IIIe millénaire av. J.-C. à 622

Les premiers calendriers, entre Lune et Soleil

Voilà cinq millénaires que les hommes ont entrepris d'apprivoiser le temps qui passe. Les Égyptiens, agriculteurs avant tout, l'ont associé aux crues du Nil et aux lunaisons qui correspondent aux rotations de la Lune autour de la Terre, en un peu plus de 29 jours.

Les bergers chaldéens, formés à l'observation des étoiles sous le ciel pur de Mésopotamie, se sont montrés pour leur part habiles astronomes et mathématiciens. Ils ont très tôt défini l'année solaire qui correspond  à peu près à la durée d'une rotation de la Terre autour du Soleil. Dans la foulée, ils ont élaboré les unités de temps aujourd'hui universelles, de la seconde à la semaine. Chaque avancée suscite de nouvelles questions. Parions que nous n'avons pas fini d'interroger le temps...

Les Égyptiens définissent l'année et le mois

Chacun d'entre nous perçoit spontanément la journée définie par l'alternance du jour et de la nuit. L’autre intervalle de temps immédiatement perceptible, c’est l’année définie par le cycle du Soleil et rythmée par les saisons (sauf à l’équateur). 

Tout cela suffit pour compter le nombre de jours, mais certaines civilisations ont voulu court-circuiter tout le système en se fiant directement au solstice d’hiver. C’est le jour où le soleil se lève le plus au sud possible, et où il monte le moins haut dans le ciel. Le problème, c’est que les différences d’un jour à l’autre sont infimes, et en plus il faut qu’il fasse beau plusieurs jours d’affilée. Certaines civilisations protohistoriques ont souhaité mesurer avec précision le changement d'année en se fiant au solstice d'hiver. C'est sans doute à cet effet, afin de repérer le jour où le Soleil est au plus bas dans le ciel, qu'elles ont érigé des monuments tels que les mégalithes de Stonehenge (Angleterre) aux 3e et 2e millénaires av. J.-C.

Dans l'Égypte ancienne, la perception du temps a évolué. L'agriculture commandait de pouvoir anticiper le retour des crues du Nil. C’est lui, bien plus que les cycles du Soleil, qui marquait la nouvelle année. Mais il était fluctuant de sorte que certaines années calculées sur cette base faisaient 350 jours, d’autres 380. Les prêtres égyptiens, en charge du calendrier des récoltes, ont donc recouru à un troisième intervalle de temps : le cycle de la Lune (pleine lune, dernier quartier, nouvelle lune, premier quartier).

Ils se sont toutefois heurtés à une difficulté du fait que cette lunaison ne contient pas un nombre exact de jours. Elle dure très exactement 29,5306 jours, soit entre 29 et 30 jours. Les prêtres égyptiens ont défini en conséquence l'année comme une alternance de douze lunaisons ou mois de 29 et 30 jours (mois caves et mois pleins). Chaque mois commençait avec l'apparition du croissant de lune.

Ces douze lunaisons ou mois lunaires comptaient au total un peu plus de 354 jours (12 × 29,5306 = 354,3672 jours ou encore 354 jours 8 heures 48 minutes 33 secondes). Ainsi fut définie l'année lunaire, perçue comme l'année cosmique par excellence, un cadeau des dieux ! 

Mais les Égyptiens n'étaient pas au bout de leurs peines car cette année lunaire régulière n'était pas alignée non plus sur le cycle moyen des crues du Nil. Les prêtres égyptiens ont remédié très tôt à ce défaut. Vers 3000 av J.-C., ils se sont rendu compte que Sirius, l’étoile la plus brillante du ciel nocturne, restait sous l’horizon pendant toute une période de l’année. Ils ont noté scrupuleusement le nombre de jours qui s’écoulaient entre deux réapparitions, et cela faisait systématiquement 365 jours ! Sans le savoir, ils avaient mesuré pour la première fois la période de révolution de la Terre autour du Soleil !

C’est ce qu’il fallait pour se raccorder à l’année moyenne agricole : les Égyptiens ont donc défini une année sothiaque de 365 jours qui a longtemps coexisté aux côtés de l’année lunaire de 360 jours. Les cinq jours en plus, appelés épagomènes (« jours supplémentaires » en grec),  étaient perçus comme maléfiques vu qu'ils cassaient la perfection divine des 12 mois de l’année. L'année débutait ordinairement le 18 juillet, jour de l'arrivée de la crue du Nil. Elle comportait trois saisons : l'inondation (Akhat), de juillet à novembre ; la germination (Péret), de novembre à mars ; la sécheresse (Chémou), de mars à juillet). Notons que ce calendrier se perpétue chez les chrétiens coptes d'Égypte !

Le zodiaque de Dendérah est un bas-relief célèbre de l'Égypte antique représentant la voûte céleste et ses constellations. Il était placé au plafond d'une chapelle dédiée à Osiris, située sur le toit du temple d'Hathor à Dendérah, Paris, musée du Louvre. Agrandissement : Représentation graphique sur l'un des plafonds de la salle mythologique du Neues Museum, musée égyptien de Berlin.

Mais il restait encore un problème vu que l’année solaire comporte en réalité 365 jours et quart : l’année sothiaque elle-même était trop courte par rapport au calendrier agricole, et on a continué à voir des crues survenir de plus en plus tard dans l’année. Il y avait un décalage d’à peu près un quart de jour tous les ans en moyenne, et il fallait donc attendre 1460 ans pour que l’année sothiaque se recale sur l’année agricole ! Les Égyptiens ont baissé les bras sur cette question et ce sont les Lagides (Syrie hellénistique) qui ont ajouté le concept de l’année bissextile pour tenir compte de ce quart d’année supplémentaire (avec une erreur résiduelle qui sera bien plus tard corrigée par le calendrier grégorien).

Les Mésopotamiens inventent l'heure et la semaine

Les mages ou astronomes mésopotamiens ont repris les recherches des Égyptiens. Considérant que les lunaisons comptaient quatre périodes d'égale durée, soit sept jours environ, ils ont défini l'unité de temps de la semaine. Puis, l'année lunaire étant elle-même découpée en douze mois, ils ont repris le système duodécimal (base 12) pour fractionner les journées et ils ont ainsi introduit pour la première fois la notion d’heure avec douze heures le jour et autant la nuit.

Éblouis par la beauté du nombre 60, un multiple de 12 que les dieux adorent et que l'on retrouve dans les 360 jours de l’année, ils se sont mis à compter en base 60 et ont en conséquence découpé l’heure en 60 minutes, la minute en 60 secondes... et le cercle en 360°. Cette révolution scientifique s'est peut-être produite à Babylone vers le XVIIIe siècle av. J.-C.

Et la semaine fut...

Des Chaldéens nous vient la semaine de sept jours (six jours de travail, un jour de repos). Elle correspond très naturellement à chacune des quatre divisions de la lunaison ((pleine lune, dernier quartier, nouvelle lune, premier quartier ; au total 4 x 7 jours environ). La Bible hébraïque s'en fait l'écho en précisant que ce fut précisément le temps qu'il fallut à Dieu pour créer le monde. Depuis l'époque romaine, les jours de la semaine sont dédiés à des divinités qui sont aussi des astres : la Lune (pour lundi, de lune dies, jour de la Lune), Mars (mardi), Mercure (mercredi), Jupiter (jeudi), Vénus (vendredi), Saturne (samedi).
Le septième jour de la semaine était sous l'empereur Auguste dédié au Soleil (on en retrouve le souvenir dans le mot qui désigne ce jour en anglais et en allemand: respectivement sunday et Sonntag). Les chrétiens de langue latine en ont fait le jour du Seigneur, dies dominicus (d'où le mot dimanche). Ce jour est chômé depuis 321, par décision de l'empereur Constantin Ier.
Les révolutionnaires français ont tenté sans succès d'abolir le dimanche au profit du décadi. Comme le calendrier grégorien, la semaine est aujourd'hui d'application universelle.

Les calendriers dans le monde

Les Hébreux et les Grecs ont emprunté aux Chaldéens le calendrier « lunaire » (aligné sur le cycle de la Lune). Mais ils  ajoutèrent de temps en temps un treizième mois pour éviter le décalage de quelques jours entre le cycle du Soleil et les douze cycles de la Lune. Cela leur permettait de respecter à peu près le rythme des saisons. C'est ainsi que le calendrier religieux juif, mi-lunaire, mi-solaire, compte aujourd'hui encore sept années de 13 mois par cycle de 19 années.

Au VIIe siècle après Jésus-Christ, les Arabes, peuple de pasteurs et de nomades, n'avaient pas les mêmes soucis que les paysans sédentaires juifs de sorte que le prophète de l'islam, Mahomet, put leur imposer un calendrier lunaire strict. Encore aujourd'hui, les fêtes musulmanes sont, d'année en année, décalées de dix à onze jours par rapport aux saisons, ce qui n'est pas pratique pour les travaux agricoles, jamais programmés à la même date, ni pour le jeûne rituel du Ramadan, qui tombe tantôt en hiver, tantôt en été.

Lorsque Jules César a voulu corriger le calendrier romain, il a fait appel à un astronome égyptien, Sosigène d'Alexandrie. Celui-ci a conçu un calendrier presque parfaitement adapté au cycle solaire. Réformé quinze siècles plus tard par le pape Grégoire XIII, ce calendrier solaire est en usage aujourd'hui dans tous les pays du monde.

À l'autre bout du monde, en Chine, le calendrier aurait été inventé par le légendaire empereur jaune Huangdi, en l'an 2637 av. J.-C. ! Il s'agissait d'un calendrier luno-solaire qui comptait douze lunes de 29 ou 30 jours, soit 354 jours. Pour corriger le décalage d'avec l'année solaire, on rajoutait en temps opportun un mois intercalaire après le cinquième mois lunaire. Le premier de l'An correspondait à la deuxième pleine lune après le solstice d'hiver. Le temps chinois est encore organisé autour de deux cycles, l'un de douze années, l'astrologie populaire associant un animal à chacune d'elles, l'autre de soixante années.

Les Aztèques et le temps

Codex Borbonicus (calendrier aztèque, 1507, Assemblée nationale, Paris)
Les Aztèques des hauts plateaux du Mexique utilisaient avant l'arrivée des Espagnols un calendrier solaire incluant 260 jours sacrés, avec des cycles (ou «siècles») de 52 années. Le manuscrit ci-dessus, qui date de 1507, fait partie d'un rouleau illustré, le Codex Borbonicus (Assemblée nationale, Paris) qui illustre le cycle sacré des années et montre le grand dieu Houitzilopochtli.

La mesure du temps

Reste à savoir comment mesurer ces nouveaux intervalles de temps. L’instrument le plus rudimentaire, c’est le gnomon : c’est un simple bâton vertical qui projette son ombre sur le sol. La taille de l’ombre permet d’en déduire l’heure, mais à condition de tenir compte des saisons puisque l’ombre est plus courte en été qu’en hiver. Les Égyptiens sont parmi les premiers à avoir mesuré l’heure par ce biais. L’autre possibilité, c’est de considérer l’orientation relative de l’ombre (et non plus sa taille) : c’est le principe du cadran solaire. 

Pour le décompte des minutes heures, les Égyptiens ont inventé la clepsydre : il suffit de laisser l’eau s’écouler d'un récipient troué et d’ajouter des traits sur les parois : le niveau d’eau indique l’heure ou la minute. Quand on remplace l’eau par du sable, cela donne un sablier.

On en est resté longtemps à ce stade avant d'en arriver à mesure la seconde. Pour cela, on a notamment employé le pendule : c’est une simple masse suspendue au bout d’une ficelle qui oscille naturellement. Il suffit de régler la longueur pour qu’il y ait 60 battements par minute.

La difficulté vient des frottements qui arrêtent très vite l’oscillation et nécessitent de de relancer automatiquement le pendule à chaque battement. Pour cela, on utilise une roue dentée emportée par un poids qui la fait tourner. À chaque battement du pendule, l’une des dents appuie contre le balancier de façon à le relancer suffisamment pour entretenir l’oscillation. C’est le principe de l’horloge à pendule (la pendule de nos grands-parents) qui apparaît déjà sur les premières horloges mécaniques du XIVe siècle.

Ce principe s'est maintenu jusqu'à nos jours, si ce n'est que l'oscillateur a pu être miniaturé dans les horloges destinées à se montrer... et qu’on appelle des  « montres ». L'oscillateur peut être mécanique, électrique (montre à quartz)... ou quantique (horloge atomique).

Notre relation au temps a connu une bascule radicale en 1967, lors de la 13e conférence mondiale des poids et mesures,  quand on n'est plus parti du jour pour définir l’heure, la minute et la seconde mais de la seconde qui a été définie de façon absolue et irréfutable comme un certain multiple de la période de l’onde émise par un atome de césium 133 lorsqu’un de ses électrons change de niveau d'énergie !

La seconde est ainsi devenue l’étalon de référence du temps à partir de laquelle sont déduites la minute et l'heure. En conséquence de quoi la journée ne dure plus tout à fait 24 heures... Mais la marge d'erreur est infime et n'a heureusement aucune conséquence dans notre vie quotidienne.

Vincent Boqueho (La vraie nature du temps, éditions Ellipses)
Publié ou mis à jour le : 2023-08-31 16:00:36
aigoin isabelle (21-12-2022 11:08:27)

merci pour cet article très synthétique sur l'histoire des calendriers . Les prêtres et savants egyptiens et mesopotamiens méritent notre admiration .
Dommage cependant que de petits schémas techniques ne soient pas en usage sur le site d'Herodote .Un schéma vaut mieux qu'une longue explication.

Cedeba (20-10-2021 10:19:45)

Bravo et merci pour cette vidéo !
J'en profite pour rappeler que le temps de cuisson d'un œuf à la coque, une fois que l'eau a commencé à bouillir, a longtemps été déterminé par la récitation à voix haute de trois Pater Noster suivis de deux Ave Maria, et ce dans tous les foyers ruraux des siècles passés ne disposant pas d'accès internet pour visionner les vidéos si utiles de Vincent Boqueho...

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