Voici la longue histoire de la rivalité entre l'Orient et l'Occident romains depuis l'Antiquité jusqu'à la guerre actuelle en Ukraine. C'est une histoire faite de conflits récurrents en dépit d'un socle culturel commun...
Orient contre Occident : une longue suite de malentendus
Le Haut Empire romain comporte déjà une différence entre un orient déjà ancien où se maintient la langue et la culture grecque, et un occident plus jeune où la langue latine est prépondérante. Une séparation administrative apparaît dès le règne de Dioclétien en 286, mais la véritable scission s’amorce à la mort de Théodose en 395 : les 2 frères empereurs deviennent alors rivaux au lieu de s’entraider. A partir de cet instant, les 2 empires vont connaître des trajectoires distinctes.
À cette époque, l’Arménie et les royaumes de l’actuelle Géorgie connaissent une forte influence romaine qui se manifeste dans la diffusion du christianisme. De même, la christianisation de l’Irlande au Ve siècle amorce sa connexion avec l’Occident. On peut aussi ajouter la christianisation de l’Ethiopie dès le IVe siècle, mais l’influence de l’Orient finira par y disparaître complètement au VIIe siècle du fait de son isolement.
Le Ve siècle est l’époque des grandes invasions, notamment germaniques. Les Germains finissent par mettre fin à l’empire d’Occident en 476, mais ils s’approprient la culture romaine en même temps que le christianisme : c’est le cas des Wisigoths et des Ostrogoths, des Vandales et des Suèves, des Burgondes et des Francs. Seule l’Angleterre submergée par les Anglo-Saxons redevient païenne à cette époque. La culture romaine reflue également vers le haut-Rhin et le haut-Danube à cause de la migration des Alamans. Clovis et ses fils finissent toutefois par reprendre l’ascendant et contribuent à propager la culture romano-chrétienne jusqu’au cœur de la Germanie.
L’empire d’Orient, quant à lui, a conservé son intégrité : sous Justinien, il tente de restaurer l’empire romain originel en reconquérant l’Afrique et l’Italie, et s’étend même jusqu’en Crimée et dans l’actuelle Géorgie. Mais l’entreprise connaît rapidement ses limites : l’empire reflue de nouveau face à l’invasion des Lombards qui s’installent en Italie en 568 et adoptent le christianisme.
Le VIIe siècle voit la christianisation de l’Angleterre et de l’Ecosse depuis l’Irlande et le continent. Celle du Soudan s’amorce, mais la culture romaine n’aura pas le temps de s’y diffuser car l’expansion des Arabes musulmans provoque l’effondrement de l’empire d’Orient à partir de l’an 636. En parallèle, la frontière nord de l’empire recule face à la migration des Slaves.
Le recul de la culture romaine est spectaculaire à cette époque, notamment au Maghreb où l’islamisation est rapide, et dans les Balkans où les Slaves païens s’installent massivement. Le reflux du christianisme est plus progressif au Proche-Orient, en Egypte et en Espagne.
En Occident, les futurs Carolingiens reprennent peu à peu le flambeau aux dépens des Mérovingiens. Ils agrandissent considérablement le royaume vers la Germanie, vers l’Italie et jusqu’au sud des Pyrénées.
3 évènements contribuent alors à reforger l’identité de l’Orient et de l’Occident : il y a d’abord la création des Etats-Pontificaux et le sacre de Pépin le Bref par le pape en 754. La prééminence du pape devient alors le fondement du catholicisme occidental. Il y a ensuite le sacre de Charlemagne en l’an 800 qui officialise la résurgence de l’empire romain d’Occident. Et il y a enfin la stabilisation de l’orthodoxie religieuse orientale en 843 après un siècle de querelles iconoclastes dans l’empire byzantin. A partir de cette date, la séparation entre l’Orient et l’Occident peut se fonder sur 3 critères : le politique, le culturel et le religieux. Cette division s’amplifiera avec le schisme de 1054.
L’unité relative de l’empire d’Occident se maintient tant bien que mal jusqu’à la mort de Charles le Gros en 888 : après cette date, les chemins de la France et de l’Allemagne se séparent définitivement. Dans le même temps, l’Europe Occidentale connaît un nouveau passage à vide avec les razzias des Vikings et des Magyars qui s’ajoutent à celles des Sarrasins. C’est alors l’Orient qui retrouve l’ascendant avec l’invention de l’alphabet cyrillique qui accélère la christianisation des Slaves, notamment les Bulgares et les Serbes.
La fin du Xe siècle voit le renouveau de l’Occident. En 962, l’empire d’Occident renaît sous l’action d’Otton Ier et s’agrandit vers l’est dans les pays slaves. Le rayonnement de cet empire favorise l’expansion du catholicisme bien au-delà vers la Scandinavie, la Pologne, la Hongrie et la Croatie. L’entrée des Vikings et des Magyars dans le monde du christianisme permet à l’Europe de connaître une croissance économique plus durable. L’expansion viking entraîne également la christianisation de l’Islande et du Groenland.
En parallèle, l’empire byzantin continue de regagner du terrain : il récupère la Crète et Antioche, puis s’étend vers le nord aux dépens des Bulgares et des Serbes, et vers l’est aux dépens de l’Arménie. Cette vitalité entraîne surtout la christianisation des Russes favorisée par l’unité de la Rus’ de Kiev, ce qui s’avèrera décisif pour l’avenir de l’Orient.
En 1071, l’arrivée des Turcs provoque un nouvel effondrement byzantin : pour la première fois, la culture gréco-romaine et le christianisme refluent du cœur de l’Asie Mineure qui deviendra la Turquie. Ca provoque aussi le lancement de la Première Croisade en 1095 qui permet pour la première fois à l’Occident de s’implanter sur la côte levantine. La rivalité entre l’Orient et l’Occident ne cesse de s’amplifier au XIIe siècle, jusqu’à la prise de Constantinople par les Latins en 1204. En parallèle, les croisades occidentales accélèrent la reconquête chrétienne de la péninsule ibérique, et elles entraînent la christianisation des Baltes et des Finnois qui étaient les derniers peuples d’Europe à demeurer païens.
Cependant, la mort de l’empereur Frédéric II en 1250 entraîne une désintégration de facto de l’empire d’Occident tandis que les derniers états latins du Levant sont perdus un à un. L’empire d’Orient finit par disparaître complètement lors de la conquête de Constantinople par les Ottomans en 1453. La distinction entre l’Orient et l’Occident s’estompe, d’autant plus que la naissance du protestantisme entraîne une scission à l’intérieur même de l’Occident.
C’est finalement la Russie qui va reprendre le flambeau : en 1547, Ivan le Terrible devient le premier tsar de Russie qui incarne dorénavant la résurgence de l’empire d’Orient. Il connaît alors une expansion rapide qui lui permet d’atteindre le Pacifique en 1649. Pendant ce temps-là, les Portugais et les Espagnols confortent leur implantation en Amérique Latine aux dépens des Précolombiens.
Puis ce sont les Anglais et les Français qui amorcent leur colonisation de l’Amérique du Nord. Tandis que l’empire russe progresse vers la zone balte et les actuels Ukraine et Biélorussie à la fin du XVIIIe siècle, la France entre dans sa période révolutionnaire. Napoléon fait renaître un empire d’Occident en 1804, mais le choc entre les deux empires finira par provoquer sa chute dix ans plus tard.
L’empire russe amorce ensuite son expansion vers l’Asie Centrale, achève la conquête du Caucase, s’avance jusqu’à Vladivostok et colonise provisoirement l’Alaska. L’Occident quant à lui accélère son entreprise de colonisation dans le reste du Monde, mais les colons ne deviennent majoritaires qu’en 2 principaux endroits : l’Amérique et l’Océanie. En Afrique notamment, la culture occidentale ne se diffuse que très partiellement, sauf dans l’extrême sud.
La 1ère guerre mondiale et l’avènement du communisme provoquent un recul temporaire de la Russie en Europe, mais qui est comblé à l’occasion de la 2nde guerre mondiale. Dans le même temps, l’affaiblissement des pays européens lors des 2 guerres consacre la prééminence des Etats-Unis en Occident. En 1955, la confrontation entre l’Orient et l’Occident est incarnée par celle entre l’OTAN et les membres du pacte de Varsovie. On voit que la Grèce et la Turquie mettent pour la 1ère fois un pas en Occident, tandis que les Tchèques et les Hongrois mettent un pied temporaire en Orient. Puis la construction européenne recrée un deuxième pôle en Occident dont la puissance économique est comparable à celle des Etats-Unis. En 1991, la chute de l’URSS consacre le triomphe de l’Occident.
Pour finir, on va faire le point sur la situation actuelle. Pour l’Occident européen, j’ai pris en compte les critères suivants : l’appartenance à l’union européenne ou à l’OTAN, l’utilisation de l’alphabet latin, et un héritage culturel catholique ou protestant. Pour l’Orient, j’ai considéré l’utilisation de langues slaves orientales, le recours à l’alphabet grec ou cyrillique, et l’héritage culturel orthodoxe.
Ca conduit à la carte suivante. On voit que l’Occident dépasse aujourd’hui le domaine catholique ou protestant traditionnel. La Grèce en constitue l’exemple le plus remarquable puisqu’elle fut le cœur de l’Orient pendant plus de 1000 ans. Certains autres pays pourraient également basculer si leur demande d’adhésion à l’union européenne est acceptée : le cas de l’Ukraine est éloquent puisqu’il faisait jusqu’à présent intégralement partie de la sphère russe.
Finalement, la fluidité de la frontière est-ouest montre qu’il y a plus de points communs que de différences entre l’Orient et l’Occident : à l’échelle du Monde, l’héritage romano-chrétien semble plus pertinent pour caractériser une spécificité culturelle. La guerre en Ukraine apparaît comme une résurgence inattendue des vieux conflits qui auront secoué cet ensemble pendant 1600 ans.
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