Le 18 février 1564, Michelangelo Buonarroti, plus connu sous le nom de Michel-Ange, rejoint Dieu et ses anges. L'artiste toscan meurt à Rome à 89 ans.
Jusqu'à sa mort en pleine gloire, il a poursuivi pendant près de sept décennies une collaboration âpre et féconde avec les Médicis de Florence et tous les papes de la Renaissance, au cœur du Cinquecento italien : Raphaël, Vinci, Bramante, Titien etc. etc. (note).
Tourmenté par la quête de la beauté, il s'est illustré dans la sculpture, la peinture et la fresque, l'architecture et même la poésie.
Dès 1552, de son vivant, une biographie lui a été consacrée. Tentons de saisir les ressorts de cet artiste absolu...
Ogn'ira, ogni miseria e ogni forza,
Chi d'amor s'arma, vince, ogni fortuna.
Chaque colère, misère et violence,
Qui d'amour s'arme vainc le sort
(Michel-Ange, Poèmes, 1623)
Il Divino ! Michel-Ange, le génie de la Renaissance
Le futur Michel-Ange est né à Caprese, près d'Arezzo (Toscane), le 6 mars 1475, dans la famille d'un modeste fonctionnaire. Tôt orphelin de mère, il est battu par son père qui ambitionne pour lui une carrière prestigieuse et s'oppose à sa vocation artistique. Et voilà comment il se retrouve dans une école de grammaire pour devenir diplomate. Mais face au dessin, le latin et le grec ont bien peu de charme !
À force d'obstination, il parvient à entrer à 14 ans en apprentissage chez un artiste important, Domenico Ghirlandaio. Celui-ci détecte immédiatement chez l'enfant des talents très supérieurs aux siens. N'est-il déjà pas familier de Giotto et Masaccio, qu'il ne cesse de copier et qu'il désigne comme ses maîtres ?
Il l'introduit auprès de Laurent de Médicis, dit le Magnifique, maître tout-puissant de Florence et principal mécène de son temps. Dans cette « école du jardin de Laurent », il croise artistes et humanistes, tous follement amoureux de l'Antiquité et de ses œuvres d'art collectionnées avec goût et appétit par le Magnifique. Séduit par son protégé, celui-ci l'héberge à plein temps dans son palais, le considérant presque comme un fils adoptif.
Le jeune homme, qui manifeste assez vite une préférence pour la sculpture, va s'épanouir dans l'atmosphère follement optimiste et créatrice de la Florence de ce temps... non sans quelque désagrément, comme le confesse son acolyte Pietro Torrigiano : « Un jour, il m'agaça tellement que je perdis tout contrôle et lui assenai un tel coup de poing sur le nez que je sentis les os et les cartilages s'écraser comme un biscuit » ! Il en hérita un nez cassé qui l'aurait tellement complexé qu'il serait la cause de la tristesse permanente qui habitait son visage.
À la mort de Laurent, Michel-Ange retourne s'installer chez son père et en profite pour fréquenter l'hôpital du monastère Santo Spirito : il y côtoie partout des morts et assiste à des dissections, grâce à quoi il va parfaire ses connaissances en anatomie.
Après la chute des Médicis, Michel-Ange se réfugie à Venise puis à Rome. On est au temps où triomphe l'humanisme.
L'artiste ne tarde pas à subjuguer les amateurs d'art avec sa Pietà réalisée pour le cardinal français Jean de la Groslaye de Villiers. C'est une statue représentant la Vierge éplorée tenant dans ses bras, le corps de son fils, Jésus-Christ.
La Pietà est une œuvre magnifique, sculptée dans un bloc de marbre de Carrare choisi avec soin par l'artiste lui-même et poli avec une belle patience pour atteindre cette délicatesse.
Cependant, deux aspects peuvent poser question : la Vierge n'est-elle pas trop belle et trop jeune pour être mère d'un adulte ? Pour Michel-Ange, cette perfection symbolise l'extrême pureté de Marie.
Par contre, il aurait bien eu du mal à expliquer pourquoi, si l'on considère l'œuvre dans son ensemble, un léger problème de proportion surgit : si les deux personnages étaient debout, lui mesurerait 1m75 et elle... 2m20. Qu'importe ! Les plis de la robe et l'harmonie générale font vite oublier ce détail.
Le groupe fut installé en bonne place dans la basilique Saint-Pierre de Rome. Apprenant qu'on attribuait son chef-d’œuvre à d'autres, une nuit Michel-Ange se glissa dans le saint lieu et ajouta son nom sur la ceinture de la Vierge. Plus de doute possible.
Une gloire précoce
À 23 ans, Michel-Ange accède à la gloire et bientôt à la fortune.
De retour à Florence, en 1501, il confirme son talent avec la statue de David, extraite d'un bloc de marbre de 2,5 tonnes et cinq mètres de haut.
Ce bloc n'était à l'origine pas destiné à Michel-Ange : un autre sculpteur avait commencé à y faire apparaître une « figure géante » mais « le travail avait été si mal fait qu'il y avait un trou entre les jambes et que tout était mauvais et estropié ».
Pas de souci pour notre génie qui parvint à rattraper le désastre pour en faire l'œuvre-phare de la Renaissance.
Le David, après quatre jours de transport à travers les rues de Florence, parvint finalement à la place de la Seigneurie où elle trôna jusqu'en 1873.
Cette année-là, on décida de le protéger à l'intérieur de la Galleria dell'Accademia où on peut toujours l'admirer (une réplique a été installée en 1910 à son ancien emplacement, devant le Palazzo Vecchio).
Très vite, le David de Michel-Ange fut considéré comme le chef-d’œuvre indépassable de la Renaissance. Dans son analyse, publiée entre 1943 et 1960, l'historien Charles de Tolnay s'emploie à expliquer la force qui émane de cette statue :
La pose de la figure semble calme mais pleine de tension […]. Le contraste entre les deux côtés est bien marqué : tout le poids repose sur la jambe droite et ce côté est strictement vertical et fermé. L'autre côté de la silhouette, brisée par le bras élevé, est ouvert. Ce contraste correpond […] à une disctinction morale que le Moyen Âge établissait entre les deux côtés : le côté droit sous la protection divine, le côté gauche vulnérable, exposé aux puissances du mal. […]
Le traitement du corps est nouveau dans le David. Au lieu d'accentuer, par le rythme des formes, les forces intérieures qui palpitent, il cherche maintenant à rendre la structure anatomique avec précision. […] Montrant la structure essentielle des organes au repos, l'artiste indique en même temps la virtualité de l'action. [...]
Ce David n'est pas l'enfant victorieux de la Bible : il est l'incarnation de la Fortezza (« force ») et de l'Ira (« Colère »). Or la Fortezza était considérée comme la plus grande vertu civique par les humanistes florentins de la première Renaissance. […] Le David de Michel-Ange est donc l'incarnation des principales vertus civiques républicaines : c'est un « citadino guerriero » (Charles de Tolnay, Michel-Ange, 1943-1960).
S'il est un génie, Michel-Ange est un génie peu avenant : il se fait en effet remarquer par son tempérament taciturne et ses manières très peu sociables (peut-être une forme particulière d'autisme).
Sa sexualité suscite encore des interrogations. On ne lui connaît pas de conquête féminine ni d'attrait pour les femmes. Impuissance ? Homosexualité contenue ou discrète ?...
Il est en butte à la concurrence du doux Raphaël, du rude Léonard de Vinci et de quelques autres artistes plus accommodants que lui.
Cela ne l'empêche pas de gagner la faveur du souverain le plus emblématique de la Renaissance italienne, Giuliano Della Rovere, devenu pape le 1er novembre 1503 sous le nom de Jules II.
Avide d'en remontrer aux puissants de ce monde, Jules II demande à Michel-Ange de lui sculpter un tombeau monumental. Effrayé, il commence par empocher l'argent et s'enfuit à Florence. Mais le pape menace de faire la guerre à la République, laquelle convainc Michel-Ange de regagner Rome.
C'est le début de la « tragédie de la sépulture », comme il a lui-même baptisé cet épisode qui dura 40 ans ! 30 ans après la mort du pape, ses descendants continuèrent en effet de le harceler. « J'ai perdu toute ma jeunesse enchaîné à ce tombeau », dira-t-il avec regret à la fin de sa vie.
Après avoir rempli la moitié de la place Saint-Pierre de blocs de marbre, Michel-Ange débute son travail avec la statue de Moïse, que l'on peut voir aujourd'hui à l'église Saint-Pierre aux Liens, à Rome...
La méthode du sculpteur est simple, si l'on en croit Vasari : « Supposons qu'on prenne une statue de cire ou de quelque matière ferme et qu'on la couche dans un bassin où l'eau forme par définition un plan uni ; si l'on soulève peu à peu cette statue de façon régulière apparaissent d'abord les parties les plus saillantes et les autres restent cachées, à savoir les parties inférieures, jusqu'à ce que finalement elle soit toute découverte. Il faut creuser de même les statues de marbre, en dégageant d'abord les parties les plus saillantes et par degrés les plus basses. »
On le sait peu, mais Michel-Ange ne se contentait pas de manier burin et pinceau mais avait aussi, et avec grand talent, tâté de la plume. Pour l'artiste, il y avait en effet « entre la peinture et la poésie une merveilleuse ressemblance ; c'est assurément là ce qui a fait appeler tour à tour des deux arts l'un, une poésie muette, l'autre, une peinture parlante » (Leçons sur Pétrarque).
Dans ses poèmes, publiés 60 ans après sa mort, c'est toute l'âme déchirée de l'artiste qui s'exprime : Per la via degl’ affanni… (En raison de mes peines)
« J’espère, avec la grâce de Dieu, arriver au ciel, par le chemin des afflictions et des jeûnes. Mais ce qu’il ne m’est plus permis d’espérer, c’est de me rapprocher de vous, avant d’abandonner ma mortelle dépouille.
Cependant, malgré la mer orageuse et les terres qui nous séparent, mon amitié sait braver les frimas, surmonter les obstacles, et me transporter jusqu’à vous, sur les ailes de la pensée que rien n’enchaîne.
Plein de votre doux souvenir, je donne pourtant quelques larmes à mon cher et fidèle Urbin. Que ne vit-il encore ! Il serait avec moi.
Hélas ! c’est tout mon désir. Mais son trépas m’appelle ; il m’a ouvert le chemin et m’attend dans le ciel ». (Poèmes, 1623)
La Sixtine prend des couleurs
Cependant, en 1508, le pape change brusquement d'idée. Il ne veut plus de mausolée et exige de Michel-Ange qu'il décore d'une immense fresque la voûte de la chapelle Sixtine. Refus de l'artiste ! Il est sculpteur et non peintre, le Saint-Père ne peut rompre ainsi son contrat ! Mais il a beau fuir de nouveau, il est rattrapé et placé au pied du mur : au travail, et vite !
Ce sera son œuvre maîtresse. Il s'y épuisera pendant quatre ans, perché seul sur les échafaudages dans des conditions pour le moins inconfortables. « Je suis ici en grand souci et fatigue de corps, écrit-il à son frère, je n’ai amis d’aucune sorte et je n’en veux pas même. J’ai si peu de temps, que je ne peux manger à ma faim ».
Est-ce pour montre son désespoir qu'il se serait représenté sous le masque d'écorché de saint Barthélemy ?
Pourtant le public adhère. Seul un détail chiffonne : ces saints et diables sont un peu trop nus... Le maître de cérémonie du pape le remarque vite et s'indigne, comme le rapporte Vasari, « que c'était une grande inconvenance d'avoir peint dans un lieu si vénérable tant de figures nues qui montraient leur nudité d'une manière si déshonnête, qu'au surplus c'était une œuvre plus digne d'une salle de bains ou d'une auberge que d'une chapelle papale » !
« À travailler tordu j’ai attrapé un goitre
Comme l’eau en procure aux chats de Lombardie
(À moins que ce ne soit de quelque autre pays)
Et j’ai le ventre, à force, collé au menton.
Ma barbe pointe vers le ciel, je sens ma nuque
Sur mon dos, j’ai une poitrine de harpie,
Et la peinture qui dégouline sans cesse
Sur mon visage en fait un riche pavement.
Mes lombes sont allées se fourrer dans ma panse,
Faisant par contrepoids de mon cul une croupe
Chevaline et je déambule à l’aveuglette.
J’ai par devant l’écorce qui va s’allongeant
Alors que par derrière elle se ratatine
Et je suis recourbé comme un arc de Syrie.
Enfin les jugements que porte mon esprit
Me viennent fallacieux et gauchis : quand on use
D’une sarbacane tordue, on tire mal.
Cette charogne de peinture,
Défends-la, Giovanni, et défends mon honneur :
Suis-je en bonne posture ici et suis-je peintre ? » (Michel-Ange, Poèmes, 1623)
De retour à Florence, auprès des Médicis, Michel-Ange travaille à leur tombeau, au couvent de San Lorenzo.
Les Médicis, forts de leur prestige passé, donnent deux papes à la chrétienté, Léon X en 1513 et Clément VII en 1523. Ce dernier noue une Sainte Ligue contre l'empereur Charles Quint, ce qui entraîne le sac de Rome par les lansquenets allemand (1527). Mais là-dessus, pour faire face à une sédition du peuple de Florence, le pape tourne casaque et fait avec l'empereur le siège de la ville ! Michel-Ange, par attachement à sa ville, participe à sa défense mais en vain.
En 1530, l'empereur et le pape placent Alexandre de Médicis à la tête de la ville et lui confèrent le titre de duc héréditaire (il sera assassiné en 1537 par un proche parent surnommé Lorenzaccio qui inspirera beaucoup plus tard une tragédie romantique à Alfred de Musset).
En attendant, le pape a vite fait de pardonner ses infidélités à Michel-Ange, de retour à Rome. Il commande lui aussi son tombeau à l'artiste, puis une nouvelle fresque pour le mur de l'autel de la chapelle Sixtine. Ce sera le grandiose Jugement dernier (16 mètres de haut sur 13 de large).
Entretemps, la chrétienté a basculé dans une nouvelle ère avec les déchirements de la Réforme luthérienne...
L'optimisme de la Renaissance a vécu. Michel-Ange exprime ce basculement à travers les corps torturés et contorsionnés de cette fresque, qui expriment tout à la fois son attachement aux traditions de l’art antique et sa vision sombre du destin de l’humanité (note).
Dans ce compte rendu pour La Revue des Deux Mondes, Eugène Delacroix traduit ses émotions à la vue d'une copie du Jugement dernier de Michel-Ange :
« Le Christ de Michel-Ange n’est ni un philosophe, ni un héros de roman ; c’est Dieu lui-même, dont le bras va réduire en poudre l’univers. Il faut à Michel-Ange, il faut au peintre des formes, des contrastes, des ombres, des lumières sur des corps charnus et mouvans. Le jugement dernier, c’est la fête de la chair ; aussi, comme on la voit courir déjà sur les os de ces pâles ressuscités au moment où le son de la trompette entr’ouvre leur tombe et les arrache au sommeil des siècles ! Dans quelle variété de poétiques attitudes ils entr’ouvrent leur paupière à la lueur de ce sinistre et dernier jour, qui secoue pour jamais la poussière du sépulcre et pénètre jusqu’aux entrailles de cette terre où la mort a entassé ses victimes ! Quelques-uns soulèvent avec effort la couche épaisse sous laquelle ils ont dormi si long-temps ; d’autres, dégagés déjà de leur fardeau, restent là étendus et comme étonnés d’eux-mêmes. Plus loin, la barque vengeresse emporte la foule des réprouvés. Caron se tient là, battant de son aviron les ames paresseuses - Qualunque s’adagia. Rien n’égale la malice et la férocité de ses deux yeux de braise, comme dit le poète. […] Qui croirait, si l’histoire ne nous l’apprenait, que cet ouvrage si plein de hardiesse dans la conception et d’une exécution si virile, est l’ouvrage d’un vieillard ? Michel-Ange avait passé soixante ans quand il entreprit cet immense travail. La diversité de ses travaux, jointe aux contrariétés qu’il rencontra dans leur exécution, fut cause qu’il ne mit pas moins de sept ou huit ans pour l’achever ; ce qui rend encore plus surprenante l’unité qu’on voit régner dans toutes ses parties, dont aucune ne trahit l’effort ou la fatigue ». (La Revue des Deux Mondes, 1837)
Avec la maturité, Michel-Ange sculpteur évolue vers une forme moins achevée que ses premières œuvres. C'est le non-finito, qui joue sur la matière même du marbre en la laissant par endroits à peine dégrossie, d'une façon plutôt moderne.
Non finito ! C'est ainsi que l'on a baptisé l'état d'inachèvement dans lequel Michel-Ange, et après lui Rodin, ont laissé certaines de leurs œuvres. Mais pourquoi ces Esclaves sont-ils restés à l'état d'ébauche ? Pour l'expliquer, on a évoqué l'incapacité maladive d'un artiste tatillon à mettre fin à sa création. Mais lui qui mettait un soin méticuleux à choisir chacun de ses marbres et à les accompagner jusqu'à son atelier n'avait-il pas en fait perçu autre chose dans ces pierres ? « J'ai vu un ange dans le marbre et j'ai seulement ciselé jusqu'à l'en libérer » aimait-il dire.
Habité par son art, Michel-Ange était, comme l'a expliqué Stendhal, « brûlé par l'image du beau qui lui apparaissait et qu'il craignait de perdre [;] ce grand homme avait une espèce de fureur contre le marbre qui lui cachait sa statue ».
L'écrivain français ajoute, citant un auteur du XVIe siècle : « Je puis dire d'avoir vu Michel-Ange âgé de plus de soixante ans, et avec un corps maigre qui était bien loin d'annoncer la force, faire voler en un quart d'heure plus d'éclats d'un marbre très dur, que n'auraient pu le faire en une heure trois jeunes sculpteurs des plus forts ; chose presque incroyable à qui ne l'a pas vue. Il y allait avec tant d'impétuosité et tant de furie, que je craignais, à tout moment, de voir le bloc entier tomber en pièces. Chaque coup faisait voler à terre des éclats de trois ou quatre doigts d'épaisseur, et il appliquait son ciseau si près de l'extrême contour, que si l'éclat eût avancé d'une ligne tout était perdu. » (Histoire de la peinture en Italie, 1817).
Michel-Ange architecte
En 1538, dix ans après le triste sac de Rome, le pape Paul III demande à l'artiste de réaménager la place du Capitole, siège du Sénat de la ville.
Michel-Ange dessine le plan actuel, remarquable d'équilibre et d'harmonie, avec des volées d'escaliers flanquées de palais qui mènent à la petite place en forme de trapèze, et au centre de celle-ci, la statue en bronze de l'empereur Marc-Aurèle, héritée de l'Antiquité.
Parmi d'autres constructions romaines à mettre au crédit du vieil artiste figurent la Porta Pia et le palais Farnèse, qui abrite aujourd'hui l'ambassade de France.
En 1546, le pape Paul III confie à Michel-Ange, architecte en chef du Vatican, le soin de reprendre la construction de la basilique Saint-Pierre de Rome, délaissée depuis la mort de Bramante, 32 ans plus tôt. À 71 ans, Michel-Ange remanie donc les plans de son ancien rival et dessine une majestueuse coupole (136,50 mètres de hauteur totale).
Ayant refusé d'être payé pour des raisons éthiques, il travaillera sur le projet pendant près de 18 ans mais ne le verra jamais achevé puisqu'il meurt le 18 février 1564, à 89 ans.
Le pape décide alors de lui rendre hommage en lui accordant un tombeau à Saint-Pierre de Rome. Impossible ! C'est aller contre le vœu de Michel-Ange qui souhaitait revenir à Florence ! Son neveu va subtiliser le corps et le ramener dans sa chère ville où il repose auprès de ses ancêtres, dans l'église Santa Croce.
Dans cette lettre à son neveu, écrite de Rome en 1545, Michel-Ange nous fait part de ses soucis quotidiens :
« J’ai reçu la corbeille de poires. Il y en avait 86. J’en ai envoyé au pape 34, qui lui ont paru belles et fort bonnes. Quant à la corbeille de fromages, la douane dit que le voiturier est un fourbe et qu’il ne l’a pas déposée en douane. Si je peux savoir où il se trouve dans Rome, je lui ferai selon son mérite, non pour le fromage, mais pour apprendre à ce ladre à mieux traiter l’humanité. J’ai été très mal, ces jours derniers ; je me sentais bien éprouvé par une rétention d’urine. À présent je vais mieux et je te l’écris, de peur que quelque bavard ne t’en raconte mille mensonges à te faire sauter. Dis au prêtre de ne plus m’écrire à Michelagnolo, sculpteur, parce que je ne suis connu que sous le nom de Michel-Ange Buonarroti ; et aussi parce que, si un citoyen florentin veut faire peindre une table d’autel, il faut qu’il s’adresse à un peintre. Moi, je n’ai jamais été ni peintre ni sculpteur, comme ceux qui tiennent boutique. Je m’en suis toujours défendu, par honneur pour mon père et pour mes frères, et je n’ai pas moins servi trois papes, — encore que contraint… » (Lettre de Michel-Ange à son frère Leonardo, 1545).
Vos réactions à cet article
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aldo (30-05-2018 13:02:38)
Magnifique article,sauf pour cet anonyme.quand on critique on ne se cache pas
Gilles (21-05-2018 23:45:06)
Comment imaginer la survenue au monde d'un tel prodige! Sa longue destinée nous a offert tous ces chefs d'œuvre, vus et revus sans cesser d'être coi devant tant de beauté, de grâce, de force et de preuves d'amour. La beauté la vérité le naturel transfigurés. Bravo pour votre présentation et la qualité de vos textes et images. Merci
GM
Philippe (20-05-2018 23:52:37)
Quel sculpteur !
Plusieurs peintres de la Renaissance égalent Michel-Ange. Aucun sculpteur de son temps ou d'un autre temps n'a produit une oeuvre comparable à la Pieta du Vatican, non seulement pour la virtuosité formelle, mais pour la force de la conception (ou faut-il dire : de la vision). La puissance d'émotion de cette sculpture est sans équivalent.(même en photo, ce qui est rarissime !) Elle est, sans hyperbole, sublime - et donc bouleversante.
La disparité d'âge et de taille de la Vierge et du Christ (selon un critère réaliste évidemment inapplicable) est d'une justesse et d'une nécessité absolues selon une signification plus haute qu'on ne peut attribuer qu'à une puissance exceptionnelle de représentation religieuse, dont je ne vois pas d'équivalent dans le siècle de Michel-Ange, sinon peut-être dans les oeuvres les plus inspirées du Tintoret.
Et à 23 ans ! Et sur la scène la plus représentée de tout l'art chrétien !
C'est sidérant.
Anonyme (20-05-2018 22:42:42)
@ Aubrespin Georges
Il n'est pas si clair que Michel-Ange avait une vie dissolue et qu'il était païen. D'ailleurs que signifie au juste ce mot. Au reste on ne lui demande pas d'être un saint et même les saints n'étaient pas des gens parfaits. Mais c'est une autre histoire. Et puis Jules II n'a pas laissé le souvenir du plus vertueux des papes, même si la renaissance en a connu de bien pires (hélas !). Alors admirons la Piéta, cette oeuvre d'un sculpteur de 25 ans. Ce visage qui exprime la pureté ne peut être l'oeuvre d'un homme qui n'a pas de conscience ... même celle d'être comme nous le sommes tous : pécheur ! "Que celui qui n'a jamais péché lui jette la première pierre ".
Pierrot (20-01-2017 13:55:59)
Que dire de plus , que tout ce qui a été dit magnifiquement. Continuez c'est de la joie de vous lire.
Anonyme (15-02-2014 22:05:36)
INTÉRESSANT, CERTES, MAIS AUSSI UN PEU DÉCOUSU, HÉLAS
Boutté Jacques (19-02-2013 11:32:07)
Parmi les circonstances rarissimes il faut sans doute mettre en bonne place la chute de l' Empire d'Orient et l'arrivée à Rome de très bons artistes fuyant l' Islam .
claude (25-09-2012 08:14:50)
Les deux vers cités de Michel Ange illustrent le fil d'inspiration qui soutient et inspire une création: le fil de l'émotion.
Là où celle ci parle dans une oeuvre et se tourne vers une forme esthétisue ,parole , musique , image,...une représentation concrète d'une "idée" , allusive et sensée , l'artiste traduit ,communique son émotion.
"l'oeuvre sort plus belle d'une forme au travail rebelle "écrit le poète!Mais si l'émotion est absente ,l'oeuvre s'efface de la mémoire Collective!Les grandes oeuvres mémorielles allient la beauté à l'émotion car l'émotion n'a pas d'âge ni de frontière.
claude POSTEL (13-08-2012 15:09:44)
comme toujours la présentation de votre sujet , de vos sujets est très très agréables et laisse à chacun le droit , le soin , le choix d'y prendre ce qu'il veut
Claude POSTEL
AUBRESPIN Georges (04-11-2009 09:43:55)
Devant un tel débordement d'exceptionnels talents, il ne faudrait pas oublier que Michel-Ange était païen et avait mené une vie dissolue. Bien que l'Eglise ait fermé les yeux à ce sujet et qu'il ait été absous par un pape et non des moindres qui a marqué par son sens de l'humain la durée de son pontificat,il est incontestable qu'il faut reconnaître et admettre que Michel-Ange était un "immense génie" qui ne peut que perdurer dans le Temps.-
Nicolas F. (29-09-2008 10:03:42)
L'art et la politique ont toujours fait bon ménage. Pour affermir son trône il faut subjuguer ses assises. Faire rêver, certes. Impressionner, tout autant. Mais il est indispensable d'aiguiller les attentes du collectif vers l'imposante représentation architecturale ou décorative dénommé art tenu et soutenu par les cochers de nos sociétés, les créateurs des faiseurs d'opinion.
Cher Verone Ringo, vôtre message est juste et vôtre ton des plus sympathiques. Je vous lirai plus encore si j'en avais le temps. Toutefois, le plus impressionnant dans cette affaire, du moins la partie qui me surprend le plus, c'est la dissociation des mécanismes d'autorité, d'autoritarisme ou de coercition sociale. Comment peut-on s'imaginer un monde ou la quête et la conquête du pouvoir sont disjoints de l'appétit humain, de la notion de beau et d'agréable, des us et coutumes, de la coupe des arbres, ou du temps qu'il fait.
La distinction. Non pas celle de Bourdieu, mais celle qui sépare, classifie les notions, les événements, dans un but analytique au premier abord. Ce monde est tel quel, comme le disait un philosophe très connu et qu'il est inutile de citer : "Tout est lié" !
La frontière entre ces notions, est la même qu'entre celle de corps et d'esprit : elle est purement sémantique. C'est pourquoi, une seule chose permet de dissocier les choses de ce monde, comme l'art et la politique, pour les étudier indépendamment : c'est la naïveté.
Verone Ringo (04-06-2006 00:03:41)
Bonjour,
Si l'on s'interesse un peu plus au sujet de l'art, de la fécondité de la période renaissante, alors on pourra soulever un certain de nombre de choses primordiales qui nous aideront aussi à comprendre notre époque.
Tout d'abord, les différents conciles à l'orée de l'an 1000 où se dessine la volonté de mettre l'homme au centre du monde pour qu'il s'élève (à Dieu, et à la foi de manière générale). Il s'agit du plus beau rêve que l'occident ait pu faire en allant jusqu'au bout de celui-ci, et l'un des plus beaux rêves de l'humanité. Pour cela, l'ensemble de toutes les conditions intellectuelles dans l'ensembles des domaines (surtout des langages) connus ou inconnus devaient être mise à disposition dans la société qui devait être crée. En effet, l'idée même d'une société nouvelle avant la renaissance est le fruit de cette pensée qui mit plusieurs siècles à éclore (environs 3), et dont la première pierre fût la création des universités. C'est cette volonté des états d'investir dans le langage, dans les sciences, et dans les individus pour l'homme puisse s'élever qui à fait qu'un fils de boulanger ou de masson deviennent des artistes comme Michel-Ange ou Léonard de Vinci. Aujourd'hui, notre société pousse à la stérilité la plus totale car le rêve de la société est quelque chose que personne ne comprend : "la croissance" (...jusqu'où, pourquoi ! ...vraiment ?), et d'autre part le sujet individuel de l'homme qui était l'élévation est devenu l'argent.
Il suffira souvent de formuler ce rapport pour se voir insulté très rapidement (d'aristocrates, d'homme d'église, de communistes, de fasciste, -...cela dépend de la couche sociale et du pays). On ne le dira jamais assez, on n'a pas besoin de culture pour faire de l'argent, mais l'inverse est devenu vrai aujourd'hui, car c'est bien le choix de la culture de l'argent qui a été fait, et ce pour des raisons politiques et commerciales (surtout commerciales). Des thèses très intéressantes sur la création même de l'art contemporain par une classe sociale particulière (oups!) après une suite sans erreurs d'incompréhensions successives pendant un siècle et demi, ont abouti à la création pur et simple d'un art artificiel (qu'est-ce qu'on s'amuse!), qui comme les valeurs financières, sont baseés sur une valeur explicite et un discours qui est "politique" ou "stratégique" (ce sont les vocabulaires actuel aujourd'hui lorsqu'on décrit une oeuvre : "la politique de l'oeuvre", "la stratégie de l'artiste").
Alors, je laisse l'internaute réfléchir à des chose bien plus graves (allez! petit indices), notamment l'évolution du goût artistique depuis le nouveau régime jusqu'à aujourd'hui, et le plaisir à accorder de la sympathie à tout ce qui est mortifère, mélancolique, absurde, et le mythe de l'artiste comme tel quel depuis un siècle et demi...
Verone Ringo