Babylone ! Quelle cité antique peut se targuer de faire naître autant de rêves ? La ville de la tour de Babel, des jardins suspendus et de Sémiramis ne pouvait que, des siècles après sa disparition, revenir sur le devant de la scène avec une découverte archéologique exceptionnelle : la porte d'Ishtar.
12 ans d'attente ! C'est le temps que l'Allemand Robert Koldewey aura dû patienter avant de pouvoir revenir, en 1899, lancer des fouilles de grande ampleur sur le site mésopotamien de Babylone (« la Porte des dieux »), à 100 km au sud de Bagdad.
Lors de ses premières visites, il n'avait pu que constater la présence de « nombreux fragments de briques en relief émaillés ». A quoi correspondaient-ils ? Pourrait-on en trouver d'autres pour reconstituer les motifs brisés ? Pour Koldewey, le rêve de faire sortir de terre la Babylone biblique semble enfin à portée de pioche ! Pensez donc : Hammourabi, Nabuchodonosor, Cyrus le Grand, Darius et bien sûr Alexandre le Grand ont tour à tour pu admirer la belle de l’Euphrate !
Le défi est donc de taille pour notre architecte-archéologue qui va prendre la suite de deux confrères français : l'un, Fulgence Fresnel, fut moins chanceux puisqu'il mourut d'épuisement à Bagdad ; le second, Jules Oppert, se révéla trop imaginatif puisqu'il évoqua dans ses comptes rendus une ville aussi étendue que Londres !
C'est donc au tour de la Société allemande d'Orient de faire ses preuves dans cette région qui est alors sous contrôle de l'Empire ottoman. Pour le gouvernement de Guillaume II, voilà une belle occasion de marquer son rapprochement avec Constantinople et asseoir son influence sur cette partie du Moyen-Orient.
Le 26 mars 1899, les murailles de l'antique ville apparaissent enfin. Suivront des temples, un palais et même une ziggourat qui n'est pas sans rappeler la tour de Babel. Si le site a été occupé dès le XXIVe siècle av. J.-C., c'est bien la cité de Nabuchodonosor II, qui régna au VIe siècle av. J.-C., que Koldewey va faire revivre.
Il va en particulier s'intéresser à un ensemble monumental de 50 mètres de long dont les tours atteignent les 25 mètres de haut. Il s'agit d'une porte vite baptisée « porte d'Ishtar » puisqu'elle s'ouvre sur une voie processionnelle pavée et décorée de 120 lions, symboles de la déesse de l'amour et de la guerre. Si l'on ajoute les taureaux, représentants d’Adad, dieu de l’orage, et les dragons, liés à Marduk, dieu de l’exorcisme, ce ne sont pas moins de 570 animaux qui protégeaient la ville !
Pour remettre au jour ces bâtiments, les 200 ouvriers vont devoir creuser pendant près de 15 ans jusqu'à 12, voire 24 mètres, avant d'évacuer la terre grâce à tout un système de wagonnets qui parcourent le site.
Mais ces découvertes, tout exceptionnelles qu'elles soient, auraient presque pu passer inaperçues sans la présence de ces petites briques émaillées qui avaient attiré l'attention de Koldewey, 12 ans auparavant. Il faut dire que ce ne sont pas quelques fragments que vont ramasser les archéologues, mais des dizaines de milliers qui occuperont près de 900 caisses !
Impossible en effet de s’atteler à ce gigantesque puzzle sur place, il faut vite rejoindre l'Allemagne qui s'apprête à plonger dans la guerre. C'est donc au musée de Pergame à Berlin que commencent en 1928 les travaux de reconstitution sous la direction de Walter Andrae, ancien collaborateur de Koldewey, décédé en 1925.
Les fragments sont d'abord disposés dans 200 bidons d'eau pour leur enlever l'excès de sel, avant de passer par un bain de paraffine qui fixe les traces d'émail. Puis vient l'étape du tri sur de longues tables en bois. Finalement il ne faudra que deux ans de ce travail minutieux pour redonner forme aux lions, taureaux et dragons de brique qui continuent à célébrer la puissance de Nabuchodonosor, 30 siècles après leur création. Visibles dans une dizaine de musées dans le monde, leurs silhouettes se détachant sur un bleu azur lumineux à base de lapis-lazuli reste la plus belle preuve de la grandeur des Mésopotamiens.
Jean Bottéro et Marie-Joseph Stève, Il Était une fois la Mésopotamie, Gallimard (« Découvertes »), 1993.
Histoire et civilisation n°24, janvier 2017.
Compte rendu des fouilles par Robert Johann Koldewey, The Excavations at Babylon (1914)
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