29 juillet 1881

Fin de la censure ; la presse enfin libre !

Il y a cent quarante ans, était promulguée une législation majeure pour la démocratie : la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, encore en vigueur de nos jours à part quelques modifications de détail.

Cette loi s’inscrivait dans une séquence historique d’extension de la démocratie et des libertés impulsée par les gouvernements républicains « opportunistes » des années 1880 : loi du 30 juin 1881 permettant de tenir les réunions publiques sans autorisation, sur simple déclaration préalable, loi du 4 mars 1882 donnant à tous les conseils municipaux le droit d’élire leur maire, ou bien encore loi du 21 mars 1884 instaurant la liberté syndicale.

Une marchande de journaux, Fragment d'un almanach pour 1791, Paris, BnF. Agrandissement : Vendeurs de presse à Luchon, carte postale, vers 1900, Paris, BnF.

La presse et l’imprimerie sous haute surveillance

Le texte du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse apparaît comme une consécration. Car si cette liberté était déjà reconnue dans l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789, elle avait été bien souvent mise à mal depuis la Révolution.

Index librorum prohibitorum, édition 1564. Agrandissement : Couverture de Gargantua, François rabelais, ed Denis de Harsy, 1537.La législation votée sous le ministère de Jules Ferry impose un cadre légal à toute publication, ainsi qu’à l’affichage public, au colportage et à la vente sur la voie publique. Son article 1 stipule que « l’imprimerie et la librairie sont libres ». Pour en arriver là, le chemin a été long et jalonné par des flux et des reflux.

La liberté d’expression a été perçue comme un danger par tous les régimes politiques et par l’Église, depuis que l’invention de l’imprimerie par Gutenberg multiplia les ouvrages, journaux, libelles et illustrations de toutes sortes...

Dès le règne de Louis XIII, le cardinal Richelieu organise une surveillance systématique de l'écrit afin d’interdire ou freiner la multiplication des écrits hostiles au pouvoir.

Sous le nom de Librairie, un service d'une centaine de censeurs va jusqu'à  la Révolution veiller à ce que la religion, la moralité, l’État, le roi, le gouvernement ou des compatriotes ne soient pas bafoués.

Avec plus ou moins d’efficacité car les auteurs faisaient souvent éditer leurs œuvres à l’étranger et les diffusaient sous le manteau. Les censeurs eux-mêmes procédaient à des arrangementss. Le plus célèbre directeur de la Librairie (1750-1763), Malesherbes, pensait d'ailleurs « qu’un homme qui n’aurait lu que des livres parus avec l’attache expresse du gouvernement, comme la loi le prescrit, serait en arrière de ses contemporains presque d’un siècle ».

Tout change avec la Révolution. Plus de 1300 journaux et gazettes apparaissent, de façon souvent éphémère. Mais la liberté de la presse a beau être proclamée, elle n’est pas toujours respectée comme le montre la saisie du Vieux Cordelier de Camille Desmoulins ou celle du Tribun du peuple de Gracchus Babeuf, ainsi que l’emprisonnement ou l’exécution de journalistes.

Après dix ans de révolution, le Premier Consul Bonaparte rétablit la censure le 17 janvier 1800. Le nombre de journaux est limité à onze et sera encore réduit à quatre en 1811.

La surveillance des journaux ne se relâche pas avec la chute de Napoléon Ier malgré l’article 8 de la Charte constitutionnelle de 1814 qui reconnaît la liberté de la presse et malgré Chateaubriand : « Plus vous prétendez comprimer la presse, plus l’explosion sera forte. Il faut donc vous résoudre à vivre avec. »

Sans liberté de presse, une révolution !

Le point d’orgue de la répression intervient lorsqu’en 1830, Charles X signe les quatre ordonnances de Saint-Cloud, dont la première suspend une nouvelle fois la liberté de la presse. Cette mesure constitue le déclencheur de la révolution des Trois Glorieuses.

La révolution aboutit à remplacer le très autoritaire Charles X par son cousin, le libéral Louis-Philippe. La nouvelle Charte constitutionnelle stipule que « les Français ont le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions, en se conformant aux lois » et restaure la liberté de la presse.

Mais cette embellie s’avère de courte durée car l’attentat de Fieschi contre Louis-Philippe, le 28 juillet 1835, donne l’occasion au pouvoir de porter le fer contre la presse à travers la « loi scélérate » du 9 septembre 1835 qui soumet les dessins et gravures à l’autorisation préalable.

Madame Anastasie, L'Éclipse, n° 299, André Gill, 19 juillet 1874.Avec l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République le 10 décembre 1848 puis avec la proclamation du Second Empire, s’ouvre une période sombre pour la presse (cautionnement, timbres, avertissements, etc.).

C’est à cette époque que des satiristes représentent la censure en une vieille femme tenant d’énormes ciseaux et surnommée Anastasie.

La presse n’est pas la seule forme d’expression victime de la censure. Des œuvres littéraires sont aussi dans le viseur de la police et de la justice. En 1857, trois écrivains, Gustave Flaubert, Charles Baudelaire et Eugène Sue sont traînés devant les tribunaux. Ce qui fera dire à Flaubert : « La censure quelle qu’elle soit, me paraît une monstruosité, une chose pire que l’homicide : l’attentat contre la pensée est un crime de lèse-âme. »

La libéralisation du régime à partir des années 1860 conduit à l’Âge d’or de la presse sous la Troisième République qu’amplifiera la loi du 29 juillet 1881.

Précaire liberté, nouveaux défis

Les aléas de la politique et de l’Histoire vont conduire toutefois au retour de la censure. C’est le « bourrage de crâne » que dénonce le Canard Enchaîné lors de la Première Guerre mondiale. La censure revient aussi, plus gravement, sous l’Occupation allemande, enfin encore pendant la guerre d’Algérie.

Méfiant malgré tout à l’égard des citoyens, surtout quand ils disposent d’une plume, d’un micro ou d’un clavier, le législateur nes manque pas d’amender régulièrement la loi de 1881.

La loi Pleven du 1er juillet 1972, relative à la lutte contre le racisme crée un nouveau délit et permet à des associations de se porter partie civile, ce qui va susciter nombre d’abus. La loi Gayssot du 13 juillet 1990 sanctionne quant à elle la négation de la Shoah.

L’émergence d’Internet et des réseaux sociaux suscite enfin de nouvelles « adaptations » de la loi...

Publié ou mis à jour le : 2023-06-14 17:41:42
Kalimero (25-07-2023 16:14:28)

Cet article tombe à pic pour nous encourager à soutenir les journalistes du JDD. Il nous montre aussi que quelque soit la volonté de libéraliser la diffusion des « bonnes » idées, l’irrupt... Lire la suite

Bernard (23-07-2023 11:01:11)

Je partage l'avis de Vasionensis. L'article est passionnant mais réduire la Liberté à l'indépendance vis à vis de l'État est une vision très libertarienne. Être contraint par celui-ci (censé ... Lire la suite

Marsaudon (23-07-2023 09:31:18)

et, curieusement, juste un siècles après, en 1981, les choses ont commencé à mal tourner.. 
«  rien n’est jamais acquis à l’homme…. »

vasionensis (26-07-2021 08:35:00)

Voici ce que John Swinton, ancien rédacteur en chef du New York Times, lors d'un banquet le 25 septembre 1880, a répondu à un toast imprudent (je ne reproduis que les derniers paragraphes) :
"Le travail d'un journaliste consiste à détruire la vérité, à mentir délibérément, se pervertir, s'avilir, flagorner aux pieds de Mammon, et à trahir son pays et sa race pour son pain quotidien. Vous le savez, je le sais ; alors quelle sottise que ce toast porté à une presse indépendante!
Nous sommes les instruments et les laquais des riches dans les coulisses. Nous sommes les pantins qui sautent et qui dansent quand ils tirent sur les fils. Notre savoir faire, nos capacités et notre vie même leur appartiennent. Nous ne sommes rien d’autre que des intellectuels prostitués."
Sommes-nous en France plus avancés qu'on ne l'était il y a cent-quarante ans outre-atlantique ?
Cela dit, votre article est bien sûr des plus intéressants. Il pèche sans doute un peu par optimisme.

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