre consécutif aux grandes migrations du xiie siècle. Les modes culturaux, intégrant ceux du Nord, permettent alors d’obtenir jusqu’à trois récoltes de céréales sur deux ans. Cependant, la circulation des grains révèle l’existence de marchés régionaux discontinus dont les disparités imposent une approche régionale de l’économie.

Figurine funéraire : personnification d'un signe du zodiaque. Chine du Sud, manufacture de Jingdezhen, dynastie des Song du Nord, XIIe siècle, Paris, musée Guimet. Agrandissement : Vase de la dynastie des Song du Sud avec dessins de dragons et de fleurs, San Francisco, Asian Art Museum.Dans chaque région, les liens économiques entre villes et monde rural se renforcent grâce au travail à façon dispensé dans les campagnes par de véritables entrepreneurs urbains, et la commercialisation des surplus sur les marchés ainsi que la diversification des activités deviennent manifestes. En même temps, plusieurs spécialisations régionales s’imposent. Sans parler de l’essor des productions céramiques ou des constructions navales, on mettra ici l’accent sur les progrès spectaculaires de la sidérurgie ou encore sur le développement de l’artisanat du livre imprimé.

La production et le marché du fer dépendent de régies publiques mais aussi de nouvelles structures entrepreneuriales fondées sur une division entre capital et travail et dirigées par de grandes familles, capables de mobiliser un capital important. À partir des chiffres du Sichuan, on estime que la production était de 0,8 kilogramme/personne en 1078, soit dix fois plus que sous les Han.

L’archéologie a surtout révélé deux innovations marquantes du xie siècle : la conception de hauts-fourneaux plus grands – six mètres de haut –, très proches de ceux des xixe et xxe siècles, et l’usage étendu de combustibles minéraux, le coke connu dès le IVe siècle mais aussi le charbon, mélangé à du charbon de bois qui se raréfiait.

Les xie et xiie siècles marquent également une nouvelle dynamique dans l’impression et la commercialisation du livre. Si les premiers caractères mobiles en terre cuite font leur apparition au milieu du xie siècle, la xylographie, inventée au viiie siècle reste essentielle. Elle permet toujours une réimpression à bas coût d’ouvrages divers : textes religieux, textes médicaux, almanachs, manuels de divination et de géomancie ; dès le xe siècle le gouvernement imprime avec cette technique les éditions standards des classiques qu’exigent les examens.

Un jardin littéraire, Zhou Wenju, XIIe siècle, Beijing, Le Musée du Palais.

Les livres ont alors une valeur esthétique et les graveurs comme ceux de Huizhou ne tardent pas à acquérir une réputation d’excellence dans tout l’empire. Mais, à côté d’éditions soignées, véritables emblèmes culturels, on voit de plus en plus paraître des ouvrages de qualité médiocre publiés avec profit par des maisons privées. Dans ces conditions, parallèles au cadre administratif, les réseaux marchands contribuent puissamment à l’intégration régionale, les deux structures se retrouvant dans un état permanent de concurrence et de connivence.

L’administration, qui s’efforce de tirer profit de l’expansion commerciale, recourt à plusieurs innovations dans les domaines fiscaux et financiers : papier-monnaie institué officiellement en 1024 à Chengdu, dispositifs d’endettement de l’administration — sans constituer une dette publique faute d’un encadrement juridique —, fiscalité directe sur le commerce et, à partir du xiie siècle, fiscalité indirecte sur les biens ordinaires.

Une nouvelle autorité impériale

Le défi permanent imposé par les empires des steppes a conduit les Song à repenser l’autorité impériale, caractérisée désormais par une incomplétude du pouvoir et des formes d’absolutisme favorisées par plusieurs groupes.

Portrait officiel de l'impératrice et femme de l'empereur Zhenzong, Taipei, Musée national du palais.La Maison impériale regroupait l’aristocratie de sang dont la dispersion géographique organisée au sein de cette structure permit de sauver le pouvoir dynastique en 1127, alors que deux empereurs étaient retenus en captivité. Le palais lui-même peut être considéré comme un dispositif politique qui séparait et hiérarchisait le palais privé, où l’empereur tenait la plupart de ses audiences, et l’administration centrale, chargée de mettre en œuvre les décisions de la cour. C’est à partir du palais privé que les impératrices ont régulièrement gouverné en cas de faiblesses de leur époux et surtout lors des régences, moments critiques au cours desquels elles ont pesé naturellement sur la dévolution du pouvoir.

Parmi les hommes du palais, on pense d’abord aux eunuques, familiers et intermédiaires puissants, en position de force au gré de la volonté impériale, et donc honnis par une bureaucratie au contrôle de laquelle ils échappaient. Plus essentiels encore étaient les fonctionnaires militaires qui assuraient précisément le lien entre le palais et l’administration.

En écoutant le Qin (instrument de musique traditionnel chinois à cordes pincées), par l'empereur Huizong, XIe siècle : jouer un instrument de musique comme le qin est un des loisirs appréciés des lettrés.Présents aussi bien au sein du palais, qu’à la cour et en régions, ces 20 000 à 30 000 hommes étaient sous l’autorité du puissant secrétariat aux Affaires stratégiques qui dépendait directement de l’empereur. Malgré le discrédit que s’efforçait de jeter sur eux la bureaucratie civile, ces fonctionnaires restaient évidemment indispensables pour assurer la défense de la dynastie. Les armées qu’ils commandaient purent dépasser le million d’hommes ; rempart de la dynastie, elles furent, à partir du milieu du xie siècle, le fer de lance des projets irrédentistes et colonisateurs.

Enfin, l’administration civile, forte de 12 000 à 20 000 fonctionnaires, était recrutée à la fois par examen, un système dont nous allons reparler, et sur recommandation. Une partie de ces fonctionnaires seulement était affectée sur des postes, depuis les bureaux des ministères jusqu’aux sous-préfectures, alors qu’un nombre important d’entre eux portait des titres qui leur assuraient des émoluments sans emploi réel.

Du fait de leur nombre, des disparités linguistiques et techniques, les fonctionnaires, dont le mandat était souvent de moins de trois ans dans un poste, dépendaient dans leur gestion quotidienne d’employés locaux, permanents administratifs connaissant les langues locales et les coutumes, maîtrisant les poids et mesures et les cours des monnaies en usage.

L’élite des hauts fonctionnaires dirigeait le gouvernement et conseillait l’empereur avant ses arbitrages. Celui-ci pouvait ainsi équilibrer le rôle des instances de décision non sans disputer au gouvernement le contrôle du censorat, habilité à dénoncer les agissements des fonctionnaires, et l’office des Remontrances, censé notifier les manquements du souverain.

L’empereur était en effet appelé à respecter un corpus de précédents que ses lettrés de cour présentaient comme les principes d’un bon gouvernement. La transmission de cet héritage immatériel leur permettait de consolider leur hégémonie politique en plus des rituels qui faisaient de l’empereur un personnage sacré et relégitimaient sans cesse une souveraineté impériale fondée sur son alliance avec sa bureaucratie civile.

Une réévaluation des savoirs

Les lettrés fonctionnaires revendiquaient leur hégémonie au nom du mérite que manifestait à leurs yeux leur réussite aux concours de recrutement dans la fonction publique. Le protocole de ce système de sélection à trois niveaux, préfectoral puis national avant l’épreuve finale devant l’empereur, ne cessa de se codifier afin de garantir l’équité entre les candidats, notamment par l’anonymat et une double correction des copies, ce qui en fit une nouvelle institution valorisant la réussite individuelle.

Les examens des Song sont parmi les plus productifs de l’histoire : la moyenne annuelle pour toute la dynastie est quatre fois supérieure à celle des Ming, et plus de trois fois supérieure à celle des Qing. Quant au nombre de candidats, il passa de quelque 20 000 à 30 000 au début du xie siècle à près de 80 000 au tout début du xiie siècle, avant de culminer pour la seule Chine du Sud à 400 000, voire plus au milieu du xiiie siècle.

Alors que les examens étaient devenus le cadre légal du savoir, les lettrés en reformulèrent le contenu légitime. Tous affirmaient la nécessité d’un retour à l’Antiquité, susceptible d’assurer la valorisation de l’humanisme confucéen censé faire des meilleurs d’entre d’eux les porteurs des normes éthiques et les garants des règles régissant le pouvoir impérial. Cette refondation de la tradition scripturaire devait en outre prendre en compte l’expérience de l’histoire, si bien que l’écriture historique devint l’une des formes privilégiées du discours politique.

Pour autant, cette réévaluation commune de la tradition se heurta à une impossible unification des savoirs, qu’il s’agisse des formes de l’écriture (retour à la prose des Classiques) ou de la valorisation des contenus. À partir des grandes réformes des années 1070 et après la perte du Nord, pour les «  néo-confucéens  » qui ne ménageaient pas leurs critiques vis-à-vis des examens, c’est avant tout l’accomplissement de soi que devait viser la lecture des classiques.

Soirée de fête chez Han Xizai (détail), attribué sous les Ming à Gu Hongzhong. Rouleau, encre et peinture sur soie. Musée du Gugong, Pékin.

De multiples sociétés

Cette multiplicité se dévoile à travers les diverses combinaisons de croyances et de rituels autres que ceux régis par les normes confucéennes. Ces combinaisons ont tout autant contribué à refonder les valeurs que défendaient les lettrées, à commencer par l’organisation des rapports entre les mondes visibles et invisibles. Celle-ci faisait largement appel à la divination et à des spécialistes religieux, bouddhistes et taoïstes, eux-mêmes détenteurs d’une longue tradition dont les corpus firent très tôt l’objet de grandes compilations sous le patronage de la cour.

Au milieu de cet environnement religieux, les familles et les lignages organisaient, non sans de fréquentes et profondes tensions, les solidarités et l’économie familiale. Plusieurs sources attestent directement le rôle des femmes dans l’essor des familles, et le corpus juridique atteste de l’attention portée à la distinction entre les droits des filles et ceux des garçons au sein de la famille.

Pour autant, il existait de multiples cercles de sociabilité qu’il est possible de repérer jusque dans les villages : alliances cultuelles, organisations solidaires autour de la distribution des grains, groupements d’autodéfense. Ces cercles offraient un éventail de choix qui permettaient aux communautés, villages et familles, mais aussi aux individus, de se forger une identité singulière.

Conclusion

Même si l’approche par dynastie présente des limites pour comprendre les changements d’une société ancienne, dans le cas des Song, elle permet de suivre la naissance d’un régime nouveau qui domina le gouvernement de la Chine jusqu’à la fin de l’empire en 1911.

Un rappel suffit ici : appelé à perdurer jusqu’en 1905, le système des examens révèle le lien organique qui a uni si durablement mode de recrutement, savoir normatif et politique. Ce système a au demeurant servi à relever le défi interne que représentait en permanence l’intégration des sociétés locales qui formaient l’empire. Quant au défi externe que constituait la stabilisation des marges de l’empire, l’histoire des Song montre que le choix, qui ne dépendait pas seulement d’eux, était constamment entre conflit ouvert et négociations avec leurs voisins.


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Histoire de la Chine
Publié ou mis à jour le : 2024-02-25 19:13:12

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