Né en 1933 à Paris, Jean Tulard se confond avec le personnage dont il est devenu le spécialiste incontesté, Napoléon. Pourtant, cet historien d'une immense érudition n'a rien d'un dévot. Et ses passions, nombreuses, débordent l'Histoire traditionnelle. Elles couvrent le cinéma, sur lequel il a aussi beaucoup écrit, tout comme la gastronomie, qu'il apprécie en fin connaisseur.
Membre de l'Académie des sciences morales et politiques et président de l'Institut Napoléon, Jean Tulard est l'auteur ou le directeur d'une bonne centaine d'ouvrages consacrés à l'Empereur et à la période révolutionnaire. Et il évalue lui-même à plus de 370 le nombre de préfaces qu'il a bienveillamment écrites pour des élèves ou des amis (parmi lesquels j'ai l'honneur de compter avec la préface de Notre Héritage, ce que la France a apporté au monde, 2022).
Napoléonologue malgré lui
Jean Tulard a découvert l'Histoire dans Les Trois mousquetaires et, depuis son adolescence, il a toujours du plaisir à relire l'oeuvre de Dumas.
Il a donc choisi d'être historien et de se tourner vers la recherche. Pas question d'enseigner dans un lycée ! a-t-il confié à son biographe Jérôme Pernoud, dans un livre consacré à lui-même et à Régine Pernoud (son antithèse !), célèbre biographe de Jeanne d'Arc (Jeanne d'Arc Napoléon, le paradoxe du biographe, Éditions du Rocher, 1997).
Lorsqu'est venu le moment de choisir un sujet de maîtrise, Jean Tulard s'est tourné vers... sa mère, conservatrice des archives et du musée de la Préfecture de Police, à Paris. C'est ainsi qu'il a fait son mémoire sur La Création et les Débuts de la préfecture de Police, 1800-1815.
De cette expérience, il a tiré un premier contact avec Napoléon, sur lequel, assure-t-il, « je n'en savais pas plus jusque-là que l'épicier du coin ». Il en a tiré surtout la passion de... l'histoire de l'administration française. Et s'il est reconnaissant à Bonaparte de quelque chose, c'est d'avoir imposé dans l'administration le remplacement des feuilles volantes par des registres !
Pour complaire à son professeur de maîtrise, Marcel Dunan, qu'il admirait, il a accepté d'assurer bénévolement le secrétariat de l'Institut Napoléon qu'aujourd'hui il préside. Mais il n'en a pas conçu pour autant de passion pour l'Empereur : « Ne me demandez pas si j’aime ou si je n’aime pas Napoléon. Je suis froid sur ce sujet. Je n’ai même jamais emmené mes enfants sur le tombeau de l’Empereur. L’historien se doit d’être impartial, » déclare-t-il en 2020 au Figaro. .
« Jean Tulard n'est pas Napoléon. Austerlitz ne le réjouit pas plus que Waterloo ne l'attriste ; d'ailleurs, il ne va pas sur les champs de bataille. Dans le calme de son bureau, il traque la vérité de l'Empereur et connaît les moindres recoins de l'Empire. Le visiter sous sa conduite est un régal, mais attention ! la dévotion n'est pas son fort », écrit son biographe Jérôme Pernoud.
Les seules vraies passions que confesse le professeur Tulard sont le cinéma et le roman policier. Il possède lui-même quelque deux mille cassettes vidéo. Il a dirigé des dictionnaires du cinéma et du roman policier. Son Dictionnaire du cinéma en deux tomes (Bouquins, 2007) et son Dictionnaire amoureux du cinéma (Plon, 2009) font autorité, tout comme son fameux Dictionnaire Napoléon, 1800 pages, 205 collaborateurs (Fayard, 1987).
Il connaît aussi sur le bout des doigts les Pieds-Nickelés et le foot-ball. Il pratique la gastronomie en amateur raffiné avec des amis tels que Bernard Pivot.
Boulimique de l'écriture
Après une mention Très bien en maîtrise, le jeune étudiant est reçu premier à l'agrégation d'Histoire. Vient l'interlude du service militaire en Algérie (il revient en métropole au moment du putsch d'Alger). Puis le retour à la vie civile et, conformément à ses rêves les plus fous, un premier stage de trois ans dans un institut de recherche bien doté, avec valet de chambre à la disposition des thésards...
Dans l'espoir de briller auprès des filles (!), il publie un premier livre, une Histoire de la Crète dans la collection Que sais-je? C'est le début d'une incroyable somme de publications en tous genres.
Jean Tulard est élu en 1966, à 33 ans, à l'École pratique des Hautes Études puis engagé par Jean Mistler dans un ambitieux projet éditorial destiné à commémorer le bicentenaire de la naissance de Napoléon (1769-1969), pour le compte d'Hachette.
Las, cet ouvrage collectif, Napoléon et l'Empire, va faire un flop commercial du fait de la parution peu avant, chez Perrin, d'un Napoléon par André Castelot. Mistler, devenu secrétaire perpétuel de l'Académie française, se vengera en fermant à Castelot les portes de l'Immortalité, autrement dit de l'Académie !
Le jeune Tulard, quant à lui, devient à la faveur du bicentenaire une référence incontournable. Fréquemment invité à l'émission vedette Les dossiers de l'écran, il forme dès lors avec Castelot un duo aux rôles bien définis : « petite Histoire » contre Université. Le public et les producteurs en redemandent.
Un observateur placide
Sur l'Histoire comme sur Napoléon, Jean Tulard pose le regard détaché et flegmatique d'un homme sans illusions : « L'histoire devrait être interdite, au fond, parce qu'elle est immorale. Elle est toujours faite par les vainqueurs, elle se range toujours au point de vue des vainqueurs. Prenez Laval, qu'on considère en général comme le traître absolu ; même lui est un personnage complexe. Il croit à la victoire de l'Allemagne, et il estime que la France doit être dans le camp des vainqueurs, c'est-à-dire de l'Allemagne. À la même époque de Gaulle prévoit que l'Allemagne ne gagnera pas, et qu'il faut donc être dans le camp des démocraties. Finalement, c'est de Gaulle qui raison. Mais, je vais peut-être en choquer certains : si l'Allemagne avait été victorieuse, quel jugement porterions-nous sur Hitler, sur le régime nazi ? », dit-il avec son humour très corrosif.
Il garde l'impression d'avoir restauré un certain équilibre dans l'approche de l'Histoire après les excès de l'École des Annales. Les fondateurs de celle-ci, Marc Bloch, Lucien Febvre et Fernand Braudel, avaient réagi au début du siècle contre les excès de l'histoire littéraire. Illustrée par André Maurois, elle réduisait la marche des sociétés et du monde aux péripéties de quelques individus hors du commun. Mais ces historiens de talent qui ont su mettre en scène l'Histoire populaire n'ont pas tardé à être dépassés par leurs émules. Et l'on en est arrivé à réduire l'Histoire à une abstraction où seuls comptaient les facteurs sociaux, économiques, géographiques. Pas les hommes.
« Il est intéressant d'observer que le discrédit a été jeté sur la biographie au nom du déterminisme historique, donc du marxisme ; or le même marxisme a porté, à travers les régimes communistes, le culte de la personnalité à des hauteurs encore jamais atteintes », observe, toujours corrosif, Jean Tulard.
Lui-même date la réhabilitation de la biographie et de la place des hommes dans l'Histoire, de la publication de Louis XI par Paul Murray Kendall dans les années 1970. Un grand succès éditorial. Comme les multiples Napoléon de Tulard. Parmi les plus récents, nous avons relevé : Napoléon, les grands moments d'un destin (2006) et Napoléon chef de guerre. Soulignons aussi l'intérêt de l'ouvrage de synthèse de Jean Tulard : Les Révolutions (1789-1851), qui figure dans notre « bibliothèque idéale ».
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