65 ans de crises politiques

Du 13 mai 1958 à la réforme des retraites

La crise que vit la France en ce mois de mars 2023 paraît inédite à bien des égards, à preuve le report sine die du voyage officiel  du roi Charles III, dont les autorités françaises s’avouent incapables de garantir la sécurité.  Pareille humiliation est sans équivalent dans les annales de la diplomatie.

Après le passage en force de la loi sur les retraites par le recours au 49.3 puis le rejet de la motion de censure le 20 mars, le président Macron s’est voulu plus intransigeant que jamais dans son entretien télévisé du 22 mars. À ce jour, nul ne sait comment et quand le pays retrouvera la sérénité.

Que pèse cette crise par rapport à toutes celles qui ont jalonné le cours de la Ve République ? C’est ce que nous nous proposons d’entrevoir.

André Larané

Manifestations contre la loi Devaquet en novembre-décembre 1986

13 mai 1958 : naissance dans la douleur

La Cinquième République est née dans la douleur il y a 65 ans. Son fondateur, le général de Gaulle (67 ans) a profité des difficultés de la Quatrième République en Algérie pour revenir au pouvoir après douze ans de « traversée du désert ».

4 octobre 1962 : première motion de censure

Ayant enfin soldé la question coloniale, le général de Gaulle annonce le 20 septembre 1962 un référendum sur l'élection du Président au suffrage universel. Craignant le précédent de Louis-Napoléon Bonaparte, le président du Sénat Gaston Monnerville y voit rien moins qu’une « forfaiture ». Une motion de censure est adoptée par l'Assemblée nationale et le Premier ministre Georges Pompidou présente en conséquence sa démission... pour mieux revenir après la dissolution de l'Assemblée et le renforcement de la majorité présidentielle !

30 mai 1968 : deuxième dissolution de l’Assemblée

Manifestation du 6 mai 1968, rue Saint-Jacques à ParisEn 1968, tout semble aller pour le mieux dans la France gaullienne mais c’est sans compter sur la génération née après la guerre qui veut du changement.

Surviennent les « événements » de Mai-68. Les étudiants descendent en masse dans la rue. Ils sont rejoints le 13 mai 1968 par les syndicats ouvriers qui lancent une grève générale.

Le Premier ministre offre aux syndicats, le 27 mai, des augmentations de salaires conséquentes. Les ouvriers reprennent le travail et de Gaulle se résout à reprendre la main en dissolvant l'Assemblée le 30 mai. Le jour même, un demi-million de ses partisans descendent les Champs-Élysées.

14 juillet 1984 : retrait de la loi sur l’enseignement privé

En mars 1983, après une rafale de réformes sociales sous l’égide du président Mitterrand, le Premier ministre socialiste Pierre Mauroy annonce un sévère plan de rigueur.

La crise va naître où on ne l’attendait pas, dans l’enseignement. Le ministre de l’Éducation nationale Alain Savary a négocier avec les responsables de l’enseignement catholique la création d'un « grand service public unifié et laïque de l’éducation nationale ».

Sa loi est votée par l'Assemblée le 22 mai 1984 mais le parti socialiste y ajoute deux amendements qui rompent son équilibre avant le vote du Sénat. C’en est trop pour les défenseurs de l’école libre.

Le 24 juin, un à deux millions de personnes se mobilisent à Paris. Prenant acte du divorce entre le peuple et le pouvoir, Mitterrand annonce le retrait de la loi le 14 juillet 1984.

5 décembre 1986 : le drame que l'on craint par-dessus tout

Suite à la défaite socialiste aux législatives de 1986, François Mitterrand appelle le chef de l’opposition Jacques Chirac à former le gouvernement.  C’est la première « cohabitation » entre deux têtes de l’exécutif de bords opposés.

En novembre 1986, le secrétaire d’État aux Universités Alain Devaquet présente un projet de loi relatif aux libertés des universités. La gauche et les syndicats étudiants et lycéens y voient une forme de sélection et les manifestations se multiplient dans toute la France.

Un drame survient à Paris où, le 5 décembre 2006, un jeune étudiant de 22 ans, Malik Oussekine, est poursuivi jusque dans un hall d’immeuble par une brigade de « voltigeurs », des policiers qui circulent à deux sur des motos. Jeté à terre et frappé, l’étudiant, qui souffre d’insuffisance respiratoire, meurt sur le chemin de l’hôpital. L’émotion est immense et dès le lendemain, Alain Devaquet retire son projet de loi et remet sa démission.

15 décembre 1988 : Michel Rocard dégaine le 49.3

Mitterrand est nettement réélu le 8 mai 1988 avec 54% des voix. Cédant aux instances de l’opinion, il appelle à la tête du gouvernement son plus cher ennemi, Michel Rocard et dissout l’Assemblée nationale.

Très populaire, le Premier ministre, à la différence du président, est un social-démocrate de conviction, qui ne craint pas d’afficher des choix courageux, par exemple sur l’immigration (citation). Faute de majorité absolue, il va user du 49.3 pas moins de 28 fois en trente mois pour abréger les débats ou surmonter un blocage législatif, y compris sur des lois anodines. Les députés se gardent de le renverser car ils savent que l’opinion ne les suivrait pas.

15 novembre 1995 : à bas les régimes spéciaux de retraite !

À l'automne 1995, le président Jacques Chirac, élu le 17 mai précédent, prend le contrepied de sa promesse de réduire la « fracture sociale ». Son Premier ministre Alain Juppé présente à l'Assemblée un plan destiné à assainir les finances de l'État. Il est applaudi par la majorité des députés, y compris une partie des socialistes, et même approuvé par des syndicalistes. Mais les agents des services publics ne l'entendent pas de cette oreille et très vite la rue s'embrase. Le point d'orgue est atteint le 12 décembre 1995 avec près de deux millions de manifestants dans un pays paralysé par la grève des transports. Les citoyens subissent mais soutiennent plus ou moins ces « grèves par procuration »

Le Premier ministre doit abandonner toutes les mesures relatives aux retraites et ne conserve que le volet Sécurité sociale de son plan.

10 avril 2006 : Dominique de Villepin rengaine le 49.3

Le 9 février 2006, Dominique de Villepin, Premier ministre de Jacques Chirac, tente de recourir au 49.3 pour faire passer son projet de loi portant création du contrat première ébauche (CPE). Mais la gauche parlementaire conteste la période d’essai de deux ans avec possibilité de licenciement sans motif.

Dès le lendemain, les partis de gauche et les organisations lycéennes, étudiantes et syndicales multiplient les manifestations. Le 31 mars 2006, Jacques Chirac, affaibli et las, annonce simultanément la promulgation de la loi et de nouvelles mesures qui la vident de son contenu ! En conséquence de quoi, le 10 avril, le Premier ministre avale son chapeau et propose le « remplacement » du CPE.

17 mai 2013 : oui au mariage pour tous

Président inattendu, François Hollande promet la légalisation du mariage entre personnes du même sexe. Au lieu que dans d'autres pays européens, cette mesure dans l'air du temps est passée dans une quasi-indifférence, il va exacerber le débat avec la garde des Sceaux Christiane Taubira.

L'association La Manif pour tous rassemble à Paris, le 24 mars 2013, plus d'un million de personnes entre La Défense et l'Arc de Triomphe. Après le vote et la promulgation de la loi, un baroud d'honneur conduit près d'un million de personnes à converger vers les Invalides le 26 mai suivant. Depuis lors, les choses sont rentrées dans l'ordre.

18 juin 2013 : les Bonnets rouges appellent à la résistance

À Pontivy, trente chefs d'entreprise dénoncent une « écotaxe » sur les camions de marchandises. Il s'ensuit en Bretagne différentes manifestations violemment réprimées. Elles visent les portiques d'écotaxe installés sur les voies rapides et destinés à flasher les camions. Les manifestants arborent des bonnets rouges en référence à une révolte fiscale de leurs aïeux en 1675 ! Bien que honnis par la droite comme par la gauche radicale, les « Bonnets rouges » vont poursuivre leur action jusqu'en juin 2014, avant que la ministre de l'Environnement consente à annuler l'écotaxe.

17 novembre 2018 : les Gilets jaunes investissent les ronds-points

Élu le 7 mai 2017 face à Marine Le Pen, Emmanuel Macron fait passer le 15 juin 2018 un décret pour limiter la vitesse à 80 km/h sur les départementales. Sourd à la rumeur qui monte des campagnes, il en rajoute avec une taxe sur le diesel, tout d'un coup accusé d'émettre des particules fines nocives pour les poumons des citadins.

Manifestante s’exprimant à Rouen, le 5 janvier 2019. Agrandissement : Acte XIV des gilets jaunes à Paris. Arrivée esplanade des Invalides, le 16 février 2019.Les ruraux de la  « France périphérique » se sentent une nouvelle fois floués et, pire, humiliés. Le samedi 17 novembre 2018, rameutés par les réseaux sociaux et prenant de court les autorités et les médias, des centaines de milliers de ces Français occupent les ronds-points en arborant en signe de reconnaissance le gilet jaune de la sécurité routière.

Les rassemblements se renouvellent pendant plusieurs mois, de samedi en samedi. Les Gilets jaunes manifestent aussi dans les centres urbains et à Paris, où ils sont débordés par des voyous et des groupuscules d’extrême-gauche ou d’extrême-droite.

La police se signale tout à la fois par sa brutalité et son impuissance (peut-être intentionnelle) à neutraliser les black blocs.

La taxe sur le diesel passe à la trappe, puis la pandémie du Covid et la guerre d'Ukraine arrivent sur ces entrefaites.

La retraite à 64 ans !

Le président Macron a jugé urgent et impératif de reprendre le chantier des retraites entamé par Éric Woerth (2010) et Marisol Touraine (2013) mais au fil du temps, son projet se réduit pour l'essentiel à reporter  l'âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans.

Colère chez les syndicats qui reprochent au gouvernement l'absence de négociation et chez les députés qui s'indignent d'un vote bloqué par le 49.3. Les citoyens manifestent pour leur part contre un projet dont ils ne voient pas l'urgence et la nécessité quand les services publics et l'industrie partent en vrille. Le ressentiment est palpable dans la foule des manifestants et au-delà.

Jamais jusqu'ici l'exécutif n'avait affronté tout à la fois les syndicats, l'Assemblée nationale et l'opinion publique. Comment se sortira-t-il de cette nasse dans laquelle il s'est lui-même enfermé ? Comment la France, déjà mal en point, se sortira-t-elle de cette énième crise ? Bien malin qui saurait le dire.

Publié ou mis à jour le : 2023-03-29 06:53:34
Christian (15-04-2023 06:35:28)

Alors qu'une censure totale de la loi aurait peut-être contribué à ramener un peu de calme dans les esprits et dans la rue, la censure partielle prononcée par le Conseil constitutionnel et la promulga... Lire la suite

Jean-Louis (08-04-2023 17:49:23)

Bonjour, je salut la tentative d’exhaustivité, mais je regrette un peu quelques points : - Votre opinion entache légèrement le propos, même s’il est respectable. - Il serait bon aussi de mesurer le... Lire la suite

Christian (01-04-2023 09:50:17)

Le Conseil constitutionnel a décidé de prendre son temps pour se prononcer sur la validité de la loi sur la réforme des retraites puisqu’il ne se prononcera que le 14 avril. Pourtant, cette décision p... Lire la suite

Jean-Marie (29-03-2023 13:38:44)

Votre article résume assez bien l’histoire des crises qui ont traversé notre pays depuis le coup d’Etat de De Gaulle en 1958 et surtout la décision de désigner le Président de la République par un vot... Lire la suite

Christian (29-03-2023 06:54:56)

L'annulation de la loi sur les retraites par le Conseil constitutionnel (y compris le report de l'âge légal) permettrait peut-être d'apaiser la crise. Toutefois, selon le site "Public Sénat", une tell... Lire la suite

Christian (27-03-2023 11:48:02)

Excellent article, vraiment ! J'anticipe peut-être sur le second article, prévu pour mercredi, mais je suis frappé par le fait que, contrairement aux mouvements de 1936 ou de 1968 qui ont débouché ... Lire la suite

PHILIPPE MARQUETTE (26-03-2023 10:32:52)

J'attends la suite avec impatience. Jean-François Revel dont j'ai lu tous les livres était un antigaulliste viscéral, donc non crédible. Le style du général en est un exemple, j'ai aussi lu de Gaulle... Lire la suite

Bernard (26-03-2023 10:09:03)

L'affaiblissement progressif de la qualité du personnel politique a été une constante des cinquante dernières années. Ainsi, et sans vouloir faire de polémique tant il s’agit d’une évidence, il faut b... Lire la suite

Philippe TCHAIDJIAN (26-03-2023 09:43:32)

Bonjour à tous et toutes, Parmi les dates retenues dans la chronologie annexée à l'article pour mentionner des événements marquants de la vie politique et sociale de la cinquième République se trou... Lire la suite

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