Pirates et corsaires

Le crépuscule de la piraterie (4/4)

La piraterie a connu au XIXe siècle ses derniers grands représentants, avec Surcouf et Lafitte, mais aussi son crépuscule avec l’importance économique décisive du commerce maritime. La jeune nation américaine ira jusqu’à mobiliser une flotte de guerre en Méditerranée combattre les Barbaresques afin de profiter aussi de ce levier de développement ! Quasiment disparue durant le XXe siècle, la piraterie a refait cependant son apparition au début des années 2000…

Matthias Mauvais

Abordage du navire anglais Triton par le navire corsaire le Hasard, commandé par Robert Surcouf, gravure de Louis Garneray, XIXe siècle, National Maritime Museum, Greenwich, Londres.

Pirates et corsaires au XIXe siècle

Corsaires français sous la Révolution et l’Empire

Saint-Malo, après avoir donné Duguay-Trouin à la France au temps du Roi-Soleil, vit naître un autre corsaire qui allait s’illustrer cette fois dans les guerres de la Révolution française et de l’Empire.

Robert Surcouf, Anonyme, 1820, musée d'Histoire de Saint Malo. Agrandissement : Statue de Surcouf à Saint-Malo par Alfred Caravanniez, inaugurée le 6 juillet 1903.En effet, en 1773 naissait le malouin Robert Surcouf, cousin par sa mère de Duguay-Trouin, et dont la famille d’origine irlandaise, s’était réfugiée en Bretagne au XVIIe siècle devant les persécutions de l’Angleterre. D’aucuns ont vu là l’origine de sa haine tenace envers les Anglais dont il a harcelé et pillé les navires tout au long de sa vie. Connu pour ses voyages et son courage exceptionnel, il attaqua en cinq ans de course plus de cinquante navires dont un grand nombre furent détournés vers les ports français.

Surcouf reçut son baptême du feu en 1792 alors qu’il capturait ses premiers navires anglais dans les eaux de l’océan Indien. A bord d’une légère flottille il fit se rendre deux navires de ligne armés de 54 et 60 canons qui faisaient voile vers l’Ile de France (actuelle Île Maurice). La Royal Navy était prévenue ; elle se méfiera désormais de ce corsaire audacieux.

Non seulement Surcouf n’hésitait pas à attaquer des bâtiments plus grands et mieux armés que les siens, mais il utilisait aussi souvent la ruse pour arriver à ses fins. En janvier 1796, à bord du navire marchand Cartier dont il obtint le commandement sans lettre de course, il croisa le vaisseau de guerre le Triton de la Compagnie Anglaise des Indes. Ce navire était armé de 26 canons et pouvait compter sur 150 hommes tandis que Surcouf n’avait que quatre canons et dix-huit compagnons.

Abordage du Triton par le Cartier, Léon Trémisot, entre 1850 et 1900, musée d'Histoire de Saint Malo.Il hissa d’abord le pavillon anglais pour pouvoir s'approcher du Triton, et dès qu’il fut assez près, il envoya le pavillon français juste avant l’assaut. L'abordage lancé, les officiers furent rapidement tués, désorganisant ainsi l'équipage, lequel se rendra après une résistance brève mais violente. Surcouf avait vingt-trois ans.

Mais la capture qui fit la célébrité de Surcouf fut sans aucun doute la prise du Kent, le 7 octobre 1800. A bord de la Confiance avec 130 hommes d’équipage, il s’attaqua à ce navire de commerce de la Compagnie Anglaise des Indes, de 1200 tonnes avec 460 hommes à son bord, et qui se dirigeait vers Calcutta.

Le capitaine anglais Rivington ne s’attendait pas à l’abordage des Français qui s’emparèrent de la mitraille sur le pont et menèrent l'assaut qui dura à peine dix minutes. Il y eut seulement vingt morts : quatre Français et seize Anglais dont le capitaine. Surcouf rentra ensuite en France avec une cargaison estimée à 100 millions de livres. La bataille, selon la tradition, est encore racontée par le texte de la chanson de marins Au 31 du mois d'août, bien qu'ayant eu lieu un 7 octobre.

La Confiance sous les ordres de Surcouf prend le Kent, Ambroise Louis Garneray, 1850, musée d'Histoire de Saint Malo.

En 1803, le Premier Consul Bonaparte proposa à Surcouf un grade élevé ainsi que le commandement d'une escadre. Mais, peu enclin à être commandé, il refusa. En 1804, il reçut tout de même la Légion d'honneur.

Une dernière fois en 1807, Surcouf mit le cap vers les Indes orientales à bord du Revenant avec lequel il effectua deux campagnes victorieuses avant de prendre sa retraite. Après s’être suffisamment enrichi, il mit un terme définitif à sa carrière de marin en 1809 pour se consacrer à son activité d'armateur. Il mourut dans son château de Riencourt en Saint-Servan le 8 juillet 1827.

Portrait anonyme du début du XIXe siècle traditionnellement considéré comme représentant Jean Lafitte, Rosenberg Library, Galveston, États-Unis.À la même époque, un pirate français du nom de Jean Lafitte devenait une véritable légende en Louisiane. Probablement né dans le Sud-Ouest de la France ou bien sur l’île de Saint-Domingue où il aurait été lieutenant de l’armée française, Jean Lafitte retrouva son frère Pierre vers 1809 dans les Antilles afin d’y faire fortune.

En novembre 1803, la Louisiane avait été vendue aux Américains par Napoléon Ier, et n’était donc pas encore un Etat à part entière. Avec son frère, Jean Lafitte profita des vides institutionnels et juridiques de la région pour y développer une économie parallèle. En effet, il s’engagea dans la contrebande et la piraterie et se fit connaître en écumant le Golfe du Mexique.

Au fil des années il s'enrichit considérablement et son équipage comportait plus de mille hommes. Il créa son propre « royaume de Barataria » dans les marais et les bayous près de La Nouvelle-Orléans afin de contrôler l'embouchure du Mississippi, ne reconnaissant de ce fait la souveraineté d’aucune autre nation.

En 1812, l’Angleterre entra en guerre contre les jeunes États-Unis, et les combats atteignirent la Louisiane où Lafitte, avec cinq cents hommes et de nombreux canons volés aux Espagnols, fut très courtisé par les deux camps. Les Britanniques lui demandèrent de l'aide mais il refusa et préféra aider les troupes du général américain Andrew Jackson, futur président des États-Unis.

Celui-ci accepta l’aide du pirate après avoir connu une bataille désastreuse. Lafitte devint un véritable héros de guerre lors de la bataille de Chalmette, près de la Nouvelle-Orléans, le 8 janvier 1815, où ses canons contribuèrent à mettre hors de combat quatre mille Anglais.

Barataria et ses bayous en Louisiane. Agrandissement : La maison de Jean Laffite, rue Bourbon à La Nouvelle-Orléans, construite par Jean-Louis Dolliole au XIXe siècle.

Cette victoire permit au pirate d’obtenir une amnistie mais il n'en poursuivit pas moins ses activités de contrebande. Il décida enfin de quitter la Louisiane américaine pour s’installer avec son frère au port de Galveston afin de continuer ses trafics dans un Texas espagnol alors en proie à l’anarchie. Il prit alors position pour l’indépendance du Texas mais travailla en même temps comme espion pour les Espagnols.

Ce double jeu lui permit de continuer son commerce jusqu’en 1820, date à laquelle il quitta Galveston devenue le premier port cotonnier et la première ville du Texas. Ce qui lui arriva ensuite reste obscur mais la légende dit qu’il serait tombé en disgrâce et aurait enfoui son trésor quelque part dans un bayou, au cœur de son « royaume de Barataria ».

USS Enterprise de l'escadron méditerranéen capturant la polacca Tripoli pendant la première guerre barbaresque, 1er août 1801. Agrandissement : L'escadre méditerranéenne de l'officier Stephen Decatur au large d'Alger en 1815, lors de la seconde guerre barbaresque.

La fin des barbaresques en Méditerranée

Les États-Unis menèrent deux guerres victorieuses en Méditerranée contre les corsaires, l’une de 1801 à 1805, et l’autre en 1815. C'est qu'avec l'indépendance et le traité de Paris qui imposa le désarmement de la Continental Navy, les navires américains avaient perdu le soutien de la Royal Navy et n'eurent plus aucune protection contre les pirates. En outre, la jeune nation n'avait pas les fonds pour payer le tribut annuel réclamé par les États barbaresques, et notamment par Youssouf Karamanlis, pacha de Tripoli (Libye).

L'USS Philadelphia en feu dans le port de Tripoli, 1897, Annapolis, musée de l'Académie navale des États-Unis.Le 10 mai 1801, alors que le nouveau président Thomas Jefferson refusait de payer une rançon toujours plus élevée, les Tripolitains déclarèrent la guerre aux États-Unis, ce qui marqua le début de la première guerre barbaresque.

En 1803, lors du blocus de Tripoli mené par la marine américaine, l’USS Philadelphia fut capturé par les Maures et emmenée à Tripoli. La guerre prit fin le 10 juin 1805 à l’occasion d’un traité signé entre Washington et le pacha Youssouf Karamanlis.

Mais les États barbaresques voulurent encore profiter de la faiblesse des États-Unis pour capturer à nouveau leurs navires marchands. Après la signature du traité de Gand qui marqua en 1812 la fin de la guerre anglo-américaine, Washington décida d'en finir enfin.

Edward Pellew, premier vicomte Exmouth, James Northcote, 1804, Londres, National Portrait Gallery.Le 3 mars 1815, le Congrès américain autorisa le déploiement d’une force navale contre Alger dans le cadre du Mediterranean Squadron, marquant ainsi le début de la seconde guerre barbaresque. Le 28 juin, l’escadre américaine atteignit Alger et obligea le Dey à négocier la paix. Les Américains obtinrent la libération de leurs prisonniers ainsi que le droit de naviguer et de commercer en Méditerranée en toute liberté.

Du reste, les raids hardis et redoutables des pirates barbaresques avaient créé une telle insécurité que les nations européennes durent en venir à des mesures de représailles, leurs escadres canonnant Alger ou bloquant un certain temps le port. En 1816, le commandant de la Royal Navy, le vicomte Exmouth, bombarda Alger et obtint la libération de tous les esclaves chrétiens. Mais si un coup rude venait d’être porté à la piraterie en Méditerranée, cette dernière ne cessa totalement qu'en 1830 avec la prise d'Alger par les Français.

Le bombardement d'Alger le 26-27 août 1816, Martinus Schouman, 1823, Amsterdam, Rijksmuseum. Agrandissement : Le bombardement d'Alger, 27 août 1816, George Hyde Chambers, 1836, National Maritime Museum, Greenwich, Londres.

La piraterie chinoise face aux puissances européennes

Depuis la fin du XVIIIe siècle, la piraterie chinoise restait florissante ; elle s’adonnait à la contrebande et au trafic d'or, d'argent, de cuivre, de soieries, mais également d'armes et d'opium. Seulement, à partir du milieu du XIXe siècle, elle dut faire face aux ambitions des Européens qui voulaient sécuriser les routes commerciales avec l'Asie orientale.

Pendant la guerre de l'opium, les Britanniques s'efforcèrent d'éradiquer ces concurrents dans le trafic de cette substance et furent les plus actifs dans la lutte contre les pirates, en particulier contre les pirates chinois tels que Chui-Apoo et Shap-ng-Tsai qui sévissaient près de Hong-Kong.

À chaque bataille, les bateaux à vapeur assuraient aux Occidentaux une supériorité technique sur les jonques qu'ils coulaient facilement. En septembre 1849,  la flotte de cinquante jonques de Chui-Apoo fut défaite par les navires de guerre britanniques et chinois. Plus de 400 pirates furent tués et Chui-Apoo fut livré par son propre équipage aux autorités britanniques. Recherché pour le meurtre de deux officiers britanniques, il se pendit avant d'être envoyé en exil en Tasmanie.

Destruction de la flotte pirate de Chui-Apoo, 30 septembre 1849, peinture commandée par Dugald McEwan, chirurgien adjoint du HMS Hastings.

Shap-ng-Tsai, un autre pirate chinois actif en mer de Chine méridionale entre les années 1845 et 1859, commandait environ 70 jonques basées à Dianbai, non loin de Hong-Kong. Les navires chinois qui recherchaient le pirate étaient souvent capturés et leurs officiers gardés en captivité pour être échangés contre une rançon. Le gouvernement chinois lui offrir l'amnistie et un poste d’officier dans l’armée, ce qu’il refusa.

Le drapeau du pirate chinois Shap-ng-tsai, vers 1849. Les caractères signifient Impératrice du ciel, Sainte mère). Le drapeau est peint avec une représentation de Zhang Daoling, fondateur du taoïsme en Chine. Une bordure de chauves-souris longe le bord de la mouche (symbole de bonne chance).Au printemps 1849, Shap-ng-Tsai était recherché par les Occidentaux pour avoir coulé un navire américain et trois navires marchands britanniques. Une escadre de la Royal Navy navigua jusqu’à Dianbai et retrouva 100 navires capturés et gardés pour être échangés contre rançon. En octobre, trois navires britanniques et huit navires de la marine chinoise poursuivirent les pirates de Shap-ng-Tsai jusqu’aux îles vietnamiennes de Haiphong et combattirent pendant trois jours.

L’expédition se solda par la destruction de 58 jonques pirates armées de 1200 canons et 3000 hommes. Shap-ng-tsai s’échappa de la bataille avec six petites jonques et 400 hommes et alla se rendre plus tard au gouvernement chinois dont il accepta l’offre précédemment refusée.

Enfin, le 4 août 1855, au large de Tai O, eut lieu la bataille de la baie de Ty-ho, l'une des plus importantes opérations anti-pirates du XIXe siècle. Pour libérer sept navires marchands capturés, deux vapeurs de la Royal Navy et le USS Powhatan de l'United States Navy affrontèrent trente-six jonques et en coulèrent dix-sept, faisant cinq cents tués et un millier de prisonniers parmi les pirates, contre neuf tués et six blessés dans les rangs américano-britanniques. Cette bataille montra une bonne fois pour toute l’écrasante supériorité des Occidentaux sur la contrebande chinoise.

Frontispice, chromolithographie du Powhatan tiré de The Naval and Mail Steamers of the United States, Charles Stuart, 1853. Agrandissement : USS Powhatan à Hawaï, 1860, musée d'art asiatique (@naval-history.net).

La piraterie moderne

Au XIXe siècle, la consolidation du droit international et des États-nations avaient peu à peu eut raison de la course puis de la piraterie. Cette sécurité des mers perdura tout au long du XXe siècle et pendant la guerre froide, quand d’énormes flottes armées sillonnaient les mers du monde entier. Ainsi en 1988, le nombre des faits de piraterie et de brigandage en mer relevés dans le monde était inférieur à 40.

Avec le développement de la mondialisation, la piraterie réapparut dès 1990 dans les statistiques mondiales, notamment à partir de 1994, avec plus de 250 incidents enregistrés en 1997 et plus de 450 en 2000. Ainsi, la piraterie, une fois de plus, résulta du contraste entre la misère des riverains et les richesses considérables qui naviguaient sous leurs yeux à portée de leurs pirogues.

Elle se développa dans les ports, dans des eaux resserrées tels les détroits ou à proximité des littoraux. C'était le plus souvent des prises en otage d’un navire et de son équipage contre rançon, de brèves prises de contrôle d’un pétrolier pour le vol et le transfert de son carburant, ou encore des vols de navires pour revente.

Les membres de l'équipage se rassemblent sur le pont à bord d'un boutre soupçonné de piraterie après avoir été intercepté en Malaisie par le destroyer de l'US Navy USS Winston S. Churchill (2006). Agrandissement : Boutre indien intercepté et contrôlé par une patrouille de la marine des États-Unis.

Ces méfaits explosent en 1995 au sud de la mer de Chine ainsi que dans les détroits de Malacca et de Singapour, passage maritime obligé entre la Chine et l'Europe. Les pirates, souvent des jeunes hommes sans moyens, abordent les cargos et pétroliers depuis les îles indonésiennes et la côte malaise et se replient aussitôt avec leur butin.

Le phénomène augmente aussi dans l’océan Indien et au large de la Somalie, au large de laquelle remontent les cargos qui contournent l'Afrique ou pénètrent dans le canal de Suez, mais aussi en Afrique de l’Ouest, dans le golfe de Guinée, au large des côtes nigérianes, etc. Enfin en Amérique latine et dans les Caraïbes, on recense aussi des actes de « narcopiraterie » auxquels s’adonnent les cartels, qui utilisent les navires cibles pour faire transiter leur drogue, ou attaquent les navires pour les empêcher d’approcher de leurs zones de trafic.

La piraterie a atteint un nouveau sommet en 2003, avec 445 attaques enregistrées par l’Organisation Maritime Internationale. Cette dernière a alors mis en place un Code international pour la sureté des navires et des installations portuaires. En France, la loi de 2010 a réintroduit le crime de piraterie et autorise les forces armées à intervenir. Les armateurs équipent désormais leurs bateaux en conséquence, notamment avec des systèmes d’alarmes silencieuses qui envoient des données par communication satellites. Et de leur côté, les sociétés privées de protection prospèrent. Mais même avec toutes ces mesures, le phénomène perdure et, en 2017, on recensait encore 180 actes de piraterie dans le monde.

Publié ou mis à jour le : 2023-03-29 12:39:02

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