Les grands peuples de l’Antiquité ont fait usage des parfums, aussi bien pour un usage profane que religieux. La Grèce joue un rôle particulier dans l’histoire du parfum grâce aux conquêtes d’Alexandre en Asie, qui apportent en Europe de nouvelles senteurs, et l’invention des huiles et graisses parfumées. Les Arabes apporteront une contribution décisive avec la mise au point de la distillation alcoolique, grâce aux travaux du savant iranien Avicenne, dont le produit est nommé « élixir », soit « le médicament le plus précieux ».
Au Moyen-Âge, le parfum n’est plus en odeur de sainteté. L’Église le considère comme futile. C’est la médecine qui va lui redonner du lustre en le mobilisant pour combattre les épidémies, propagées par les « mauvaises odeurs ». Le parfum devient un élément de l’hygiène et marque aussi la distinction sociale. La France de louis XIV fera du parfum un art qui se transformera en industrie de premier plan au fil des siècles.
Magique Elixir et Corporations : Le Moyen Âge
Balayé par les invasions barbares en 476, l'empire romain d'Occident fait peu à peu place à l'austère Moyen Âge, marqué par une régression de l’emploi profane des parfums au profit d’un usage strictement religieux ou médicinal. C’est bien pour cela que la vertu sentait bon et que le pêché était associé à la puanteur.
Dans le monde occidental, le parfum est synonyme de futilité pour les gens de l’Église. De retour du Proche-Orient, les croisés participent, en France notamment, au regain d’intérêt en Occident pour les aromates et les senteurs. Ils réintroduisent l’habitude d’user d’applications parfumées, en particulier des huiles à l’heure de la toilette. Cet emploi, condamné par l'Église, s’associe peu à peu au plaisir des sens, au désir de plaire et aux festivités.
Au XIIème siècle s’associent les épiciers et les apothicaires et en 1190 naît entre les villes de Grasse et Montpellier, la Communauté des Gantiers Parfumeurs. Dès cette époque, les parfums proviennent d’Afrique, d’Inde, d’Orient et d’Egypte. Ces produits transitent ensuite par Venise, Gênes, Marseille ou Montpellier, où ils subissent quelques modifications avant leur commercialisation.
L’époque médiévale est également marquée par la peur des épidémies, notamment de la peste noire. Les parfums jouent alors un rôle protecteur. Ils portent remède, fabriqués à partir du Jardin des simples. Au XIIIème siècle, le bain est devenu un moment de bien-être et les plantes protègent des épidémies. On emploie le thym, le romarin, le serpolet, la lavande et le fenouil pour chasser miasmes et mauvaises odeurs.
En 1348, la peste noire frappe l’Europe et décime la population. Le risque de contagion des maladies par les mauvaises odeurs est désormais établi. L’odeur devient une menace et le parfumeur - apothicaire doit protéger la population, en combattant la pestilence.
En 1370, l’eau de la Reine de Hongrie, parfum à base de romarin, eaux de rose et de fleur d’oranger, extrait de citron et de menthe, sert de remède contre les maladies. C’est le plus ancien parfum à base d’alcool que l’on connaisse. Une légende raconte que cette eau aurait permis à Donna Isabella, Reine de Hongrie septuagénaire, de retrouver la jeunesse et la beauté de ses vingt ans pour séduire le jeune roi de Pologne.
Le principe de distillation au vin crée « l’esprit de vin », qui était utilisé en frictions. Avec les épidémies s’installe la peur de l’eau. Au XVème siècle, les bains sont considérés comme dangereux, leur pratique se raréfie, jusqu'à ce que les bains publics soient fermés dans les grandes villes par ordre d'Ambroise Paré, médecin d'Henri III au XVIème siècle. En effet, soupçonnée de propager les épidémies, l’eau est supprimée des pratiques d’hygiène.
Les substances aromatiques, vinaigre ou lotion utilisés en friction, deviennent le geste hygiène. Dans une société craignant l’eau et les épidémies, le parfum est élevé au rang d’élixir, précieux remède médical. Son coût était élevé et seule la noblesse, les dignitaires de la Cour, les prélats pouvaient en profiter. Toujours, dans ce même esprit de clivage, l’élite répand un parfum agréable alors que le pauvre porte avec lui les relents de la crasse.
Renaissance capiteuse et… calamiteuse
La crainte des épidémies instaure ainsi le règne de la crasse. Le manque d’hygiène corporelle est camouflé par les odeurs les plus capiteuses que l’on porte sur soi pour repousser la peste. Le pomander, globe en métal finement travaillé, est ainsi créé pour recevoir le musc, l’ambre et les résines parfumées.
Le parfum garde, plus que jamais, une aura purificatrice dont les vertus permettent de lutter contre la maladie. Privilège toujours réservé aux riches, les eaux de senteur dorment dans de riches flacons venus de Venise ou de Bohême.
Les dames nobles et les élégantes dissimulent sous leurs vêtements des sachets parfumés avec des pétales de fleurs ou de bois odorants. Les eaux aromatiques, comme l’eau de fleur d’oranger ou de romarin, sont très prisées, ainsi que les parfums de lavande. Chacun s’attache à soigner son apparence extérieure alors considérée comme primordiale. Les matières animales comme l’ambre, le musc ou la civette sont très convoitées pour leurs pouvoirs aphrodisiaques.
Les parfums demeurent réputés pour leurs vertus purificatrices. Les parfums d’ambiance et les fumigations permettent de lutter contre les maladies. En s’infiltrant dans tout le corps, ces effluves odorants sont censés guérir.
Au cours du XVIème siècle, âge d’or pour les parfums et les cosmétiques, l’Italie tient la première place dans l’art de la parfumerie. Très vite, Venise s’impose comme la capitale de la parfumerie mais se voit bientôt détrônée par la France : vers la fin du XVIème siècle, Montpellier devient la capitale des parfums.
Par la présence notamment de Catherine de Médicis, les modes italiennes se répandent en France. Cette dernière apporta en France ce luxueux art de vivre à l'italienne, lançant la mode des petits flacons de poche, à odeur, et le goût pour les aromates. Le parfum des cuisines italiennes apporta macarons et frangipanes, élaborées par un certain Frangipani.
Lors de ballets et spectacles mythologiques mettant en scène la gloire du royaume et de la famille régnante, les fontaines étaient parfumées à la fleur d’oranger et au jasmin. Il est de bon ton aussi de parfumer les bijoux, les éventails, les masques…et les animaux ! Les bagues à parfum sont très à la mode, mais leur chaton pouvait renfermer non pas un parfum mais des poisons assez puissants pour tuer.
La Cour de Louis XIV : Peur, Odeur et Tradition
Les fragrances sont de plus en plus puissantes pour camoufler les odeurs et repousser les maladies et le vinaigre de toilette imbibé sur des linges permet l'usage de la toilette sèche. Si le XVIIème siècle n’est toujours pas celui de la propreté, il voit le parfum s’imposer comme un métier de haute tradition française, destinée à exporter le renom du pays à travers le monde. De nombreux privilèges sont accordés à ses représentants, notamment aux villes de Grasse et Montpellier, ainsi qu’à la corporation des gantiers parfumeurs qui connaît un essor considérable.
Sous le règne de Louis XIV, le parfum entre à la Cour de Versailles et devient un apanage royal et un luxe. En 1656, il renouvela et étendit la charte de 1582 établie par Henri III, concernant les statuts des gantiers-parfumeurs. Colbert, qui considère la parfumerie française comme une grande industrie nationale en puissance, l'élève en 1673 au rang de métier d'art.
Martial, le parfumeur et valet de chambre de Louis XIV créé des muscades, des eaux d’ange et des eaux de fleur d’orange. Il perpétue la tradition de la Renaissance qui consistait à utiliser des parfums capiteux pour masquer les odeurs nauséabondes qui persistaient sur les cuirs que l’on avait tannés. Afin de plaire à ses favorites, Louis XIV développe tôt le goût des frivolités et des parfums forts. Il se parfume à la civette ou au castoréum.
En 1693, le Roi est qualifié de « roi le plus doux fleurant » par Simon Barbe dans Le Parfumeur françois. Cette expression témoigne davantage de sa fonction divine que de son odeur corporelle : le Roi de « droit divin » ne pouvait que dégager une bonne odeur, à la manière de celle de l’ambroisie dégagée par les dieux de l’Olympe. Les jardins à la française de Versailles, dessinés par le Nôtre, dégagent de délicats parfums. Les jeux d’eaux parfument l’air autant qu’ils le rafraîchissent puisque les fontaines sont parfumées avec de la fleur d’oranger.
La mode est au néroli, huile essentielle obtenue par distillation des fleurs de l'Oranger Bigarade. Cette huile est nommée ainsi, parce que ce fut pour la princesse de Néroli que fut composé un parfum de fleur d’oranger vers 1680. L’Eau de Cologne est créée en 1695 en Italie par une jeune italien Giovani Paolo Féminis, qui part s’installer à Cologne et y distille ce mélange de bergamote, citron, néroli et romarin, longtemps apprécié pour ses vertus « salutaires ». Elle sert aussi bien aux frictions qu’aux ablutions.
A la fin de sa vie, Louis XIV ayant abusé des parfums dans sa jeunesse, ne peut plus supporter les senteurs lourdes. Il ne portera plus que le parfum de la fleur d’oranger tirée des orangers bigarades de l'Orangerie de Versailles qui apaise ses névralgies dentaires. Puis, les parfums sont bannis de la Cour de Versailles, le Roi ne pouvant plus les souffrir physiquement mais aussi moralement, sous l'influence de la pieuse Madame de Maintenon.
La Cour Parfumée de Versailles au XVIIIème siècle
Le parfum occupe une place importante dès le début du XVIIIème siècle. Les français s’animent d’un regain d’intérêt pour l’hygiène corporelle et la séduction. Les parfums sensuels réapparaissent sous le règne de Louis XV, dont la Cour est baptisée « Cour parfumée ». Il est alors d’usage de changer chaque jour de parfum et de s’en couvrir tout le corps.
Vers le milieu de ce siècle, les odeurs fortes et animales cèdent peu à peu la place aux sillages aériens et floraux. C’est la naissance du bouquet aux mille fleurs, composé à partir des fleurs de toutes les saisons. Eaux d’agrumes ou eaux florales, fraîches et subtiles, invitent à la légèreté et à la galanterie. Le parfum du siècle des Lumières est un émissaire libertin conservé dans les flacons précieux de cristal ou en porcelaine, décorés d'or et de pierres précieuses.
La reine Marie-Antoinette, épouse du Roi Louis XVI, raffole des essences de rose et de violette. Perruques et cheveux sont inondés de poudres, parfumés à base d’iris, d’œillet et de violette. Les parfums deviennent des symboles de sensualité et de volupté. Les essences proviennent principalement de Montpellier et de Grasse.
Parmi les parfumeurs les plus célèbres Jean-Louis Fargeon, parfumeur de Marie-Antoinette, tient boutique rue du Roule à Paris mais aussi Jean-François Houbigant qui a ouvert boutique, rue du Faubourg Saint-Honoré.
De l’Eau pour tous ! : XIXème siècle
Napoléon Ier donne le ton, en utilisant 40 litres par mois d’Eau de Cologne que lui fournit Jean-Marie Farina, héritier de la recette authentique. La propreté devient un combat contre la misère. Les médecins eux-mêmes prescrivent l’Eau de Cologne qui, à présent fabriquée industriellement, s’adresse à tous les milieux sociaux. Ainsi, ce produit salutaire pour la santé, que l’on trouve dans les bazars comme dans les palais, démocratise l’hygiène qui devient l'affaire de tous, même si l’odeur du prolétariat continue de s’opposer au discret parfum de la bourgeoisie.
Le XIXème siècle est aussi marqué par l'essor de la parfumerie moderne dès les années 1830. La France continue de s'imposer comme la terre d’élection du parfum, possédant deux indéniables atouts : Grasse, cité des fleurs, et Paris, capitale mondiale du goût et de l'élégance. Ce passage de l'artisanat à l'industrie se fait avec succès et les valeurs de rareté, d'expertise, de créativité, de luxe et d'élégance sont triomphalement reconnues à la parfumerie française, dès l'Exposition Universelle et Internationale de 1900 à Paris.
La parfumerie continue d’être l'interlocutrice, au même titre que d'autres industries du luxe, de l'aristocratie et de la haute bourgeoisie internationales aussi soucieuses de tradition que de signes de distinction. Le XXe siècle lui fait conquérir tous ceux, qui parvenaient par l'acquisition d'un parfum, à s'offrir un peu de rêve et de beauté.
Les parfumeurs, audacieux entrepreneurs, innovateurs, hommes de terrain mais aussi et surtout artistes, font du parfum, cet article d'hygiène, d'ordre essentiellement subjectif, ce sent-bon camouflé dans le cabinet des élégantes, un article que l'on offre, le cadeau par excellence, le premier pas vers le luxe reproduit à des milliers d'exemplaires.
La profession s'est enrichie de personnalités nouvelles, les techniques se sont affinées pour approcher toujours plus la perfection, la chimie appliquée à la parfumerie fait naître de nouveaux accords, le savoir-faire et le faire-savoir se sont unis pour mieux répondre à la demande et générer du rêve. En quelque sorte, l'industrie a rencontré l'art pour faire du parfum une entité immatérielle, aux résultats commerciaux éblouissants.
« Inventer ou périr » , telle est la devise qui s’applique aux parfumeurs en 1830. Les parfumeurs français se doivent alors d’être créatifs. Ce qu’ils sont avec talent grâce à la recherche de nouveaux procédés de fabrication inscrite dans un courant général d’industrialisation et de progrès techniques, porteurs d’innovations importantes dans la parfumerie.
L’ingéniosité des inventeurs, les découvertes scientifiques en chimie, physique et mécanique, et la découverte de la vapeur facilitent l’émergence de produits nouveaux. La France se place alors au premier rang mondial pour la fabrication de parfums.
L’industrialisation s’appliqua à partir de 1860 aux deux branches de la production française en parfumerie : l’extraction des matières premières à Grasse et la fabrication et le conditionnement des produits finis à Paris. Vers 1860, l’introduction des machines à vapeur bouleverse les procédés traditionnels de fabrication et devient un formidable support d’innovations. Des instruments nouveaux vont naître de l’emploi de la vapeur et donner de meilleurs rendements.
Cette période est marquée par l’apparition des produits de synthèse en parfumerie. Une vingtaine d’années sépare systématiquement la découverte d’un produit de synthèse de son application en parfumerie. En 1860, la découverte de l’acide salicylique est le point de départ de la coumarine, réalisée en 1868 par Perkin et permettant, dès 1882, la création de Fougère Royale par Paul Parquet de la Maison Houbigant.
L’emploi plus vaste des produits de synthèse a permis de créer des formes olfactives absolument nouvelles. Aimé Guerlain crée en 1889 Jicky, terriblement moderniste par son accord olfactif à tonalité de lavande et d’héliotrope, soutenue par la vanilline.
François Coty bouleverse à son tour les règles traditionnelles de création et de conception d'un parfum dès 1903. Il devient « le père de la parfumerie moderne » par son audace d'avoir su utiliser des matières premières qualifiées de nobles, en les associant à des produits de synthèse, selon des dosages innovants. Les femmes se parent à présent de parfums, qui sont selon l'expression de Flaubert « des vapeurs de beauté ».
Le travail d'équipe unissant le parfumeur et le verrier, qui nous apparaît comme une évidence, ne surgit que très tardivement au XIXe siècle. Le flacon de marque apparaît avec l'industrialisation et la demande croissante de produits de qualité. Les parfumeurs cherchent désormais à adopter une forme pour leur flacon qui les différenciera des autres marques.
Les verriers créent des flacons plus raffinés, les étiquettes s'ornent de motifs recherchés et des écrins sont proposés. Paris, capitale du luxe et de l'élégance se fait le théâtre du commerce de la parfumerie. D'élégants magasins ouvrent pour attirer la clientèle parisienne et ainsi écouler une production plus importante du fait de l'industrialisation.
Le magasin de parfumerie, qui prend des allures de salon de vente, devient un élément de prestige, où l'on cherche à accueillir la clientèle dans un univers élégant, luxueux et honorable. Dans ce même esprit, les parfumeurs élisent les quartiers les plus élégants de la capitale pour y installer boutique.
XXème siècle La Parfumerie moderne et l'âge d'or du parfum
Une ère nouvelle se profile à l’aube du XXème siècle avec l’essor considérable de la parfumerie. L’importance est donnée à la présentation des produits, aux flacons comme à la publicité. Les grands parfumeurs de la Belle Époque collaborent désormais avec des verriers comme Lalique ou Baccarat. Le flacon à parfum, unique, rare et personnel, est devenu flacon de parfum : les flacons n’échappent pas à l’industrialisation.
C’est en 1904 qu’un homme révolutionne avec génie la parfumerie moderne. François Coty est le premier à oser mêler, dans un équilibre parfait, les nobles matières naturelles aux notes de synthèse découvertes en 1880. Il créé ainsi de nouvelles formes olfactives dont l’audace se retrouve dans le flaconnage. Associé au célèbre bijoutier avant-gardiste René Lalique, il revoit tout l’art de la présentation car selon lui, « un parfum est objet avant d’être senteur ».
L’ère de la parfumerie moderne a marqué l’entrée dans la publicité. La publicité est l’incarnation du parfum, qui doit créer le désir de le porter. Dès le début du XXe siècle, les Maisons ont misé sur des affiches et des slogans accrocheurs, des campagnes promotionnelles bien ciblées qui se sont adressées au fil des années au monde entier.
Dans l'esprit nouveau du Paris des Années Folles, apparaît la génération des couturiers parfumeurs, dont le couturier français Paul Poiret avait été le pionnier, en fondant en 1911 à Paris Les Parfums de Rosine. « Cette robe vous va à merveille mais une larme de parfum sur l’ourlet et elle vous ira à ravir. » C’est en ces termes qu'il renoue avec la puissante alliance du luxe, qui unit en France les métiers de la mode et de la parfumerie, dans un même esprit créateur. La voie était ouverte et tracée par Poiret.
Gabrielle Chanel comprend l'intérêt stratégique de l’association entre parfum et couture et devient officiellement le « premier couturier parfumeur » en 1921 avec le lancement du N°5. En 1924, la Société des Parfums Chanel est créée. Le gant parfumé, le cuir imprégné de senteur avaient créé le style olfactif français que l’on nommait « sillage » et qui possédait une dimension émotionnelle puissante, que le monde entier enviait à la France. L’immatérialité du parfum va se nourrir peu à peu d’une image et d'une silhouette que les couturiers sauront construire et faire virevolter au travers de leurs robes.
Cette alliance très parisienne de la couture et du parfum va faire disparaître peu à peu les parfumeurs traditionnels parisiens, à l’exception de certaines grandes maisons, comme Guerlain, qui parviennent à survivre à ce succès. Les couturiers-parfumeurs firent évoluer considérablement l'art de la présentation de manière toujours plus esthétique, en recherchant la reconnaissance immédiate d'une marque d'après son style.
Les flacons furent créés comme des robes, les fragrances entrèrent en harmonie avec le style de la maison et les créations se déclinèrent comme des collections, au rythme des changements de mode. Cette alliance de la mode et de la parfumerie devient une évidence, un enjeu économique non négligeable, qui s'ajoute à l'intérêt stratégique que représente le « Total Look » .
Cette nouvelle génération de couturiers-parfumeurs prend une place de plus en plus prépondérante dans le monde de la parfumerie. À la suite du N°5 de Chanel (1921) sont lancés : Dans la Nuit de Jean-Philippe Worth (1924), My Sin de Jeanne Lanvin (1924), Amour-Amour de Jean Patou (1925), l'Indiscret de Lucien (1936), Shocking de Elsa Schiaparelli (1937), pour leurs premières créations.
À l’aube des années 50, mode et parfum deviennent plus que jamais inséparables et mettent en valeur l’élégance de la femme. Le parfum devient le premier pas dans le luxe, le meilleur ambassadeur de la Maison, tant il est un accessoire de mode, un art de vivre, un langage d’élégance et de séduction.
« Le parfum, c’est le complément indispensable de la personnalité féminine, c’est le finishing touch d’une robe. » dit Christian Dior. Il souhaite dès 1946 lancer un parfum afin « d'entourer chaque femme d'une féminité exquise, comme si chacune de mes robes, disait-il, une à une, émergeait du flacon ». Pierre philosophale de son univers, le parfum est à ses yeux le complément indispensable de sa couture, l'accessoire qui prolongeait son style, l'empreinte invisible de son « New Look » mais néanmoins incarnée en 1947 dans les effluves de Miss Dior.
Ainsi, le parfum devient un accessoire de mode, un art de vivre, un langage d’élégance et de séduction. Il est une quête de perfection, d’une valorisation des savoir-faire, de culture et d’une vision esthétique. Il raconte une histoire et appartient à un univers. Le parfum de couturier devient sa meilleure vitrine car il possède toutes les caractéristiques de son nom : magie du créateur, séduction et fonction sociale. Dans sa définition de luxe, le parfum, techniquement parfait et esthétiquement beau, correspond à une démarche personnalisée.
Une Histoire sans fin
Au cours des siècles, la correspondance des sens fit naître celle des arts et le parfum puisa ses sources d’inspiration et d’expression dans tous les domaines artistiques. Il ne fut pas que senteur, il devint un objet, sujet des caprices de la mode.
Les arcanes de la création se compliquèrent pour faire du parfum un objet d’art pas comme les autres. Non seulement soumis au désir relatif du goût, selon les époques et les personnes, donnant des valeurs d’appréciation fluctuantes mais aussi faisant corps avec un univers commercial et industriel. Réconcilier les antinomies est l’enjeu du parfum, qui n’est plus tant aujourd’hui la recherche d’une apparence socialisée, significative d’une position dans la société, mais celle de l’expression de soi.
Le parfum a obtenu peu à peu son statut d’art par le principe vital qu’il incarne et que l'on nomme sillage. En effet, il prolonge l’humain, vivant ou disparu par la force de son pouvoir évocateur, faisant parler le silence. Mais aussi, même immatériel, il a la force de mettre de la vie dans une forme désincarnée.
Ainsi, en traduisant la mémoire olfactive et culturelle d’une société en marche et en ayant conscience de la subjectivité et de la relativité des sens, le parfum n’est pas un art figé. Il porte en lui la modernité. Un parfum raconte toujours une histoire, celle des êtres et de leur époque. Il touche les sensibilités, unit les cultures, fait chanter les cœurs. Mais surtout, il réconcilie les âmes, comme l'exprimait le philosophe américain du XIXème siècle, Ralph Waldo Emerson : « Le bonheur est un parfum que l’on ne peut répandre sur autrui sans en faire jaillir quelques gouttes sur soi-même ».
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