Espagnes

Génétique de la péninsule ibérique

Aujourd’hui je vais vous raconter l’Histoire de la péninsule ibérique en m’appuyant sur les haplogroupes Y d’une part, et sur la diffusion des langues d’autre part. Je vous encourage à visualiser préalablement l’Histoire de l’Europe et l’Histoire de France pour en savoir plus sur la méthodologie utilisée.

Commençons lors du redoux post-glaciaire qui entraîne la première expansion démographique. Comme dans le reste de l’Europe, la péninsule ibérique est habitée par des populations I qui forme donc l’haplogroupe originel. Les premiers changements sont liés à la diffusion de l’agriculture et de l’élevage depuis le Proche-Orient, entre 7000 et 6000 av JC. Ça se fait en plusieurs vagues : il y a d’abord le groupe E1b1b qui transite par l’île de Chypre avant de s’implanter massivement sur la rive est de l’Adriatique. Il gagne ensuite la péninsule ibérique par groupes plus isolés.

En parallèle, le groupe R1b installé à l’intérieur des Balkans adopte les innovations venues d’Anatolie dès 7000 av JC : il entame alors des migrations tout à fait fascinantes puisque certains gagnent l’Italie et l’Espagne tandis que d’autres émigrent en Afrique où ils finiront par s’installer autour du lac Tchad. Ce double apport maritime finit par donner naissance à la culture cardiale en Méditerranée du nord-ouest. Finalement, le nord-est de l’Espagne connaît sa révolution néolithique dès 6000 av JC.

Ca c’est pour la voie maritime. Mais d’autres préfèrent migrer directement depuis l’Anatolie par la voie terrestre : il s’agit du groupe G. Grâce à leur supériorité démographique due à l’agriculture, ils supplantent les populations de chasseurs-cueilleurs du groupe I tout le long du Danube jusqu’à atteindre la France et la péninsule ibérique vers 5000 av JC. Leur présence est forte sur la moitié est mais plus faible à l’ouest où les populations I originelles adoptent à leur tour l’agriculture. Ca permet au groupe I de regagner le terrain perdu. L’explosion démographique entraîne le début du mégalithisme dans la péninsule.

Le bouleversement suivant est dû à la migration indo-européenne au début de l’âge du bronze. Vers 2000 av JC, les populations R1b de Bohême se répandent vers la France, les îles britanniques et la péninsule ibérique, forts de leurs armes et de leurs outils en bronze. Comme en France, une grande partie de la population masculine est éradiquée tandis que la population féminine est davantage préservée. Seul le sud-ouest apparaît un peu plus épargné avec moins d’un quart de cet apport R1b.

Etonnamment, les Indo-Européens n’arrivent pas à imposer leur langue en dépit de ce remplacement massif, sauf dans le nord-ouest. Par ailleurs, la culture locale n’est pas bouleversée par ces nouveaux arrivants.

Une évolution déterminante est ensuite apportée par l’arrivée des Phéniciens, qui sont intéressés par les riches gisements de métaux dans le sud-ouest : s’ils fondent de premiers comptoirs dès le XIIe siècle avant JC, ils ne les transforment en colonies qu’à partir du VIIIe siècle avant JC. Ce sont les Carthaginois qui reprennent ensuite le flambeau après la prise de Tyr au Levant.

Les Phéniciens conduisent à apporter leur haplogroupe J, mais de façon très marginale : le peuplement n’est pas fondamentalement transformé. C’est aussi valable pour les Grecs qui se contentent de fonder quelques comptoirs dans le nord-est vers 500 av JC.

A cette date, il est utile de faire le point sur les peuples en présence. Le nord-ouest est dominé par des populations indo-européennes remontant à l’âge du bronze qui incluent notamment les Lusitaniens. Le reste est encore peuplé par des populations non-indoeuropéennes sans doute plus anciennes : les Tartessiens au sud, les Ibères à l’est, et les Basques au nord.

L’arrivée des Celtes va quelque peu modifier cette répartition. Originaires du nord des Alpes, ils doivent leur expansion à la métallurgie du fer couplée à l’essor de la cavalerie montée. Il s’agit d’une migration beaucoup moins massive que celle de l’âge du bronze puisque leur apport R1b dépasse à peine les 5% en Ibérie ; pourtant, ils parviennent à imposer leur langue sur une large part nord-ouest de la péninsule, aux dépens des Lusitaniens comme des Ibères, sans doute en raison d’une situation politique et économique dominante. Le commerce de l’étain sur l’atlantique a dû y jouer un rôle puisqu’il était aux mains des Celtes d’Armorique et des Cornouailles. Ca a permis aux Celtes d’Ibérie de servir d’intermédiaires jusqu’aux comptoirs carthaginois du sud, ce qui explique leur plus forte implantation génétique et linguistique sur toute la côte occidentale.

Au IIIe siècle avant JC, les Carthaginois engagent la conquête de l’intérieur des terres, mais ça reste sans lendemain puisque les Romains récupèrent leurs possessions lors de la Deuxième Guerre Punique. Puis au siècle suivant, les Romains conquièrent tout le reste de la péninsule où ils finissent par imposer leur langue.

Comme en Gaule, cette révolution linguistique est principalement due à une assimilation culturelle des autochtones : les Romains apportent leurs gènes de façon assez modérée. Cet apport peut notamment être suivi grâce à l’haplogroupe J qui est assez abondant en Italie.

L’immigration romaine est particulièrement faible dans le pays basque. De fait les Basques sont les seuls à conserver leur langue : encore aujourd’hui, ils forment une exception au sein d’une péninsule entièrement latine.

Le bouleversement suivant est dû aux invasions barbares du Ve siècle après JC, notamment germaniques : d’une part les Suèves, les Vandales et les Alains qui ont franchi le Rhin, d’autre part les Wisigoths qui ont franchi le Danube et sont passés par l’Italie. Si les Vandales et les Alains sont vite chassés du secteur, les Suèves et les Wisigoths y fondent des royaumes prospères. Pourtant l’apport germanique est pratiquement indétectable d’un point de vue génétique, sauf en Galice où les haplogroupes I1 et R1b-S21 dépassent les 5%. Il s’agissait donc d’une élite très minoritaire.

Le royaume wisigoth contrôle toute la péninsule jusqu’à l’arrivée des musulmans, arabes et surtout berbères, qui s’en emparent entre 711 et 726. Ce nouvel apport génétique venu d’Afrique est caractérisé par l’haplogroupe E1b1b. Celui-ci avoisine les 15% en Andalousie et sur une large frange occidentale. Paradoxalement, cette présence remonte jusque dans les Asturies, peut-être parce que de nombreux guerriers musulmans y ont été envoyés pour mater la rébellion.

A partir des Xe et XIe siècle, la population d’Al-Andalus adopte massivement l’islam et la langue arabe. Mais dans le même temps, la Reconquista se poursuit depuis le nord, ce qui pousse à rediffuser les langues latines vers le sud : galicien, asturien, castillan, aragonais et catalan. La Reconquista s’accélère après la bataille de la Navas de Tolosa en 1212, et la langue arabe ne subsiste plus que dans l’émirat de Grenade au sud. Elle finira par disparaître après la prise de Grenade en 1492.

Les mutations s’apaisent après cette date, si ce n’est que la puissance de la Castille tend à favoriser le castillan qui deviendra l’espagnol. Quant à la configuration génétique, elle est déjà proche de celle actuelle : pour finir, on se propose de faire le point région par région.

Commençons par les Galiciens qui correspondent aux apports les plus équilibrés. On y distingue la part originelle des populations I primitives, celle des agriculteurs du groupe G qui sont passés par l’Europe continentale, puis celle des premiers Indo-Européens venus de Bohême. Bien que leur haplogroupe forme 40% des gènes actuels, leur influence réelle fut sans doute plus réduite car la population féminine a été beaucoup moins touchée. Ensuite il y a l’apport des Celtes qui ont dominé le commerce sur l’Atlantique, puis celui des Romains qui est significatif. Par ailleurs, c’est le seul endroit où l’apport germanique est substantiel, car la Galice fut longtemps le bastion des Suèves. Enfin l’apport arabo-berbère n’y est pas négligeable, même dans l’extrême nord.

Parlons maintenant des Basques : c’est beaucoup plus simple. Le principal bouleversement fut celui de l’âge du bronze, mais qui n’a pas modifié la langue du secteur. Même chose pour l’immigration celtique. Quant aux Romains, ils s’y sont implantés de façon marginale.

L’apport romain augmente fortement quand on se déplace vers l’est en direction de la Catalogne. A l’inverse l’influence celtique y est plus faible, comme si les Celtes n’avaient fait qu’y passer sans s’y implanter.

La configuration génétique en Andalousie est assez comparable, mais comme on pouvait s’y attendre, la composante arabo-berbère y est plus forte. C’est aussi le cas dans le sud du Portugal qui connaît à la fois le plus fort héritage arabo-berbère et le plus fort héritage romain de toute la péninsule. C’est peut-être dû aux riches gisements métallifères qui avaient déjà attiré les Phéniciens dans le secteur.

Enfin le centre de l’Espagne présente la curiosité de posséder très peu de gènes celtiques alors même que les Celtes y ont influencé la langue et la culture pré-romaine. C’est comme s’il y avait eu 2 phases : une phase migratoire qui a entraîné une forte implantation celtique au nord-ouest ; puis une phase de diffusion culturelle d’ouest en est.

Finalement, l’Histoire génétique et linguistique de la péninsule ibérique est l’une des plus riches du continent : complexité dans la révolution agricole, complexité dans les apports indo-européens, et complexité dans la part des héritages latin et arabo-berbère. La stabilité des 5 derniers siècles y apparaît d’autant plus remarquable.

Vincent Boqueho
Publié ou mis à jour le : 2023-03-24 17:14:39

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