Charles de Foucauld (1858 - 1916)

Un saint tricolore et républicain

Charles de Foucauld vers 1907. Agrandissement : Charles de Foucault sur un des piliers de l'église Notre-Dame-du-Calvaire à Châtillon (Hauts-de-Seine).Beaucoup a été dit et écrit, y compris par lui-même, sur Charles de Foucauld qui a rejoint le dimanche 15 mai 2022, la liste des saints de l’Église catholique.  Reste  à mieux saisir le destin de cette éminente figure du christianisme  demeuré aussi une personnalité respectée et reconnue par la République française en ses actions profanes. 

Voir ainsi associé, comme ce fut la cas place Saint-Pierre lors de la cérémonie de canonisation le drapeau tricolore avec, implanté sur sa couleur blanche, le symbole rouge du Sacré-Cœur surmonté d'une croix a quelque chose d’insolite. Même si  l'on sait que le vicomte Charles Eugène  de Foucauld de Pontbriand est né à Strasbourg  le 15 septembre 1858  dans l’immeuble même où Rouget de l’Isle composa la première version de la Marseillaise…           

Jamais arrière

Dans la famille et la parentèle, on s’enorgueillit de plusieurs ancêtres tombés pour la foi et la patrie et d'avoir pour devise : « Jamais arrière ». Il n'est donc pas question de devenir sujet allemand après la défaite de 1870 et l'on s'établit à Nancy, au plus près des provinces perdues et de la revanche.

Charles de Foucauld avec sa mère et sa soeur cadetteDevenu orphelin à six ans,  le jeune Charles est  élevé et éduqué par ses grands-parents maternels.

Son grand-père, le colonel  Beaudet de Morlet  n’envisage pas d’autre avenir pour son petit-fils que la carrière des armes tout en l'entourant d'une « vie tranquille, toute de famille et d'intérieur » comme Charles l'écrit à la mort de ce dernier en 1878.

Charles de Foucauld en officier de cavalerie ; agrandissement : Charles de Foucauld prépare Saint-Cyr chez les jésuites (au centre, premier plan)À cette date, il est en deuxième année à Saint-Cyr où il étonne ses camarades par sa mémoire et son intelligence tout en décevant ses supérieurs par une forme de dilettantisme  jouisseur laissant ses qualités en friche. Au moins devient-il l'excellent cavalier qu'il va demeurer toute sa vie. Héritant d'une fortune considérable, il peut la mettre au service des plaisirs de la vie, de la table et du lit : « Je dors longtemps, je mange beaucoup, je pense peu », écrit-il à un ami. Ses notations s'en ressentent ainsi que le nombre de punitions – 45 - découlant de cette vie dissolue.

Il quitte Saint-Cyr au 333e rang sur 386 et entre à l'école de cavalerie de Saumur dont il sort bon dernier, 87e sur 87 ! Il y a tenu table ouverte, traitant amis et parasites avec munificence avant que la famille mette un peu d'ordre dans sa manière de dilapider l'argent. Il lui reste cependant  suffisamment de rentes pour continuer d’éblouir ses camarades ainsi que la paisible population de Pont-à-Mousson où il est nommé sous- lieutenant au 4e Hussards. Vivant en concubinage, il souhaite que sa compagne le suive lorsque son régiment est envoyé en Algérie en 1880. Sur place, cette situation heurte une hiérarchie soucieuse de bonnes mœurs et il est mis en demeure de s'en séparer  Ce qu'il refuse comme le précise le général Osmont au ministre de la Guerre : « Mr de Foucauld a répondu par écrit qu'il tait dans l'intention de la garder […] Il importe pour l'exemple que cet acte d'indiscipline soit sérieusement puni. En conséquence, j'estime qu'il y a lieu de mettre en non-activité par retrait d'emploi, l'officier dont il s'agit. »

Le soldat et l'explorateur

Revenu en France avec sa belle en avril 1881 à Évian, il s'en sépare bientôt car une aventure autrement excitante commence. Il demande et obtient sa réintégration au 4e Chasseurs d'Afrique  et participe à la « pacification » des turbulents Khroumirs, obstacle à l'implantation française en Tunisie comme le souhaite le président du Conseil Jules Ferry, attaché à sa grande politique coloniale. Charles de Foucauld retrouve ensuite l'Algérie où il faut, cette fois, s'opposer à la révolte du Cheikh Bouamama dans le sud oranais. Comme il l'écrit, « Une expédition de ce genre est un plaisir trop rare pour le laisser passer s'en tâcher d'en jouir. C'est très amusant : la vie de camp me plaît autant que la vie de garnison me déplaît ».

Après s'être illustré dans les combats, il s'ennuie effectivement en caserne, démissionne de l'armée mais conserve de la fréquentation des officiers et des soldats, un respect et une fraternité d’armes qui vont l'accompagner jusqu'à la fin de sa vie. L’Afrique du nord l’attire plus que jamais et il n’est pas question de regagner la métropole. Il prépare un long voyage de reconnaissance au Maroc sous les auspices de la société de géographie d'Alger mais « à ses frais, à ses risques et  périls » avec l'aide du conservateur de la bibliothèque d'Alger, un géographe et explorateur d'origine irlandaise Oscar Mac Carthy.

Dessin réalisé par Charles de Foucauld relatif à son déguisement de rabbin Il s'agit de s'aventurer dans un pays  interdit aux européens hors quelques itinéraires balisés et surveillés par le royaume chérifien, inquiet à juste titre des ambitions coloniales françaises. Ayant appris l’arabe et l’hébreu, déguisé en rabbin ashkénaze répondant au nom de Joseph Alleman  et accompagné de Mardochée, authentique rabbin d’Alger mais surtout correspondant de la Société de Géographie de Paris, il part à l’aventure le 10 juin 1883.

Les deux traversent le Rif, se rendent à Tétouan, Chechouane, Fez, abordent l'Atlas puis gagnent Oujda et Lalia Maghnia en territoire français après un périple de près d'un an. Charles de Foucauld rédige ensuite  Reconnaissance au Maroc qui lui vaut en 1884  la médaille d’or de la Société de Géographie de Paris, en négligeant quelque peu son compagnon de voyage dans le partage des honneurs. Il a tout relevé « à la boussole et au baromètre » comme il l'écrit et ses informations sont évidemment d'une grande utilité pour la future présence militaire au Maroc.

Célébré à Paris, désormais connu, bon serviteur d’une Troisième République aimant lier la boussole et le fusil pour son expansion coloniale, Charles de Foucauld gagne en renommée. Sur le plan personnel, il a rencontré à Alger la fille du commandant Titre, remarquable cartographe,  avec laquelle il envisage le mariage mais la famille de Charles attaché à son rang, s’oppose au mariage avec une jeune fille de si modeste extraction.

Que se passe-t-il alors ? Chagrin, désillusion, lassitude ? Il en termine avec les relations et les tentations féminines en une phrase mystérieuse : « Par la force des choses, vous m'aviez obligé à être chaste. C'était nécessaire pour préparer mon âme à recevoir la vérité : le démon est trop maître d'une âme qui n'est pas chaste ».

Croquis du sud algérien (El Goléa) par Charles de Foucauld

« Faites que je vous connaisse »

Comme bien de ses contemporains (Lyautey, Ernest Psichari, Étienne Dinet…), il est marqué par la force de l’islam comme religion et la piété ordinaire des musulmans : « L'Islam a produit en moi un profond bouleversement. La vue de cette foi, de ces âmes vivant dans la continuelle présence de Dieu m'a fait entrevoir quelque chose de plus grand et de plus vrai que les occupations mondaines ».

Il s’interroge alors  sur sa propre foi disparue à l’adolescence : « Mon Dieu, si vous existez, faites que je vous connaisse ». Soucieux d’en savoir plus et mieux sur le christianisme et installé à Paris en 1886, il se fait conseiller par sa confidente de toujours, sa très proche cousine Marie de Bondy, son aînée de quelques années. Elle le met en contact avec l’abbé Huvelin, en l’église Saint-Augustin, à Paris, qui devient son confesseur et le guide vers un progressif retour au christianisme.

N’ayant pas pour habitude de faire les choses à moitié, Charles de Foucauld s’engage dans la voie religieuse avec le même allant qu’il avait mis dans la course aux plaisirs ou  la vaillance au combat. Il se veut d’abord moine, devient frère à la Trappe de Notre-Dame-des-Neiges en Ardèche en janvier 1890 puis, six mois plus tard, rejoint celle d'Akbès en Syrie ottomane où il tente de sauver des chrétiens arméniens face à un premier génocide dont il se scandalise de voir l'Europe se désintéresser.

En octobre 1896, il est à Rome où il lui est demandé de parfaire ses connaissances théologiques. L'abbé Huvelin lui permet ensuite de partir en Palestine où il se met au service d'un monastère de clarisses à Nazareth comme le plus humble des jardiniers tout en multipliant les écrits spirituels. C'est en Terre Sainte qu'il adopte la devise « Jesus Caritas »  avec un cœur surmonté d'une croix.

Charles de Foucauld en 1901 devant son ermitage de Beni-AbbèsViennent ensuite l'ordination à la prêtrise le 9 juin 1901 puis  l'installation à Béni-Abbès au sud d'Oran non loin de la frontière marocaine où il est  tout à la fois aumônier pour la troupe sur place, ermite aux franges du désert,  missionnaire se voulant « frère universel ». Il n'en oublie pas pour autant son passé d'explorateur et d'officier en encourageant à « mettre la main sur le Maroc ».

Comme bien d'autres en son temps, il voir l'expansion coloniale comme une œuvre de civilisation et de développement. Il déplore  « l'immoralité honteuse » qui laisse substituer l'esclavage pour ne pas mécontenter les chefs de tribus. En 1904, il accompagne  Laperrine et ses méharistes pour une « tournée d'apprivoisement » dans le massif du Hoggar où il note : « Les indigènes nous reçoivent bien. Ce n'est pas sincère. Ils cèdent à la nécessité. » 

Poussant au sud afin de délimiter les aires de contrôle  entre l'Algérie  et le Soudan de l'AOF (Afrique Occidentale Française), ils rencontrent sans aménité une autre colonne française venue à leur rencontre, Charles de Foucauld y découvre un aspect de la colonisation qu'il avait choisi d'ignorer : « Ce que je vois des officiers du Soudan m'attriste. Ils semblent des pillards, des bandits, des flibustiers. Je crains que ce grand empire colonial qui pourrait et devrait enfanter tant de bien ne soit présentement pour nous qu'une cause de honte, qu'il nous donne lieu de rougir devant les sauvages mêmes ».

Charle de Foucauld et le général Hubert Lyautey dans le sud oranais en 1903

Le chapelain de Moussa

En 1905, soucieux d’une présence française permanente au Sahara qui ne soit pas que militaire, Laperrine le fait s’installer à Tamanrasset sous la protection de l’amenokal des Touareg, Moussa Ag Amastane.  Pour celui qui a alors en charge les « Territoires du Sud » créés par une loi de décembre 1902, mettre  un saint homme, un marabout chrétien, au demeurant  resté en contact avec l’armée, au centre du grand désert, vaut des unités militaires. Laperrine écrit ainsi à l'un de ses compagnons d'armes : « Vois-tu, si le comte de Foucauld, ex-hussard, ex-explorateur, trappiste en rupture de ban, devient chapelain de Moussa ou d'un autre de même poil, ce ne sera pas banal.»

Charles de Foucauld et un visiteur à Tamanrasset ; agrandissement : l'intérieur du fortin de Tamanrasset aujourd'hui (photo : Michel Pierre)En son nouvel établissement, au cœur du Hoggar, dans un paysage à la mesure du Dieu qu’il vénère, Charles de Foucauld poursuit sa vocation religieuse, se désespère de n'être pas rejoint par d'autres et poursuit une œuvre scientifique immense en rédigeant une grammaire touareg-français et en multipliant le recueil de contes et de récits oraux. Il découvre « une langue bien plus belle et plus vaste qu'on ne croyait ». Il lance aussi l'idée d'une confrérie, une « Union coloniale catholique » car « La mère-patrie a le devoir de faire son possible pour l'évangélisation de ces enfants que Dieu lui donne ».

Des voyages en France en 1909, 1911 et 1913 lui permettent de développer le projet mais sans grand succès. Il rêve d'exemples mais non de pieuses paroles : « Il faudrait de bons prêtres en assez bon nombre ; non pour prêcher, on les recevrait comme on recevrait dans les villages bretons des turcs venant prêcher Mahomet mais pour prendre le contact, se faire aimer, inspirer estime, confiance, amitié. » De fait, il estime que « si nous n'avons pas su faire des Français de ces peuples, ils nous chasseront. Le seul moyen qu'ils deviennent Français est qu'ils deviennent chrétiens ».

Dernière photo connue de Charles de Foucauld à Tamanrasset en 1915En 1914, il souhaite rejoindre le front pour une guerre qu'il estime sainte en une « croisade contre un paganisme nouveau »  mais sa présence sur place est considérée comme plus essentielle, par crainte de troubles pouvant être suscité au Sahara par les Turcs et leurs alliés allemands. Ces derniers encouragent une insécurité qui est fatale à Charles de Foucauld le Ier décembre 1916.

Un groupe lié à la révolte senoussiste  l'attire à l’extérieur du petit fortin, du bordj construit pour le protéger. Il est entravé et surveillé par un jeune garçon. À l’approche de méharistes français s'approchant de Tamarasset, ce dernier prend peur et abat Charles de Foucault. Une mort bientôt connue en France mais qui, au milieu de l’hécatombe générale,  passe presque inaperçue.

Un héros national

La paix revenue, le destin de Charles de Foucauld prend forme. Il devient le symbole du sacrifice fait par la France au nom de sa vocation coloniale sous tous ses aspects à travers un héros célébré pour son œuvre de savant, sa carrière militaire et une vocation religieuse placée sous le signe de la « pacification ».

Un officier méhariste écrit ainsi : « Nous aimions le Père parce qu'il était resté soldat, qu'il pensait en soldat et nous jugeait en soldat ». L’Église, pour sa part, exalte un martyr et l’on parle d'un procès en béatification dès 1927. Entretemps, en 1921, René Bazin publie avec grand succès Charles de Foucauld, explorateur du Maroc, ermite au Sahara. Dix ans plus tard, Charles de Foucauld est très présent à l'Exposition coloniale de Vincennes, maintes fois cité et particulièrement célébré au pavillon des missions catholiques.

Table d'orientation du Touring Club de France sur l'Assekrem (1939) ; agrandissement : panorama depuis l'Assekrem (photo : Michel Pierre)En 1936, grâce à une souscription publique, Léon Poirier met en scène L'Appel du Silence , évocation de la vie de Charles de Foucauld avec Jean Yonnel de la Comédie-Française dans le rôle principal. Le film est également un succès public. Deux ans plus tard, en mars 1938, une église est élevée à sa mémoire à El Goléa où il a été inhumé après une première sépulture à Tamanrasset.

Symboliquement l'inauguration d'un buste qui lui est dédié est associée au dépôt d'une urne contenant « de la terre sacrée de Verdun » comme le précise la presse de l'époque. En 1939, c'est le Touring club de France qui installe une table d'orientation au sommet de l'Assekrem, au cœur du Hoggar près d'un petit ermitage que Charles de Foucauld avait occupé de juillet à décembre 1911.

Une pensée de saint Benoit recopiée par Charles de Foucauld ; agrandissement : Ex-votos déposés par Charles de Foucauld à chacun de ses passages à Alger, à Notre-Dame d'AfriqueParallèlement se multiplient les congrégations et associations se réclamant de sa spiritualité. Dès 1923, Louis Massignon fonde une « Association Charles de Foucauld »  rassemblant laïcs et religieux. Naissent ensuite des communautés religieuses comme la fraternité des Petites Sœurs du Sacré Cœur ( 1933 ) et, à la même date, les Petits Frères de Jésus dont la vie commune suit une règle rédigée par Charles de Foucauld en 1899.

À partir de 1940,  le régime de Vichy comprend  tout le parti qu’il peut retirer d’une figure alliant les vertus de la patrie avec celle de la religion ainsi que la fidélité aux racines et le goût des horizons lointains sous oriflamme français. En août 1942, à Aix-en-Provence où l'école de Saint-Cyr s'est repliée ont lieu la cérémonie du « triomphe » de la promotion « Maréchal Pétain » (1940-1942) et le baptême de la promotion « Charles de Foucauld » (1941-1942).

Après 1945, Charles de Foucauld demeurera une figure symbolique de la présence française en Afrique du Nord mais le déclenchement de la guerre d'Algérie bloquera, selon les souhaits du Vatican, tout procès en béatification avant que ne s'apaisent les passions et que Charles de Foucauld ne soit béatifié en 2005 par le pape Benoît XVI et canonisé en mai 2022.

Michel Pierre
Publié ou mis à jour le : 2022-05-18 07:52:23
DARDENNE Lucien (27-09-2006 16:31:19)

Alors qu'il signait "Vincent DEPAUL", pourquoi en avoir fait Vincent de Paul ? Appropriation par les aristocrates de l'époque ? Le film de Maurice Cloche en donne une bonne image, mais (et je n'ai pas lu tout, loin s'en faut!, j'aimerais connaître un peu plus sur ses contacts avec les humbles. On en sait déjà beaucoup (peut-être trop ?) sur son "travail" avec les puissants et sur les résultats magnifiques obtenus, et il serait profitable pour tout le monde d'élargir.
Depuis l'âge de 16 ans (je suis né en 1926), je suis Vincentien et aujourd'hui encore, je me sens un rien frustré. Il me semble toujours qu'il manque quelque chose ou que, volontairement, on nous a caché un ou des pans de sa vie, tellement extraordinaire par ailleurs.
Grand merci de peut-être combler ce vide...
Très cordialement.

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