Guerre d'Algérie

Une décolonisation qui ne passe pas

Suite à la conquête de 1830, la France a occupé l'Algérie sans l'avoir vraiment souhaité. Après la difficile soumission du pays, Napoléon III échoue à constituer en Algérie un « royaume arabe » associé à la France. La IIIe République qui lui succède fait de l'Algérie le joyau du deuxième empire colonial de la France (le premier a été perdu avec le traité de Paris de 1763 et l'indépendance de Saint-Domingue en 1801). 

La gauche républicaine, très engagée dans la colonisation, organise dans la colonie un régime franchement discriminatoire (note). Par  le décret Crémieux, elle accorde la citoyenneté française aux habitants israélites cependant que la population musulmane est majoritairement maintenue à l'écart du progrès économique et social.

Les musulmans conservent le droit de demander la citoyenneté française, conformément au senatus-consulte de 1865, une loi du Second Empire. Mais ils doivent pour cela renoncer à titre individuel au statut coranique, jugé incompatible avec la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen (inégalité juridique de l'homme et de la femme). En acceptant la citoyenneté, ils se privent de faire appel aux arbitrages du juge coutumier, le « cadi », ainsi que de pratiquer la polygamie, le droit de répudiation...

Malgré ces contraintes, il semble que de nombreux musulmans auraient été prêts à se faire « naturaliser ». Dès 1871, des groupes de villageois se rendent à cette fin auprès du juge de paix Mais ils sont découragés par les obstacles de l'administration locale (note). La citoyenneté est même refusée aux quelques milliers de Kabyles qui ont fait le choix de se convertir à la religion chrétienne ! 

Les musulmans sont donc soumis à partir de 1881 au régime de l'indigénat, avec l'obligation d'un permis de circulation. Bien que non-citoyens, ils n'en sont pas moins astreints au paiement de l'impôt et au service militaire.

La IIIe République constitue la même année, en 1881, l'Algérie sous la forme de trois départements : Oran, Alger et Constantine. Elle francise par la même occasion les noms de localités.

En 1898, un statut spécial place les trois départements algériens sous l'autorité d'un gouverneur général dépendant du ministère de l'Intérieur, avec une Assemblée algérienne élue de 69 membres dont 48 Européens et assimilés.

Relance de la colonisation

La IIIe République relance par ailleurs la colonisation européenne. Les premiers bénéficiaires sont 10 000 ressortissants de l'Alsace-Moselle qui ont quitté leur terre natale suite à son annexion en 1871 par l'empire allemand.

Affiche touristique (Algérie française)Suivent de nombreux immigrants pauvres issus essentiellement d'Espagne, d'Italie et de l'île voisine de Malte. En 1900, pas moins d'un million d'hectares de terres sont cultivées par des Européens, essentiellement en vigne et en blé.

Au milieu du XXe siècle, les habitants d'origine européenne représentent un peu plus de 10% de la population totale, en incluant les citoyens assimilés de culture israélite. Ils forment une communauté soudée, repliée sur elle-même, méfiante à l'égard des musulmans autant que des Français de la métropole.

La plupart vivent modestement, au regard du niveau de vie dans les villes de la métropole. Ils votent en majorité à gauche et se reconnaissent volontiers dans les écrits d'Albert Camus, leur plus illustre représentant.

Une minorité de grands propriétaires terriens dominent la vie publique et leur influence est d'un grand secours aux petits colons quand il s'agit d'enterrer des projets de réforme.

Naissance d'une identité musulmane

Chez les musulmans, des revendications politiques contradictoires se font jour dans les années 1930. Le Parti Populaire Algérien de Messali Hadj demande l'indépendance tandis que la Fédération des élus indigènes réclame une complète assimilation. 

Cependant, l'idée d'une nation algérienne est encore étrangère à la plupart des habitants. Le militant Ferhat Abbas dira avoir cherché l'Algérie dans les livres et les cimetières et ne pas l'y avoir trouvée.

En 1936, le président du Conseil Léon Blum et le gouverneur Viollette proposent de conférer à tout juste 21 000 musulmans le droit de vote aux élections législatives. Mais les élus d'Algérie s'y opposent violemment et le projet Blum-Viollette, malgré sa timidité, n'est même pas voté.

Au début de la Seconde Guerre mondiale, les Français d'Algérie se rallient massivement au gouvernement de Vichy conduit par le maréchal Pétain. Mais en 1942, l'Algérie est occupée par les Anglo-Saxons et Robert Murphy, représentant du président Roosevelt, ne se fait pas faute de dénoncer alors le colonialisme. Les Algériens musulmans découvrent alors l'inanité de leur statut d'indigène et demandent que des droits politiques leur soient enfin reconnus. C'est ainsi que Ferhat Abbas publie le Manifeste du peuple algérien avec 28 élus musulmans le 10 février 1943. Il fonde par ailleurs l'Union démocratique du manifeste algérien (UDMA) tandis que Messali Hadj fonde le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD).

Prémices de la révolte

En signe d'ouverture, le 7 mars 1944, le gouvernement provisoire d'Alger octroie la citoyenneté française à 70 000 musulmans (l'Algérie compte à cette date près de 8 millions de musulmans pour moins d'un million de citoyens, ceux-ci étant d'origine européenne ou descendant des juifs d'Algérie naturalisés par le décret Crémieux !).

Jugeant ce geste très insuffisant, Messali Hadj et Ferhat Abbas projettent un congrès clandestin qui proclamerait l'indépendance. L'année suivante, ils se proposent de profiter de la liesse de la victoire pour brandir le drapeau de l'Algérie indépendante. Mais Messali Hadj est arrêté en avril 1945 et les manifestations débouchent sur les dramatiques massacres de Sétif, le 8 mai 1945 (plusieurs milliers de victimes).

Les revendications des indépendantistes algériens sont à peu près unanimement condamnées par la classe politique française, de l'extrême-droite à l'extrême-gauche. Les uns y voient la main de Moscou, les autres (les communistes) celle des nazis ! Tous demeurent déterminés à maintenir la colonie au sein de la République.

La IVe République consent tout de même en 1947 à accorder un statut plus décent à l'Algérie qui devient « un groupe de départements dotés de la personnalité civile, de l'autonomie financière et d'une organisation particulière ».

Mais, cédant aux injonctions des grands propriétaires pieds-noirs, le gouvernement français institue une Assemblée algérienne avec un double collège qui reproduit la division de la société : le premier collège représente les 950 000 Français du pays et quelques 45 000 musulmans ; le second, de même poids politique, représente les 8,5 millions d'autres musulmans, dont le taux de natalité très élevé conduit à penser qu'ils occuperont une place de plus en plus grande dans leur pays.

Comme si ces distorsions ne suffisaient pas, le travail de l'Assemblée algérienne est compromis dès le départ par le trucage du scrutin. Autant d'injustices flagrantes qui portent en germe le conflit futur.

Rancœurs algériennes

Déclenchée par une poignée d'hommes le 1er novembre 1954 (la « Toussaint rouge »), l'insurrection indépendantiste ne reçoit le soutien d'une fraction notable des musulmans qu'après les massacres de Philippeville, l'année suivante.

Elle s'enfonce alors dans l'horreur, avec une « guerre sans nom » tissée d'attentats, de coups de main, de répression aveugle et de torture, doublée d'une autre guerre au moins aussi violente entre factions indépendantistes (FLN contre MNA).

Il faudra en définitive toute la lucidité de De Gaulle pour faire admettre à chacun le caractère inéluctable de l'indépendance. Mais celle-ci sera engagée de la pire des façons, les clés du pays étant confiées le 19 mars 1962 au FLN, soit la faction la plus dure du mouvement indépendantiste.

Les nouveaux dirigeants vont mener le pays à la faillite, tant sociale que politique, économique et culturelle. Soucieux de masquer leur dramatique échec, ils ne vont avoir de cesse, jusqu'à nos jours, d'en reporter la responsabilité sur l'ancien colonisateur.

Leurs accusations seront relayées en France par la gauche socialiste et communiste, soucieuse de faire oublier son engagement en faveur de la colonisation jusqu'à la fin des années 1950. 

Depuis l'assassinat de Mohamed Boudiaf (1992), on voit mal quels dirigeants, en Algérie et en France, auront le courage de sortir de ce double mensonge. En sont principalement victimes les enfants de l'immigration algérienne, entretenus dans la haine à l'égard de leur patrie d'adoption, et les Algériens eux-mêmes, maintenus dans la servitude.  

Alban Dignat

Notons que la rumination de la guerre d'Algérie, plus d'un demi-siècle après les faits, tant en Algérie qu'en France, est sans équivalent dans l'Histoire et dans le monde. Ainsi, l'Inde, qui sait gré aux Britanniques de lui avoir donné son unité et une langue de communication, semble avoir oublié les aspects cruels de la colonisation. Et le Vietnam, résolument tourné vers l'avenir, se soucie comme d'une guigne de ses guerres passées avec les Français et les Américains !

Publié ou mis à jour le : 2021-10-16 17:40:36
Eric (25-07-2021 14:02:19)

Dommage que cet article a été écrit avec les options politiques de son auteur et reflète ce que les Anciens d’AFN ont véhiculés depuis 1962. Si l’on rajoute le traumatisme des anciens pieds noirs qui ont subi l’exode imposé, écrire un article sur la colonisation de l’Algérie et sa décolonisation était mission impossible…

Margane (26-03-2016 19:40:28)

Excellente et lucide analyse qui malheureusement préjugé d'un angoissant futur!
GM

jallamion lucien (21-03-2016 08:31:18)

Pour prolonger la connaissance de la colonisation d'algérie je vous recommande le livre Histoire de l’Algérie à la période coloniale. Edition la Découverte et Edition Barzakh. 2012 ou pour approfondir l'histoire de Algérie et états tripolitains 2ème édition 1980 (1ère édition en 1846avec la synthèse de thomas Ismaëi Uebain) au editions Bouslama à TUNIS

Beauclair (20-03-2016 19:50:02)

Pouvez vous nous en dire plus sur les accords d'Evian, sur leur application, leur application, sur le sort des harkis,
y avait il des clauses économiques

torres (20-03-2016 18:45:53)

La"lucidité" du général de brigade à titre temporaire a pour noms le parjure ,la duplicité ,le mensonge et a sur les mains le sang de milliers de pieds-noirs et de harkis.

Desavoy (20-03-2016 17:44:58)

Anciens combattant "d'AFN", je partage cette analyse très équilibrée. Les responsabilités sont partagées : la Métropole se souciait peu de ce qui se passait en Algérie avant qu'elle n'envoie les jeunes de ma génération " y maintenir l'ordre". L'opinion politique métropolitain souhaitait qu'on en termine rapidement. Les militaires du contingent,les plus lucides, comprenaient très vite qu'il était bien trop tard pour trouver une solution susceptible de convenir à la fois aux majoritaires "indigènes" sans pouvoir et aux minoritaires "européens" maitres du pays...

Pierre de LACROIX (20-03-2016 13:07:40)

Cet article résume très objectivement l'histoire complexe de la colonisation en Algérie. Il met surtout en évidence que le problème de la compatibilité entre l'Islam et les valeurs en usage dans notre République ne date pas d'hier et qu'aucune réflexion approfondie ni solution associant les deux communautés n'a été initialisée au moment où elle aurait pu se faire dans le calme, le statut de l'indigénat n'étant qu'un cache misère pour masquer l'absence de volonté de rechercher une solution. Le décret Crémieux n'a pas arrangé la situation, en institutionnalisant une différence entre deux segments de populations locales uniquement sur l'aspect religieux. Il est bien dommage que cette République de francs-maçons n'ait su qu'imposer la séparation de l'Eglise et de l'Etat, ou les "fiches" du général André, sans comprendre la diversité du phénomène religieux au sein de l'Empire et éviter de stigmatiser les communautés en fonction de leurs sentiments religieux. C'est une autre occasion manquée que nous payons cruellement de nos jours avec la non-intégration des jeunes générations d'origine musulmane dans notre système de valeurs...

Michèle Landois (20-03-2016 12:29:10)

Merci.. Merci pour cet article qui permettra peut être de faire un pas dans la réflexion sans passion, l'étude et la compréhension de ces années de sang, de silences et de mensonges . Lire les directives des ministres aux préfets à partir de 1831 , est une aide précieuse pour y parvenir, la lecture des quotidiens algériens d'aujourd'hui aussi . La àchape de plomb qui pèse sur ces rapatriés dans un pays qu'ils ne connaissaient pas , elle peut être exprimée ainsi .. " J'aimerais tant qu'il consente à ouvrir sa mémoire et la mienne. Je donnerais tout ce que je possède pour pouvoir le suivre sur ses sentiers obscurs. Qu'il parle et je l'écouterai de tout mon être, et tant pis si j'ai mal, pour lui, pour nous... Mais il ne parle pas. Il ne veut pas parler. Peut être ne le peut il pas ..." Le cinquième fils ". Elie Wiesel
Du début jusqu'à la fin , cette histoire est un drame vrai .
Pour tout le monde .

Erik (20-03-2016 11:05:50)

Voila donc des musulmans qui ont appris ce que signifie être un dhimmi.
Et encore, juste un soupçon.

khaled (20-03-2016 10:47:14)

Comment peut-on qualifier d'équilibré un article qui développe tout un chapitre qu'il intitule " Rancœurs algériennes " sans qu'il ne rapporte des actions "revanchardes" telles que les lois mémorielles interdisant de penser condamnable la colonisation de l'Algérie, et allant jusqu'à interdire aux historiens de divulguer des faits historiques notamment portant la torture et pas seulement.
Demandez donc à un l'ancien Président de la République française, M. Sarkozy pour ne pas le nommer, ce qu'il en pense aujourd'hui encore....
On avait, du coté Français bien sur, prédit le chaos à une Algérie indépendante.
Point de chaos même si l'Algérie doit faire face à l'adversité comme tout pays au cours de son histoire.
Il est regrettable que soit qualifié de "rancœur" la volonté farouche d'émancipation face à une domination économique et culturelle que l'on veut imposer aux Algériens.

Blumenthal (20-03-2016 10:09:39)

Excellent article complétant mes connaissances de l'époque. Classe 56, un cas de conscience en tête avant de partir à l'armée, la chance me permit de m'.... à l'armée, mais au moins en Allemagne, loin de l'Algérie.

boutté (20-03-2016 08:57:11)

Les Juifs d'Algérie ont abandonné des règles religieuses
pour acquérir la citoyenneté. Les Musulmans pouvaient faire de même . Ils ne l'ont que très peu admis ou désiré.

Gilles Aerts (20-03-2016 02:34:26)

Encore un excellent article!
D'un "jeune" de la classe de 1961

Mirave (20-03-2016 01:05:22)

Très bon article écrit avec objectivité. Tout ce que l'on peut ajouter c'est quel gâchis tant du côté des politiciens français pour ne pas avoir fait appliquer les réformes lorsqu'il était encore temps que ce soit dans les années 30 qu'après la seconde guerre mondiale surtout après le sans versé par les musulmans algériens pour la libération que du côté des politiciens algériens qui depuis 1962 n'ont pas réussi à dépasser leur haine de la colonisation et de la France. N'oublions pas qu'en 1830, l'entité géographique de l'Algérie n'existait pas. L'empire Ottoman était alors tout puissant.

milanese (02-12-2015 01:21:26)

Ce texte m'a appris bien des choses que j'aurais dû savoir. Il m'a aussi appris que la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen consacrait l'égalité juridique de l'homme et de la femme, mais probablement pas celle de la femme vis à vis son mari.

alex J (24-04-2015 08:57:47)

Un article complet et bien écrit...(je suis prof d'Histoire en LP et la guerre d'Algérie est au programme du bac).
merci pour votre site..

Annick (16-02-2012 18:21:41)

J'ai trouvé cet article très intéressant. Il m'a apporté des éclaircissements sur cette période de l'histoire que je connaissais mal. Merci.

Respectez l'orthographe et la bienséance. Les commentaires sont affichés après validation mais n'engagent que leurs auteurs.

Actualités de l'Histoire
Revue de presse et anniversaires

Histoire & multimédia
vidéos, podcasts, animations

Galerie d'images
un régal pour les yeux

Rétrospectives
2005, 2008, 2011, 2015...

L'Antiquité classique
en 36 cartes animées

Frise des personnages
Une exclusivité Herodote.net