« Dans une colonie française, le gouverneur est vêtu comme les indigènes ; dans une colonie anglaise, les indigènes sont vêtus comme le gouverneur. » Cette boutade qui circulait naguère dans les chancelleries n’est pas dénuée de fondement. Si les expéditions françaises outre-mer ont d’abord été guidées par des motifs économiques et stratégiques, la curiosité pour les peuples et paysage lointains en fut l’autre moteur...
Les Français et l’Afrique
S’il faut attendre le XIXe siècle pour que les Européens pénètrent à l’intérieur du continent noir, l’attrait de la France pour l’Afrique est largement antérieur et remonte au Moyen Âge !
Le premier Européen à s’être enfoncé en Afrique et en être revenu est un Toulousain : Anselme d'Isalguier. Ce jeune aventurier entame son voyage en 1402, à l'époque de Charles VI et de la guerre de Cent Ans. Il débarque sur la côte atlantique, au sud du Maroc, près du cap Juby. De là, il emprunte une route caravanière jusqu'à la boucle du Niger et atteint Gao. La ville est la capitale de l'empire songhaï, l'un des plus prestigieux empires qu'ait connue l'Afrique noire.
Anselme rassemble des notes sur le royaume et se lie d'amitié avec l'entourage du souverain. Il ne reste pas insensible au charme d’une princesse, Salou Casaïs. Comme toute l'élite du royaume, celle-ci est de confession musulmane. Après quelques années, Anselme d’Isalguier reprend le chemin de Toulouse, avec sa femme, leur fille Marthe et six serviteurs dont un médecin du nom de Ben Ali.
La petite troupe arrive à Toulouse en 1413. Salou Casaïs et ses compagnons se convertissent au christianisme. Marthe épouse un jeune seigneur dont elle aura un fils, Eustache de Faudoas, surnommé le « Maure ». Salou donne le jour à deux autres filles qui entrent au couvent. Quant au médecin Ben Ali, il a l'occasion de démontrer ses talents en guérissant le Dauphin, le futur roi Charles VII, tombé malade lors d'une visite à Toulouse. Cela lui vaut une gratification de 200 écus.
Quatre siècles vont passer avant qu'un autre Européen, l’Écossais Mungo Park, ne revienne dans la région du Niger. En attendant, les récits de voyage d'Anselme d'Isalguier vont tomber dans l'oubli et feront seulement l'objet d'une notice dans une compilation du XVIIIe siècle, par le chanoine lyonnais Anthelme de Tricaud.
La curiosité pour l’Afrique et les Africains ressurgit durant le règne de Louis XIV. En 1688, la compagnie de Guinée ramène en France un jeune Africain de 20 ans du nom d'Aniaba.
Originaire du royaume d'Assinie, à l'est de l'actuelle Côte d'Ivoire, il se prétend lié à la famille royale même si d'aucuns le soupçonnent de n'être qu'un esclave.
Présenté à Louis XIV, Aniaba jouit d’une faveur exceptionnelle à la cour. Baptisé par Bossuet, il reçoit le prénom de Louis, son parrain n'étant autre que le Roi-Soleil en personne. C'est ainsi que le jeune « prince » entre dans un régiment de cavalerie du roi en qualité d'officier, bénéficiant d'une confortable pension et devenant le premier gradé de couleur de l'armée française.
Dix ans après son baptême, Louis Aniaba prend le chemin du retour avec deux pères dominicains et un représentant de la Compagnie de Guinée, le chevalier d'Amon. Le 24 juin 1701, leur navire mouille à Bassam, à l'ouest du royaume d'Assinie. Les Français construisent un fort du nom de Saint-Louis, prélude à leur établissement dans la région.
Les marchands de la Compagnie de Guinée, portés à croire que l'Assinie regorge d'or, misent sur Anabia pour ouvrir le royaume à leur commerce. Les missionnaires entrevoient de leur côté la christianisation du pays. Mais Aniaba échoue à s’emparer du pouvoir et l’aventure se terminera piteusement deux ans plus tard. La Compagnie de Guinée, constatant que l'Assinie ne possède guère de métaux précieux, se retire, suivie peu de temps après par les pères dominicains. La Côte d'Ivoire retombe dans l'oubli pour 140 ans.
Au début du XIXe siècle, l’exploration du continent africain est relancée. C’est alors Tombouctou qui fascine les esprits. Située au cœur du Mali, la cité au passé glorieux est interdite aux Européens. Et c’est un Français qui sera le premier à y pénétrer et surtout à en revenir !
Simple fils de boulanger des Deux-Sèvres, René Caillié quitte à 16 ans le domicile familial avec la ferme ambition d’être le premier Européen à entrer à Tombouctou. Après deux échecs et quelques années d’errance, il revient en 1824 au Sénégal pour réaliser son rêve de jeunesse. Le gouverneur tente de le dissuader. Il lui fait valoir qu'un grand nombre d'Européens ont déjà perdu la vie en tentant de rejoindre Tombouctou... L'inconscient ne veut rien entendre.
Caillié décide avant toute chose d'adopter les manières locales. Il rejoint un groupe de Maures et en un an, apprend leurs coutumes ainsi que quelques rudiments de langue arabe. Il s'applique à déchiffrer le Coran. Enfin, le 19 avril 1827, le Français quitte Saint-Louis avec une petite caravane, se faisant passer pour un enfant d'Alexandrie enlevé par les troupes de Bonaparte et désireux de revenir chez lui.
Il mendie l'hospitalité et la protection des chefs locaux, cachant avec soin l'argent qui doit lui assurer le retour. Supportant des épreuves et des humiliations sans nom, malade même du scorbut, il arrive sur les bords du Niger. Un an jour pour jour après son départ du Sénégal, il débarque en pirogue à Cabra, le port de Tombouctou sur le Niger. Le lendemain, il a le bonheur de toucher au but. Bonheur immédiatement terni par la réalité.
Aucune trace des richesses espérées (toits en or, dallages...) ni d'une quelconque effervescence intellectuelle et religieuse. Après deux semaines durant lesquelles il accumule des notes entre les pages de son Coran, René Caillié prend le chemin du retour avec une caravane d'esclaves qui remonte vers le Maroc. Traité comme une bête, il souffre comme jamais mais arrive néanmoins à Fès le 12 août 1828.
Quelques jours plus tard, il se présente en loques au vice-consul de France à Tanger. Celui-ci le prend dans ses bras et pleure d'émotion. Membre de la Société de Géographie, il mesure l'exploit à sa juste dimension et assure au jeune explorateur un retour triomphal en France.
Le 5 décembre 1828, à Paris, en présence de l'illustre paléontologue Georges Cuvier, la Société de Géographie fait fête à René Caillié et lui remet la somme de 10.000 francs promise au premier Européen qui ramènerait une description de Tombouctou.
René Caillié publie son Journal d'un voyage à Tombouctou. C'est aussitôt un grand succès de librairie.
Extrait :
« Dans cette contrée, la population est divisée en plusieurs catégories, et les rangs sociaux y sont distincts. Les hommes qui travaillent à la journée ou au mois, soit pour la culture des terres, soit pour tout autre ouvrage, sont regardés comme appartenant à la dernière classe : ceux qui se croient d'une condition plus relevée les traitent comme des êtres très inférieurs. Il y a aussi au Tafilet beaucoup d'esclaves nègres et quelques affranchis : jamais ils ne forment d'alliance avec les Maures ; les enfants même nés d'une négresse et d'un Maure par une union clandestine n'ont aucun état réel dans le pays ; ils restent toujours dans les dernières classes de la société. »
Cinquante ans plus tard, en 1874, un autre Français, Pierre Savorgnan de Brazza, se lance dans l’exploration du bassin du Congo, le grand fleuve d'Afrique centrale, avec le seul soutien de son protecteur, l'amiral de Montaignac, ministre de la Marine.
Lors d’une première mission, le Français remonte l'Ogooué, un fleuve côtier qui arrose le Gabon actuel, puis reconnaît le cours supérieur de l'Alima, un affluent du Congo.
Lors d'une deuxième expédition, Brazza fonde Franceville sur le haut-Ogooué. Il atteint enfin le Congo en descendant l'Almina. Le 10 septembre 1880, sur les bords du fleuve, dans le village d'Itiéré, il conclut un traité de protectorat avec le roi des Tékés, permettant à la France de s’établir sur la rive droite du Congo.
Brazza devient l'objet d'un véritable culte républicain et l'on se plait à opposer sa magnanimité à la brutalité du journaliste américain Stanley. Présenté comme l'ami des Noirs et le libérateur des esclaves, il est nommé commissaire du gouvernement dans l'Ouest africain puis commissaire général au Congo.
En 1905, dépité d'apprendre que les Noirs du Congo français seraient exploités et maltraités par les colons, il obtient d'effectuer une mission d'enquête officielle sur place mais meurt sur le retour, à Dakar. L'explorateur bénéficie de funérailles nationales avec sur sa tombe du Père-Lachaise cette épitaphe : « Sa mémoire est pure de sang humain. Il succomba le 14 septembre 1905 au cours d’une dernière mission entreprise pour sauvegarder les droits des indigènes et l’honneur de la nation ».
Les Français en Extrême-Orient
L’attrait des Français pour l’Extrême-Orient est ancien. Dès le XVIIe siècle, les premiers missionnaires s’installent au Vietnam. Les Vietnamiens se montrent réceptifs à la christianisation et dès 1658, on compte dans le pays pas moins de 300 000 catholiques. Le père jésuite Alexandre de Rhodes leur donne un alphabet inspiré de l'alphabet romain, le quoc ngu, en remplacement des idéogrammes chinois. Il va aider les Vietnamiens à préserver leur identité face aux envahissants Chinois.
L’épopée la plus mémorable demeure celle d’Alexandra David-Néel. Proche du géographe et penseur anarchiste Élisée Reclus, la jeune femme est très tôt attirée par le bouddhisme auquel elle se convertit à 21 ans, ce qui ne l’empêchera pas de se marier. En 1911, à 43 ans, elle obtient une aide financière pour un voyage d'études aux Indes.
Arrivée au Sikkim, petit royaume au cœur de l'Himalaya, elle se lie d'amitié avec le roi Sidkéong Tulku Namgyal et rencontre dans un monastère bouddhiste Aphur Yongden, un adolescent de 15 ans dont elle fera son fils adoptif. Ensemble, ils se retirent dans un ermitage à 4000 mètres d'altitude, avec un « maître » qui l'initie aux enseignements les plus secrets du bouddhisme tibétain.
Expulsés du Sikkim en 1916, Alexandra et Yongden se replient vers la Chine. L'objectif ultime de la Française demeure le Tibet et mieux encore la ville sainte Lhassa, interdite aux Occidentaux. Après plusieurs années d’errance en Asie, Alexandra et son compagnon séjournent dans le monastère de Kumbum puis se préparent au voyage vers Lhassa.
Pour cela, la Française se déguise en mendiante tibétaine. Elle mêle des crins de yack à ses cheveux, se poudre avec un mélange de cendres et de cacao pour noircir sa peau et se cantonne à un humble mutisme, alors qu'elle parle couramment tibétain. Les deux voyageurs mendient leur nourriture, l'obtenant souvent en échange de prophéties que Yongden, en lama savant, révèle aux paysans et pèlerins croisés en route.
L'accoutrement de l'exploratrice lui permet d'observer de tout près les mœurs des Tibétains. Dans les zones où elle craint d'être reconnue par les autorités, elle voyage de nuit et dort le jour, cachée dans des fourrés. Plus d'une fois, les deux voyageurs manquent de se faire tuer au détour d'un chemin. Bloqués par la neige dans des solitudes glacées, ils sont contraints de manger le cuir de leurs bottes dans une soupe pour ne pas mourir de faim.
Après avoir traversé plusieurs rivières accrochés à un câble et passés des cols à plus de 5000 mètres d'altitude, les prétendus chemineaux tibétains arrivent enfin à Lhassa le 28 janvier 1924. La Française est la première Occidentale à y pénétrer. Elle peut assister aux festivités du Nouvel An tibétain, qui ressemblent plus à un carnaval chamaniste qu'à de grandes manifestations de spiritualité. Yongden et sa « mère » mendiante y passent deux mois, avant d'être démasqués. Alexandra est dénoncée au gouverneur qui la laisse néanmoins reprendre son périple.
De retour en France, elle est accueillie au Havre comme une vraie héroïne nationale et fait la une des journaux. Elle racontera ses aventures dans le livre Voyage d'une Parisienne à Lhassa (1929).
Extrait :
« Pendant des jours, nous marchions dans la demi-obscurité d'épaisses forêts vierges, puis, soudain, une éclaircie nous dévoilait des paysages tels qu'on n'en voit qu'en rêve. Pics aigus pointant haut dans le ciel, torrents glacés, cascades géantes dont les eaux congelées accrochaient des draperies scintillantes aux arêtes des rochers, tout un monde fantastique, d'une blancheur aveuglante, surgissait au-dessus de la ligne sombre tracée par les sapins géants. Nous regardions cet extraordinaire spectacle, muets, extasiés, prêts à croire que nous avions atteints les limites du monde des humains et nous trouvions au seuil de celui des génies. »
Ultimes horizons
Au XXe siècle, l’exploration des régions polaires s’affranchit enfin des contraintes techniques. Grâce à sa fortune personnelle, le médecin Jean-Baptiste Charcot poursuit la cartographie de l’Antarctique à bord du Pourquoi pas et sillonne l'Atlantique nord.
Deux ans avant sa fin tragique, celui que l'on surnomme le « gentleman des pôles » installe au Groenland la mission ethnographique d’un jeune Français de 27 ans : Paul-Émile Victor. Avec trois compagnons, ce dernier va étudier les Inuits du village d'Ammassalik pendant un an. Il acquiert une rapide célébrité comme spécialiste des populations des régions arctiques.
Au Groenland, il traverse l'île-continent en traîneau et va vivre pendant une année dans une famille inuit avec une compagne, Doumidia. Il racontera plus tard, en 1949, son long séjour dans un livre dédié à Jean-Baptiste Charcot : Aventure esquimau.
Après-guerre, Paul-Émile Victor participe avec Camille Kiesgen à la création de Connaissance du Monde, une série de conférences filmées vouée à un immense succès.
Au même moment, un autre Français publie sa thèse d’anthropologie, à l’origine du structuralisme : Les structures élémentaires de la parenté. Son auteur n’est autre que Claude Lévi-Strauss qui a étudié durant plusieurs années des tribus indiennes du Brésil, en s'enfonçant profondément dans la forêt amazonienne.
Au cours de ses nombreux voyages auprès de peuples dits « premiers », l'ethnologue s'est intéressé aux moindres aspects de leur vie en société, tous régis par des codes, qu'il s'agisse des recettes de cuisine, des règles de politesse, de l'usage des parures et des masques ou de la narration des mythes. En 1955, la publication de Tristes Tropiques, qui frôle de peu le prix Goncourt, fait connaître les travaux de Lévi-Strauss au grand public. Le livre débute par une formule célèbre et quelque peu provocante : « Je hais les voyages et les explorateurs ».
La création à Paris du musée du Quai Branly, dédié aux Arts premiers dans leur diversité, sera en quelque sorte l'aboutissement de son travail pour faire reconnaître la valeur de ces civilisations d'Afrique, d'Amérique, d'Océanie et d'Asie.
Au milieu du XXe siècle s’achève la découverte des derniers lieux inaccessibles du globe : les plus hauts sommets du monde. En 1950, les Français Maurice Herzog et Louis Lachenal sont les premiers à réussir l’ascension d’un sommet de plus de 8000 mètres : l’Annapurna. Ils y laisseront leurs doigts et leurs orteils... Le livre-récit de Maurice Herzog, Annapurna, premier 8000 fait sensation dans une France en pleine reconstruction.
Les hauts sommets conquis, un autre univers reste encore vierge d’explorations : les profondeurs sous-marines. Et c’est un Français qui va révéler au monde cet univers encore totalement inconnu : Jacques-Yves Cousteau. Aux commandes de la Calypso, le co-inventeur du scaphandre moderne voguera durant quarante ans sur toutes les mers du globe et fera découvrir par ses films et ses reportages des paysages fascinants enfouis à des centaines de mètres sous l’eau. Longtemps personnalité préférée des Français, Cousteau sera surtout l’une des voix les plus écoutées de la France dans le monde, en particulier pour ses engagements écologistes.
Aujourd’hui, Saint-Malo, Dieppe ou encore Le Havre cultivent la nostalgie des grands voyages d’antan. D’où le succès des courses à la voile et des parades maritimes dans ces ports. Mais c’est plutôt dans l’espace et dans les sciences que se projettent les jeunes Français épris d’aventures.
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