Maître de conférences en littérature et civilisation allemandes à l’université Grenoble-Alpes, Sophie Lorrain nous a offert une superbe fresque de l'Histoire allemande. Dans son ouvrage publié chez Perrin à l'automne 2021, elle fait aussi revivre cette histoire à travers une centaines d'écrits politiques très divers, représentatifs de ses tourments et de ses heures de gloire. Elle a voulu de la sorte remédier à la rareté de documents traduits en français, qui entrave la connaissance par les Français de l'histoire de leur voisine.
Les textes que Sophie Lorrain a choisis et traduits sont avant tout des écrits politiques. Ils sont organisés autour de cinq thèmes : Qu'est-ce qu'être allemand ? ; Guerres et paix ; Reich, révolutions et républiques ; Églises ; Résistances et oppositions. Chacun est précédé d'une introduction qui le replace dans son contexte et l'éclaire.
La conscience nationale, on la voit apparaître dans la foulée des guerres napoléoniennes. On éprouve ainsi un léger frisson avec le chant d'Ernst Morits Arndt, Quelle est la patrie d'un Allemand ? (1813) :
(...) Aussi loin que la langue allemande résonne,
Jusque dans les cieux où on chante des cantiques à la gloire de Dieu,
C'est là qu'est ta patrie !
C'est là, vaillant Allemand, c'est là qu'est ta patrie. (...)
Suivent des lettres (Goethe, Metternich,...) et aussi une pétition, celle de Friedrich List réclamant une Union douanière au Parlement de Francfort (1848). Et comment ne pas s'arrêter sur le discours du président de la RFA Richard von Weizsäcker, le 8 juin 1985, peu avant la réunification : « (...) être allemand est un fait inévitable. C'est la conséquence du fait d'être né et d'avoir grandi ici, de parler allemand, de se sentir chez soi dans ce pays et donc de faire partie du peuple allemand. Je suis allemand comme un Français est français et un Russe est russe (...). À Berlin, j'ai entendu une phrase que tout le monde peut comprendre : la question allemande restera ouverte tant que la porte de Brandebourg restera fermée ».
Parmi les découvertes offertes par le livre, il y a le « discours des Huns » prononcé par Guillaume II le 27 juillet 1900 à Bremerhaven. L'empereur harangue les troupes qui partent pour la Chine afin de venger le meurtre d'un diplomate. Dans la version orale, et non officielle, Guillaume II invite ses soldats à imiter les Huns.
Des mots malheureux dont la propagande alliée se saisira pendant la Grande Guerre : « Quand vous serez devant l'ennemi, rappelez-vous : pas de quartier ! Pas de prisonnier ! Celui qui tombera entre vos mains, ce sera sa fin. Tout comme il y a mille ans les Huns sous la direction de leur roi Attila se sont fait une réputation de gloire dont on parle encore dans les histoires et les contes, puissiez-vous faire résonner le nom d'Allemands de telle sorte qu'en Chine, plus aucun Chinois n'ose regarder un Allemand de travers pour les mille ans à venir ! »
Deux décennies plus tard, le 8 mai 1919, le chef du nouveau gouvernement républicain Friedrich Ebert découvre avec beaucoup d'amertume les conditions de paix proposées par les Alliés et en fait part dans un appel qui va nourrir le ressentiment patriotique : « C'est une violence sans mesure ni limite qu'on veut faire subir au peuple allemand. Il ne peut naître de cette paix qu'on nous a imposée qu'un regain de haine entre les peuples qui recommenceront un jour à s'entretuer. » Fatalité !... Sur le thème Guerres et paix, la sélection de Sophie Lorrain compte aussi des témoignages plus réconfortants comme celui de l'écrivain Sebastian Haffner, publié après sa mort. On y croise le verbatim d'un étonnant entretien entre le Soviétique Leonid Brejnev et son affidé, l'Allemand Erich Honecker, en 1970.
Les enjeux religieux et la réforme luthérienne occupent une place de choix dans cette anthologie, avec, pour commencer, le compte-rendu par le pape Grégoire VII soi-même des événements de Canossa en janvier 1077 ! Sophie Lorrain publie aussi deux documents de Martin Luther, qui a donné à la langue allemande ses lettres de noblesse. Quel bonheur enfin pour l'amateur d'Histoire de découvrir « les douze articles de la paysannerie en Souabe » (mars 1525) que d'aucuns présentent comme la première déclaration des droits de l'homme ! Le texte remonte à la guerre des paysans, une jacquerie mue par la foi et finalement condamnée par Luther.
On sera aussi ému par l'élévation morale de nombreux documents, à commencer par l'édit de Potsdam du 29 octobre 1685 par lequel le Prince-Électeur de Brandebourg Frédéric-Guillaume Ier offre asile et assistance aux huguenots chassés de France par Louis XIV. Autres pépites émouvantes, un tract (le cinquième) de Hans et Sophie Scholl et la profession de foi du pasteur Dietrich Bonhoeffer, qui payèrent de leur vie leur résistance au nazisme.
Le cinquième des six tracts de la Rose blanche, en janvier 1943, est un appel explicite à la résistance. Il sera tiré à cinq mille exemplaires et diffusé aux environs de Munich. On peut y lire ces mots d'une tragique lucidité : « Allemands ! Voulez-vous subir et imposer à vos enfants le même sort qui échut aux Juifs ? Voulez-vous être jugés à la même aune que ceux qui vous ont trompés ? Serons-nous pour toujours le peuple que le monde hait et exclut ? Non ! Alors rejetez cette barbarie national-socialiste... »
Bien plus qu'une anthologie, cette Histoire de l'Allemagne au fil des textes est une introduction à l'histoire allemande. Elle nous permet d'entrer dans son intimité, guidés par les explications et les mises en perspective de l'historienne.
Richement documenté et d'une lecture agréable, le livre s'adresse à tous les publics curieux et mérite de trouver sa place dans la bibliothèque des professeurs d'histoire-géographie... à côté de l'Histoire de l'Allemagne des origines à nos jours (Joseph Rovan, Points Histoire, 1999), un pavé de 1000 pages étonnamment digeste et tout aussi agréable à lire que ce livre-ci.
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