De tous les libertins de l'Ancien Régime, Giacomo Casanova est le plus célèbre. C'est au point que son nom est devenu un mot commun pour désigner un séducteur à la fois aimable et troublant. Sa vie exubérante, sa curiosité et ses talents ne sauraient cependant se réduire à ce cliché.
Auteur de mémoires à succès, Histoire de ma vie, il a inspiré Mozart pour son personnage de Don Juan et continue de nous séduire et de nous intriguer par le canal du cinéma...
Un séducteur compulsif
Giacomo Girolamo Casanova est né le 2 avril 1725 à Venise dans une famille de comédiens. Il est élevé par sa grand-mère dans un milieu de femmes et reçoit une éducation soignée.
Le jeune homme mène ses études avec sérieux. Il se consacre au droit et à la théologie de 1735 à 1742, obtient son doctorat à l'université de Padoue et se prépare à devenir abbé : il prononce ses voeux et officie à l'église San Samuele.
Après en avoir été chassé pour cause d'ivresse, il profite de la protection du sénateur Malipiero et du cardinal Acquaviva pour continuer à prêcher à Venise, Naples et Rome. Ses aventures féminines sont alors mises au grand jour ; il doit abandonner ses habits de prêtre pour se tourner vers une autre voie : celle d'aventurier.
Dès lors, Casanova enchaîne les petits boulots à travers le monde : marin, violoniste, (faux) guérisseur, il reçoit l'appui de la famille Grimani. Il joue beaucoup aux casinos et a des aventures avec de nombreuses femmes -142, selon ses dires-.
Contrairement à l'image laissée par le personnage de Don Juan, Casanova n'est pas un cynique ou un dominant. Rien à voir avec un Weinstein hoollywoodien. Chaque conquête renouvelle son désir et sa passion. Chaque rupture est ressentie comme un échec. Sans doute est-ce qui lui vaut d'être apprécié par les soubrettes comme par les princesses.
À Thérèse, l'une de ses premières amours, il confesse : « Tu me supposes riche ; je ne le suis pas. Je n’aurai plus rien quand j’aurai fini de vider ma bourse. Tu me supposes, peut être, homme de grande naissance, et je suis d’une condition ou inferieure, ou egale à la tienne. Je n’ai aucun talent lucratif, aucun emploi, aucun fondement pour être certain que j’aurai de quoi manger dans quelques mois. Je n’ai ni parens, ni amis, ni aucun droit pour pretendre, et je n’ai aucun projet solide. Tout ce que j’ai à la fin n’est que jeunesse, santé, courage, un peu d’esprit, des sentimens d’honneur, et de probité, et quelques commencemens de bonne littérature. Mon grand tresor est que je suis mon maitre, que je ne depens de personne, et que je ne crains pas les malheurs » (Histoire de ma vie).
En 1750, il se lance à la conquête de Paris. On le fiance avec Manon Balletti, fille de comédiens. Mais Casanova ne parle pas le français et maîtrise mal les codes sociaux et culturels ; n'arrivant pas à s'intégrer dans la société parisienne, il décide de retourner dans son pays natal.
Son arrivée à Venise en 1755 est accompagnée de nouvelles conquêtes. Casanova et son ami l'abbé de Bernis se réunissent dans un lieu tenu secret pour entretenir des rapports sexuels réguliers avec une religieuse du couvent de Murano, Marina Maria Morosini.
En prison pour de bon !
Les incartades ne se comptent plus en 1755. Le 26 juillet, le jeune homme se fait arrêter par la police pour ses activités libertines et ésotériques. Il passe un peu plus d'un an enfermé dans la « prison des Plombs ».
Le 31 octobre, il se serait évadé avec un autre prisonnier, selon son récit Histoire de ma fuite des prisons de la République de Venise qu'on appelle les Plombs. C'est un exploit : ce serait la seule fuite connue de cette prison réputée redoutable.
En 1757, le séducteur se réfugie à Paris. Habile stratège, il lance une loterie royale à l'échelle nationale ; celle-ci a pour but de financer la réalisation de l'École militaire. Elle lui vaut aussi de gagner beaucoup d'argent.
Il se lance également dans l'alchimie ; prétendant connaître les sciences occultes sur le bout des doigts, il escroque pendant plusieurs années Jeanne de la Rochefoucauld, plus connue sous le nom de Madame d'Urfé. Elle le rémunère en pierres précieuses, finance ses voyages et devient son amante. Mais en 1763, un ami de Casanova, Giacomo Passano, dénonce la supercherie à la marquise.
Jamais à court d'idées, le Vénitien se lance dans la politique. Le duc de Choiseul lui aurait demandé de contrôler l'état des navires de guerre français, mais aussi de négocier avec des commerçants hollandais.
L'argent récolté durant ces missions lui permet d'acquérir une villa et tout le personnel de maison nécessaire. Il n'en atterrit pas moins dans la prison royale de For-l'Evêque, près de Saint-Germain-l'Auxerrois (Paris). Indulgente, Madame d'Urfé l'en fait libérer.
Casanova quitte la France pour voyager en Europe durant plusieurs années. Grâce à sa réputation et à son appartenance à la franc-maçonnerie, il est reçu par plusieurs souverains : Catherine II de Russie, Georges III en Angleterre et Frédéric II de Prusse.
Sanguin, l'aventurier se bat en duel le 5 mars 1766 pour avoir osé attaquer verbalement l'aristocrate polonais Franciszek Ksawery Branicki au sujet d'une femme. Aucun des deux ne meurt, mais l'épisode fait le tour de l'Europe.
Vieux rat de bibliothèque
Le 15 novembre 1774, Casanova rentre en gloire au bercail, à Venise. Un sauf-conduit facilite son retour. Toujours actif, il crée une troupe de théâtre, écrit et fait de l'espionnage pour le compte de l'Italie. Mais après une vie de plaisirs, il commence à s'enlaidir ; il a de moins en moins de succès auprès des femmes. En outre, en 1783, la noblesse vénitienne le condamne à l'exil.
Retour à Paris puis à Vienne, où le prince de Ligne, ci-devant comte Joseph Karl von Waldstein, lui offre la fonction de bibliothécaire dans son magnifique château de Dux (ou Duchcov), en Bohême. Né à Bruxelles, le prince est un maréchal du Saint-Empire, diplomate au service de l'empereur. Il sera un acteur important du Congrès de Vienne (1814) dont il ne verra pas la fin. Homme d’esprit et libertin, il se décrit comme athée.
Normal qu'il soit séduit par Casanova même vieux. Il l'admire et le jalouse. Voici ce qu'il en dit : « Il est fier, parce qu’il n’est rien et qu’il n’a rien. Rentier, ou financier, ou grand seigneur, il aurait été peut-être facile à vivre. Mais, qu’on ne le contrarie point, surtout que l’on ne rie point, mais qu’on le lise ou qu’on l’écoute, car son amour-propre est toujours sous les armes : ne lui dites jamais que vous savez l’histoire qu’il va vous conter ; ayez l’air de l’entendre pour la première fois ».
À Dux, Casanova est saisi par la fièvre de l'écriture. Toujours aussi soucieux de plaire, il écrit sans trêve des lettres, ouvrages et mémoires qui témoignent de l'étendue de ses connaissances et de sa curiosité insatiable : « Il n’y a point d’homme au monde qui parvienne à savoir tout; mais tout homme doit aspirer à tout savoir » (Histoire de ma vie).
Lui, le Vénitien qui a bourlingué dans toute l'Europe, il a soin d'écrire en français, la langue commune à tous les cercles cultivés de l'époque. Il manie la langue avec aisance, dans le style fleuri et alerte des Lumières.
Parmi ses oeuvres, un roman utopique verbeux qui aboutit à un échec financier et littéraire : Icosaméron (1788). Il y a aussi l'Histoire de ma fuite des prisons de la République de Venise qu’on appelle les Plombs.
Le prélude n'est pas sans rappeler les Confessions de Jean-Jacques Rousseau, autre enfant du siècle : « Pour captiver le suffrage de tout le monde j’ai cru de devoir me montrer avec toutes mes faiblesses, tel que je me suis trouvé moi-même, en parvenant par là à me connaître ; j’ai reconnu dans mon épouvantable situation mes égarements, et j’ai trouvé des raisons pour me les pardonner ; ayant besoin de la même indulgence de la part de ceux qui me liront, je n’ai rien voulu leur cacher, car je préfère un jugement fondé sur la vérité, et qui me condamne, à un qui pourrait m’être favorable fondé sur le faux. »
Enfin vient l'ouvrage qui assurera sa renommmée post-mortem : Histoire de ma vie, un manuscrit de 3700 pages (aujourd'hui à la BNF) nourri par sa mémoire phénoménale et quantité de notes et de lettres qu'il a eu soin de conserver... et a détruites après les avoir exploitées.
Casanova meurt le 4 juin 1798, ignoré de tous, enterré à la va-vite près de l'église Santa-Barbara de Dux.
Le cinéma nous a fait redécouvrir ce personnage haut en couleurs et attachant avec Casanova (Federico Fellini, 1977) et Dernier amour (Benoît Jacquot, 2019).
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Jean MUNIER (30-10-2024 12:40:22)
à Paris , il ne parle pas français , plus tard il écrit ses mémoires en français..